« - Ma chérie, comment vas-tu ?  - Mon amour ... Je suis absolument épuisée. Tu veux le prendre ? Regarde ... Il s'est endormi. »

L'enfant se retrouve blotti dans les bras de son père. L'homme échange un regard affectueux avec son épouse. Le travail a été long, douloureux, mais tout s'est bien résolu au final. Et à présent, il a un fils. Il se mordille la lèvre, et détourne le regard, les joues roses. Son premier né, un garçon. Il en avait toujours rêvé, sans oser le dire ; il est assez courant que les femmes préfèrent avoir des filles, et les hommes des garçons. Jouer à celui qui fait pipi le plus loin avec une fille, c'est plutôt moyen. Il serre son enfant contre lui. Depuis sa naissance, il a été sage comme une image, ne poussant aucun cri, se contentant de babiller ici et là, buvant son lait avec une douceur peu commune. Leur première fois comme parents se passe à merveille, pour le moment, et il préférerait que cela continue.

« - Tu as songé à un prénom, ma douce ?  - Mon grand-père s'appelait Zacharia. J'aimerais beaucoup un prénom qui finirait en -a, lui aussi. Comme Noah, ou Jérémia. »

Son épouse sourit. Tout en tenant le bébé d'un bras, il prend de l'autre main le linge qui flotte dans l'eau fraîche, dans un bol sur la table de nuit, et le passe sur le visage plein de transpiration de son aimée. Elle ferme les yeux, souriante. Il l'aime, comme il aime son enfant, comme il aime la vie qu'il a avec elle. Même si l'arrivée de ce petit bout de garçon va changer beaucoup de choses, il sait que ce sera positif. Ils l'avaient tellement voulu, cet enfant, au point de songer qu'ils ne deviendraient jamais parents. Ils allaient le chérir, ce petit bout.

« - Maman, on peut aller chercher des livres ? »

Avec un petit rire, elle hocha la tête. Le petit se tenait debout, dans la cuisine, son petit poing serré sur le bas de sa robe. Il avait deux et demi, possédait une chevelure semblable à une botte de foin vert, et son air innocent avait déjà fait fondre ses voisins, au point qu'il croulait sous les petits cadeaux et les attentions. Sa mère avait décidé d'arrêter de travailler dans son cabinet médical pour s'occuper entièrement de lui, tandis que son père ramenait l'argent à la maison, en tant que chirurgien dentiste. Ils allèrent en voiture jusque la bibliothèque, et sa mère lui laissa choisir ce qu'il voulait. Althéa aimait les contes, avec des héros qui allaient sauver la princesse des méchants Drakkarmin, ou bien les enfants qui se perdaient dans des bois brumeux, et étaient retrouvés grâce à l'aide de petits pokémons herbes, la plupart du temps des mystherbes ou bien shaymin lui-même. A cet âge si jeune, il se révélait très loquace, quoique très peu embêtant. Sa mère passait de longs après-midi à lui lire des histoires, et il s'en imbibait comme une éponge. Il avait une excellente mémoire - surtout quand les choses lui plaisaient.

« - Ce n'est pas magicien, pourtant, maman. »

Disait-il quand il lui expliquait que, quand il entendait quelque chose, ça restait gravé quelque part. Et sa mère de rire, de lui expliquer qu'on disait sorcier, pas magicien. Et Althéa de poser des colles, demandant la différence entre un sorcier et un magicien, pourquoi on disait ça et pas ça. Quand il eut quatre ans, sa mère reprit son travail, et laissa le petit aux mains de ses grands-parents. Le matin, il voyageait jusque leur petite ferme, et il passait la journée là-bas. Althéa allait à l'école le matin, puis l'après-midi, il aidait son papy à traire les écremeuh, et à s'occuper des ponytas. Il était plutôt doué avec les pokémons. Il les respectait, s'occupait bien d'eux. Il apprit à monter à dos de doduo, se prit d'affection pour l'un d'eux, qu'il surnomma Kiwi. Rapidement, Althéa se révéla très doué en lecture, et surtout en langues. Plus les années passaient, et plus il s'intéressait aux dialectes tels que le grec, le russe, le japonais, l'égyptien. Et même si il ne savait pas parler ces langues, il apprenait à les lire. Il s'instruisait. Ses parents commençaient à fonder de grands espoirs sur lui.

« - Maman ?      - Oui mon chéri ?  - Pourquoi les gens sont méchants ? Pourquoi est-ce qu'ils se tuent les uns les autres ? Je ne comprends pas. »

C'était dit avec tant de simplicité, tant d'innocence. Sa mère s'assit dans son fauteuil, l'installa sur ses genoux, caressa sa tête. Ses cheveux avaient poussés ; il avait grandit. Il avait presque dix ans, maintenant, et il était toujours aussi intelligent. Aussi perspicace. Elle hésita ; devait-elle le protéger ou lui dire la vérité ?

« - Les pokémons ne se tuent pas, eux. Les hommes sont méchants pour rien. Est-ce que l'on est bêtes ? C'est pour ça qu'on est méchants ?        - Oh mon bébé. Disons que l'homme a ses propres raisons. Chaque personne a un vécu. Chaque personne vit des choses, et parfois, leurs choix sont influencés par cela. Tu comprends ?  - Alors, la mémoire peut être une mauvaise chose ? Se souvenir peut être mauvais ? »

Il s'étonnait, délicatement. Il fronça son petit nez, puis secoua la tête. Tout cela dépassait sa compréhension, malgré qu'il soit avancé pour son âge. Il caressa la main de sa mère, puis fila sans demander son reste dans le jardin. Il y retrouva le pokémon familial, une kangourex, et se blottit dans son giron. Et il se mit à chantonner, une petite berceuse, sans réelles paroles. Il avait une voix claire ; la mue n'avait pas encore déformé sa voix. Sa mère se surprit à écouter, l'oreille aux aguets, et soupira. Un jour, elle ne pourrait plus lui expliquer certaines choses ; il devrait faire ses choix, comprendre seul. Mais pour le moment, il était encore son petit. Elle pouvait encore le serrer contre elle, quand il avait peur, et le rassurer juste en lui disant que c'était comme ça, qu'ils n'y pouvaient rien.

« - Je ne sais pas ce que je veux faire plus tard, moi. »

Cela semblait mettre mal à l'aise ses professeurs, quand il disait cela. La plupart des enfants avaient des rêves, plus ou moins réalistes. Mais ce gamin, là, il n'en avait pas. Ou plutôt, il savait faire la différence entre les héros et la réalité. Et qu'il ne sache pas faire de choix passe encore, mais qu'il ne réfléchisse même pas une seconde à faire un choix ... C'était étrange. Son intelligence semblait avoir des trous, parfois, comme un gruyère de logique. Et les adultes se rappelaient alors que, malgré leur sentiment, ils parlaient à un enfant ; même si parfois, Althéa résonnait comme un adulte, il n'avait pas encore l'âge de raison.

Fallait pas croire, Althéa rêvait. Il rêvait de voyager sur les mers, et de traverser les océans, pour découvrir des îles et des pokémons que personne n'avait jamais vu ; il voulait marcher dans des déserts et escalader des montagnes ; il voulait vivre des aventures, et trouver l'amour, le perdre, le regagner, par la force des choses, par la force de son intelligence. Il voulait être un héros, et en même temps quelqu'un de normal. Il rêvait, oui, quand, les pieds dans l'eau du bassin du jardin, il regardait le ciel, et tout ces oiseaux qui volaient, loin. Il ne voulait pas quitter ses parents, mais il voulait voyager. Il voulait vivre, et même si ici, une vie l'attendait, il savait qu'il aspirait à autre chose. Que ce qu'il désirait, bien qu'il ne sache pas ce que c'était, qu'il n'arrive pas à le cerner comme si il cherchait à attraper de l'eau avec une passoire, il savait que ce qu'il voulait n'était pas ici.

« - Maman, tu voudrais bien m'inscrire à cette école, s'il te plaît ? »

Regard triste, apeuré. Angoissé, oui. Elle a peur, peur de le voir partir, de ne pouvoir le protéger là où il allait. De le voir grandir trop vite. Mais c'est le devoir des parents, d'aider leurs enfants à mûrir, et non pas de les entraver. Il eut été égoïste de le garder près d'elle ; elle avait eu cette pensée, mais elle devait la laisser s'échapper, tout comme son enfant. Son unique enfant. Alors, elle fit avec lui les démarches. Il savait quelles options prendre, et vers quel arc se tourner. Malgré son amour de la lecture, il avait un esprit plutôt pragmatique, et l'établissement proposait un certain nombre de choses qui pouvaient valoir le coup, comme des machines ou de l'équipement. Et puis, il était ravi à l'idée de recevoir un pokémon à son entrée.

« - Tu crois que j'aurais quel pokémon ? » demanda Althéa alors que sa mère finissait de préparer sa valise.

Ca le turlupinait, ça. Son pokémon. Il en voulait un gentil, qui pourrait le protéger, mais pas une grosse brute. Il n'avait pas de choix particulier, et sa mère n'avait aucune idée de ce qu'il aurait. Elle était triste de ne pouvoir l'accompagner, mais elle estimait, comme lui, qu'il devait apprendre à être seul dès maintenant. Elle ne serait pas là, là-bas, et il allait devoir se débrouiller. Boutonnant son manteau et remettant en place ses mèches de cheveux, elle embrassa son front. Le bateau n'allait pas attendre, et ils n'étaient pas en avance ... Alors, quand le vent marin fouetta leurs visages, ils ne purent retenir leurs larmes. Althéa se sentait soudainement abandonné, illogiquement. Au fond de lui, il savait que ce qu'il faisait était bien, que c'était son choix, mais il n'avait jamais été séparé de sa mère. Son père, il l'aimait aussi, mais bien moins ; il travaillait beaucoup, et malgré que l'enfant comprenne qu'il le faisait pour amener de l'argent, il était plus proche de sa mère, voilà tout. Il serra sa mère contre lui puis, empoignant sa petite valise à roulettes à lumières vives, il monta le long de la passerelle. Des goélises sauvages piaillaient autour des mâts, et l'enfant remarqua même des pokémons eaux qui traînaient dans le sillage du bateau, quand il démarra. Des lamantines, et aussi quelques tentacools. Il sourit, puis fit au revoir à sa mère, les yeux rendus flous par les larmes.

Il allait entrer dans cette école, oui, et même si il ne savait pas ce qu'il voulait faire, ce n'était pas grave. Car, quoi qu'il advienne, il ferait de son mieux. On lui avait répété sans cesse que, dans la vie, quand on donnait le meilleur de soi, on était toujours récompensé. Même si la vie, parfois, était bien plus cruelle, il avait envie d'y croire. De croire en lui. C'était de là qu'il devrait commencer, pour gravir les échelons d'une échelle qu'il construirait lui-même.