-L’opération est en cours, monsieur. C’est une première pour notre service.
L’homme se leva en se raclant la gorge. Une certaine peine inavouable se retranscrivait dans son regard.
-Merci.
Sur ces mots, il se dirigea vers la salle d’attente où attendait une femme. Son sac à main serré dans ses mains, elle regardait avec effroi l’homme arriver. Comprenant le malaise de celle-ci, l’homme s’assit à côté d’elle, lui offrant l’opportunité de venir se réfugier dans ses bras.
-Nous ne pouvons plus revenir en arrière désormais. Il faut l’accepter.
La femme se frotta le coin de l’œil, duquel s’échappait une larme toute fraiche.
-Je sais… Mais c’est si dur.
Il fallait l’avouer, l’homme n’était pas non plus rassuré à l’idée de devoir s’y faire. Tant de choses allaient changer. Trop même. Surtout quand ceux-ci affectent une grande part de votre vie… Qu’ils viennent perturber une idée que vous considériez comme logique et acquise. L’être humain n’est pas fait pour ce genre de chose. Il a beau avoir la faculté de s’adapter, il lui faut néanmoins un certain lapse de temps pour que son esprit se conforme à l’évolution provoquée. Oui, l’esprit humain est complexe. Il y a tant de choses qui s’y passent et qui sont incompréhensibles pour nombre d’entre nous. Et c’est exactement ce à quoi est en train de penser l’homme. Où a-t-il échoué ? Comment n’a-t-il pas vu les signes s’amonceler ? Que n’a-t-il pas compris ? Une vérité qui devient un mensonge est difficile à avaler. Autant pour lui que pour sa femme, ni l’un ni l’autre n’y était préparé et recevoir le contrecoup de cette nouvelle s’avère être dévastateur pour le moral. Les souvenirs se précipitent dans la mémoire pour chercher l’erreur, l’indice que l’on a loupé. Pourtant, rien ne se distingue même aujourd’hui. Il sait qu’il va s’y faire, mais combien de temps cela lui demandera-t-il ? Là, est toute la question.
La faculté d’adaptation a permis à l’homme de dominer sa planète. Seulement, tout cela s’est joué sur des milliers d’années. Il n’a pas suffi d’un claquement de doigt pour y arriver. Et maintenant, à l’échelle d’une vie. Qu’est-ce que cela représente ? Notre quotidien est bourré d’événements qui viennent perturber notre avancée et nous oblige à appliquer une évolution de notre démarche pour poursuivre notre route. Même si cela ne nous concerne pas, le choix d’un autre peut aussi nous affecter indirectement. Moi, j’ai fait mon choix.
Née dans une famille plutôt aisée, je n’ai jamais vraiment manqué de rien. Mes parents détiennent une boutique de vêtements à Flusselles dans la région de Kalos. Mon père gérait tout le côté administratif tandis que ma mère préférait la part relationnelle et s’occupait d’animer le magasin pour les clients. Ensemble, ils formaient un duo de choc et les affaires prospéraient ! Evidemment, c’est quand tout va pour le mieux que nous viennent les idées les plus folles et surréalistes. Pour eux, cela ne fit qu’un tour dans leur tête : ils voulaient un enfant. Je vous laisse deviner la suite… Maman monte dans la chambre, Papa la rejoint, on laisse mijoter quelques minutes… Puis on attend quelques mois… Et pouf ! Miracle, une créature hideuse, que tous les adultes trouvent adorables, apparait. Et ce fut moi, ce coup-là.
La vie réserve bien des surprises parfois. Les rebondissements qu’elle nous offre sont autant de bonheurs que de malheurs, qui ponctuent notre humeur au grès des saisons.
Enfant, je n’étais pas très turbulent. Malgré que je sois un garçon, je continuais à jouer avec mes poupées dans les cours de récrées. Les autres pouvaient bien rire, cela ne m’atteignait pas. En fait, j’étais pas mal renfermée sur moi-même. Le regard de mon reflet dans le miroir me blessait et provoquait en moi une vague de rage, que je contenais bien cachée aux yeux de tous. Pourquoi ? Pourquoi m’avait-on façonnée ainsi ? Mes poupées étaient ma seule accroche à mon moi intérieur. Les autres filles ne m’acceptaient jamais dans leurs jeux, soi-disant trop bizarre pour participer. Qu’avais-je donc de si différent d’elles, si ce n’est l’apparence ? Je me sentais repoussée, rejetée. Mon corps et mon esprit n’étant pas en phase. Le soir, je rentrais à la maison. La boutique était juste en-dessous, et je m’y glissais de temps à autre pour me chercher des habits. Le contact de la matière, du tissu, son odeur… Tout dans ce magasin m’inspirait la fraicheur. Ici, j’étais dans mon univers. Je me laissais m’y échapper, ressortir ma folie, me permettre d’être exubérante, extravertie même ! J’agrippais une jupe dans un rayon, puis un t-shirt dans un autre, le tout au beau milieu d’une danse dont seule moi, avais la faculté d’en entendre la musique. Les soirées et les nuits au milieu de ces allées devenaient mon moment de liberté, ou tout m’était permis.
En grandissant, je m’étais demandé si mon secret ne deviendrait plus qu’un drôle de souvenir. Bien sûr, je me trompais et ce n’était pas vraiment pour me déplaire. Petit à petit, je commençais à insérer dans mon quotidien plus de ma véritable personnalité. Allant parfois à contresens de ce que mes parents voudraient. Même si cela les étonnait, depuis mon entrée dans le business familial et le coup de main que je donnais avec joie à la boutique, ils s’imaginaient que c’était le métier qui rentrait d’une certaine façon. Nous avions ouvert une nouvelle branche de rayon, dédiée exclusivement aux Pokémons. L’idée venait de ma mère qui en discutant au comptoir avait entendu parler de la difficulté pour trouver des habits de bonne qualité pour nos chers petits Pokémons. Malin, Papa avait tout mis en place dans les plus brefs délais et avec moi sur le terrain en soutien, en une semaine nous pûmes approvisionner le nouveau rayon d’un stock riche en variété pour Pokémon. Affecté à l’orientation des clients sur le secteur Pokémon, ma première semaine à ce poste ne fut pas de tout repos. Mais les affaires fonctionnaient et c’était un réel plaisir de travailler dans ces conditions ! De plus, ma responsabilité m’offrait le loisir de rencontrer ces Pokémons que nous ne disposions pas à la maison. Ma famille n’était pas très fan de ce type de compagnie, mais je me rendais compte qu’ils n’étaient pas si éloignés de mes poupées lorsqu’il fallait leur trouver une tenue adéquate. Je prenais plaisir à les mettre en valeur. Faire ressortir leur personnalité au travers de leurs vêtements était un art dans lequel je me voulais être expert. Oui, c’était mon objectif et au fur et à mesure que les journées passaient, je peaufinais mon œil. L’avantage étant qu’on ne s’ennuyait jamais puisqu’il existait une multitude de Pokémons et que chacun était unique. Une voix commençait à se dessiner sur mon horizon.
En parallèle, je pris l’initiative de me rendre à l’hôpital. Je n’en pouvais plus. Passer devant un miroir devenait insupportable et devoir détourner la tête de sa propre image attirait beaucoup trop l’attention. Pourtant, je n’arrivais pas à dire simplement ce que je voulais aux autres. Avais-je peur qu’ils me rejettent eux aussi ? Probablement. C’est ce qu’ils feraient certainement, et cela me dévasterait encore plus. C’est pourquoi, je voulais d’abord aller au bout de mes envies, réaliser ce que je souhaitais avant d’être jugé par le regard des autres. Une manière de leur dire que j’ai changé et que cela ne sert à rien de me blâmer puisque je ne reviendrais pas en arrière. Et ce point de non-retour, que je préparais depuis si longtemps, n’était plus qu’une question de temps. Tout avait été fait dans la plus grande discrétion, mais l’heure sonnerait aussi où je devrais l’annoncer à mes parents. Je savais que ce serait un choc pour eux… Et peut-être pour moi aussi… Leur réaction pourrait être révélatrice. Je redoutais ce moment et le repoussait continuellement jusqu’à être dos au mur. Ce n’était pas non plus quelque chose d’évident à exprimer. Même si j’estimais qu’ils devaient se douter de certains éléments, l’exprimer était à un stade bien au-delà.
Aujourd’hui, j’avais rendez-vous avec une amie de l’hôpital. La seule personne en qui je louais une confiance quasi absolue, et la seule à qui j’avais pu me confier. Un accident malencontreux l’avait contrainte à rester dans sa chambre d’hôpital. Les médecins disaient qu’elle n’en avait plus pour longtemps, mais elle rayonnait de vie chaque fois que je la voyais. Non, elle n’avait pas perdu espoir. Peut-être parce qu’elle n’avait plus rien à perdre. Nous nous étions rapidement rapprochées par hasard, et depuis je venais régulièrement la voir, si ce n’était pas pour faire mes tests. Je savais que ce serait l’une des dernières fois où nous nous verrions. Sa santé s’était allée en s’aggravant les semaines passées et j’avais pris soin de venir plus fréquemment à son chevet. Je m’occupais d’elle du mieux que j’en étais capable. D’ailleurs, je lui devais beaucoup. Si j’en étais là, c’était en partie grâce à elle qui m’avait soutenue dès qu’elle avait appris ma situation. Et elle me rappelait aujourd’hui pour une raison qui m’était inconnue, alors que ma visite était programmée pour demain. Assise à ses côtés, je l’écoutais me parler de ce qu’elle apercevait de l’autre côté de la vitre. Pensive, elle aurait aimé pouvoir sortir une fois de plus. Marcher dans un parc sous un Soleil éclatant et rêver allongée sur l’herbe tout en n’ayant pas besoin de réfléchir à demain. Un sourire, puis je lui attrapais la main qu’elle me tendait. La pièce était chauffée et elle, bien couverte, mais sa main était assez froide. J’apposais mon autre main dessus pour la lui couvrir. C’est alors qu’elle me tendit une brochure fébrilement. Ce n’était pas vraiment le moment pour ça, mais elle insista. Elle m’expliqua qu’elle s’était rappelé l’avoir vu à son entrée à l’hôpital sur le présentoir de l’entrée. Dedans, on y découvrait de nombreuses images faisant mention d’un campus et d’une académie autour des Pokémons. Elle me désigna un bout d’une des pages. Il y était présenté le parcours de Coordinateur Mode. Intriguée, je me tournais vers elle en quête d’une explication. Son regard s’était déjà détourné vers l’extérieur. C’était son dernier cadeau. Elle, qui avait fait tant pour moi, continuait à me guider et me soutenir. Je ne pus contenir mes larmes et de lui serrer cette main qu’elle m’avait tendue précédemment.
Un jour, un homme m’a dit qu’il fallait le faire ou ne pas le faire, mais qu’il n’y avait pas d’essai.
Affalée sur le canapé, je regardais le dernier film sorti de Pokéwood. L’héroïne portait une belle robe en soie qui lui descendait jusqu’aux genoux. La voir aussi sûre d’elle me donnait le courage d’affronter les prochaines minutes. J’avais le trac, j’aurais aimé pouvoir m’inspirer de son jeu d’acteur pour ne pas me laisser envahir par mes émotions. Trop tard. La porte claquait dans le couloir, mes parents devaient être rentrés. Leurs voix m’appelèrent pour me signaler leur retour. Anxieuse, je nouais mes doigts entre eux pour ne pas me mettre à les gesticuler dans tous les sens. J’étais allée au bout de mes capacités dans mon projet. Désormais, tout reposait entre leurs mains. Tant d’efforts qui pourraient soit être récompensés, soit anéantis en l’espace d’une poignée de secondes. Oui, je redoutais vraiment ce moment. Lorsqu’ils pénétrèrent dans le salon, je me levais presque au garde à vous, loin d’être sereine, cachant mes mains dans mon dos pour ne pas montrer la gêne que je n’avais pu contenir. Ils me regardèrent interrogatifs en voyant la grimace que j’exhibais maladroitement avant de poser leurs courses sur la table à côté d’un document que j’avais mis en évidence.
-Qu’est-ce que c’est ?
C’était parti. Je ne pouvais plus revenir en arrière. Le papier circulait de ma mère à mon père, qui posa sur moi un regard plein d’incompréhension. Instinctivement, j’avais baissé les yeux, conditionnée par ma honte. De la honte ?! Non, je n’avais pas le droit d’être honteuse ! C’était l’instant de vérité, celui où je pourrais tout leur raconter, tout leur expliquer. Je ne pouvais pas m’abaisser ainsi, je me devais d’aller jusqu’au bout de mon rêve à présent. Relevant fièrement la tête, je soutins le regard de ma famille. Je savais pertinemment que je leur ferais du mal, qu’ils se questionneraient, mais moi aussi j’avais le droit de goûter au bonheur. Et ce bonheur avait un coût réel que je ne pouvais subvenir seule.
-Tu peux me dire pourquoi nous sommes convoqués à voir ce chirurgien ?
Mon père… Il n’était assurément pas diplomate. Et sûrement le plus dur à convaincre des deux. S’il était dans l’arrière-boutique à s’occuper de toute la paperasse et de la gestion, ce n’était pas pour rien. Face aux clients, il pourrait se révéler rédhibitoire. Quand je me laissais aller, il m’arrivait de lui ressembler, de devenir un roc impassible. Je m’attendais donc à recevoir cet accueil. Mais entre ma préparation et la réalité, il y avait un gouffre. Je me sentais mise à nue devant lui alors que je n’avais encore rien dit. Et ma mère qui se taisait, prolongeant ce lourd silence jusqu’à ce que je décide de me lancer.
-…
Les mots ne vinrent pas. Ma bouche resta muette un instant, provoquant une crise de panique en moi. N’étais-je donc pas prête ? Si, je l’estimais. Cependant, je n’arrivais pas à exprimer le fond de ma pensée. Les mots étaient comme des blocs coincés au fond de ma gorge. Un nœud se noua dans mon ventre. Mes bras se crispèrent dans mon dos. Mes genoux se rapprochèrent tandis que mes yeux recherchaient une échappatoire à la situation.
-Prends ton temps, assis toi. Nous ne sommes pas pressés.
Ma mère… Cette sauveuse. Elle savait se montrer rassurante. Je suivais son conseil en la regardant, resplendissante. Elle était plus réservée que Papa, et plus douce. Elle ne faisait pas que parler, elle agissait aussi. Venant s’asseoir à côté de moi, souriante. M’appliquant sa main sur l’épaule. Mon père n’avait pas pris la peine de se déplacer. De son point d’observation, il nous dominait et m’était encore plus imposant. Lui, avait sans aucun doute mieux cerné les événements. Quand ma mère l’apprendrait à son tour, je savais qu’elle se détacherait de moi. Mon rythme cardiaque commença à se calmer. Je soufflais un coup en regardant mes doigts pour éviter un nouveau blocage.
-Je voudrais devenir une actrice.
Je ne prêtai pas attention à leur réaction. Maintenant que j’étais lancée, il fallait poursuivre jusqu’au bout. Je haussais la voix pour être sûre de me faire entendre d’eux, malgré les interrogations et les protestations qu’ils devaient stipuler.
-J’aimerais stopper cette mascarade et pouvoir être moi-même ! Ne plus être contraint par ce corps qui ne me correspond pas ! C’est pourquoi, j’ai pris la décision d’en changer. Je suis allée voir un médecin spécialisé et j’ai passé de nombreux tests sur ma personnalité, sur qui j’étais vraiment. Ce choix est définitif, je ne reviendrais pas dessus. Il ne me manque plus que votre soutien pour l’opération !
Crescendo, je finissais le souffle court. Sans pose. D’une traite, j’avais tout dit. Le silence qui pesait à nouveau dans la pièce signalait que tout le monde était dans l’attente. J’essuyais mon front avec le dos de ma paume. Plus légère, je m’étais vidée de toutes les charges qui reposaient sur mes épaules. Je pouvais me tenir droite à présent et les regarder dans les yeux. Chercher leur regard me fut pourtant impossible, tous deux étaient perdus dans le vide. La main de ma mère qui s’appuyait sur moi auparavant s’en était allée.
La journée se poursuivit dans une ambiance très calme, presque lourde. Mes parents s’enfermèrent une bonne partie du temps dans leur chambre et de temps en temps, j’entendais mon père râler et crier. Moi, je me cloisonnais dans un coin de mon lit, recroquevillée pour m’éloigner le plus possible de l’écho de leurs voix. Le lendemain, ils allèrent sans me prévenir voir le chirurgien en question. A leur retour, c’est sur un ton qui se voulait radieux que ma mère m’annonça qu’ils avaient accepté l’opération. Mais je ressentais qu’au fond d’eux, derrière ce masque, ils n’étaient toujours pas convaincus. Voir leur garçon chéri devenir une fille était un sacré coup à encaisser, je le comprenais mais ne pouvais rien y faire. Donc je souriais en remerciement, car après tout, j’étais extrêmement heureuse qu’ils aient acceptés.
La vie s’accéléra et dans les jours qui suivirent, nous avions rendez-vous pour la première étape. L’opération n’était qu’un début, il s’en prolongerait un traitement de plusieurs mois avec suivi médical, puis d’une ultime et dernière opération. Alors, mon rêve serait définitivement réalité. Je disais adieu à mon reflet en enfilant la tenue de l’hôpital devant la glace. Etonnamment, je restais là un instant à observer cette personne qui se reflétait. J’étais persuadée qu’elle faisait partie de moi, quelque part au fond, malgré toute la douleur qu’elle m’engendrait. Je lui disais au revoir une dernière fois en entrant dans le bloc opératoire. Mes parents étaient encore à l’accueil à régler quelques papiers administratifs et ne tarderaient pas à rejoindre la salle d’attente. Moi, je plongeais dans le sommeil. Plus qu’un petit rêve et j’aurais déjà avancé vers mon objectif.
Ah ! L’été ! J’allais pouvoir mettre une tenue légère et me dorer sur la plage. Depuis mon opération, mon rapport avec mes parents avait évolué. Ils avaient pris une certaine distance vis-à-vis de moi, bien qu’ils essaient de me le cacher. Par conséquent, j’avais décidé de prendre des vacances loin d’eux à la mer. De quoi me ressourcer avant mon départ à l’académie Pokémon. Après, je savais que nous ne nous verrions plus souvent. Je repasserais pour mes contrôles aux dates prévues, mais rien de plus. J’avais l’espoir qu’en leur laissant du temps, seuls, ils arrivent à comprendre mes choix et que nos rapports redeviennent comme avant. A la Pokémon Community, je savais que la boutique me manquerait… Et eux aussi. C’était mes parents tout de même, et je les respectais pour cela. Ils m’avaient donné la vie. Peut-être pas celle que j’aurais souhaité avoir, mais j’avais pu corriger cette erreur de trajectoire. Ou du moins, elle était en cours de correction. Passer d’un type à l’autre prenait du temps. Un an, dans les meilleurs cas. Pour ma part, je trouvais que ça avançait plutôt bien. Je n’avais pas à me plaindre. L’air marin, le chant des Goélises, les glaces fraiches,… Autant de petites choses qui venaient me faire oublier mes possibles tracas.
Toutes les bonnes choses ont une fin, dit-on. Et c’est lorsqu’elles sont finies que l’on s’en rend compte. Mais c’est aussi par ce biais que l’on est heureux de les retrouver plus tard. Mes vacances se terminèrent et l’heure de la rentrée approcha. Un peu anxieuse, mais surtout excitée, je préparais ma valise que je chargeais en t-shirts, robes, tissus, velcros, maquillage,… Toutes sortes d’affaires qui pourraient me servir sur place pour la conception de costumes, que ce soit pour moi ou pour mes Pokémons. Il aurait fallu s’y attendre, une valise ne suffit pas. Je chargeais sur mon dos un sac en complément du reste et prenais ma valise. Avant de partir, je n’oubliais pas de récupérer ma trousse de santé avec mes injections à prendre quotidiennement, que je positionnais avec attention sur le haut de mon sac à dos. Voilà ! J’étais fin prête à partir à la découverte de cette académie ! Une petite appréhension sur le parcours Mode m’accompagnait. Me conviendrait-il ? Je l’espérais. Mon chemin jusqu’à Pokéwood serait long et sinueux, mais je savais que j’en avais les moyens. Maintenant, que j’avais dépassé le cap le plus important de ma vie, plus rien ne me paraissait insurmontable. Les épreuves qui s’apposeraient sur ma route ne me feraient plus autant peur qu’auparavant. Je saurais me donner à fond quel que soit l’obstacle !
Cependant, il restait une inconnue à l’équation : les élèves. Je m’étais inscrite à l’académie en évitant de mentionner qui j’avais été. Je voulais prendre un nouveau départ, recommencer ma vie là où elle n’avait pu s’épanouir. Mais si quelqu’un découvrait mon secret… Quelles en seraient les conséquences ? Serais-je repoussée comme dans mes autres écoles ? PERSONNE ! Personne ne devrait connaître mon passé ! Je mettrais un point d’honneur à ne pas me faire remarquer. Ce n’était pas très compliqué, avec le temps j’avais appris à esquiver facilement les questions gênantes. La seule raison que je pourrais craindre, soit que je me trahisse par inadvertance.
J’embarquais à Port Tempères, direction Lansat ! Arrivée au Port Est de l’île, je déchargeais ma valise. Un gentleman bien aimable m’attendait avec une pancarte dans sa main droite au nom de l’école. Quelle délicate attention de leur part de nous guider. Je le suivais en trainant derrière moi ma lourde valise jusqu’à un sentier battu. Après m’être coincée plusieurs fois les roues dans des nids de Poussifeu, nous nous arrêtâmes près d’une porte postée au beau milieu de la forêt. J’écarquillais les yeux lorsqu’il me fit signe d’entrer en me tendant une lampe torche. Bien évidemment, je l’allumais pour sillonner du regard les profondeurs de ce qui donnait sur un escalier.
-Vous êtes sympas, mais qu’est-ce que je suis censée faire ? Me dites pas que l’académie se trouve en profondeur.
Inquiète, je tentais de trouver du réconfort dans le regard stérile de l’homme. Et d’une voix monocorde, il me récita cette phrase qu’il devait dire à chaque nouveau venu.
-Je vais t’attendre là. Il se trouve au fond des souterrains un homme que l’on surnomme ici le Collectionneur. C’est lui qui te donnera ton tout premier Pokémon.
Pfff… Pas d’autre choix que d’avancer alors. Peu confiante, je m’aventure dans l’escalier. De plus, il n’a pas voulu garder ma valise et a refermé la porte derrière moi. Du tout bon ! Au bas des marches, j’observe avec ma lampe les trois embouchures qui me sont proposées. Si l’escalier était bétonné, le reste ressemble plus à une grotte qu’un souterrain. Un Nosferapti pourrait bien me sauter dessus que cela ne m’étonnerait pas. Au bonheur la chance, je m’engage dans le tunnel d’en face. J’avance avec prudence. De toute façon, je ne peux pas aller bien vite à cause de ma valise. Au bout du couloir, je perçois une lueur. Ma lampe se réfracte sur une paroi de la roche différente des autres. De plus près, je peux distinguer une porte métallique certainement renforcée. Je toque, mais personne ne répond.
-Hey ! Eh oh ! Y a quelqu’un ?
-Non, y a personne !
Mes nerfs se crispent, je fronce les sourcils et mon poing se lève pour aller cogner contre cette maudite porte.
-Vous allez m’ouvrir à la fin ! J’en ai marre de devoir attendre dans cette stupide grotte humide que vous vous décidiez enfin à ouvrir cette porte !
Je restais passablement polie. Il détenait mon futur premier Pokémon, mieux valait ne pas le mettre en rogne. Néanmoins, j’espérais que mon petit coup de gueule l’ait alerté sur la situation. Je ne comptais pas geler lentement mais sûrement dans ces galeries. Un bruit de serrure qu’on déverrouille, quelques cliquetis de rouages et enfin, la porte s’entrouvrait vers moi. Une sorte de scientifique à lunette y passa la tête en me reluquant.
-Je vois, je vois. Vous êtes la bienvenue dans mon humble demeure mademoiselle. Je suis le Collectionneur !
Il ouvrit complètement la porte pour me laisser passer. La vive lumière de la salle m’éblouit et je me protégeai d’un avant-bras, le temps de m’adapter. Lorsque je fus à même de définir ce qui m’entourait, un mot me vint à l’esprit : bordel ! C’était le bordel ! Il y avait du désordre partout. Des œufs qui jonchaient le sol, des Pokéballs à foison formant une montagne dans un coin, un Spoink qui sautillait dans un autre coin et des documents sur les Pokémons flottant d’un bout à l’autre de la pièce. Un œuf roula jusqu’à mes jambes, que le Collectionneur rattrapa avant que je n’en ai le temps.
-Ne faites pas attention aux affaires qui trainent, je suis en pleine expérimentation ! Je suis le Collectionneur !
Une expérimentation ?! Ce chantier ? J’avais du mal à le croire. On aurait plutôt dit la chambre d’un adolescent. Et c’était quoi cette manière de répéter son nom ? Etre le Collectionneur ne le justifierait pas de tout acte dénué de sens. Il tourbillonna sur lui-même jusqu’à son bureau et y chopa calepin et stylo.
-Dites-moi miss Shinoa Yukino, quels dessous portez-vous ?
-Quoi ???!!! Je le regardais éberluée avant de protéger mes parties intimes de mes mains. Cela ne vous regarde pas ! Et d’abord, d’où vous connaissez mon nom ? Dis-je, accusatrice.
Il se jeta par-dessus son bureau dans son fauteuil à roulette qui se mit à tourner.
-Mais voyons, je suis le Collectionneur ! Lança-t-il joyeusement en levant les bras au ciel.
Agacée, je me penchais au-dessus du bureau pour stopper son fauteuil. Je n’étais pas venue pour écouter les délires personnels d’un pervers narcissique, mais pour obtenir mon premier Pokémon ! Celui avec qui je partirais à la conquête des concours. Celui avec qui je deviendrais célèbre et pourrait rejoindre le Pokéwood ! Il n’était pas question qu’un abruti dans son genre vienne gâcher mes rêves.
-Je vois ! Intempestive… Nous allons de suite passer aux questions pour déterminer votre starter !
-Ça vaut mieux… Mais, celle d’avant, c’était pourquoi alors ?
Ses yeux dérivèrent des miens et ses joues s’empourprèrent d’un joli petit rouge.
-Juste person… Bien ! Commençons !
Il sauta hors de son fauteuil et se mit à me tourner autour en posant une multitude de questions, toutes aussi ridicules et fantasques. Mais je m’appliquais à y répondre, dépitée.
-Qu’elles sont tes lasagnes favorites ?
-Celles de ma mère.
-R2D2 ou C3PO ?
-R2 !
Je ne voyais pas la finalité de me demander toutes ces informations inutiles. Pourtant, il écrivait inlassablement des notes et des gribouillis sur son calepin. Je n’avais qu’une envie : sortir d’ici avant de devenir aussi marteau que lui.
-Quel est ton impression quant à la dichotomie de certains types plante ?
-Je ne sais pas. …
-Et quant à son utilisation dans la croissance de ces espèces ?
-Je ne sais pas. Exaspérée…
-Bonne réponse !
Je ne rêve pas, il se moque ouvertement de moi là. A moins que lui non plus ne sache pas ce qu’il raconte. Au point où on en est… Cela ne m’étonnerait même pas. Il finit par se stabiliser sur l’immense tas de Pokéballs, en faisant s’écrouler une partie.
-Dernière question : quel est le Pokémon le plus kawaii ?
-Mew, quelle question…
Enfin ! Enfin fini ! En beauté, qui plus est. Une question simple et tout à fait cohérente pour terminer. C’était à s’en demander s’il ne s’était pas tromper dans son questionnaire. Il prit deux-trois notes supplémentaires avant de tirer un trait traversant la feuille et le vide autour de lui.
-Parfait… Nous y sommes. Je sais exactement quel Pokémon te conviendra le mieux !
-C’est vrai ?!
Telle une gamine, je m’extasiais de joie en serrant mes mains devant mon cœur. J’étais arrivé au bout de ce cauchemar, ce calvaire sans nom. J’allais recevoir ma récompense pour y avoir survécu, ce n’était pas trop tôt et presque inespéré. Il glissa sa main dans la pile de Pokéballs, en tira plusieurs qu’il laissa tomber au sol, puis le bras englouti dans la montagne, s’exclama.
-Je l’ai ! Joignant le geste à la parole, il sortit une Pokéball identique aux autres pour mes yeux non-experts.
Je venais la chercher au creux de sa main. Elle était relativement légère, j’étais curieuse de savoir quel Pokémon elle contenait. Le starter du début de ma nouvelle vie. Wow ! Les émotions affluaient et je ne pouvais plus contenir mon intérêt plus longtemps. J’activais la ball qui s’ouvrit pour laisser apparaitre dans un halo lumineux bleu mon nouveau compagnon. Une oreille repliée, l’autre dressée. Une fourrure marron éclatante et une laine, comme du coton, rose sur les oreilles et le bas du corps.
-Lapo !
Ce cri mignon à souhait... Pas de doute, je venais d’hériter d’un Laporeille. Je me penchais vers lui afin de le caresser. Qu’il était douuux… Lui souriant, je l’attrapais dans mes bras pour le câliner. Une oreille bien tendue vint alors me chatouiller le visage pour me faire valser un mètre en arrière. Je me relevais, la joue rougie par le coup en pestant.
-Hahaha ! N’est-il pas adorable ce Pokémon ? Coquin et joueur...
Le Collectionneur fit l’erreur de venir à son tour caresser le Laporeille et finit lui aussi dans les cordes, sa tête enfoncée dans les Pokéballs en tas. Il baragouina dans son coin en levant un doigt, mais je ne lui prêtai plus attention pour me concentrer sur mon starter. Il essayait de jouer au dur ? Très bien ! Je ne le laisserais pas agir impunément. Il allait m’entendre !
-Laporeille revient !
Ma Pokéball absorba le Pokémon dans un halo rose, contrairement à sa libération. Pensive de ce que je pourrais faire de lui, je regardais la ball avant de l’accrocher à ma ceinture. Je réglerais le problème plus tard. Je devais encore retourner à la surface et disposer mes affaires dans ma chambre. A l’occasion, il faudra aussi que je lui trouve un nom à ce boxeur. Je n’ai même pas pu déterminer son sexe. C’est qu’il n’essaierait pas de me compliquer la vie celui-là… Je sortais de la tanière du Collectionneur en le saluant de la main. D’où il était, il ne remarquerait pas ma disparition. Allez, courage ! Plus qu’à retourner à l’entrée de ce souterrain et je serais enfin tranquille. Ce qu’il ne faut pas faire pour devenir une Star…
Accroupie au-dessus de l’eau, j’observais ce nouveau reflet qui me caractérisait depuis peu. Je passais une main confuse dans mes cheveux. Puis une seconde fois, réalisant leur véracité. Je ne les avais jamais vus aussi longs et voluptueux. On pouvait même dire qu’ils étaient doux au toucher. Les attachant en une queue de cheval, je m’emmêlais les doigts et devait tout recommencer. Ces gestes simples que bon nombre de filles faisaient régulièrement n’étaient pas encore naturels pour moi. Ils formaient de petits défis à surmonter qui me plaisaient toujours plus.
De mes yeux azurs, je définissais les traits de mon visage. Un nez à la retroussette, de fines lèvres sur lesquelles je posais un doigt hésitant. Autrefois, je ne me serais jamais admirée aussi longtemps. La sensation, que cela produisait, était presque étrange et… Enivrante ? J’avais tant que ça changé ? Mon visage qui ne s’était qu’affiné en harmonie du reste de mon corps, ne m’infligeait plus ces horribles malaises. Je posais une main à la surface de l’eau, comme si elle pouvait toucher mon reflet. De légères vaguelettes se dispersèrent autour de ma paume avant de se calmer, quand je la retirai. Ce bref contact rompu, je tournais ma main vers moi. Mouillée, de fines gouttelettes parcouraient ses lignes depuis mes ongles coupés courts au bracelet noir que je portais aujourd’hui. Je venais croiser mes mains sur mes genoux pour y déposer ma tête en leur creux.
Sur l’eau, je ne voyais plus que le bout de mon nez, à demi-caché par mes genoux, et mes yeux scrutant les moindre détails de cette réverbération de mon être. Derrière, le ciel à la couleur de mes yeux venait détourer ma silhouette. Son éclatante luminosité faisait ressortir mon gilet sans manche, sous lequel se cachait un simple t-shirt blanc. Par beau temps, je ne mettais qu’un simple short personnalisé. Un look banal, qui me permettrait de me fondre dans la masse lorsque je ne devrais pas porter l’uniforme de l’école. Entendant l’appel de mon père, surprise, mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Deux mèches brunes tombèrent sur mes épaules, lorsque je relevais la tête en sursaut. Il était déjà midi, mais je pouvais encore attendre pour déjeuner. Je revenais à ce reflet qui me captivait avec tant de ferveur, que je ne pouvais m’en défaire à l’inverse de mon ancien portrait.
Je regardais maintenant, cette poitrine, à la forme arrondie, s’émanciper d’une partie de mon torse. Par moment, je ressentais encore une certaine gêne à m’y habituer. Malgré moi, j’avais vécu plus de dix ans dans un corps de garçon, et cela n’était pas sans restes. Il demeurait beaucoup de choses, que je devais apprendre sur mon corps, et en douceur. Sur ce même ton, je me relevais afin de nouer mes lacets défaits. Parfois, je m’asseyais sur un banc, à observer les autres filles. Je regardais comment elles se déplaçaient, ce qu’elles faisaient. Puis, dans mon coin, je me mettais à les imiter. La reproduction de leurs gestes me permettait de mieux me familiariser avec mon corps. Jetant un ultime coup d’œil à ma nouvelle apparence, je ne pus réprimer le sourire qui me vint naturellement. J’étais fière de qui, j’étais devenue. Je lui tournais les talons sans remord, sachant que j’y reviendrais désormais, régulièrement. L’une de mes bottes se souleva, amorçant la marche, lente et assurée, mes cheveux flottant dans le vent, qui venait de se lever.