Elle courrait.
Elle n'avait jamais autant couru depuis bien longtemps. Ses poumons brûlaient, ses jambes lui hurlaient de s'arrêter, son cœur peinait à maintenir le rythme. Mais pourtant, elle ne parvint pas à s'arrêter : allez savoir si elle le voulait.
Marie n'avait pas eu le courage de rentrer dans la base Ranger. Mais pourquoi ? N'étaient-ils pas ses amis ? Que craignait-elle ? Elle n'en avait aucune idée. Il y avait juste cette angoisse, cette peur, qui la poussait à courir.
Et avant qu'elle ne s'en rende compte, ses pas l'avaient guidée jusqu'à un grand portail. Derrière, on pouvait apercevoir un grand jardin, ainsi qu'un manoir de style très ancien. Le cœur de Marie se serra.
Elle était chez elle.
Ses mains se posèrent sur la poignée du portail. Sans réfléchir, elle tenta de l'ouvrir, mais celui-ci était, à sa grande surprise, fermé. Pourtant, ils étaient en pleine période estivale... Ils ne fermaient le portail que de début automne jusqu'à fin de hiver... Peut-être il y avait-il eut quelques vols il y à peu, et qu'ils ont fermé par sécurité...
Ce n'était pas un problème. Marie marcha le long du mur, jusqu'à arriver à hauteur d'un fourré. Elle enjamba quelques buissons, puis enleva quelques branches, qui cachaient jusqu'à présent un trou dans le mur. C'était par là qu'elle passait lorsqu'elle voulait aller à Véterville sans que ses parents ne soient d'accord, ou encore pour fuir une fête mondaine beaucoup trop ennuyante pour elle.
Presque mécaniquement, elle passa au travers, et arriva dans la propriété. Le jardin était toujours aussi beau, les buissons toujours aussi bien taillés, et les fleurs toujours aussi parfumées. Mais elle n'y fit pas plus attention : elle s'avança jusqu'à la porte d'entrée du manoir, et la première chose qu'elle vit... Ou qu'elle ne vit pas plutôt : il n'y avait aucune des voitures de ses parents. A chaque fois qu'ils venaient ici passer leurs vacances loin de Kalos, ils amenaient avec eux de quoi éblouir leurs invités. Mais là, rien. C'était étrange. Ce n'était pas dans leurs habitudes.
Elle tenta d'ouvrir la porte d'entrée. Elle était fermée elle aussi. Elle frappa donc. Peut-être dormaient-ils ?... Elle donna un coup, puis un deuxième. Puis un troisième. Puis un quatrième. Elle martelait la porte de plus en plus fort, pensant que quelqu'un allait lui ouvrir. Mais rien. Personne.
Elle devait rentrer, pourtant. Il fallait qu'elle aille voir ses parents. Ils devaient voir qu'elle allait bien, qu'elle progressait bien dans sa scolarité, qu'ils pouvaient être fiers d'elle...
Marie fit trois pas sur le côté, et monta sur le rebord d'une grande fenêtre. Puis elle fit reculer son bras droit. Et donna un premier coup dans la vitre, qui se fissura aussitôt. Elle en donna aussitôt un second, et un trou se fit dans la vitre. Du verre lui coupa la peau par endroit, mais cela n'arrêta pourtant pas Marie qui retira son bras, se faisant de nouvelles coupures en éraflant le verre cassé. Puis elle leva une jambe, et donna un coup de pied sur la fenêtre, faisant cette fois-ci un trou suffisamment gros pour qu'elle puisse passer. Elle s'accroupit donc, et passa au travers de la fenêtre, sans se soucier du verre qui pénétrait dans sa chair.
Elle atterrit dans l'entrée du manoir. Juste là, il y avait le grand escalier qu'elle avait emprunté juste avant son départ pour la Pokémon Community. Plus haut, elle y trouverait sa chambre. Et plus loin, celle de ses parents.
Mais elle ne put faire un pas de plus que des martèlements se firent entendre. Presque immédiatement, une bonne, que Marie reconnut aussitôt, venait d'accourir jusqu'au hall d'entrée. A la vue de la jeune fille, elle écarquilla les yeux, que cela soit à cause du sang, ou de sa présence inattendue. La Mentali fixa la bonne, le regard perdu, avant que celle-ci ne décide d'enfin accourir vers elle, lui prenant le bras sans attendre.
« -Ma... Mademoiselle ! Que faîtes-vous ici ?! Votre bras ! Vous avez mal ? Qu'est-ce qui vous a pris de casser cette fenêtre ? »Marie ignora chacune de ses questions.
« -Pourquoi ne m'aviez-vous pas ouvert la porte lorsque je me suis annoncée ?-Votre père a demandé à ne faire rentrer personne au manoir...-Je dois le voir. » Elle se dégagea de la bonne et fit un pas vers les escaliers. Pourtant, l'employée lui attrapa une nouvelle fois le bras, mais cette fois-ci pour le retenir, et non pas pour l'observer.
« -Vous... Vous ne pouvez pas !-Et pourquoi cela ? -Votre père n'est pas là !-J'irai voir ma mère dans ce cas.-Elle non plus !-J'attendrai donc leur retour.-Cela ne va pas être possible ! Vous n'avez pas le droit d'être ici ! »Marie vit rouge.
« -Et en quel honneur ?! Cette demeure m'appartient ! Je suis ici chez moi ! » La bonne dévisagea Marie. Elle ouvrit légèrement la bouche, ce qui pourrait sembler mal poli dans une autre situation, mais ne s'en soucia pas. Ses mains descendirent le long du bras ensanglanté de Marie pour aller chercher sa main, qu'elle prit délicatement.
« -Ne... N'êtes-vous donc pas au courant ?-Au courant de quoi ? »Au ton de la Mentali, on pouvait sentir qu'elle était irritée. Cela ne fit cependant pas parler la bonne plus vite, qui, d'une voix douce, presque désolée, finit malgré tout par reprendre.
« -Mademoiselle... Vous... Vous avez été déshéritée. » Les yeux de Marie s'écarquillèrent comme jamais. Elle avait été... Quoi ?... Déshéritée ?... Mais... Comment ?... Pourquoi ?... Quand ? Ce n'était pas possible... Elle ne pouvait pas être déshéritée... Cela n'avait aucun sens !
Ses jambes se mirent à trembler. Alors que son regard déviait peu à peu du visage de la bonne pour fixer le vide, elle finit par se laisser tomber à genoux. L'employée tenta de la retenir, mais fut obligée de s'accroupir pour maintenir sa prise.
« -Cela va faire quatre jours... Je pensais que vous aviez été mise au courant... Vos parents sont retournés à Kalos au même moment, ils ont dit qu'ils ne reviendraient pas avant le printemps prochain. »Ses paroles tombèrent dans le vide. Marie ne l'écoutait pas. Elle était beaucoup trop abasourdie. Déshéritée. Elle avait été déshéritée.
Mais n'allez pas croire que c'est la perte de tous ses biens familiaux qui la perturbait tant. Non, loin de là, Marie n'était pas une fille attachée aux bien matériels. Ce qui la mettait dans un tel état, c'était la valeur symbolique de cet acte.
Ses parents l'avaient adopté pour assurer la descendance de la famille Uana.
Et ils lui ont retiré ce pourquoi ils s'étaient occupés d'elle durant toutes ces années. Cela ne pouvait vouloir dire dire qu'une seule chose.
Ils l'avaient reniée.
Comme si elle lisait dans ses pensées, la bonne reprit.
« -Néanmoins... Vous êtes toujours leur fille... Cela ne veut absolument rien dire... »Et pourtant. Marie n'eut pas à se casser la tête pour comprendre pourquoi, officiellement, elle n'avait pas été abandonnée. Un abandon, cela entacherait leur réputation. Un abandon, cela s'apparenterait à un échec dans l'éducation de leur seule et unique enfant. Un abandon, cela leur attirerait plus de messes basses que de conforts. Alors que la déshériter, c'était beaucoup plus discret, plus simple, et plus efficace.
Marie se releva, au bord des larmes. Elle poussa la bonne pour qu'elle s'écarte de son chemin, et courut jusqu'à la porte d'entrée, qu'elle déverrouilla en deux gestes. Puis elle déboula hors du manoir, et se mit à courir, sans prêter attention à la femme qui lui hurlait de s'arrêter. Elle passa par le trou dans le mur, et reprit sa course. Une nouvelle fois. Elle fuyait.
On l'avait abandonné. Encore.
Ses parents biologiques. Les gens du voyage. Axel de Mauroy. Ses parents adoptifs. Tout le monde l'abandonnait. Un par un. Personne ne voulait d'elle.
Personne.
Elle n'était aimée de personne.
Personne.
Elle n'était soutenue par personne.
Personne.
Ce mot hantait son esprit. Mais pourquoi ?... Qu'avait-elle fait pour mériter de se faire rejeter par tout le monde ? Partout où elle allait, quiconque elle rencontrait, elle ne faisait qu'attirer la haine et le dégoût envers elle.
Plus que jamais, elle était seule. Et plus que jamais, elle avait besoin de quelqu'un.
Sa course s'arrêta brusquement lorsqu'elle sentit ses pieds mouillés. Elle leva la tête, les yeux rouges, pour constater qu'elle était au bord de la mer, sur la plage. La Plage du Vent-Salé.
Elle tituba. Elle fit quelques pas, totalement désorientée, jusqu'à s'appuyer sur une paroi rocheuse qui mettait fin à la plage. Elle marcha sur quelques pierres qui trempaient dans l'eau, et fit le tour de cette paroi, jusqu'à arriver dans une caverne qui donnait directement sur la mer. Comme cette dernière n'était pas bien agitée, l'eau ne rentrait pas dans la grotte. Marie s'y engouffra donc, et finit par se laisser tomber sur une paroi. Elle avait toujours le bras en sang, et quelques écorchures au cou et sur la joue. Mais elle s'en moquait. Cette journée était une catastrophe. Non.
Sa vie était une catastrophe.
Elle leva légèrement la tête, et se mordit la lèvre. Elle était dévastée. Énervée. Chamboulée. Frustrée. Toutes sortes de sentiments qu'elle n'avait pas l'habitude de ressentir, et encore moins en même temps. Elle ferma un poing, et, de rage, frappa violemment la paroi. Elle ne réussit qu'à se faire encore plus mal. Mais elle s'en moquait. Elle ne pouvait pas plus souffrir, de toute façon.
Parlant pour elle-même, de façon presque inaudible, elle commença à se lamenter sur son sort. Les larmes coulaient abondamment le long de ses joues, certaines d'entre elles se mélangeant avec son sang.
« -Suis-je une anomalie ?... Suis-je donc si différente des autres pour qu'on me rejette à ce point ?... Suis-je seule parce que je suis différente, ou suis-je différente parce que je suis seule ?... Je me déteste. Je me déteste. Je me déteste. Pourquoi suis-je moi ?... Je veux être quelqu'un d'autre... Pourquoi a-t-il fallu que je sois moi ?! »Elle ramassa une pierre, brillante et pointue sur le sol, et se la planta dans l'épaule gauche. Du sang commença aussitôt à couler, et coula encore plus lorsqu'elle réitéra.
« -Crève, Marie Rosalina ! Crève ! Crève ! Crève ! CREVE ! »Elle se mutilait. Elle en avait marre. Elle avait maintenant une blessure à l'épaule gauche, et des dizaines de coupures au bras droit. Et elle allait faire plus. Oh oui, bien plus. Elle n'avait aucune raison de s'arrêter.
Quelqu'un d'autre le fit donc à sa place.
Sa main droite, alors qu'elle s'apprêtait à porter un nouveau coup à son épaule, fut arrêtée en plein mouvement par une peau écailleuse.
Marie ouvrit les yeux. Elle manqua de faire un bon en arrière lorsqu'elle vit un Carmache posté juste devant elle. Une. Il n'y avait pas d'entaille sur la nageoire dorsale. La Mentali connaissait bien cette espèce de Pokémon, après tout elle était très appréciée par les habitants de la région.
Elle cligna à de nombreuses reprises des yeux, interloquée. La Carmache la dévisageait. Marie s'attendait à ce qu'elle lui saute à la gorge à n'importe quel moment, mais rien. Son bras, qui avait servi à retenir celui de Marie, se mit alors à glisser, jusqu'à ce que sa griffe atteigne la pierre pointue que tenait la jeune fille. C'est en la voyant faire que Marie se rendit compte que la pierre qu'elle tenait n'était pas un simple cailloux, mais une pierre précieuse. D'où l'allure brillant. Elle était certes tâchée de sang, mais elle n'en restait pas moins jolie...
Elle comprit alors. Elle souffla, énervée, avant de lever son bras droit et de jeter la pierre précieuse plus loin dans la grotte.
« -"Toujours à la recherche d'objets brillants, Carmache arpente les grottes pour constituer son butin.". Vas-y, prends donc cette fichue pierre. J'en trouverai une autre pour m'achever. »Le Pokémon suivit l'objet du regard lors de son vol plané, et à l'entente des paroles de Marie, se précipita dessus. La Carmache attrapa la pierre précieuse et la fixa intensément, des étoiles dans les yeux. Marie l'observa faire puis lâcha un profond soupir, avant de détourner le regard en grimaçant. Elle souffrait. Elle n'y était pas allée de main morte, et l'adrénaline donnée par la colère maintenant retombée, elle sentait ses diverses blessures.
La Carmache, ayant récupéré ce pourquoi elle avait arrêté Marie plus tôt, fit un pas en direction du fond de la grotte, mais s'arrêta presque immédiatement. Sa tête pivota alors en direction de l'humaine qui se tenait non loin. Elle avait l'air sacrément mal en point. Et puis elle était blessée. Fallait-il lui venir en aide ?.. Le Pokémon sauvage qu'elle était n'était point hostile, surtout pour une créature de son espèce. Elle était étonnement protectrice envers les Pokémons plus faibles, de la même façon qu'une mère pouvait l'être envers ses enfants. C'est pourquoi elle se mit à avoir des remords à l'idée de laisser cette humaine dans un si piteux état. Et puis, ne lui avait-elle pas donné cette pierre précieuse ?... Elle aurait pu la garder pour elle, et continuer son activité... Étrange.
Marie ne prêtait aucune attention au regard peiné que lui lançait la Carmache. Elle ne vit même pas celle-ci s'approcher à nouveau, et fut surprise de sentir des bras passer sous ses jambes et son dos pour la soulever. Marie s'agrippa instantanément au Pokémon, ayant peur de tomber, avant de foudroyer la créature du regard.
« -Que fais-tu ? Repose-moi ! »Mais la Carmache ne l'écouta pas. Marie tenta de se débattre pour lui faire lâcher prise, mais sa blessure à l'épaule l'en dissuada aussitôt. Elle renonça donc à se libérer, et laissa la Carmache l'amener en dehors de la grotte. Elle pouvait bien l'emmener n'importe où, de toute façon Marie n'en avait plus rien à faire. Elle n'avait qu'à la manger, au moins cela lui remplirait l'estomac.
Elle avait bien tort, de penser de la sorte. La Carmache ne voulait pas faire de Marie son repas, mais l’amener à d'autres humains pour qu'ils puissent s'occuper d'elle. Elle n'avait pas l'habitude de s'approcher du campement humain qui se trouvait non loin, elle espérait n'effrayer personne.
Marie cala sa tête contre la nageoire se trouvant sur le bras de la Carmache, et ferma les yeux. Les courses répétées de tout à l'heure l'avaient épuisée. Elle se laissa bercer par le mouvement des bras du Pokémon, et s'endormit peu à peu au son des vagues...
HRP :
Et une Marie dépressive, une!
Lancer d'une Pokéball o/