Le point de tonte ne devait plus être très loin. Cependant, Aileen était quelque peu agacée. Tous ces arrêts, même s’ils ne duraient que quelques minutes, avaient fini par les mettre en retard, et alors qu’elles auraient dû atteindre l’endroit depuis au moins trois bonnes heures, elles étaient encore là, à cravacher pour monter le plus rapidement possible sans semer leur troupeau d’une cinquantaine de têtes, non sans omettre de surveiller les deux petits démons roses qui couraient à leurs côtés, mouches du coche persuadées qu’elles étaient utiles alors qu’elles ne faisaient que retarder le groupe. Fatigué de les voir s’arrêter toutes les trois minutes pour rectifier les erreurs des deux chiens, Sphax avait fini par prendre les choses au main, s’occupant de garder les moutons en troupeau et laissant Hilda s’occuper des deux chiots. Styx, lui, courait d’un point à l’autre pour s’assurer que rien ne les menaçait. Elles avançaient lentement. Trop lentement. Doucement, la nuit commençait à tomber, preuve évidente que leur « repas de midi » n’avait pas vraiment eu lieu à midi, mais bien plus tard dans la journée, et elles ne voyaient toujours pas le moindre signe de vie leur indiquant qu’elles étaient proches ou qu’elles se perdaient. Le vieux berger leur ayant indiqué de suivre les chiens, qui connaissaient le chemin, Asteriane et elle avaient poussé les deux corniauds vers l’avant pour qu’ils leur servent de guide, et Aileen, qui commençait à perdre patience, leur avait fait les gros yeux pour qu’ils se tiennent un peu tranquille et qu’ils arrêtent de jouer, les ralentissant considérablement au lieu de les faire progresser. Finalement, après quelques longues heures de marche, Asteriane finit par lui remonter le moral en levant la main vers le ciel pour pointer quelque chose du doigt. Plissant les yeux, Aileen finit par vaguement entrevoir la fumée, au moment où la Givrali sortait des jumelles de son sac pour y voir un peu mieux. Selon elle, il s’agissait d’un feu de cheminée, ce qui signifiait qu’elles ne devaient plus être très loin.
« Enfin une bonne nouvelle… A un moment, j’ai quand même cru qu’on allait passer le weekend à chercher cette foutue baraque de tonte. »Resserrant les bretelles de son sac à dos, la Pyroli continua sa montée, essayant d’ignorer son ventre qui gargouillait et ses jambes douloureuses d’avoir tant marché. Il leur restait le retour à faire. Se plaindre était inutile. Heureusement pour elle, Asteriane avait noté les références de la fumée, et pouvait les mener sans problème vers le feu de cheminée. Parce qu’en toute honnêteté, Aileen était incapable de comprendre ce que la Givrali venait de faire, ou tout du moins, incapable de lire la carte qu’elle tenait entre les mains. Un plan de ville ne lui posait pas de soucis, mais là… C’était au-dessus de ses compétences. Elle était espionne, pas ranger, comme Cael ou Hope ! D’un pas lassé, elle suivit sa camarade qui continuait à grimper, comme insensible à la douleur, à la fatigue ou à la nuit. Sa répartition dans un dortoir autre que celui des Pyroli relevait quand même du mystère… Mais bon. Au moins avait-elle l'air de savoir ce qu'elle faisait, et les menait-elle vers la fumée, ou plutôt vers l'endroit d'où émanait la fumée, qui avait fini par s'arrêter au bout de quelques minutes de marche à peine. Ce fut Sokka qui le lui signala, posant une patte sur son bras, et tendant l'autre vers le ciel pour lui montrer la disparition de leur seule piste. Après un léger soupir agacé (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, après tout !) la brune se tourna vers sa camarade, qui, comme elle, venait de comprendre qu'il faudrait utiliser la carte.
« Je pense qu'il est temps de faire étalage de ton savoir, car sans ta carte, je doute qu'on trouve facilement notre chemin. Joyce, Flash ! » Gonflant ses petites joues, le Dedenne s'illumina, libérant son attaque autour d'elles.
« Ca devrait être plus simple pour lire la carte, ce serait dommage qu'on se perde si près d'une maison. »D'un bond, Joyce passa de sa tête à celle d'Asteriane pour lui permettre de mieux décrypter sa carte sans trop l'aveugler. Apparemment, cela devait lui suffire puisqu'elle reprit sa route, les menant doucement mais sûrement vers la bâtisse en pierre qui grossissait au fur et à mesure de leur progression. Les moutons, eux, s'étaient finalement tus, sans doute trop fatigués pour continuer à bêler sans cesse. C'était à la fois reposant et flippant. Reposant, parce qu'ils n'avaient pas cessé de la journée, flippant, parce qu'elle avait fini par s'y habituer et que ce silence était quelque peu dérangeant. Heureusement, la bâtisse était en vue. La lumière que diffusait le Dedenne suffisait à les guider sans problèmes, et finalement, elles atteignirent la masure pierreuse. Tandis que, fatigués, les moutons se couchaient çà et là, Aileen se dirigea vers la porte en bois, prête à toquer pour demander si elle était bien arrivée, et si ce n'était pas le cas, si elles pouvaient passer la nuit ici pour repartir le lendemain. Alors qu'elle venait la main pour toquer à la porte, cette dernière s'ouvrit, et la Pyroli blêmit d'un coup en voyant le canon d'un fusil, pointé vers son visage. Sphax, qui l'avait silencieusement rejointe, se hérissa d'un coup et se mit à gronder violemment, prévenant explicitement l'homme qu'il n'hésiterait pas à le tuer s'il faisait le moindre mouvement stupide.
« Z'êtes qui, qu'est-ce que vous faites ici ?! »« Euuuuuuh... » La Pyroli déglutit, ne pouvant pas s'empêcher de loucher sur le canon du fusil.
« On est, euh, on cherche le point de tonte, pour les moutons, lààààà... » D'une main, elle désigna les moutons, qui paissaient sous la surveillance d'Asteriane.
« C'est, euh, c'est José qui nous envoie à sa place avec son troupeau... Vous pouvez baisser ce truc, là ? Vous me faites un peu flipper, quand même... »Comme s'il avait suffi qu'elle demande, l'homme baissa son fusil, faisant soupirer la brune, et lui permettant de détailler son interlocuteur. Il devait avoir une cinquantaine d'années, et dans ses cheveux noirs se fondaient quelques poils blancs. Il en allait de même pour sa barbe, même si elle ne pouvait détacher son regard de ses yeux d'un vert profond où l'intelligence vive brillait sans se cacher. A son tour, l'homme la détailla, et tourna la tête vers Snip et Snail, qui couraient vers lui en aboyant. Se penchant, l'adulte leur fit un câlin, avant de se redresser, accrochant son fusil dans son dos.
« J'vous crois. Je reconnais les deux p'tiots du José. Z'êtes venues pour la tonte ? L'est un peu tard, quand même... Fallait venir plus tôt. »« On a été un peu retardées... » Coup d'oeil vers les deux fautifs, les chiots roses qui jappaient joyeusement.
« C'est pour ça que vous avez sorti le fusil ? Pas top comme accueil... »« Non, c't'à cause des bergers qu'ont des Grahyèna... Venez, j'vous montre où vous allez dormir, et j'vous expliquerai une fois là-bas. »Sortant de sa masure, le vieil homme les guida vers une bergerie, où les moutons, sans doute habitués, les doublèrent pour y entrer sagement, à la queue leu leu, ce couchant çà et là dans la paille. A la surprise de la brune, Snip et Snail y entrèrent aussi, se mêlant aux moutons pour dormir parmi eux. L'adulte, lui, fit tomber une échelle, et passa le premier pour leur ouvrir le chemin vers ce qui semblait être la mezzanine de la bergerie, où les bergers tardifs dormaient avant la tonte du lendemain. Effectivement, la place semblait nette et propre, préparée pour permettre aux humains de s'installer pour dormir, dans un endroit un peu surélevé pour poser les sacs de couchage, et même un simulacre de table en bois où elles pourraient s'installer pour manger. Aileen posa son sac dans un coin, détachant son sac de couchage pour le dérouler sur un des espaces surélevés, et se tourna vers l'adulte, qui attendait gentiment qu'elles aient fini de s'installer pour reprendre la parole.
« Pour vot' sécurité, j'vous déconseille de sortir de là avant l'matin. Z'avez déjà eu d'la chance de pas croiser ces foutus cabos en ch'min... Avec la présence des moutons, ils risquent de rôder autour d'la bergerie, alors en sortez pas, et empêchez les moutons de s'tailler. »« On en a croisé une meute, dans la forêt, mais on a réussi à les chasser... C'est normal, ces Grahyèna sauvages ? Je ne suis pas ranger, mais à ma connaissance, le Mont Argenté n'est normalement pas leur lieu de vie. »« C't'à cause des bergers, ça. Y en a de plus en plus qui veulent des Pokémon de garde qui sortent de l'ordinaire. Comme si un Caninos, ça suffisait pas ! » L'adulte lâcha un reniflement, faisant preuve du mépris qu'il avait pour ces bergers.
« Z'ont commencé à diversifier les chiens. Ponchiot, Malosse, Snubbull, encore, ça allait, leurs évolutions font de bons chiens d'bergers. Mais Medhyèna ? C't'aut' chose ! C'est d'jà une sale bête quand il est p'tit, mais en évoluant, y veut plus obéir, sauf si son dresseur est assez compétent pour l'contenir. Et vous pensez que ces bergers sont compétents ? Bah ! » A nouveau, il eut un reniflement méprisant.
« Du coup, comme y z'arrivent pas à les faire obéir, bah ils les relâchent, et maintenant, toute cette foutue montagne est blindée de Grahyèna ! Y rôdent près des enclos, attaquent les troupeaux, et viennent même traîner près d'chez moi ! J'les plombe quand j'les vois, pour leur apprendre le respect ! » Se rendant compte qu'il était tard, l'homme se dirigea vers l'escalier.
« J'refermerai la porte derrière moi, y pourront pas entrer ici, z'êtes en sécurité. A d'main les jeunes ! »Effectivement, quelques secondes plus tard, elles purent entendre les loquets de la bergerie qui se refermaient. La brune se retrouva alors confrontée à un dilemme. Manger, ou dormir ? Elle avait trop sommeil pour manger, mais avait peur d'être réveillée par la faim. Finalement, elle alla s'asseoir à la table, un sandwich en main, et le dévora en quelques minutes, tout comme Asteriane, qui devait également être affamée. Leur pause repas remontait à un petit moment, quand même ! Ce fut sans parler que les deux filles terminèrent leurs sandwich, et toujours sans parler qu'elles allèrent se coucher, chacune dans son sac de couchage. Sans s'installer l'une à côté de l'autre, elles étaient assez près, séparées par deux ou trois places surélevées pour être ensemble sans toutefois empiéter sur l'espace vital de l'autre. Avant de se coucher, la Pyroli jeta un oeil à son iPok, et esquissa un sourire. Vingt-trois heures trente. Elle qui pensait qu'il était plus tard que ça... Finalement, la préfète se glissa dans son sac de couchage, le repliant entièrement sur elle avant de se tourner pour s'endormir. Ses années de voyage avec sa mère, qui passait du bateau à l'avion, et ce à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, lui avaient appris à profiter de n'importe quelle occasion de dormir pour ne pas être trop explosée le lendemain. De toute façon, il fallait absolument qu'elle dorme un peu, surtout au vu des habitudes qu'elle avait prises en tant que Pyroli. Se calfeutrant un peu plus dans son sac de couchage, la brune s'endormit presque instantanément, profitant des quatre heures de sommeil qu'elle pouvait voler. Car de toute manière, le lendemain, elle ouvrirait les yeux à quatre heures trente, comme tous les matins...