Le chocolat chaud, j’aurais du m’en douter. C’était probablement de famille d’ailleurs, puisque c’était aussi mon breuvage favori, particulièrement l’hiver. Mais avant que je ne puisse me demander s’il pouvait être héréditaire d’aimer le chocolat, le scientifique, mon cousin, avait reprit la parole. J’avais hâte d’avoir des nouvelles de Lyphie, sa petite sœur, et de savoir si elle allait bien. Nous n’étions certes pas aussi proches que nous le devrions, pas dernièrement en tout cas, mais elle avait une place spéciale dans mon cœur, tout comme son aîné au regard attristé. Comme ça, Lyph était restée chez eux, cherchant ses mots. Je ne pouvais que trop bien la comprendre. Bien que je fus sur Lansat, il y avait moi-même nombre de gens que je n’avais toujours pas osé confronter alors que j’aurais pourtant dû le faire depuis un bon moment. Pour elle qui était plus jeune, ce ne devait pas être une tâche aisée. Je baissai les yeux, lorsqu’il mentionna ne pas être convaincu qu’elle devrait revenir au second semestre. Si c’était si difficile, une telle pensée était compréhensible, mais était-il vraiment mieux de la laisser tourner en rond en ses réflexions, craignant perpétuellement le jour où elle reviendrait?
- Quoi qu’elle fasse, nous serons là pour l’épauler… Et toi, comment ça va?
Glissais-je pendant sa gorgée de chocolat chaud. C’est sans hésiter qu’il avait enchaîné, se confiant à moi comme à une amie de longue date. Noctis se sentait seul et, bien que je le laissai poursuivre, je ne pu m’empêcher de penser que je ne le comprenais que trop. Quand bien même ce studio possédait toutes les qualités du monde, il m’arrivait encore de me réveiller en pleine nuit et de chercher les ronflements de Kaeko pour simplement réaliser que je ne les entendrais plus. C’était dur. Vint alors le sujet de ses anciens amis et ma gorge se noua, déjà. Plusieurs n’étaient plus à l’école. Certains que j’avais moi-même connu. Que j’avais côtoyés. Certains? Surtout… lui… Du côté de mon cousin, toutefois, c’était un tout autre nom qui était cité. Ambre, sa moitié. Pour sûr, les choses devaient être compliquées. Au moins il avait, grâce à mon invitation, l’occasion de penser à autre chose et donc de se recentrer sur ses Pokémons, ce après quoi il me questionna sur les miens. Oh, c’est vrai, il ne savait pas.
- Eh bien, les recrues de l’Académie de Police de Céladopole n’ont droit qu’à trois Pokémon alors, disons que ça a été difficile. Certains sont restés avec mon père et grand-mère, j’en ai offert d’autres à des amis de confiance, pour les protéger dans leur périple qui commence à peine. Ils me manquent beaucoup, eux aussi, surtout Ash. Mais c’est la vie…
À mon tour de prendre une gorgée de chocolat chaud, le cœur serré. Il avait bien choisi son breuvage, c’est vrai que ça avait quelque chose d’apaisant, qui empêchait les larmes de couler. Il n’est un secret pour personne, depuis le temps, que je sois quelqu’un de particulièrement émotif. Repenser à tout ça, en parler aussi normalement, c’était douloureux. Je repensais à mes camarades, à ces pokémons qui m’avaient accompagnée et protégée tout ce temps, et je me demandais s’ils ne m’en voulaient pas. Chomps, Hime, Alphard, Epona, Iggy, Sephiroth, Shaw, Ash,… Une si longue liste en mon cœur meurtri. Mais il restait bien un nom. Un dernier absent. Le pire de tous. Je fermai les yeux, mes doigts se serrant contre ma tasse toute chaude, les souvenirs remontant tel des larmes. Un regard d’océan, des mèches blondes, une voix qui avait toujours prononcé mon prénom autrement, d’une façon qui ne lui appartenait qu’à lui. Dans ma tête, je corrigeai Noctis. C’est Allen Sylver Wills. Depuis qu’il est parti, ce n’est plus juste son prénom. C’est trop douloureux, lorsque ce n’est que son prénom. Même après tous ces mois, c’était toujours aussi difficile. Même après cette histoire avec Leo, même après ce départ précipité et même après cette réorientation, ce nom avait toujours le don de rendre mes jambes molles. C’est en une expiration rauque que je répondis d’abord, retenant toutes ces pensées trop difficiles.
- La barrette qu’il m’a offerte et sa veste. Tu sais, LA veste, avec ce fichu col de fourrure synthétique qu’il entretenait avec tellement d’orgueil. C’est tout ce que j’ai encore de lui… d’Allen…
Une liane vint se resserrer autour de mon mug de chocolat chaud, le guidant délicatement jusqu’à la table du salon, là où je l’abandonnai. Bonne idée, Ouji-sama. Je m’en serais voulu d’avoir mis du chocolat partout. Toujours aussi prévenant, le serpent vint se poser à mes côtés, m’offrant son réconfort tel qu’il le pouvait, son regard impérial voilé par la tristesse de me voir comme ça. Mais Noctis m’avait posé une question et probablement était-il aussi inquiet pour son camarade que je l’étais moi-même. Je me devais de tout lui dire, de ravaler tout cela et de parler normalement, calmement. De l’eau avait coulé sous les ponts et le concerné lui-même avait du m’oublier depuis longtemps déjà, ou à tout le moins était-ce une certitude aussi amère que libératrice.
- C’était peu après la Saint-Valentin, il est parti en mission avec Aileen et, pendant qu’il était là-bas, on l’a rappelé à Sinnoh pour une urgence familiale. Je n’ai eu de ses nouvelles que plusieurs semaines plus tard. Juste un texto, juste ça et c’était fini. Je n’ai aucune idée… Je ne sais pas…. Je ne sais même pas s’il va bien. J’ai essayé d’aller le voir, mais je me suis heurtée à une porte close et à rien de plus. Longue pause. Je l’ai maudis si longtemps, après ça. Jusque dans les bras de Leo, je n’ai pas cessé de maudire Allen.
Je baissai les yeux, fermant les paupières de façon aussi étanche que possible. Je sentis, sur mon épaule, la feuille d’Ouji-sama qui tentait de m’arrêter, de me dire que c’était suffisant, sauf que ce ne l’était pas. Lorsque l’on en venait à parler d’Allen, ce ne l’était jamais assez.
- C’est tellement stupide. Si je le revoyais maintenant… S’il devait franchir cette porte, je n’arriverais même pas à être en colère. Juste le fait de savoir qu’il va bien, qu’il y a quelqu’un pour le comprendre et qu’il ne se contente pas de tout garder pour lui, encore, ce serait une telle libération. Tout ce temps là, Allen m’a toujours inspirée. Il a toujours été si fort, si confiant et si je suis celle que je suis maintenant, c’est grâce à lui. S’il n’était pas parti, je n’aurais jamais trouvé la force de changer de vie, de clamer haut et fort que je veux protéger les gens qui me sont chers. La force de vouloir être comme lui. Si je ne l’avais pas rencontré, je ne serais encore qu’une Mentali stupide et égocentrique, fan de maquillage, de Pokémon mignons. Une simple coordinatrice comme il y en a des milliers, la tête vide. Il a fait tant pour moi, même par son absence, et de mon côté… Je n’ai jamais rien fait pour lui… Je n’ai jamais réussi à faire quoi que ce soit et je m’en veux tellement… Toutes les choses que je donnerais, pour avoir une seconde chance de l’aider à mon tour. Et pourtant, je sais qu’elle ne viendra jamais, c’est trop tard… Je n’ai plus qu’à espérer qu’il ait rencontré quelqu’un de mieux que moi, quelqu’un qui réussira là où j’ai échoué. Là où j’échoue toujours…