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15 décembre 2015. C’était une journée comme les autres. Enfin, presque comme les autres? Bon, d’accord, honnêtement c’était une journée fichtrement différente et importante et qui me faisait très, très peur! Je m’étais levée avec l’aurore et avais pris une bonne douche chaude avant de me préparer plus que jamais. Ouvrant ma penderie, j’y avais passé une vingtaine de minutes, me demandant quoi prendre. Au final, mon choix s’était porté sur une chemise blanche aux manches trois quart, un pantalon foncé à taille haute, des bottillons et un gilet pour aller par-dessus le tout. Pour conclure, j’avais attaché ma courte chevelure rose en queue de cheval, comme à l’habitude, ceux-ci étant encore trop courts pour l’être en chignon. Ajoutons à cela une écharpe colorée, mon manteau et j’étais prête à partir. J’hésitais à emporter autre chose, mais comme il s’agissait de mon premier jour, je n’avais pas vraiment de matériel. Remarque, il me restait bien mes épais ouvrages et mes documents pour les cours théoriques à distance qu’il me restait encore à mener à bien, mais je n’allais pas là-bas pour ça. D’ailleurs, pourquoi commencer le 15? Si peu de temps avant les… ah… Il n’y a pas les vacances des fêtes dans le monde des adultes, j’oubliais. Je retire ce que j’ai de fait, laissez-moi une autre chance, je veux devenir prof à la plaaaaaace! *hum hum* Un peu de courage Estelle, si je me décourageais pour ça, je ne ferais pas carrière longtemps. Sur ce, je verrouillai la porte derrière moi, ayant une pensée au passage pour ma voisine Niki, et descendis les marches. Il faudrait que je lui rapporte des sushi ou un autre truc du genre un de ces quatre, pour la remercier d’avoir volé à mon secours. Raaah, pourquoi autant de détours dans ma narration? À ce rythme, j’étais bonne pour un retard! Aller, une deux, une deux, une deux!

*Quelques minutes plus tard *

J’entrai dans le commissariat de Lansat, mon regard chocolat ouvert avec émerveillement et curiosité. Les gens ici bougeaient comme dans une fourmilière et, au comptoir, la réceptionniste semblait débordée, jonglant entre les appels et les mémos à distribuer aux agents et officiers qui faisaient un détour par l’accueil en arrivant. Les conversations allaient bon train et, à cette heure matinale, semblaient vibrer au son d’une même bonne humeur générale, mais sérieuse. Rien à voir avec l’ambiance d’une salle de classe pendant qu’on attend le prof. Non, ici tout le monde était là pour faire sa part et pour la faire bien. Je déglutis. This is the real deal. Un rire gras attira mon attention, près de la machine à café. Des collègues étaient vraisemblablement en train de se moquer gentiment d’un homme aux cheveux d’encre, porteur d’un air blasé. Dure journée au travail hein? Mais pourquoi je restais plantée là?! Prenant une nouvelle inspiration, je gagnai le comptoir de l’accueil, attendant que la réceptionniste lève vers moi un regard interrogateur, toujours pendue à son téléphone et notant quelque chose en simultanée. Wow, ça c’est un niveau de multitasking incroyable!

- Estelle Highwind, pour le stage. Je commence aujourd’hui.

La femme ne me répondit pas, pas verbalement en tout cas, mais acquiesça du regard avant de poursuivre sa conversation téléphonique. Dans le même temps, la brunette avait fait rouler sa chaise vers une pile de dossier et y fouillait tout en lâchant par ci par là un oui ou un non concentré. Une Ralts vint lui donner un coup de main et me donna un mémo rédigé sur un pense-bête pendant que sa propriétaire retournait à son appel téléphonique. Selon la note, j’avais été jumelée au Lieutenant Détective Sieg Torchwick, bureau numéro sept. Quant à mon horaire, je serais présente du mardi au jeudi en plus d’un samedi sur deux. Remerciant la pokémon psy d’un signe de tête, c’est avec Chidori perché sur mon épaule gauche que je m’avançai dans le poste, cherchant du regard les identifications sur les bureaux. Possédait-il son propre espace de travail fermé ou son bureau était-il avec les autres, dans la grande et vaste aire de travail? Errant un peu au hasard, je fus soulagée lorsque l’on vint à ma rencontre. Sans doute quelqu’un qui avait compris qui j’étais et qui m’attendait. Le lieutenant en personne peut-être même?

- C’est toi la nouvelle stagiaire? Pas mal, pas mal! Et si tu allais me faire un café pour voir ce que tu vaux, hein?

J’offris un regard interdit à l’homme au nez de corbeau et aux petits yeux pétillants. Sur son épaule, un Spearow me détaillait avec un intérêt presque inquiétant et le policier, mains dans les poches, m’offrait un sourire moqueur, mais dans le mauvais sens. Enfin, disons simplement qu’il semblait rire d’une plaisanterie qui ne m’incluait pas et donc, en conséquence, qui se faisait sur mon dos. Moi, la jolie et mignonne petite stagiaire aux cheveux roses. Si c’était lui ce fameux Torchwick, mon expérience serait définitivement… non, elle serait chiante, point. Pas moyen de faire semblant. Je priais de tout mon cœur que ce ne soit pas lui et, bien sûr, me devais de vérifier.

- C’est vous le Lieutenant Détective Torchwick? Je m’appelle Estelle Highwind, je suis ravie de—
- Hahaha! Le jour où je serai aussi chiant que Torchwick, jetez moi par la fenêtre du deuxième. Tellement blasé ce type, il comprendra même pas la chance qu’il a d’avoir une stagiaire comme toi. Mais tu peux quand même me faire un café t’sais, les jolies filles savent toujours faire de bons cafés!

Il me faisait quoi là? C’est bien sympathique tout ça, mais il savait que j’avais dix-sept ans au moins? Un instant, est-ce que ça faisait de moi un odieux jail bait du coup? FOCUS ESTELLE! Ce n’est pas de ça dont il est question ici! L’âge n’avait rien à voir, c’était quand même tout simplement déplacé comme attitude! Je devais m’excuser poliment et m’éclipser pour reprendre mes recherches, sans quoi j’allais arriver en retard à mon rendez-vous avec celui que j’étais véritablement venue voir. D’autant plus que ce n’était pas très agréable comme situation. D’accord, j’étais une stagiaire, je ne m’attendais pas à être respectée d’office par tout le monde, mais me faire relayer au rang de jolie fille machine à café? J’avais presque envie de lui en faire un pour de vrai tiens, histoire de lui faire comprendre à quel point c’était une fichue de mauvaise idée. Peut-être qu’après ça il apprendrait à me laisser tranquille, lorsqu’il aurait compris que ma cuisine était, à elle seule, une arme de destruction massive?

- Oh je suis vraiment désolée, je suis attendue par le Lieutenant Détective Torchwick, insistais-je, je ne voudrais pas être en retard. Pouvez-vous m’indiquer son bureau? Ce serait très apprécié.
- Un café contre une direction, c’est un bon marché tu trouves pas?

Termina-t-il en s’appuyant contre le bureau juste à côté de moi, s’approchant du même coup, son sourire s’étirant un peu plus. Je pu même entendre crépiter les joues de Chidori, la souris électrique étant à peu près aussi contente que moi du traitement que nous recevions. Pourtant le type en soit n’avait pas l’air méchant, il n’avait même pas l’air louche, mais pour le coup il se comportait comme un abruti et c’est peu de le dire. J’allais ouvrir la bouche pour répliquer avec plus de fermeté cette fois, mais un jappement décidé me coupa dans mon élan, attirant notre attention à tous les deux. Se tenant dans l’allée, droit et fier, son pelage de charbon éclatant de santé, un Houndoom venait de s’inviter. Son regard perçant dardait mon futur collègue qui eu un mouvement de recul, tout en douceur, son sourire se faisant soudainement bien moins volontaire alors qu’il levait même les mains en signe de soumission. Skoll? Non, celui-là semblait un peu plus grand, plus expérimenté, plus dangereux. Il s’agissait d’un autre Demolosse et il n’était certainement pas ici pour rire.

- Calmos Feuer, je te laisse repartir avec la demoiselle et on oublie ça. Bonne chance Highwind et n’oublie pas mon offre! Tu diras bonjour à Torchwick pour moi.
- Une bonne journée à vous aussi.

Lançais-je avant d’emboiter le pas du canidé qui trottait déjà vers l’un des bureaux. Tiens tiens, il avait donc le sien, avec une porte et une baie vitrée et tout le gros luxe, comme dans les séries télé. C’est du joli. Le chien de l’enfer fit son chemin sans se soucier de regarder si je le suivais ou pas, allant se coucher dans son panier, dans un coin de la pièce, tout près du porte-manteau. À celui-ci était pendu un manteau identifiant clairement son porteur comme un membre du « DPL », le Département de Police de Lansat. Sauf qu’il n’y avait pas que ça. Perché là, son regard vif tourné vers la porte d’entrée et donc, accessoirement, vers moi, se trouvait une grosse hirondelle bleu nuit. Son roucoulement m’accueillit alors qu’un frémissement d’agitation parcourait ses ailes repliées dont les plumes se gonflèrent l’espace d’un instant. Un Swellow. Tu parles d’un duo de Pokémon qui en jette. Sauf que l’ensemble était encore incomplet et il me restait encore un individu à découvrir, assis à son bureau avec un air blasé et une cigarette en bouche, ne se souciant manifestement pas des lois anti-tabac de son –de notre– lieu de travail. Minute papillon! J’avais déjà vu ce type! Il n’y a pas deux minutes avec son air blasé, près de la machine à café alors que ses collègues l’embêtaient sur un sujet que je n’avais pas réussi à capter au vol. C’était donc ça!  

Certaines rencontres peuvent changer une vie à jamais | Rp Solo Image_imagesia-com_13z9n
Lieutenant Détective Sieg Torchwick

- Estelle Highwind?
- Oui, c’est moi! Enchantée de faire votre connaissance. Merci d’avoir accepté… euhm… de prendre une stagiaire.

Il ne répondit que d’un signe de tête, m’invitant à prendre place à la chaise d’en face pendant qu’il terminait de consulter un dossier. Je remarquai également, finalement, que l’on avait aménagé un petit coin pour moi avec ma propre petite table de travail et une chaise. Pour un type « chiant », je ne le trouvais pas si mal, pour l’instant. Espérons que les choses continuent sur cette voie. Remarque, n’importe quoi serait mieux que le type au Spearow. Il éteignit sa cigarette avant de prendre une gorgée de café, grimaçant au passage, ne portant son regard bleu-gris vers moi qu’après cela. Silencieux, c’est de ce même air un peu ennuyé qu’il me détailla et, bien qu’il avait l’air très blasé, j’étais contente. Lui, au moins, ne semblait pas tirer de conclusions hâtives sur moi et me reléguer d’office au rang de jolie stagiaire. Peut-être allait-il même me donner la chance de faire mes preuves? Voilà qui serait plaisant, mais je m’avançais un peu trop vite, comme j’allais bientôt le comprendre.

- Ça va pour aujourd’hui, mais évite l’écharpe à l’avenir. Si nous devons prendre un suspect en chasse à la course durant une patrouille, ce truc va seulement te nuire. Et pense à apporter une seconde paire de chaussures, pour quand tu es à l’intérieur du poste, surtout durant la saison froide. Je n’aime pas quand le plancher du bureau est sale. Des questions?

Au moins cette introduction avait le mérite d’être très, très claire. Je n’étais plus une mentali et si je ne voulais pas que l’on me catégorise comme la jolie fille un peu nunuche, alors je devais raisonner autrement. Plus de jolie écharpe colorée pour moi et, dans la même veine, probablement plus de bijoux non plus durant l’exercice de mes fonctions. Encore heureux que j’aie déjà coupé mes cheveux, il aurait fait une attaque autrement!

- Oui. Alors… euhm…
- Il faut parler clairement si tu veux pouvoir être prise au sérieux. C’est un commissariat, pas l’Académie de Police.
- Oui, bien sûr. Je me demandais simplement par quoi nous allions commencer et quel genre de tâches je vais effectuer au quotidien?

Avais-je dit avec beaucoup de sérieux, refermant mes mains sur mes cuisses et me tenant droite, la voix assurée. L’officier sembla convaincu, m’offrant un sourire en coin avant de sortir un dossier vraisemblablement préparé à l’avance pour moi de l’un de ses tiroirs. Je m’en saisis en le remerciant d’un humble signe de la tête alors qu’il reprenait la parole.

- L’avant-midi, si je ne suis pas sur une affaire, nous sommes chargés de patrouiller dans Lansat. Nous revenons au poste à midi moins le quart pour remplir un rapport. Je le ferai aujourd’hui, mais je t’en ai mis une copie du formulaire dans ton dossier avec les instructions complètes, avec ça tu devrais être en mesure de le faire par toi-même dès demain. Nous revenons du déjeuner à treize heures et durant l’après-midi tu es ma secrétaire personnelle. Si je suis sorti tu prends les messages, s’il y a une urgence tu m’appelles et si j’ai la flemme tu ranges les dossiers ou tu peux garder le bureau en ordre. N’hésite pas à emporter un livre ou deux, Lansat est une petite île alors tu auras sûrement des moments de temps libre. Je crois avoir compris qu’il te reste de la théorie au travers de tout ça donc, ce sera l’occasion parfaite d’étudier. Et si tu as des questions et que je suis là, n’hésite pas à demander. Tu peux déposer le dossier sur ton bureau, on sort. Feuer, Orkan.

L’homme s’était levé et, d’un pas énergique –plutôt surprenant pour l’individu-, était allé récupérer son manteau. Le chien démoniaque avait tout de suite redressé la tête et s’était levé, prêt à nous accompagner. Le Swellow, pour sa part, avait docilement rejoint la pokeball que son maître lui tendait avant d’accrocher cette dernière à sa ceinture. Il ne gardait donc qu’un compagnon hors de sa balle, comme j’avais choisi de le faire avec Chidori. Au moins je n’avais pas fait que des mauvais pas pour cette première journée!
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Centre-ville de Lansat, 15 décembre à 11h33. L’avant-midi s’était passé sans trop d’encombres alors que nous parcourions la petite ville à pied. Je l’avais déjà traversée à de nombreuses reprises, mais jamais de cette façon là. Il était étrange de voir les gens s’arrêter sur notre passage, saluer le lieutenant et poursuivre leurs activités. Une vieille dame vint même nous faire la conversation, nous offrant de chauds biscuits tout droit sortis du four pour nous remercier de veiller sur sa ville adorée. Et moi qui croyais que ce genre de choses ne se produisait que dans les films! Les policiers n’étaient certainement pas traités comme ça à Céladopole en tout cas. Bien que bon, il était vrai que la capitale des parfums était bien plus vaste et grosse que Lansat. Ici, tout le monde connaissait tout le monde. C’était comme un petit univers fermé où les voisins se serraient les coudes et où les rumeurs d’un nouveau coup de la Team Rouage faisaient frémir. Une fois de plus, cette île marquait des points dans mon classement. J’étais déjà contente d’être revenue, mais je l’étais encore plus en cet instant. J’avais fait le bon choix, plus de doutes possibles. Et j’étais fière.

- Arrête de rêvasser, Highwind. Tu n’es plus une simple étudiante maintenant, les gens comptent sur toi. Montre leur qu’ils ont raison de le faire.
- Compris! Merci, Lieutenant Détective Torchwick.

Avais-je répliqué rapidement, redressant la tête et portant mes iris chocolatés sur le monde qui m’entourait plutôt que sur ma narration intérieure. À côté de moi, le policier laissa échapper un soupir amusé, sortant au passage une nouvelle cigarette qu’il pendit au coin de ses lèvres. Mais qu’avais-je dit de drôle?! Me demandais-je en tournant vers lui un regard interrogateur. Reportant son attention vers moi, c’est après avoir laissé s’échapper une bouffée de fumée qu’il me partagea le fond de sa pensée.

- Tu comptes sortir le grade à rallonge tout le temps?
- Mais..euh… Alors je vous appelle comment?
- Commençons par Lieutenant Torchwick, ça devrait faire un bon compromis.

J’acquiesçai sans m’opposer. Ce serait effectivement le mieux. Je ne me voyais pas trop l’appeler Torchwick tout court et encore moins prononcer son prénom. Je ne sais pas trop pourquoi d’ailleurs, peut-être était-ce à cause de la façon qu’il avait de m’appeler directement Highwind? Ou alors quelque chose dans l’aura de force calme qui le suivait partout, incitant le respect sans qu’il ait seulement besoin d’hausser la voix? Je me surpris même à penser au référent des Noctali, un grand homme qui, malgré un historique de combats en béton armé, gagnerait bien à passer quelques heures avec le Lieutenant Torchwick. Peut-être est-ce que ça lui apprendrait enfin à avoir un peu plus de classe. Mais en même temps… Ace avec le sérieux, la classe et la présence de mon supérieur? Brr…. Voilà un mélange qui serait sans doute encore plus dangereux que le Général Jackie. Hum hum!

- Vous avez d’autres Pokémons ou seulement ces deux-là?

Demandais-je avec une curiosité non-feinte. Nous étions en quelques sortes presque un peu partenaires alors, forcément je me le demandais. À l’inverse, par contre, je me doutais bien qu’il savait déjà quel genre d’équipe je possédais puisqu’on avait du lui faire parvenir mon dossier et, honnêtement, c’était un peu de la triche!

- Seulement Feuer et Orkan. Une petite équipe qui a toujours produit d’excellents résultats pour moi. Ce serait inutile de me procurer un autre Pokémon, sans oublier que ma logeuse ne serait sans doute pas très enchantée.

J’agrandis légèrement les yeux, clignant à deux ou trois reprises en observant son sourire en coin. Autant ses traits avaient l’air découragés à la mention de sa logeuse, autant il avait l’air amusé à y repenser, comme se remémorant un anecdote qui était hors de ma portée, mais qui devait valoir son pesant d’or. Moi qui l’avait pris pour un individu zélé et un peu coincé, il semblait au moins capable de prendre les choses avec recul et, même s’il tenait à l’ordre, semblait plus tempéré que je ne l’avais imaginé. C’était tout de même rassurant, j’aurais eu du mal à m’entendre à long terme avec un individu de ce genre là. Au moins, comme ça, je pouvais me laisser aller à esquisser un sourire faisant écho au sien, par simple mimétisme et bonne humeur. Que voulez-vous, c’est contagieux après tout.

- À mon tour de poser une question. Quelle expérience as-tu avec la Team Rouage?

Oubliez tout ce que je viens de dire, ce type est un monstre. Redevenu sérieux, ses iris à la couleur de l’orage scrutaient ma réaction. Sortir un sujet comme celui-là hors de nulle part, alors que pourtant la conversation allait aussi bien. Et le premier jour en plus, sans gêne ou sans hésitation. Il crevait directement l’abcès, avouant directement la raison pour laquelle il avait accepté de prendre un stagiaire pour commencer. Ce type était un solitaire, ce ne semblait être un secret pour personne au sein du commissariat. Il n’aurait jamais accepté de prendre une stagiaire et d’être relayé aux patrouilles pour la première fois depuis sa montée en grade par simple altruisme. Il l’avait fait parce que c’était moi, parce que j’étais une ancienne élève de la Pokémon Community qui avait été mise directement en contact avec la Team Rouage à plusieurs reprises et parce que, peut-être, j’allais pouvoir apporter un éclairage nouveau sur ce dossier qui piétinait depuis de longs mois. Aie. Je ne pouvais pourtant pas me défiler, d’autant plus que je ne comptais pas le faire. M’arrêtant, je tournai vers lui mon regard noisette, plus ferme et décidé. Comme chaque fois, lorsqu’un sujet me tenait à cœur, c’était avec passion que je m’exprimai, le regardant dans les yeux sans broncher ou hésiter.

- Ils ont fait souffrir les gens que j’aime. Des amis se sont fait voler des Pokémons, presque une team entière pour certains, et en ont gardé des séquelles importantes. Cet été… ils ont osé kidnapper mes amis cet été. J’étais là, dans l’un des bus, et je n’ai rien pu faire qu’ils avaient déjà endormi tout le monde. À mon réveil, j’ai pris une décision. Plus jamais je ne les laisserai faire ça. C’est à cause d’eux que je suis ici, car je veux être en mesure de les confronter aux conséquences de leurs actes et protéger les gens qui me tiennent à cœur.
- As-tu participé à l’attaque?

Le ton était égal, la voix aussi grave qu’à l’habitude, ce qui devait être son ton de voix naturel. Fumeur en même temps, il n’y avait pas de quoi être surpris. Nullement impressionné ou ému, il était extrêmement difficile de deviner ce à quoi il pensait. Néanmoins, impossible de me tromper sur le sens de la question. Un groupe d’élèves, suivant l’initiative de ma meilleure amie Aileen, s’était lancé à l’assaut de la base, désirant prêter main forte à leurs camarades, se désolant de l’impuissance de la police et du corps professoral qui n’était toujours pas revenu de leur mission de sauvetage. Sa question était tout à fait légitime et, maintenant que le sujet était abordé, coulait de source.

- Ouais. Avec un ditto, un donphan et un carmache. Je sais maintenant que c’était stupide et que les protocoles de la police vont totalement à l’encontre de ce que nous avons fait, mais je ne le regrette pas un seul instant. Ils avaient besoin de moi alors j’ai fait mon devoir en tant qu’amie.

Le lieutenant tira une nouvelle fois sur sa cigarette, me jaugeant toujours. Qu’allait-il en penser? Nerveuse, je sentais mes mains devenir lentement moites et Chidori, toujours perché à sa place habituelle, retenait sa respiration. Je ne vous raconte pas le soulagement lorsqu’un sourire est apparu sur ses traits, son regard amusé à mi-chemin entre fierté et découragement. J’allais bientôt comprendre que cette expression d’amusement blasée lui était plutôt courante, donnant naissance à cette réputation d’homme distant et nonchalant, mais zélé et incroyablement logique. Le tout s’additionnait pour créer une personnalité « chiante » pour la plupart de ses collègues aux personnalités plus explosives ou, tout bêtement, plus joviales.

- Je me verrais mal te faire la morale puisque j’aurais fait pareil à ton âge, mais ce n’est pas moins con. Attends-toi à ce que je te demande l’histoire complète, lorsque nous serons dans un endroit plus approprié. Le moindre détail compte, mais tu le sais sans doute déjà. Pour l’heure, rentrons au poste. Nous avons un rapport à remplir et le déjeuner nous attend.

Il aurait fait pareil à mon âge?! Juste un petit instant, quel âge avait le Lieutenant Torchwick? Non, parce qu’il avait pas l’air si vieux. Encore aucun cheveux blanc, une carrure solide et un pas énergique, certainement qu’il était encore dans la fleur de l’âge. Mais alors pourquoi parler comme un vieux policier qui avait plus de dix ans de service hein?! Je demande une explication! Qui devrait malheureusement attendre puisque le poste de police était juste devant nous. Dommage. Le mystère allait demeurer entier, mais ça ne m’empêcherait pas de continuer à me questionner, échangeant des regards et des théories avec mon pikachu, au moins aussi curieux que moi. Ce fut la voix d’un individu que j’avais déjà rencontré plus tôt qui me tira finalement de mes rêveries, m’offrant au passage un frisson d’horreur.

- Regardez qui revient! Alors, la gamine se débrouille?
- Ravi de te croiser aussi, Leblanc.
- Tu changeras jamais hein. Va donc remplir ce rapport pendant que je parle directement avec la demoiselle, puisque tu ne veux pas me répondre. Je n’ai toujours pas laissé tomber mon café!

Ah non! Non non non non! Tout se passait tellement bien, je pense même que j’avais réussi à marquer des points avec mon supérieur, pas question que je gâche tout maintenant en faisant le café! Mais s’il demandait et que je refusais, est-ce que ça comptais comme un refus de me plier à l’autorité? Mais si au contraire je m’exécutais, mais que l’un d’entre eux se retrouvait à l’hôpital à cause de ça, on m’en tiendrait forcément responsable! Est-ce que cela pouvait compter comme une tentative de meurtre sur un officier en service?! J’étais dans le pétrin jusqu’au cou!

- Je peux aller en acheter un au coin de la rue hein! Ce n’est pas que je ne veux pas, mais je suis vraiment pas douée. Mes pokémons m’ont interdit d’accès à la cuisine et mes amis ont toujours peur de me laisser un ustensile en main. La dernière fois que l’on m’a invité à partager un chocolat chaud, on m’a enfermé à l’extérieur le temps de les préparer, c’est vraiment pas une bonne idée!
- Oh aller, pas la peine d’être modeste!
- Si c’est aussi dangereux que ça, on pourrait peut-être mettre ça à profit pour le bien de l’ordre public…

Pas le lieutenant aussiii!! Pitiéééééé! Chidori, revient espèce de froussard. Tu n’as pas le droit de m’abandonner dans un moment aussi critique!

*Quelques instants plus tard*


- Voilà, c’est prêt.

Le Sergent Leblanc se frotta les mains, enthousiaste à la vue des deux tasses de café fumantes. Lui qui avait attendu ce moment depuis aussi longtemps, c’était un véritable plaisir d’enfin pouvoir « juger le potentiel de la nouvelle stagiaire trop canon ». Je n’en revenais toujours pas de ça non plus d’ailleurs, mais mes talents légendaires allaient bientôt s’en charger pour moi. Sans doute allais-je perdre à jamais tout le mérite que j’aurais pu espérer, mais au moins l’on ne me prendrait plus jamais pour une pauvre fille sans défense. J’aurais pu le parier en tout cas. Attaquant le premier, l’homme au nez de corbeau souffla sur sa tasse et huma le chaud breuvage, marquant un temps d’arrêt. Quelque chose tiqua dans son visage, comme si l’odeur n’était pas tout à fait ce à quoi il s’attendait. En homme fier qu’il était, pourtant, il ne s’arrêta pas et osa porter la tasse à ses lèvres pour en prendre une gorgée. Nos regards braqués sur lui, le temps sembla se figer. Paralysé, des tremblements intermittents le traversèrent et c’est au ralenti que l’objet retrouva le chemin de la table. Livide, Leblanc sauta sur la poubelle la plus proche pour recracher le café, le teint vert et le pas incertain, comme s’il était parcouru de vertiges. Lorsqu’il se redressa, je rentrai la tête dans les épaules, honteuse pendant qu’il s’égosillait à lancer son verdict.

- C’est de l’acide ce truc, pas du café! On pourrait transpercer un coffre-fort avec cette horreur!! Bordel, pincez moi, j’ai jamais bu un truc aussi dégueulasse! De l’arsenic, je suis certain qu’il y a de l’arsenic là-dedans!!!
- Vieillit un peu, tu dois entraîner ton goût et apprendre à apprécier un café un peu corsé.
- UN PEU CORSÉ?! J’aimerais bien te voir y goûter. On va voir qui fera le malin après ça, Torchwick!

Le lieutenant ne se laissait toutefois pas impressionner. Égal à lui-même, c’est avec un air blasé qu’il prit sa propre tasse et, comme son collègue avant lui, qu’il y souffla doucement. Je retins mon souffle, résistant à l’envie de me jeter sur lui pour l’empêcher de mener son projet à bien. C’est que je l’appréciais quand même, je n’avais pas envie que mon stage soit confié à quelqu’un d’autre. D’autant plus que si deux officiers étaient k.o. par ma faute, personne ne voudrait de moi après cela. Je devais empêcher l’hécatombe, je devais…! Trop tard. Se jetant à l’eau, mon supérieur venait de prendre une gorgée, déposant ensuite la tasse en un calme olympien, le visage impassible. Tous étaient silencieux, tendus comme la corde d’un arc, guettant sa réaction. C’était le moment de vérité. Ça passe ou ça casse et, dans ce cas ci, j’avais comme l’impression de déjà savoir comment les choses allaient se dérouler. Mais le savais-je vraiment? Hors de nulle part, les traits du Lieutenant semblèrent se détendre, ses yeux s’agrandissant sous la surprise alors que ses lèvres s’entrouvraient, sans pourtant réussir à émettre le moindre son. Non, ne me dites pas que je l’ai tué?!?

- C’est le meilleur café que j’ai jamais bu.
- HEEEEEEIIIIIN?! MAIS T’ES COMPLÈTEMENT MALADE! Cette cochonnerie a détruit les papilles gustatives qu’il te restait ou quoi?!
- Ce serait encore meilleur avec une cigarette ou des craquelins à la mayonnaise.
- Il….il…… Il aime mon café…..

Impossible, pincez-moi, je devais être en train de rêver. Pourtant, c’est sans hésiter que l’homme aux cheveux d’ébène prit une nouvelle gorgée, se délectant du chaud breuvage comme s’il s’agissait d’une nouvelle recette miracle. Aucun effet secondaire, pas de tremblements ou de vomissements. Pire, je pourrais jurer que de petites étoiles brillaient derrière lui tant il appréciait ma création. Non seulement il semblait immunisé à ma cuisine, mais en plus il l’appréciait! Le Lieutenant Torchwick était encore plus badass que je ne l’imaginais. Il était…

MON NOUVEAU HÉROS!!!
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