- Papa! Papa!
Des bruits de pas rapides se firent entendre dans le couloir d’une petite maisonnée, au sein de la grande ville de Doublonville. Interpellé par cette petite voix aiguë qui résonnait dans la demeure, un homme blond, probablement âgé dans la mi-vingtaine et qui s’attelait à la tâche de réparer un mobilier, se retourna pour faire à la petite créature tout excitée qui courait dans sa direction, les bras dans les airs, tenant un grand morceau de papier. Un énorme sourire candide éclairant sa petite bouille d’enfant, le gamin aux cheveux étrangement clairs se jeta littéralement dans les bras de l’adulte, qui l’attrapa en poussant un léger « hmph » surpris. Presque immédiatement, sans se soucier de son entrée soudaine et du déséquilibre qu’il avait provoqué chez l’homme, le gamin, qui devait être âgé d’environ cinq ou six ans, colla pratiquement le grand papier qu’il tenait entre ses mains, qui se révéla en fait être un grand dessin de son cru, dans le visage de son paternel. - Evan! Calme-toi. Qu’est-ce que tu veux me montrer?
Délicatement, l’homme attrapa le dessin que tenait l’enfant et tout en le tenant d’un bras, il utilisa l’autre pour étendre le dessin sur un coin plus ou moins propre de sa table de travail. Il eut la joyeuse surprise de découvrir un portrait gauchement dessiné de lui-même, accompagné d’une foule de pokémons. L’art avait beau provenir des mains d’un petit garçon de 5 ans, il devait avouer que son fils l’étonnait grandement, le dessin était suffisamment bien pour qu’il puisse se reconnaître sans grand problème, ainsi que tous les pokémons qu’il ne connaissait que trop bien, ceux-ci étant les quelques pokémons qu’il avait conservés de ses vieilles années de dresseur. Car oui, bien qu’il fût maintenant résolu à un maigre travail de menuisier, l’homme dans la fleur de l’âge avait autrefois été un dresseur reconnu qui avait d’ailleurs participé à deux tournois de la ligue pokémon, deux tentatives qui s’étaient malheureusement révélées de cuisants échecs. - Tu vois, tu vois? C’est toi! Avec Moon, Ace et tous les autres!
Le petit garçon s’agita dans les bras de son père, pointant tour à tour une Mysdibule, un Pyroli et les autres pokémons présents qui consistaient d’un Scarhino, un Raichu et un Herbizarre. Ne pouvant s’empêcher de sourire face à l’enthousiasme du petit garçon, il acquiesça de la tête, ébouriffant la chevelure blanche de son fils de sa main libre. Evander se débattit d’autant plus, essayant d’attraper la grande main de son paternel entre les siennes pour l’empêcher de mettre davantage de désordre dans sa tignasse. Un léger « papaaa! » plaintif suffit à arrêter le père amusé, qui laissa échapper un gloussement. D’un geste tendre, il embrassa rapidement le front de son fils unique, qui grimaça, faussement dégoûté de la marque d’affection soudaine. - Dit, papa… Pourquoi est-ce que tu n’es plus un dresseur? Tu n’aimes plus les pokémons?
La question prit le père au dépourvu. Bien évidemment, ce n’était pas le cas, l’homme portait toujours un amour immense pour les pokémons en tout genre, et il aurait certainement préféré poursuivre ses aventures de jeunesse et parcourir le monde entier accompagné de toute son équipe, mais comment expliquer à gamin de cinq que, parfois, la vie nous obligeait à faire des choix. Pensif, il mit un moment à répondre à son fils qui s’impatientait déjà. - Bien sûr que oui, papa aime toujours les pokémons, et il les aimera pour toujours, mais papa a rencontré maman… Et il a voulu prendre soin de son petit garçon.
Pendant un moment, l’homme vit la confusion se peindre sur le visage innocent de son fils, jusqu’à ce que celui-ci réalise finalement au bout de quelques secondes que le petit garçon dont il était question le représentait. Immédiatement, le gamin devint silencieux, prenant le même air pensif qu’avait utilisé son père quelques secondes plus tôt. Il semblait prendre le temps d’assimiler ce que son paternel venait de lui dire. Il était toujours étonnant de voir à quel point les enfants pouvaient se montrer incroyablement brillants par moment. Son fils ne cessait jamais de le surprendre. Bien que parfois, il déplorait qu’il n’ait pas la maturité nécessaire pour comprendre des sujets plus complexes. Néanmoins, dans ses temps libres, il s’amusait à essayer de lui apprendre autant que possible sa table des types pokémons. Le petit garçon faisait de beaux progrès, lentement mais sûrement. - Elle est où maman, papa? Ça fait longtemps qu’on ne l’a pas vue.
Une nouvelle question qui prit le père de l’enfant complètement au dépourvu. Il aurait probablement dû s’attendre à se faire poser cette question tôt ou tard, mais il n’avait jamais envisagé que l’enfant soit en mesure de réaliser que sa mère avait été absente depuis maintenant plusieurs mois. C’était les désavantages d’avoir une femme et une mère archéologue. La mère du jeune garçon était partie, trois mois auparavant, pour une grande expédition dans la région de Sinnoh et depuis, elle n’avait pu revenir à la maison. Les deux parents se parlaient régulièrement par pokématos, lorsque la jeune femme avait un peu de temps libre, mais il était difficile de garder Evander en place suffisamment longtemps pour tenir une conversation outre-mer avec sa maman. Le garçon devait certainement s’ennuyer de la présence féminine de sa mère, malgré tous les efforts qu’il faisait pour s’assurer qu’il ne manquerait de rien. - Maman est partie en voyage, mon grand, elle devrait être de retour bientôt. Je suis sûr qu’elle pense très souvent à toi et qu’elle a vraiment hâte de te revoir.
Il eut le cœur brisé face à la mine déçue de son fils. Se mordant la lèvre inférieure, incertain de ce qu’il devait dire, car s’il voulait lui remonter le moral, il ne voulait pas lui faire de fausses promesses, il décida tout de même d’essayer de contacter la mère de celui-ci pour lui demander s’il serait possible de faire une conversation vidéo d’ici peu, question qu’Evan puisse voir sa maman, ne serait-ce que sur écran. - Tu sais quoi? On utilisera l’ordinateur ce soir pour parler avec maman. Ça te dit?
Toute trace de tristesse fut complètement balayée du visage du gamin, qui se débattit pour littéralement sauter des bras de son père en poussant de petits « Yay! » à répétitions, excités à l’idée de parler avec sa mère pour la première fois depuis trois lunes. Toutefois, malgré le bonheur de voir son fils aussi heureux, le père n’eut qu’un simple demi-sourire en coin. Il allait vraiment devoir avoir une conversation sérieuse avec la mère de ce dernier. Elle ne pouvait pas se permettre de rester loin de leur fils pour aussi longtemps. Evander avait besoin de sa mère… Et il avait besoin de sa femme, lui aussi.___________________________________________________________________________
- PAPA! ON A DU COURRIER! ÇA VIENT DE MAMAN!
L'annonce d'Evander n'eut même pas le temps de s'éteindre que le garçon, maintenant âgé de neuf ans fut assailli par son père qui lui arracha pratiquement les deux lettres qu'il portait dans ses mains. Surpris par ce comportement qui était à l'opposé complet de l'homme calme et composé qui l'avait élevé, le garçon eut un moment de recul, alors qu'il regarda son père déchiré la première lettre en vitesse, l'air pratiquement contrarié. En regardant de plus près, Evan se rendait compte que son père semblait avoir âgé énormément, ces dernières années. Les nouvelles cernes qui marquaient le dessous de ses yeux, sa barbe de plusieurs jours mal rasée, son habit de travail tout tâché, il faisait peur à voir. Malgré son jeune âge, l'enfant ne savait que trop bien que tous ces symptômes étaient dus à l'absence prolongée, encore une fois, de sa propre mère. Il savait que ses parents se parlaient de moins en moins. À chaque fois qu'il surprenait une conversation entre eux, son père semblait constamment en colère, se retenant de crier, probablement pour ne pas l'alerter. Évidemment, les deux faisaient comme si de rien n’était lorsqu'ils se parlaient par conversation vidéo, tous les trois ensemble.
Silencieux pendant les longues minutes où il se contenta de regarder son père parcourir la lettre des yeux, il s'aperçut bien rapidement que le visage de l'homme se décomposait; plus son père lisait, plus Evan avait l'impression qu'il allait s'effondrer. Inquiet, il approcha une chaise qu'il offrit comme appui à son père qui referma finalement le bout de papier, après ce qui lui avait semblé une éternité. Tentant désespérément de contenir ses émotions, le père d'Evander plongea son visage dans l'une de ses mains, relâchant un bruit à mi-chemin entre le cri et le râle, puis d'un geste sec, il lança la lettre dans le foyer éteint qui dominait le salon de la maison. Se retournant vers les pokémons de la maison qui s'était réunis, alertés par la réaction de leur maître, il ordonna alors au Pyroli d'enflammer le courrier, d'un ton assez agressif. Surpris par l'expression hors de l'ordinaire de son maître, le renard de feu s'exécuta sans résister, utilisant son attaque flammèche pour allumer le foyer et mettre feu à la lettre qui brûla instantanément. - Papa..? Est-ce que ça va? Qu’est-ce que maman a dit?
L’homme, qui s’était mis à faire les cent pas devant le foyer, s’arrêta en entendant la voix inquiète de son fils. Se retournant vers celui-ci, il posa un genou au sol en l’attrapant par les épaules. La vision du père se troubla alors qu’il retenait autant que possible ses larmes. Il avait littéralement le cœur briser à l’idée de ce qu’il s’apprêtait à annoncer au petit garçon, qui commençait à trembler légèrement, comme si la peine de son père avait fini par l’affecter. - Ta maman… Elle ne reviendra pas… E... Elle a décidé de rester loin, pour son travail. Maman et papa… C’est terminé, mon grand.
La déclaration mit quelques secondes à être assimilée par Evan, qui explosa en larmes. Le père dut contrôler les petits poings de l’enfant, pour éviter de se faire frapper au visage dans la crise incontrôlable de son fils. Attendant que le garçon se calme un peu, ce qui prit un bon moment, car Evander avait toujours été un enfant plein d’énergie, le père finit par ne plus pouvoir retenir ses propres larmes et c’est en pleurant silencieusement qu’il retourna son fils pour l’enlacer, père et fils se consolant mutuellement dans la perte qui venait de leur tomber sur la tête.___________________________________________________________________________
La sonnerie annonçant la fin des classes résonna dans toute l’école, à la plus grande joie des élèves qui se levèrent tous de leur place dans un grand mouvement commun, avant de se précipiter en courant vers la sortie. Au milieu de cette vague énorme, une chevelure blanche tentait tant bien que mal de retrouver le visage de son père, qui était censé venir le chercher après les cours. Au bout d’un moment, lorsque le flot d’élèves diminua, il l’aperçut finalement, de l’autre côté de la cour extérieure de l’école. Toutefois, à sa grande surprise, son père n’était pas seul; une femme d’à peu près son âge se tenait à ses côtés et à leurs pieds, une petite fille souriait à pleines dents. Comme s’il s’était senti observé, son père se tourna alors sa direction et le salua de la main, l’invitant à venir les rejoindre. D’un pas incertain, Evan, maintenant âgé de 11 ans, rejoignit donc le groupe, mal à l’aise. - Evan, j’imagine que tu connais déjà Naomie, elle est un an plus jeune que toi, tu l’as probablement déjà croisé à l’école. Je suis désolé, mon grand, je sais que c’est probablement très soudain pour toi… Mais sa mère et moi aimerions habiter ensemble.
Silencieux face aux trois grands sourires qui se présentaient à lui, Evan n’eut que très peu de réactions devant la grande annonce que lui faisait son père. En réalité, il n’avait absolument aucune idée de comment il devait se sentir face à ça. La dame au côté de son père lui semblait plutôt sympathique, elle avait l’air heureuse et pour une des premières fois depuis sa rupture avec la mère du garçon, son père semblait apprécier la vie à nouveau, lui aussi. Il pouvait sentir la pression des attentes des deux adultes peser sur ses épaules. Qu’était-il sensé répondre, s’il ne savait même pas si la nouvelle l’enchantait ou non? Une petite partie de lui ne pouvait s’empêcher de penser à sa mère, qui était probablement encore en train de travailler quelque part dans une région éloignée. - Et maman, dans tout ça?
- Evan, on a déjà discuté de tout ça. Maman a pris sa décision, elle ne reviendra pas à la maison.
- T’en sais rien! Peut-être qu’elle ne peut pas revenir parce qu’elle a un très très gros travail à finir et que quand elle va avoir fini, elle va rentrer à la maison!
- Evan…
- NON! Je ne veux pas oublier maman!
- EVAN!
Entendre son père lui crier dessus choqua le garçon à un tel point qu’il se tut immédiatement, sentant qu’il avait peut-être franchit la ligne à ne pas franchir à s’opposant à la décision de son père. Un silence lourd suivit l’annonce entre le père et son fils, les deux filles du groupe semblant ne pas trop savoir quoi faire. En réalité, en ce moment, Evan aurait probablement préféré qu’elles n’existent pas. Son père poussa un profond soupire en se penchant vers lui, son visage reprenant une expression plus douce.- Je ne te demande pas d’oublier ta maman. Personne ne pourra jamais la remplacer, d’accord? Je te demande seulement de me faire confiance et de me donner une chance, d’accord?
Restant muet, évitant le regard insistant de son paternel, le garçon conversa son air têtu et renfrogné, mais il ne fit aucune remarque supplémentaire. Satisfait, son père se regarda, déposant doucement sa main son épaule, l’entraînant vers la voiture, alors que le silence de malaise subsista jusqu’à ce qu’ils arrivent dans leur nouvelle demeure. Apparemment, son père et la mère de Naomi avaient déjà tout prévu depuis un bon moment et le lui annoncer avait été la dernière étape. ___________________________________________________________________________
- Evy?
- Hmm? Qu’est-ce tu veux? Je t’ai déjà dit de ne plus m’appeler comme ça.
Les yeux rivés sur un grand carnet de notes qu’avait rempli son père au cours de son voyage initiatique à travers le monde, le garçon n’accorda que très peu d’attention à la jeune fille qui s’était dangereusement collé sur lui, alors qu’ils étaient tous les deux assis sur le canapé du salon, devant le foyer qui brûlait, réchauffant la pièce contre le froid de l’hiver qui faisait rage à l’extérieur. Il fit de son mieux pour ignorer Naomi, se disant que celle-ci finirait bien par le laisser tranquille, mais s’il y avait bien quelque chose de la jeune fille, dans la dernière année, c’était bien qu’elle ne le lâcherait pas tant qu’elle n’obtiendrait pas ce qu’elle souhaitait. Il avait appris à apprécier la jeune fille avec le temps, mais elle avait décidément tendance à le suivre beaucoup trop à son goût, surtout dernièrement. Bref, il soupira avant d’abaisser son livre, le refermant par la même occasion avant de se tourner vers Naomi, pour se rendre compte qu’elle était définitivement trop près de lui pour son confort. Il eut un léger mouvement de recul.- Qu’est-ce qu’ils font nos parents, tu crois?
- Comment veux-tu que je sache? Ils sont sortis pour toute la soirée.
- Tu crois qu’ils sont en train de s’embrasser?
Bonne chose qu’il n’était pas en train de boire quelque chose, où il aurait certainement recraché tout au visage de la jeune fille, complètement pris au dépourvu par la question de sa supposée « sœur ». Non mais quel genre de questions que c’est que ça? Le visage de l’adolescent tourna au rouge pivoine. Comment était-il sensé savoir ça? Et d’abord, même s’il avait pu le savoir, il n’en avait aucune envie. Sérieusement, quel genre d’esprit tordu est-ce que la jeune fille cachait derrière son petit air angélique? Ou est-ce qu’elle posait cette question en toute innocence? Non. Elle était tout de même âgée de 12 ans, elle devait savoir ce que représentait un baiser. - Qu-Quoi? Mais c’est quoi cette question? Arrête de te moquer de moi, ce n’est vraiment pas amusant. Je te signale que j’étais occupé, avant que ne vienne me déranger avec tes questions stupides!
- Ce n’est pas stupide! Tu n’es pas curieux, toi?
- Curieux? Pourquoi est-ce que je serais curieux?
- Pour savoir ce que ça fait?
- Mais de quoi tu parles, à la fin?!
- Tu n’as pas envie d’essayer, toi?
- Mais qu-
Evander s’interrompit dans son début de phrase, réalisant enfin où est-ce que Naomi voulait en venir. Est-ce que lui demandait sérieusement s’il avait envie de l’embrasser pour savoir comment on se sentait? Mais qu’est-ce qui lui prenait, ce soir? Elle s’était pété un neurone et ça la rendait complètement dingue?! Plus qu’un simple recul, cette fois, le jeune adolescent se leva complètement du canapé, pour reculer de plusieurs pas, question de mettre un peu de distance entre lui et la folle. Il avait vraiment l’impression qu’il rêvait. Et le pire dans tout ça, c’était qu’il n’était pas certain s’il devait catégoriser ce rêve comme un cauchemar ou non.- Tu ne veux pas? C’est parce que tu me trouves laide?
Arg. Pourquoi est-ce qu’elle devait prendre un air aussi mignon, alors qu’elle prononçait ces mots? Il avait toujours eu du mal à résister aux yeux de chiens battus que la jeune fille lui présentait en ce moment. Sérieusement, il n’avait jamais été aussi inconfortable de toute sa vie. Il n’arrivait même plus à réfléchir rationnellement. Serrant les dents, le regard complètement perdu et confus, il ne savait vraiment plus ce qu’il devait dire ou faire. Est-ce qu’il trouvait que Naomi était laide? Bien sûr que non, elle était mignonne comme tout, avec son joli minois, ses grands cheveux noirs et surtout ses deux grands yeux verts qu’il n’osait plus croiser maintenant. Sauf que ça ne voulait pas dire pour autant qu’il voulait l’embrasser. Oui, elle était jolie et oui, il ne pouvait nier qu’une certaine partie de lui-même se disait que l’expérience pourrait être intéressante, mais l’idée de partager un tel moment d’intimité avec celle qu’il en était venu à considérer comme sa petite sœur lui était complètement inconcevable. - Est-ce… Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis, Nao?
- Bien sûr que oui! Maman m’a toujours dit que je devrais gardé mon premier baiser pour un garçon gentil, que j’aimerais énormément et que j’aimerais en retour. Tu m’aimes bien, pas vrai, Evy?
Le visage du garçon prit une encore plus intense, si c’était vraiment possible. Il fallait vraiment qu’il s’en aille d’ici. Est-ce que c’était une déclaration d’amour de la part de Naomi? Il ne savait vraiment plus quoi penser. Son cerveau s’était complètement déconnecté. Dans un élan de lucidité, il bafouilla difficilement qu’il allait retourner lire dans sa chambre et sans laisser la chance à la jeune fille de répondre, il s’empara du carnet de son père avant d’aller s’enfermer dans sa chambre en vitesse, verrouillant la porte derrière lui. Se laissant glisser le long de la porte, il appuya ses deux paumes sur ses yeux, résistant à l’envie de s’arracher quelques mèches de son toupet. Il ne voulait plus jamais sortir de sa chambre.___________________________________________________________________________
- Tu es vraiment sûr que c’est ce que tu veux, Evan?
- Sûr et certain.
- Tu ne regretteras pas ta décision?
- P'pa!
- D'accord, d'accord.
Une lettre de confirmation écrite par la Pokémon Community à la main, le père était clairement encore incertain à savoir s'il devait autorisé l'inscription de l'adolescent ou non. Ce dernier venait à peine de lui annoncer qu'il avait fait toutes les démarches nécessaires pour son inscription et qu'il avait finalement reçu sa confirmation comme quoi il était accepté à l'académie, ce matin même. Evander semblait réellement déterminé à aller étudier sur cette île inconnue et dans un certain sens, il n'avait pas envie de freiner son rêve, mais de l'autre, l'idée de voir son fils unique s'éloigner à ce point lui donnait un pincement au coeur. - Qu'est-ce que tu fais de Naomi?
Le regard noir que lui lança l'adolescent aux cheveux blancs comme la neige cessa toute autre tentative de blaguer du paternel. Ce dernier savait très bien que la mention de la relation actuelle entre les deux adolescents embarrassait son fils au plus haut point. En effet, ce dernier n'était jamais parvenu à exprimer clairement son manque d'intérêt à la jeune fille et s'il n'avait jamais accepté quoi que ce soit, cette dernière semblait parfois convaincue de former un couple avec le jeune homme, à son grand damne. Il ne le disait pas, mais probablement que s'éloigner de Naomi l'arrangerait, au moins le temps qu'elle oublie son obsession pour lui. - J'en sais rien, Evan...
- Tu n'as pas le droit de dire non! J'ai fait toutes les démarches, tout est en règle et le ferry part dans deux jours! Je dois partir dès demain, sinon, je devrai attendre toute une autre année! J'ai simplement besoin de ta signature... S'il te plaît?
Le père ne put que s'avouer vaincu face à l'expression déterminée de l'adolescent, qui affirmait clairement qu'il ne reculerait devant rien pour pouvoir aller à cette fameuse académie. Dans un grand soupire, il finit donc par accepter d'un signe de tête, avant de s'emparer d'un stylo pour signer l'autorisation parentale. Après quoi, il remit le document à l'adolescent qui se transforma en une véritable petite puce. Enlaçant son père dans un grand câlin, chose qu'il n'avait pas faite depuis des années, Evander le remercia à répétitions. Avec un mi-sourire, l'homme se rendit jusqu'à la cuisine, où il ouvrit une armoire en hauteur pour s'emparer d'une enveloppe légèrement jaunie.- Tiens, c'est pour toi. Tu te rappelles du dernier courrier qu'on a reçu? J'ai brûlé la lettre qui m'était destinée, mais j'ai conservé la tienne. Ta mère m'avait clairement indiqué de ne te la donner que lorsque tu serais en âge de comprendre. J'imagine que puisque tu t'apprêtes à quitter la maison, le temps est venu. À toi de voir ce que tu souhaites en faire.
Abasourdi par la nouvelle qu'il n'avait vraiment pas prévu, l'adolescent délaissa sa lettre de confirmation pour prendre l'enveloppe que lui tendait son père. Elle était encore bien scellée, malgré les années d'attente. Résistant à l'envie de l'ouvrir sur le champ pour découvrir les derniers mots que lui avait envoyés sa mère, il se résolut à la lire lorsqu'il serait seul, sur le chemin de l'île Lansat. - N'oublie pas de dire au revoir à Naomi et Nathalie, d'accord?
- Promis.
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Bien installé dans son compartiment personnel, à bord du ferry en direction de la Pokémon Community, Evander s'empara de son sac à dos, l'ouvrant d'un coup sec pour attraper entre deux doigts la fameuse enveloppe que lui avait remise son père deux jours plutôt. La faisant tourner, il relut les coordonnées sur le dessus une dernière avant de l'ouvrir d'un geste lent et presque cérémonial. Pleins d'appréhensions et d'excitations à la fois, il déplia doucement la lettre qu'elle contenait, dévoilant les derniers mots que sa mère lui avait réservés.« Salut mon grand. J'imagine qu'au moment où tu liras ses lignes, cela fera déjà un bon moment que nous nous serons parlé pour la dernière fois. J'espère que tu te portes bien, que tu es devenu un jeune homme bien, grand et fort. Tu dois probablement me détester, à l'heure qu'il est, et avec raison. Je sais que je ne mérite pas d'être pardonnée pour ce que je t'ai fait, mais je te demande simplement de me laisser une petite chance.
Je veux que tu saches que malgré mon absence, je t'ai toujours aimé de tout mon coeur. Si tu savais à quel point ça m'a déchiré le coeur de devoir vous quitter, ton père et toi. Je sais, tu dois probablement te dire que c'était mon choix, que j'ai choisi par moi-même de vous abandonner. Dans un sens, tu n'as pas tort, il s'agit bien de mon choix... Mais tu dois essayer de me comprendre; depuis que je suis toute petite, l'archéologie a toujours été ma plus grande passion. Je ne t'en ai jamais parlé auparavant, mais mon père, ton grand-père, a autrefois été un très grand archéologue. C'est de lui que je tiens ma passion. Il fut l'un des plus grands archéologues de son temps, une légende dans le domaine. Toute ma vie, j'ai rêvé de lui ressembler, de le rendre fier.
Puis un beau jour, il est disparu, au beau milieu d'une expédition de grande importance. La même sur laquelle je travaille en ce moment et depuis des mois, voir des années. Tu comprends? Je ne peux tout simplement pas partir avant d'avoir découvert ce qui est arrivé à ton grand-père. C'est mon devoir de terminer ce qu'il a commencé et n'a jamais pu terminer. C'est pourquoi je ne peux pas être avec toi, aujourd'hui. C'est pourquoi j'ai décidé de quitter ton père, un homme que j'adore encore plus que tout au monde.
Vous méritez mieux, mieux qu'une mère et une femme absente. J'espère de tout coeur que vous avez réussi à trouver la joie, toi et ton père. Je vous aime tellement. J'espère que tu arriveras à trouver la force, quelque part au fond de ton coeur, de me pardonner. Je sais que je n'ai probablement plus le droit de le dire... Mais je suis vraiment fière d'être ta maman. Je suis certain que tu parviendras à accomplir de grandes choses, tout comme ton père et ton grand-père. Peu importe les choix que tu feras dans ta vie, j'espère que te donneras à fond, parce qu'il n'y a pas de limites à ce que tu peux accomplir, si tu y mets le coeur.
Prends soin de toi, mon petit ange. Je t'aime,
Maman »
Refermant la lettre délicatement, l'adolescent essuya les larmes qui commençaient à se forcer aux coins de ses yeux d'un mouvement de bras rapide avant de renifler tout en contrôlant sa respiration du mieux possible. Attrapant un crayon et un bout de papier, il se mit alors à écrire en vitesse, s'arrêtant parfois à mi-chemin pour sécher ses larmes à nouveau. Lorsqu'il fut satisfait, il attrapa une bouteille vide qui traînait sur une étagère de son compartiment, sûrement laissée là par un ancien passager et courant jusqu'au pont du bateau, il enfonça sa lettre improvisée dans la bouteille avant de la sceller et la lancer de toutes ses forces au beau milieu de l'océan. Un sourire au visage et une détermination nouvelle dans le regard, il suivit la bouteille flottante des yeux, jusqu'à ce que celle-ci ne forme plus qu'un maigre point à l'horizon.