9h28 - Ferry
Les deux dernières fois, les herbes sauvages et les forêts hostiles avaient eu raison de la pauvre petite Cleve. Elle s’était attendue à avoir tout vu, tout vécu. Entre les voyages harassants à bord du Ferry, et les avions qui menaçaient de s’écraser impitoyablement dans la mer, il fallait dire que la gamine était passée près des portes de la mort plus d’une fois. Elle pensait même y avoir frappé à quelques occasions tant les évènements qui s’étaient produits sur les deux îles la rapprochaient d’un destin plus que tragique. Elle s’était dit que cette fois encore, elle braverait vents et marées pour retourner auprès de l’effrayant mais non moins rassurant Riven Rivardi. Et pourtant…
Ses yeux s’étaient écarquillés lorsque l’embarcation s’était approchée de l’Île Zalis. Ce nom, pourtant celui d’une baie tout ce qu’il y avait de plus adorable, lui avait évoqué des paysages peut être pas paradisiaques, mais au moins verdoyants et fertiles. Elle s’était imaginée de grandes forêts, des clairières, une plage de sable blanc. Rien de tout ça. Comme d’ordinaire, l’administration semblait prendre grand plaisir à jouer avec les nerfs –et les vies, accessoirement- de ses pauvres étudiants. Ce n'était pas une Île hostile à laquelle ils avaient eu droit, cette fois là. Enfin si, techniquement, mais pas vraiment dans le sens auquel Cleve s'attendait.
Ce qui la frappa tout d'abord fut l'odeur qui semblait venue tout droit des tréfonds de toilettes publiques sous-marines. Ses narines se révulsèrent tandis que la majorité des élèves sur le bateau commençait à se plaindre à grands cris. Mais ces charmantes fragrances n'étaient rien face au spectacle qui l'attendait. Une grotte immense qui occupait tout l'endroit. Un crâne pareil à celui d'un dragon géant. Des lueurs vertes qui flottaient et donnaient un aspect presque irréel à ce tableau macabre. Bienvenue en enfer.
9h30 - Île Zalis
Un battement de cil plus tard et Cleve était descendue du Ferry, en jetant des regards suppliants au Vice-Directeur pour qu’il daigne la faire remonter –ou à défaut, lui servir de garde du corps-. Mais l’impitoyable Rivardi s’était contenté de se griller une clope en restant bien confortablement à l’abri de l’ambiance cauchemardesque de Zalis. Enfoiré.
Peppéroni l’encouragea à s’avancer vers l’énorme grotte en forme de crâne de… elle ne savait quelle créature. Avec bravoure, Cleve fit quelques pas vers la roche mais fronça immédiatement le nez tant l’odeur était horrible. Plus elle se rapprochait du cœur de l’île, et plus les relents semblaient puissants. La rousse se contenta cependant de faire abstraction de ce désagrément, et admira plus précisément l’architecture de l’endroit. La grotte occupait toute l’île, et la mécanicienne avait du mal à déterminer si la roche avait délibérément été taillée en forme de squelette, ou s’il s’agissait d’un squelette de Pokémon que des années de sédimentation avaient transformé en grotte. Elle préféra ne pas s’interroger sur la nature du dit Pokémon, ni se poser les questions de savoir si oui ou non, ce genre de créature était encore dans les parages sous peine de tomber dans les pommes sur le champ. Elle pénétra donc à l’intérieur du réseau de pierre, tout comme ses camarades l’avaient fait quelques minutes plus tôt.
9h40 - Grotte Zalis
A l’intérieur, l’obscurité régnait de main de maître. Cleve était cependant le genre de filles toujours pleine de ressource, et elle fixa rapidement une lampe sur le crâne de Peppéroni pour lui permettre de la guider. Le faisceau de lumière balaya un instant les lieux, avant de se stabiliser et de diffuser une chaude et rassurante clarté. La grotte de l’Île de Zalis était aussi effrayante de l’intérieur que de l’extérieur. La roche noire donnait un aspect glauque à l’endroit, tandis que les sortes de flaques marécageuses qui s’étalaient çà et là promettaient un mauvais quart d’heure aux chaussures de Cleve. La Givrali ne se laissa cependant pas abattre pour autant, et commença son exploration, tout en prenant bien garde à rester près de la sortie. Pep’ était d’un soutien non négligeable dans ce genre de situations extrême, et la demoiselle était bien heureuse d’avoir son imposant partenaire comme garde du corps. C’était précisément dans ces moments-là qu’elle n’enviait pas ceux qui avaient des Pokémon portatifs, comme Amaoka, Chypre ou Rick. Où pouvaient-ils être ceux-là, d’ailleurs ? De souvenir elle les avait vus sur le bateau, mais n’avait pas pensé à leur demander si cela les intéresserait de faire l’exploration avec elle. Chacun pour sa gueule pendant les Sorties Captures, hein ? Soupirant, Cleve posa une main sur le cou de son Lokhlass. Par où devait-elle aller, à présent ?
10h00 - Grotte Zalis
L'obscurité était omniprésente dans la grotte Zalis, et la pâle lueur que projetait la lampe de poche fixée sur le haut du crâne de Pep' ne rendait que plus effrayant encore ce sombre tableau. Un vent frais courait sur le long de la peau de Cleve, et la rouquine frissonna des pieds à la tête. Elle se frictionna un moment les avants bras afin de regagner une température corporelle convenable, mais il faisait fichtrement froid ! Certes, elle s'était couverte dans le but de ne pas se les peler sur le bateau, mais là elle regrettait de ne pas avoir une bouillotte ! Ou à défaut, d'avoir un Pokémon utile qui pouvait faire office de radiateur de fortune. Mais non ! Elle avait avec elle au choix : un gros tas qui n'aurait fait qu'aggraver les choses en lançant une attaque glace, une petite frappe qui se roulerait dans la première flaque malodorante qui apparaitrait sur leur chemin, et une peluche inexpressive qui... ne servait pas à grand-chose malgré toute sa bonne volonté. La Givrali soupira. Elle espérait que le prochain spécimen qui rejoindrai son équipe soit à peu près normal, même si en se fiant à son palmarès actuel, il ne fallait pas s'attendre à grand-chose. Bon, d’accord, Pep’ et Biscuit étaient de bons Pokémon de combats, mais en dehors… c’était presque un calvaire de vivre au quotidien avec ces deux-là !
Haussant les épaules de dépit, Cleve continua son exploration de la grotte, laissant courir ses yeux le long des parois rocheuses. De l'intérieur comme de l'extérieur, les bordures semblaient assez incurvées, ce qui rassura la mécanicienne. Il lui suffirait de suivre la courbe des murs pour ne pas se perdre. Elle se souvenait à peu près de l'aspect général de l'endroit en plus, donc elle n'aurait pas trop à s'en faire. Peppéroni avait un bon sens de l’orientation en plus, il suffisait de compter sur lui –de temps en temps, ça ne faisait pas de mal-.
Marchant droit devant elle, la rousse sursauta quand un bruit d'éclaboussure se fit entendre à proximité. Elle fit volte-face, et le faisceau de lumière balaya la grotte pour enfin s'attarder sur... un Pokémon rose à l'air particulièrement crétin. Cleve se figea, main sur la Pokéball de Biscuit qu’elle comptait envoyer à la face de la « chose » si celle-ci se montrait agressive. Certes Peppéroni était là, mais elle préférait dans la mesure du possible qu’il n’aille pas se salir en pataugeant dans une flaque sale, puisqu’elle devrait se le coltiner au retour en bateau également.
Contre toute attente cependant, la créature sourit bêtement un instant puis lâcha un râle interminable, assez représentatif de sa vivacité d'esprit. Pep regarda une fraction de secondes ce collègue un peu étrange, puis coula un œil vers son humaine pour savoir ce qu'il convenait de faire. Cette chose n'arrivait même pas à exciter son instinct de combattant, et la Givrali avait bien compris que l'intérêt d'un affrontement serait en effet bien mince. Elle s'approcha cependant du Ramoloss et enregistra ses informations sur son iPok histoire de rentabiliser sa rencontre, mais ne put récolter aucune donnée intéressante qui pourrait lui être utile pour son projet de traducteur Pokemon. Allez donc tirer quelque chose d'un ptit gars qui peine à dire son nom en entier en moins de 2 minutes !
« Bon ben je crois qu'on va passer notre chemin Pep, hein ? » commenta-t-elle en observant le Ramoloss qui n'avait toujours pas bougé.
Suite à l'approbation de son compagnon, elle poursuivit sa route, le Ramoloss barbotant toujours de façon aussi stupide dans sa faible épaisseur d’eau.
12h00 - Grotte Zalis
Le noir était de plus en plus persistant au fur et à mesure que Cleve avançait le long des boyaux sinueux de la Grotte Zalis. Même si la lumière de Peppéroni lui permettait de ne pas mettre les pieds dans quelques malheureux endroits –comme une flaque nauséabonde ou un objet difforme non identifié dont elle ne voulait pas savoir la provenance-, elle n’était pas suffisante pour y voir à plus de cinq mètres devant elle. Peureuse de nature, Cleve redoutait de rencontrer un Pokémon effrayant au détour d’une paroi rocheuse, et de tomber dans les pommes, foudroyée par le choc. Maintenant qu’elle y pensait, quelle idée de se balader dans le noir seule, à 14 ans ! C’était totalement irresponsable ! Pourtant, ce genre d’excursions-suicides ne semblait choquer personne d’autre que la rouquine, et les ribambelles de gamins qui avaient leurs fesses confortablement installées sur les bancs de l’académie étaient tous plus pressés les uns que les autres de se jeter dans la gueule du Grand Méchant Loup. Percutée de plein fouet par une brusque prise de conscience, la Givrali senti l’angoisse s’insinuer dans ses veines comme un poison, et elle rebroussa chemin. Peppéroni pencha la tête de côté comme s’il n’y comprenait rien, mais les idées de Cleve étaient claires : pas question de rester une minute de plus par ici ! Elle tenait encore à grandir, à devenir riche, et à vivre longtemps si on lui en donnait le choix. Aller se balader aléatoirement dans une grotte lugubre en attendant de tomber sur un psychopathe ? Peuh ! Très peu pour elle !
Cleve sentit que quelque chose la tirait dans le dos. En se retournant, elle remarqua qu’il s’agissait de Pep’ qui essayait de la retenir pour qu’elle change de direction et aille explorer l’endroit qu’ils n’avaient pas encore visité. Elle soupira en posant une main sur la tête de son Pokémon pour lui transmettre tout ce qu’elle pensait. Ouais. Elle était complètement morte de peur dans le noir, avec pour seule compagnie celle de Peppéroni et sa lumière vacillante. D’ailleurs, c’était un miracle qu’elle ait survécu à non pas une, mais deux sorties captures. Sachant qu’à son arrivée en Septembre, elle s’enfuyait à la vue du moindre Pokémon, il fallait dire qu’elle avait fait un sacré progrès. Malgré tout, si les forêts et les plaines étaient encore acceptables pour elle, une grotte en forme de squelette l’était beaucoup moins.
Sa main sur la paroi buta sur quelque chose, et Cleve soupira devant sa propre incompétence. Et dire qu’elle allait devoir faire un test de courage le samedi qui suivait. La bonne blague ! Elle allait planter son coéquipier et tomber dans les pommes, c’était sûr et certain ! Elle ne savait pas encore avec qui elle serait, mais elle espérait qu’il soit un peu moins froussard qu’elle et ne s’offusque pas si jamais elle prenait la poudre d’escampette. Enfin… ce n’était pas le moment de penser à un truc effrayant alors qu’elle avait déjà assez à faire pour le moment. Si seulement elle avait un peu de lumière supplémentaire ! Cette grotte serait forcément moins flippante baignée par les rayons du soleil !
Comme si ses vœux s’étaient exaucés, une chaleureuse aura diffusa un puissant halo à l’angle d’un mur. Se frottant les yeux pour s’assurer qu’elle n’était pas en train d’halluciner, Cleve avança prudemment vers cette source inattendue de lumière. Les films d’horreur, les jeux vidéo et l’expérience lui avaient appris à ne pas faire confiance aux portes ouvertes, mais elle était une Givrali après tout. Doucement, ses pas la portèrent jusqu’à une espèce de grand rocher autour duquel des Pokémon roses ressemblant à des peluches dansaient en criant ce qui semblait être leur nom. Ils tournaient sur eux même, sautillaient en rythme et faisaient le tour de leur totem. Machinalement, Cleve ouvrit son iPok et la voix mécanique de Dexter s’éleva pour lui livrer les informations.
« Mélofée, le Pokémon fée ! Mélofée est un Pokémon rare, qui vit uniquement sur le Mont Sélénite, à Kanto. Il est bizarrement apparut juste après qu'une météorite se soit écrasée dessus, c'est pourquoi les scientifiques pensent qu'il est d'origine extra-terrestre. Mignon, c'est un ennemi redoutable, car son attaque Métronome est totalement imprévisible. »
La rouquine resta complètement perplexe. Si ses souvenirs étaient bons, le Mont Sélénite se trouvait, heu… pas ici en tout cas. Que faisait donc un Pokémon supposé « rare » dans un lieu tel que celui-ci ? Il y en avait une bonne demi-douzaine, en plus ! Fascinée par ce spectacle, Cleve voulu s’approcher un peu plus lorsqu’elle marcha un caillou, déclenchant la fuite de la majorité des Mélofées dans une cacophonie de petits bruits mignons. Dans la panique, la Pokéball de son Psystigri roula sur le sol, et le chat de type Psy fut libéré de son emprise de métal. Un des Mélofées resta sur place pour pester contre Cleve et l’interruption inopinée de son rituel, et, agitant ses petits doigts, il commença à se mettre à luire. La rousse n’avait jamais vu ce genre d’attaque, et resta stupidement dans le chemin en se demandant ce qui allait sortir.
Ouvrant la bouche, le Mélofée sauvage balança un dévastateur Lance-Flamme qui illumina toute la grotte. Les yeux de Cleve se fermèrent tandis que Pep’ s’interposait entre l’attaque et sa dresseuse, déviant le jet de feu avec un mur d’eau. De façon surprenante, Curly le Psystigri sauta sur la tête de Pep’ et ses oreilles de chat se levèrent l’espace d’un instant. Il ouvrit alors les bras et une onde psychique balaya le terrain, projetant le Pokémon adverse violemment contre un mur. En un seul coup, la peluche rose perdit connaissance et ses yeux se mirent à rouler dans leurs orbites.
Étonnée par cette soudaine démonstration de force de la part de ses coéquipiers, Cleve sortit néanmoins une Pokéball de sa poche et la lança sur le Mélofée. Il ne manquait plus que ce truc se réveille et ne les attaque de nouveau !
La Pokéball tomba dans un bruit sourd sur le sol de la grotte, et elle gigota une fois, deux fois, trois fois, comme si le Mélofée souhaitait se libérer de sa nouvelle prison. Puis, dans un chuintement satisfaisant, le mécanisme s’éteignit et Cleve pu soupirer. Au moins, la bête était trop assommée pour ressortir de la Pokéball et tenter un nouvel assaut. Avec une appréhension immense, la rouquine s’approcha et récupéra son camarade fraîchement capturé. Elle n’était pas sûre de pouvoir s’entendre avec cet espèce d’extra-terrestre rose ; après tout, il avait tenté de lui balancer un Lance-Flamme dans la tronche. Elle avait certes connu des hauts et des bas dans chacune de ses Sorties Captures, mais entre Biscuit qui lui avait volé son déjeuner, et Curl’ qui s’était accroché à sa jambe, il n’y avait pas photo. Enfin, il ne fallait pas oublier que son Marill les avaient mis dans un état lamentable sur l’Île Mepo, mais tout de même… Peppéroni lui jeta un regard qui signifiait « T’inquiète paupiette, je gèrerai le truc. », et la Givrali haussa les épaules. Elle ne s’attendait pas à ce que ses Pokémon s’assagissent une fois capturés, mais ils lui montraient tous –à peu près- une once de respect. Il n’y avait pas de raison que ça n’en soit pas de même pour ce nouvel arrivant. Quoi qu’il en soit, l’heure défilait et Cleve avait fini ce qu’elle avait à faire dans la Grotte Zalis. Elle avait trouvé son nouveau compagnon –même si c’était plus par légitime défense que par désir de réellement le capturer-, et elle n’avait pas réellement envie de s’attarder un peu plus dans les environs. Aussi commença-t-elle à essayer de retrouver le chemin du retour, en tentant de reconnaître les endroits où elle avait déjà mis les pieds.
La lampe sur la tête de Peppéroni illuminait à peu près la grotte, et la présence chaleureuse de sa Psystrigri dans ses bras la rassurait. Elle ne s’était pas doutée une seconde de la puissance psychique de la peluche qu’elle avait capturée sur l’Île de Résin-sur-Mer, mais elle était bien décidée à en faire usage si elle était de nouveau dans le pétrin. Entre Peppéroni qui était un véritable et puissant combattant, Biscuit qui était un prodige lorsqu’il se trouvait dans un environnement forestier, et ce chaton qui pouvait envoyer valser un rocher par la simple pensée, Cleve trouvait qu’elle était assez bien entourée. Le Mélofée qu’elle venait d’acquérir avait également l’air puissant, mais plutôt dans le genre imprévisible… Elle n’était d’ailleurs même pas sûre de pouvoir réellement le contrôler, mais elle aurait tout le loisir d’y réfléchir plus tard. Pour le moment, il fallait surtout qu’elle retrouve la sortie avant que Rivardi ne se décide à lever l’ancre et à la laisser impitoyablement croupir sur une île marécageuse infestée de Pokémon bizarres.
La main posée sur les parois rocheuses, Cleve se traça mentalement un chemin de retour dans la tête. Elle savait qu’elle était passée par là –elle reconnaissait d’ailleurs la flaque dans laquelle le Ramoloss stupide faisait trempette-, ce qui indiquait qu’elle ne devait plus se trouver trop loin de la sortie. Quelques pas supplémentaires la ramenèrent à la lumière du jour, et elle soupira de soulagement en voyant l’ombre familière du vice-directeur près du port. Calmement, elle se dirigea vers lui et remonta dans le bateau lorsqu’il le lui autorisa. Le ferry quitta ensuite l’île lorsque l’heure de départ fut arrivée –par chance, aucune perte n’était à déplorer, cette fois encore-. L’embarcation glissait doucement sur les vagues, et bientôt, l’odeur marécageuse de l’île Zalis se dissipa dans les airs comme un vieux souvenir. Enfin, ils allaient retourner sur l’île Lansat…