Pleurer. Était-ce donc tout ce qu’elle savait faire ? Pleurer ? Des larmes comme simple barrage à la douleur ? Ca n’effaçait rien du tout. Au contraire, ça la rendait encore plus vulnérable et faible aux yeux de ceux qui ne cherchaient que ça. Des failles pour lui faire du mal, pour la détruire. Et ce n’étaient pas ses mains, faiblement plaquées devant ses yeux, qui allaient la protéger de quoi que ce soit. Même pas de ce qu’elle voyait comme de la cruauté primaire. Cael l’avait manipulée. Il avait endormi sa méfiance, avait calmé sa peur, pour finalement, s’approcher le plus près possible de son cœur, le faire battre de plus en plus vite, le faire chavirer d’un seul sourire… Et le briser sans la moindre arrière-pensée. Sa seule envie était maintenant de tourner les talons pour s’enfuir, mais elle n’y arrivait pas. Ses jambes engourdies semblaient comme vissées au sol, trop faibles pour se déplacer sans la faire chuter, mais suffisamment forte pour supporter son poids… Tant qu’elle ne bougerait pas. Car au fond d’elle-même, la Mentali espérait toujours qu’il la contredirait, qu’il la rassurerait, qu’il trouverait les mots pour la calmer et l’apaiser, comme il avait toujours su le faire. Il avait réussi à la protéger de ses propres cauchemars à la pension, n’avait pas marqué le moindre mouvement de peur face à ses pouvoirs, alors il saurait bien gérer cette crise-là… Non ?
Doucement, Cael prit la parole. Non pas pour se moquer d’elle, ou lui dire qu’elle était stupide, mais pour la rassurer. Du moins, essayer. Lui dire, en quelque sorte, qu’il était désolé, même s’il ne comprenait pas vraiment de quoi. Essayant de ravaler ses larmes, la Mentali fut tenté de le croire durant quelques secondes, en se persuadant elle-même que Cael ne lui aurait jamais fait ça, après toute la gentillesse bienveillante dont il avait fait preuve à son égard. Pas après toutes ces petites attentions pleines de bonté qu’il avait pour elle. Juste durant quelques secondes. Parce qu’il lui avoua qu’il l’aimait. Et immédiatement, le cœur de la Mentali se referma pour ne pas subir un nouveau choc cruel, bien plus cruel que les précédents. Il avait joué avec elle à ses dépens, ses amis se moquaient d’elle, mais il persistait dans son infamie ? La mâchoire de la Mentali se resserra doucement, et ses dents crissèrent l’une contre l’autre tandis qu’elle se raidissait sous ce qu’elle considérait comme une nouvelle indignation. Il fallait qu’il se taise. Qu’il s’en aille. Très vite. Sinon, elle allait le frapper. Inconscient du danger qu’il courait, le Phyllali prit une dernière fois la parole, pour prononcer les trois petits mots qui lui faisaient si peur, et qui achevèrent de la mettre dans une rage folle.
« LA FERME ! »
Son pouvoir psychique, trop longtemps contenu, frappa le Topdresseur de plein fouet. Après la baffe physique, c’était une baffe mentale qu’il venait de se prendre. Puissante, et destinée à faire mal, car la Mentali avait volontairement lâché la bonde à ce fichu pouvoir qu’elle considérait comme l’une des malédictions lui collant à la peau. La première et unique fois qu’il avait vu son pouvoir en action, elle n’avait pas voulu l’utiliser, mais la colère, couplée à la frustration, l’avait poussée à le relâcher temporairement. Il n’en avait eu, alors, qu’un tout petit aperçu. Là… Il avait droit à un morceau un peu plus gros de son pouvoir. Pas l’intégralité, parce qu’elle ne voulait pas lui faire exploser la cervelle. Elle voulait juste lui faire peur. Puisqu’elle avait été incapable de se faire des amis par la douceur, tant pis. Au moins, ceux qui avaient peur d’elle ne chercheraient plus à lui faire du mal. Elle serait seule, mais tranquille.
« Comment as-tu pu penser que tu avais seulement le droit de me dire ça ?! Après ce que tu m’as fait ?! Tu t’es servi de moi ! Tu m’as humiliée et ridiculisée ! Et si seulement tu t’étais contenté de le faire seul ! Mais non, comme tous ces abrutis de génies du crime, tu t’entoures de larbins au QI pas plus élevés qu’une amibe, et tu les laisses rigoler en fond pendant que tu m’écrases ! »
Il fallait qu’elle se calme. Très vite. Nourri par sa colère et sa frayeur inavouée de rester seule, d’avoir été manipulée par celui qu’elle considérait comme son meilleur ami, son pouvoir grignotait du terrain et allait très vite devenir incontrôlable. Mais, trop furieuse pour s’en rendre compte, elle le laissait faire, sans se douter que si elle ne se calmait pas, il allait se retourner contre elle et l’attaquer à son tour. Elle avait peur de son pouvoir, et ne l’utilisait jamais, de peur qu’il se retourne contre lui. A force de lui lâcher la bride, ça allait finir par arriver. Dans très peu de temps. Car pour l’instant, le placide Cael était une cible de choix pour ses pouvoirs psychiques.
« Mais tu as raison ! Je fais une cible tellement facile ! La petite souris toute stupide, toute naïve, effrayée par son ombre et par ce qu’elle peut faire avec son esprit, ce serait tellement facile de la mettre en confiance pour lui faire faire n’importe quoi ! Comme, par exemple, l’embrasser, puis raconter ça à ses copains du dortoir Phyllali ! C’est vrai quoi, c’est tellement rigolo, de se mettre au défi de jouer avec le cœur de la petite Mentali ! »
Sa propre fureur grondait autour d’elle comme une tempête. Il fallait qu’elle se calme. Ou qu’il réussisse à la calmer. Déjà, de petites étincelles douloureuses commençaient à picoter dans sa tête, brouillant doucement sa vue sans qu’elle ne s’en aperçoive.
« Mais tu sais quoi, Cael ? J’en ai marre, de votre jeu débile de garçons ! J’ai trop longtemps servi de défouloir, et je n’ai pas quitté une école de tortionnaires pour entrer dans une autre ! Je refuse d’être à nouveau le joujou docile d’une bande de crétins se prenant pour des caïds simplement parce qu’ils sont plus forts et plus nombreux ! Si je n’ai pas pu me défendre avant, parce que j’étais seule et que j’avais peur, ce n’est plus le cas maintenant ! »
Sans crier gare, ses doigts se mirent à trembler sous l’effet de la colère et de la douleur. Elle commençait vraiment à sentir les élans douloureux de son pouvoir, mais ne comprenait pas encore qu’il s’était retourné contre elle, associant cette douleur à la fureur intense qui l’animait à présent. Elle voulait qu’ils paient. Tous. Ses anciens pseudos-camarades, qui l’avaient battue, humiliée, terrorisée, ses professeurs, qui n’avaient rien fait quand ils avaient l’évidence même sous les yeux, les trois Phyllali de tout à l’heure, qui avaient réussi, en quelques mots, à lui faire encore plus de mal que ses tortionnaires de l’école, et Cael, contre qui elle se retournait maintenant, blessée d’avoir été si aisément manipulée, apeurée à l’idée de le perdre, effrayée en sachant qu’après ça, personne ne voudrait plus jamais d’elle. Qui voudrait d’un monstre, après tout ?
« Tu leur diras, aux gorilles qui te servent d’amis, que la timide petite souris est peut-être naïve, stupide et aisément manipulable, mais que la nature a été plus généreuse qu’avec eux au niveau du mental… Et que son mental, elle sait très bien s’en servir ! »
Tempête. Ses pouvoirs psychiques tourbillonnaient maintenant autour d’eux deux. Et brusquement, Eryn se rendit compte qu’elle souffrait le martyre. Non pas à cause de sa colère, mais à cause de ce qu’elle faisait. Avec un train de retard, elle essaya de reprendre le contrôle. Mais trop tard. Amplifié par sa frayeur, il grandit à nouveau, et se retourna totalement contre elle, ce qu’elle avait toujours craint. Incapable de bouger, Eryn resta là, statique, en proie à une intense douleur générale. Peut-être qu’elle allait tourner de l’œil, et qu’elle serait délivrée de ce mal qui la compressait comme un étau. Peut-être qu’elle allait mourir parce que personne ne viendrait l’aider. Après ce qu’elle venait de lui faire, il serait complètement normal que Cael se détourne et s’enfuie, en la laissant toute seule dans son agonie. Mais ce n’était pas trop grave. Ca l’arrangerait bien, en fait, qu’il la laisse toute seule. Parce que toute seule, elle l’avait toujours été. Doucement, son pouvoir reflua, et s’éteignit de lui-même, sans l’avoir tuée au passage. Dommage, pensa-t-elle machinalement, avant de baisser la tête, poings serrés.
« Comment est-ce que j’ai pu croire une seule seconde que tu m’aimais ? »
Faible. Elle avait été faible. Encore. Alors qu’elle aurait voulu le broyer, lui faire payer sa peine, elle avait fini par s’attaquer elle-même. Involontairement, au début. Volontairement, sur la fin. La souffrance de Cael avait été trop forte pour elle, et elle avait retourné son pouvoir contre elle pour le protéger de tout ça, quitte à se blesser au passage. Elle n’était qu’une faible, qui essayait de protéger celui qui lui avait fait mal, un mal encore plus violent et intense que tout ce qu’elle avait pu subir par le passé, tout simplement parce que… Trois petits mots effrayants, difficile à dire, pour ne pas voir la réalité en face. Parce qu’elle l’aimait. A nouveau, ses poings se serrèrent, et les larmes recommencèrent à couler sans qu’elle ne puisse les stopper.
« Comment est-ce que j’ai pu croire une seule seconde que quelqu’un voudrait réellement d’un sale monstre comme moi ? »