« B-b-iske !!! »

Sa voix se perdit comme un écho parmi les arbres. Le souffle du vent vint faire virevolter son foulard, et elle s’arrêta un instant pour reprendre sa respiration. Elle sentait Peppéroni la suivre avec difficulté, trainant sa grande carcasse comme une vieille épave qu’on tenterait de faire glisser sur le sable de la Plage. Au-dessus d’elle, la minuscule et ronde silhouette bleutée de Biscuit, son Marill, se mouvait avec une agilité impressionnante parmi les épais feuillages. Ses petites pattes bondissaient d’une branche à l’autre, et sa queue s’enroulait autour de l’écorce comme un serpent vicieux prêt à frapper. Cleve était épuisée à force de courir après le Pokémon qu’elle avait capturé sur l’Île Mepo, mais ne pouvait pas le laisser filer avec la paire de jumelles qu’elle avait fabriquée pour détecter la présence de baies. Dans un élan de désespoir, elle sortit la Pokéball de Biscuit et essaya de le rappeler, mais le rayon rouge frappait sans cesse dans le vide. Le Marill lança un petit rire goguenard, et sautilla dans tous les sens pour éviter le faisceau de la Pokéball. Fichtre !  

« Pep’ ! Lance un Eclat Glace sur cette branche ! » ordonna Cleve en pointant du doigt sa cible.

Aussitôt, l’immense Lokhlass expédia un morceau de glace qui frappa la branche à sa base, et la détacha du tronc. Biscuit fut projeté en l’air, privé de son support, et Cleve en profita pour le rappeler dans sa Pokéball. Le Pokémon disparu dans un rayon de lumière, et les jumelles qu’il tenait entre les pattes dégringolèrent dans le vide, rattrapées in extremis par la Givrali.  Lâchant un soupir de soulagement, la rousse vérifia que son instrument n’était pas cassé et flatta l’encolure du Lokhlass pour le féliciter de son exploit. Elle jeta un coup d’œil à la branche qu’ils venaient de briser, mais fut rassurée de constater qu’il ne s’agissait que d’un arbre mort ; elle s’en serait voulue si elle avait dégradé le paysage et soyons francs, Timothy Forest l’aurait égorgée s’il s’en était aperçu. Décidant qu’ils pouvaient continuer leur périple, Cleve tripota quelques boutons sur ses jumelles de fortune. Ces dernières n’en étaient qu’au stade d’expérimentation, mais la Givrali éprouvait bien moins de difficulté à les perfectionner que son casque traducteur du langage Pokémon.  Regardant à travers les verres, Cleve régla le premier bouton et aussitôt, la couleur verte se modifia en noir et blanc.  Un second réglage et la couleur marron se désaturait progressivement. Il s’agissait là d’un simple jeu de filtres, mais de cette façon, Cleve pensait qu’il lui serait plus simple de trouver des baies. Chercher en excluant la couleur verte des feuilles et la couleur marron des troncs lui permettrait de se focaliser uniquement sur le rouge, le jaune ou le bleu, teintes les plus communes des baies. Evidemment, elle ferait ainsi abstraction de certaines autres espèces, mais il valait mieux les mettre de côté plutôt que de risquer de ne rien trouver.

Le cours de Botanique du Professeur Potts n’avait pourtant pas particulièrement passionné la jeune fille. Cependant, elle savait que de nombreux élèves Coordinateurs cherchaient des baies sans en trouver, et elle y voyait là une monnaie d’échange intéressante. Ainsi, peut-être pourrait-elle se procurer des boulons, vis, et autres objets dont les élèves ne se servaient pas vraiment, mais qu’ils ne comptaient pas pour autant lui céder sans contrepartie. Avec un sourire, Cleve fit courir ses jumelles le long des arbres, mais aucune couleur ne se démarquait parmi le noir et blanc des arbres. Parfois, elle pensait voir une petite tâche bleutée, mais il ne s’agissait que d’un carré de ciel visible derrière le feuillage hétérogène. Sortant la Pokéball de Biske de sa poche, Clevie lui jeta un regard dubitatif, mais permis tout de même à la créature de s’extraire de sa prison de métal. Avec un air boudeur, le Marill lui jeta un regard en coin, bras croisés, vexé d’avoir été piégé de façon si stupide. La Givrali eu un petit soupir, et se pencha vers son compagnon.

« Ecoute, j’ai besoin de ces jumelles, ok ? Ceci dit, j’ai aussi besoin de ton aide pour trouver des baies. Alors si tu fais bien ton travail, je te laisserai jouer avec après, d’accord ? » proposa-t-elle dans une tentative d’enjôler le petit Pokémon eau.

Le Marill se hissa sur ses pattes et tenta d’attraper les jumelles, mais Cleve les leva hors de sa portée avec un petit rire triomphant. « Après, j’ai dit. » répéta-t-elle avec une expression fière, devant la mine déconfite de Biscuit.

Ce dernier émit un son qui devait se rapprocher d’un soupir, et sauta sur une branche. Il écarta quelques feuillages avec ses pattes, et, voyant qu’il n’y avait rien par ici, se propulsa sur un autre arbre en continuant ses recherches. Sa petite queue s’accrochait habilement à l’écorce, et ses pattes étaient ainsi totalement libres d’agiter les feuilles, d’écarter les brindilles. Ses yeux télescopaient les lieux et les passaient au crible fin, mais les jumelles de Cleve faisaient également très bien le travail depuis le sol. La jeune fille avait juste besoin que quelqu’un puisse écarter les branchages pour lui permettre de voir plus en profondeur qu’en surface. Et ça, elle n’allait certainement pas le demander à Peppéroni ! Elle était persuadée que s’il tentait de grimper sur un arbre –si son immense postérieur lui permettait de s’y hisser, de prime abord-, il le casserait illico presto. D’un côté, Cleve se disait qu’elle avait une chance immense d’avoir une équipe pareille. Peppéroni était un chercheur hors pair lorsqu’il était dans les souterrains, et Biscuit n’avait pas d’égal pour l’acrobranche. Quelque part, la rouquine avait l’impression que tout avait été calculé pour que son équipe soit parfaite pour une Scientifique… Quel dommage qu’elle n’ait pas les vocations habituelles relatives aux personnes de sa spécialité, et soit plus branchée mécanique !

Tandis qu'elle était dans ses pensées, et au détour d’un arbre, Biscuit sembla repérer quelque chose. D'un bond, il sauta de sa branche pour aller s’accrocher à… la chevelure d’une de ses camarades ? Cleve ne savait pas trop, puisqu’à travers ses jumelles, elle avait exclu tout ce qui était marron… Courant derrière le Marill sans cesser de regarder à travers son appareil, la Givrali se cogna au premier arbre venu, et tomba sur le dos contre l’herbe froide. Son outil lui échappa des mains, et la rousse se frotta le front en observant d’un œil critique, cet immense arbre qui lui avait paru bleu comme le ciel à travers ses lentilles. Fichtre ! Un bug de filtre ! Voilà qui n’allait pas arranger ses affaires, si une certaine teinte de marron virait au bleu… Peppéroni profita de ce moment pour rattraper sa dresseuse  60 de vitesse mon œil, ce truc est lent comme un vieil escargot ! et pour poser une de ses immenses nageoires sur sa figure.

« Gnuuuu… » marmonna Cleve en voyant trente-six chandelles danser devant ses yeux mordorés. « Pep', enlève ta nageoire de là, j'y vois rien du tout. »

Je savourais sous mes doigts le contact des écailles serrées de Thor. Les petites plaques rigides étaient soigneusement alignées pour assurer une meilleure protection à la peau tendre du jeune caïman, tous parées de reflets turquoise et saphir, j’aimais le jeu du soleil sur leur surface. Le détenteur de la fine et rutilante armure roupillait à moitié. Il émettait des ronflements saccadés qui empiété sur le calme des lieux. J’avais les yeux rivés sur sa poitrine qui gonflait avant de se rabaisser et je m’ennuyais ferme. J’avais bien failli me laisser happer pas la vaine contemplation du corps grassouillet de la bête mais mon actuelle inactivité devenait trop vite insupportable. J’avais l’esprit rempli d’un feu d’artifice d’idées et d’envies qu’il me tardait de mettre en œuvre. Il y avait cette légende au sujet des Electrobes dont la Gazette nous avait soufflé quelques mots dans la dernière édition. Et si c’était vrai ? S’il ne s’agissait pas d’une simple rumeur, mais bien de l’épée Damoclès de l’académie ? J’aurais pu faire mine de rien voir ou crier au canular mais prendre le risque de me tromper pour une futile histoire de convictions me rendait dingue. Je voulais la vérité, désirais ardemment avoir le fin mot de cette histoire qui pouvait prendre des proportions dangereusement importantes du jour au lendemain. Je mordillais ma lèvre inférieure avant de secouer la tête. Non, il faudrait que j’en ai le cœur net et au plus vite. Je me redressais à la hâte bousculant Thor qui grogna de façon menaçante. Belzébuth jusqu’alors accroché à mon épaule faillit bien tomber sous l’effet de la surprise. Il se rattrapa in extrémis avec une plainte aigue qui me fit grincer des dents. L’incessant concert des deux était probablement ce qui rendait le travail de dresseuse aussi insupportable, moi qui m’étais attachée depuis toute petite au silence, avoir deux compagnons aussi bruyants était un supplice.

Les nuits blanches à cause des pleurs du Héricendre étaient encore gravées et Thor ne cessait jamais de s’agiter brisant et bousculant tout ce qui se trouvait entre lui et ses objectifs. Je scrutais le paysage autour de moi. Une heure déjà que j’étais cachée dans la forêt en quête d’un endroit qui pourrait potentiellement m’apportait un peu du silence dont j’avais besoin. Je n’avais alors pas réalisé que ce que je cherchais je n’avais aucune chance de le trouver avec Bel et Thor près de moi. Tout autour de nous, les grands arbres s’élevaient des mètres au-dessus de nous, si épais et larges qu’ils bouchaient partiellement l’azur du ciel. Il y avait dans les bois de petits chemins sableux qui serpentaient un peu partout pour guider l’élève égaré. Je m’en étais rapidement éloignée lors de mon arrivée, je n’avais pas spécialement envie de voir d’autres bipèdes. Ils me tapaient tous sur le système, la voix aigu et mécontente des Mentali face au drame engendré par la gloutonnerie de Thor sur le mythique buffet de miss Potts et le ton inquiet de Yade en début de cours. Je n’avais toujours pas pardonné à l’instituteur d’histoire ses réflexions virulentes sur ma façon de voir les pokémons légendaires.  

Les Electrobes m’étaient déjà sortis de la tête, sur le sol j’apercevais une baie à moitié dévorée. Elle était rose et juteuse et je pensais automatiquement aux baies pêcha. Une malheureux pokémon avait dû abandonner en entendant les halètements de Thor. J’avais du courser ce dernier sur plus d’une centaine de mètre après l’avoir fait sortir de sa ball. Une racine avait eu raison de la fuite du caïman – heureusement pour moi d’ailleurs – et c’est à peu près à ce moment-là qu’une sieste de fortune s’était imposée. Je repensais au cours de notre référente concernant les baies, l’infinité des variétés, les effets dispensaient par chacune. Plus j’allais d’une information à l’autre, un texte lu ou une expérience venant parfois s’ajouter au stock de sources dont je disposais, plus l’envie de partir à la recherche des fruits me gagnaient. J’avais entendu quelques gamines jacassaient dans les couloirs à ce sujet, pas que leur conversation m’intéresse d’ordinaire mais elles parlaient si fort que leur pseudo intimité se transformait rapidement en annonce faite au reste de l’établissement. Elles rentraient d’une « chasse » à la baie et leur moue déconfite en disait long sur  le poids de leur récolte. Comme elles scandaient avoir inspecté chaque buisson, je ne pouvais que m’insurger de leur stupidité. Il était évident que des pokémons sauvages avait dû dévoré les fruits les plus bas en commençant par les bosquets émeraude dispersés dans les bois.

J’avais une idée précise de la façon dont la cueillette devait se dérouler et je n’avais plus qu’une hâte c’était de la mettre exécution. La théorie je la laissais aux barbus planqué derrière leurs livres, j’avais besoin de la pratique. Goûter l’eau de pluie qui abreuver la tête et marcher pieds sur des pierres brûlantes étaient les seuls vrais apprentissages à mes yeux. Il me fallait palper, humer, écouter, goûter, inspecter pour savoir de quoi les choses étaient vraiment faites.  Mon corps était comme un outil géant que je pouvais manier à ma guise pour comprendre jusqu’au plus complexe des mécanismes. Je n’avais aucun scrupules à m’écorchais les doigts sur l’écorces pour atteindre les cimes ou attendre immobile dans la boue l’arrivée de monstres de poches. Toutes à mes pensées, je ne vis rien venir. Il y avait Thor qui cherchait en vain à attirer mon attention sur son mécontentement depuis le sol, Bel qui avait fini par sauter de son perchoir instable et puis, comme un bruit de courses dans les feuillages. L’impact fut violent et d’une incroyable rudesse. Je pensais presque aussitôt à un boulet de canon, celui qui traverse le ciel avant de venir percer la coque du navire ennemi. Le début de tous les naufrages, la fin de l’honnête bateau de plaisance. Le projectile qui venait de me sonner violemment et qui menaçait à présent de faire tomber tout ma carcasse par terre était d’un joli bleu ciel. Il m’avait d’abord semblait rond et inerte, mais j’étais presque certaine qu’il était vivant. Il parlait, vomissait des petits bruits qui ressemblait à des ricanements et qui suscité l’effroi de Belzébuth que je voyais en bas. Progressivement le bourdonnement qui m’empêchait de bien entendre le joyeux tintamarre et le flou qui rendait ma vision déficiente s’estompèrent. Ils furent remplacés par la certitude que je venais de me faire agresser et que l’agresseur était suspendu à mes cheveux. Ce qui était très douloureux. Car la mesquine créature qui s’en était prise à moi était prise d’un élan de panique – ou d’autres choses - depuis que Thor en courageux serviteur tentait de le transformer en quatre heures.

« Thor arrête ça ou je vais être condamné d’enfiler une des abominables perruques qui sont cachés dans les placards du dortoir ! »

En bonne coquette, les Mentali stockaient l’intégralité des produits de beauté possibles et imaginables dans des armoires et des placards. J’avais eu le déplaisir à mon arrivé de découvrir que fermer à clé au fond de la chambre se trouvait celui des perruques. Véritables architectures capillaires qui rivalisaient de laideur, je redoutais ces dernières dans mes pires cauchemars. L’argument ne devait pas valoir grand-chose dans les yeux reptilien du croco, mais l’ordre eut le mérite de porter et il cessa de faire claque sa mâchoire près de la bête suspendue à ma chevelure. Je soupirais de soulagement quand le bruit d’un nouvel impact à quelques pas me força à me tourner. Une fille, une rouquine, était étendue par terre toute de guingois. Pire près d’elle un immense pokémon bleu à coque appliquait ses grosses nageoires sur la tête de l’inconnu. Sur l’instant, l’absurde de la situation faillit me pousser à faire demi-tour, mais une vive curiosité m’incita à n’en rien faire. Nous étions loin des murs de l’académie et je me sentais bien plus sereine. J’avais l’impression que qui que soit cette inconnue j’aurais l’avantage du terrain. Ce n’était pas le cas de mes compagnons. Belzébuth était tellement terrifié qu’il était en train de se pisser littéralement dessus, répandant une flaque de liquide odorant autour de lui et  Thor s’échinait à s’interposer entre moi et « l’ennemi ». Je réalisais que mon naturel solitaire n’avait pas franchement aidé à les sociabiliser. Avec incertitude, j’essayais donc de contrebalancer l’opinion que la rousse devait se faire de moi par quelques paroles piochées dans ce qu’on appelait « aimables ».

« Hum… Bonjour ? Tu as besoin d’aide ? »

Un blanc plane et, n’y tenant plus, j’exprimais ouvertement les phrases qui s’accumulaient dans l’étroitesse d’une boîte crânienne.

« C’est normal la chose sur toi ou c’est à cause d’elle que tu viens de t’éclater contre un arbre ? »