-Au rapport soldats ! Qu’avez-vous trouvé ?

Le lieutenant Crocrodil, son fidèle sergent Embrylex et le cadet Ouisticram se tenaient en ligne, le dos bien droit et le regard fixe, jusqu’à ce que le lieutenant s’avance d’un pas. Les faits étaient indiscutables et une larme coula sur ma joue, bien que mon visage reste impassible. Nous avions perdu la guerre et étions définitivement les derniers. Aucun élève n’avait souhaité se joindre à notre groupe et nous nous retrouverions bientôt seuls sur le campement. Pourtant la journée ne s’était pas si mal passée et il serait bête de la terminer sur une fausse note.

-PAUL NYLLIS ! Approchez marmot, j’ai deux mots à vous dire.

-J’arrive, mon Général ! Mais d’abord, laissez-moi vous expliquer cette histoire depuis le début !

Tout a commencé cet après-midi…
Avec mes Pokémon, nous étions partis par beau temps, pêcher au lac. L’eau était claire et les poissons étaient bien plus visibles qu’à l’accoutumée. Tandis que Crocrodil se rassasiait directement des proies osant l’approcher d’un peu trop près, mes autres Pokémons et moi restions sur le bord de la rive, usant de cannes à pêche prêtées gentiment par les habitants du village. La prise était correcte, mais nous étions surtout heureux de passer du temps ensemble. Coinçant ma canne entre deux rochers, je m’allongeais pour regarder le Soleil briller sur la cime des arbres. Mon regard se perdait au fur et à mesure dans le ciel bleu et les rire de mes camarades ne devinrent plus que des bruits de fond. J’étais calme et reposé, rien ne pouvait m’ébranler désormais.

-CRAM !

Je me relevais d’un bond, attrapant ma canne et la tirant de toutes mes forces.

-Venez m’aider ! J’en ai un gros.

Tous ceux qui s’étaient réunis autour de moi, vinrent me prêter main forte. Ensemble, nous tirâmes comme jamais sur le manche et je maintenais fermement la manivelle du rouleau. Il fallait tenir encore un peu. Juste un tout petit peu plus. Le temps que notre mental d’acier l’emporte sur celui du poisson. Nos forces combinées allaient mettre la main sur ce poisson, quoi qu’il nous en coûte ! Soudainement, la corde se détendit et nos corps basculèrent vers l’arrière. Nous étions en train de trébucher, quand le poisson encore accroché à l’hameçon apparut hors de l’eau. Nos regards se croisèrent et son expression livide était sans appel. En retombant dans l’eau, il se libéra et reprit son périple au cœur de ce lac, un hameçon encore coincé sur le coin de sa bouche et qui lui servirait de piercing jusqu’à la fin de sa vie. Néanmoins…

-Hey ! Nan mais reviens ici, sale Magicarpe ! Tu sais très bien que sans toi, je ne peux pas écrire de nouvelles blagues dans ma Catstrat ! Arrête de flemmarder en vacances et viens bosser ! Nom de nom…

Oui. Un être aussi inférieur soit-il avait la capacité de m’énerver, mais surtout de rivaliser avec une armée de Pokémons aux puissances colossales. Personne n’imaginait de quoi était capable le Magicarpe sacré. C’est pour cela, que je le respectais autant. Si petit et si méprisé de tous, il arrivait à tenir le cap et poursuivre sa route, cachant sa véritable force au cœur de ses écailles. D’ailleurs, il la cache si bien, qu’il ne fait maintenant plus aucun doute que lui-même n’est pas au courant de son existence. En pleine méditation sur le sujet, je ne voyais pas le Goélise porteur d’un message du Général Jackie, en train de me dérober mes victuailles de quatre heures.

-Le piaf ! Rends-moi de suite le Pépito que tu m’as volé ! Pourquoi faut-il que vous vous y mettiez tous en même temps, ma parole… J’ai bien choisi mon jour pour une détente au bord du lac.

-Goé Goé.

-Hein ? Tu es porteur d’un message. Fais-moi voir.

A peine avais-je ouvert la lettre, qu’un déferlement d’ordre, de discipline et de violence me fit plier genoux à terre. Le Général Jackie en personne nous convoquait ce soir pour un test. Le message était clair, il ne laissait pas de place au refus, ni à la retraite. Regardant mon équipe, je compris à leurs visages qu’un seul petit tiers d’entre eux était prêt à tenter l’expérience du Général. Evidemment, je retrouvais parmi eux de très anciens compagnons. Crocrodil, mon starter et meilleur ami. Embrylex, l’enfant prodige que j’ai vu naître dans mon premier œuf. Enfin, notre groupe de valeureux soldats se compléta d’un quatrième membre, pour le moins inattendu. Ouisticram avait rejoint nos rangs récemment, lorsque j’étais monté en grade. Le Collectionneur avait jugé bon de me le donner pour renforcé mon équipe et il avait encore vu juste. Ce brave ouistiti était prêt à en démordre, comme nous autre.

-Dis au Général, que nous serons présents.

-Goééé.

Le Goélise s’envola dans une bourrasque de vent et disparut dans l’azur du ciel. Il était évident que le Général n’écouterait pas ce message, tant il était naturel de répondre présent à l’un de ses appels.

-C’est ainsi, que je fus amené à vous. Concluais-je à la femme en treillis qui se tenait devant moi, sans sourciller.

-C’est fini, Blanche-Neige ?! On peut commencer ?!

-Euh… Oui, madame.

Son visage sévère s’approcha du mien et je cru qu’elle ne partirait jamais, pour mon plus grand désespoir.

-ON REPOND « OUI, MON GENERAL » ! EST-CE BIEN COMPRIS, BLANCHE-NEIGE ?!

-Oui, mon Général !

-Bien !

Les cheveux ébouriffés, comme après la tempête, je fus heureux de la voir reprendre de la distance, bien qu’un mètre ne soit pas suffisant à mon goût.

-Si je vous ai appelé, ce n’est pas pour tergiverser sur votre pêche lamentable de cet après-midi. Toutefois, cette larve d’Ace ferait bien de vous apprendre à capturer les Magicarpe, à défaut de vous apprendre à vous battre. N’est-ce pas Noctali ?

Que devais-je répondre ? Dire oui serait une trahison envers mon dortoir. De plus, cela donnerait un point fictif aux Pyrolis contre nous, puisque le Général est leur référente. Cependant, je suis actuellement sous le joug de cette même référente et Ace n’est pas présent pour oser élever la voix à mon encontre. Et avouons-le-nous… Ace est loin d’être aussi parfait qu’il le prétend. Ses cours sont toujours significatifs de son extrême flemmardise et j’ai du mal à me dire qu’une telle personne puisse avoir été au sommet. Comme quoi… Il y a peut-être une chance que Seth prenne sa place un jour. Mieux vaut que je ne sois pas là lorsque ce sera le cas.

-Soldat ? C’est pour aujourd’hui ou pour demain ?

-Assurément, mad… Mon Général ! Vous avez entièrement raison.

-Ne te crois pas pour autant sorti d’affaire, Noctali.

Au moins ne m’appelle-t-elle plus Blanche-Neige…

-Les autres élèves sont déjà tous partis dans la grotte en binôme. Personne ne veut de toi ici. Mais dans ma magnanimité, je vais te laisser participer…

-Merci mon Général ! C’est vraiment génér…

-Avec moi. Alors prépare-toi, nous partons sur-le-champ.

-Hein ? Mais…

-Aucun « mais » qui ne tienne. Si tu n’es pas prêt, tu peux rentrer chez toi.

Rentrer chez moi ? Et puis quoi encore ?! Pas question d’abandonner devant elle, alors qu’elle vient tout juste de m’obliger à déblatérer des saloperies sur Ace et utilisé mon dortoir comme insulte. Je lui prouverais que nous ne sommes pas des mauviettes ou des chiffes molles, comme elle tend à le prétendre de nous tous ici présent. En tant que Noctali, il est de mon devoir de me présenter fièrement devant l’adversité et de lui rabattre son caquet… Une bonne fois pour toute !

-Mon Général ! Je suis prêt, allons-y.

Je prends les devant du convoi avec ma bougie, accompagné de mes trois Pokémons quelques peu déconcertés et du Général, dont les bras restent inlassablement croisés dans son dos malgré l’obscurité grandissante. Elle nous a tantôt prévenu que des pièges avaient été disposés au long du parcours afin de nous mettre à l’épreuve. J’imagine que le fait qu’elle fasse elle-même partie de cette expédition ne l’empêchera de me laisser tomber dans ceux-ci.

Trois cents mètres se sont écoulés depuis que nous sommes entrés dans la grotte. L’entrée ne ressemble plus qu’à un point lumineux, disparaissant au détour d’un tournant. Le Général reste impassible, quelques pas en arrière, et m’observe d’un œil que je préfère éviter de croiser. L’avantage, c’est qu’il ne fait pas aussi sombre qu’il devrait l’être. La queue enflammée de Ouisticram participe à élargir notre champ de vision. De toute façon, je n’ai pas peur du noir. Quand bien même tout a été mis en scène afin de nous effrayer et que ma bougie est ridiculement petite, je sais que tout cela n’est pas réel. Une simple épreuve où il suffit de garder le sang-froid et de tenir bon. Rappelez-moi d’avoir les mêmes pensées lorsque je croiserais l’une des horreurs qui se tapit dans l’ombre. Je le sens, nous ne sommes pas seuls. Quelqu’un nous observe.

-Cela ne te dérange pas de tricher en ma présence. Les éclairages autres que ta bougie sont interdits. Tu dois rappeler ton Pokémon.

-Général. Sauf votre respect, je ne voudrais pas contredire l’une des règles que vous avez énoncé vous-même il y a peu. Les Pokémons sont autorisés, mais l’emploi de l’attaque FLASH est prohibé. N’est-ce pas vos propres mots ? Vous n’iriez pas vous contredire ?

Regardant droit devant moi, je ne préférais pas me retourner pour voir l’expression qu’elle faisait. Je me serais sûrement fait incendier sur place et tous les Pistolets à O de la Terre n’aurait su me sauver. Je cru par ailleurs entendre un grincement de dents avant qu’elle ne reprenne la parole.

-Misérable vermisseau… Comment osez-vous… Mais soit. Vous avez raison, ce sont bien mes mots. Toutefois ne comptez pas sur moi pour vous donner une quelconque aide, notamment…

Sa phrase resta en suspens et je ne m’attendais pas que cette simple action de sa part ne me laisse autant en proie au doute. L’obscurité semblait avoir repris le dessus sur le peu de lumière que nous créions sur notre chemin. La voie que je m’étais tracée, paraissait moins certaine que jamais et je sentis la joie du Général parcourir mon corps de frissons. Je la connaissais rude avec ses élèves, mais pas sadique. Elle jouait merveilleusement bien son rôle, son absence de commentaire rendait l’endroit encore plus glauque qu’il ne l’était et j’en oubliais notre voyeur.

-Hey ! Mais… Qu’est-ce que… Je m’enfonce !

-Eh bien. Jeune Insolourdo, il semblerait que vous soyez tombé dans le plus ridicule de mes pièges.

-Grrr… Embrylex, aide-moi !

-Embryyy !

Sous l’œil amusé du Général, Embrylex s’approcha des sables mouvants et ne bougea plus fermement de sa position. Son corps était aussi solide qu’un roc et ses bras aussi puissants que ceux d’un Tauros. Avec son aide, me sortir de ce piège fut d’une facilité déconcertante. Je me relevais en essuyant mon pantalon de toute la boue qui le recouvrait désormais, puis je levais ma main avec la bougie encore allumée en direction du Général.

-C’était bien tenté, mais je ne faillirais pas aussi facilement. Cette bougie restera allumée jusqu’au bout du parcours. J…

Elle souffla sur la bougie.

-HEIN ?! Mais… Mais ce n’est pas du jeu !

-Si vous n’êtes pas capable de tenir compte des courants d’air dans une grotte aussi hermétique que celle-ci, je ne peux malheureusement plus rien pour vous. Certaines larves restent des larves après tout.

Je me penchais vers Ouisticram, qui ralluma la bougie de sa queue. Cette fois-ci, je la gardais le plus proche possible de moi.

-Vous m’avez eu une fois, mais vous ne m’aurez pas deux fois.

-Ah bon ? Mais n’est-elle pas déjà éteinte ?

-Comment ça ?

-Regarde par toi-même. Tu ne crois quand même pas que je vais devoir te prêter mes yeux pour voir. Tu ne veux pas que je change ta couche tant que tu y es ?

Pendant qu’elle déblatérait encore des bêtises à mon sujet, je me tournais vers la bougie, qui était effectivement éteinte. Je la rallumais aussi tôt auprès de Ouisticram.

-Voilà ! C’est bon.

-Je n’en serais pas si sûre à ta place.

-QUOI ???!!! Mais comment se fait-il qu’elle soit déjà éteinte ?!

-SPECTRUM !

Sortant de nulle part, la tête d’un Spectrum vint se coller à la mienne. De toute évidence, même avec la frayeur, je ne fus pas assez rapide pour esquiver sa Léchouille caractéristique. Puis, avec la paralysie que cela entraîna dans tout mon corps, il n’était plus question de s’en fuir. Il s’amusa à voler ma bougie, avant d’aller saluer le Général et partir en rigolant. Effrayés, aucun de mes Pokémons n’avaient réagis et je dû attendre d’être libéré de mon état végétatif pour frapper le mur, par lequel il s’était enfuit, de mon poing.

-Mince ! Sans cette fichue bougie, nous ne pourrons pas accomplir l’épreuve jusqu’au bout.

-Diiil…

-Ouisti…

Chacun montra sa déception de n’avoir pas su arrêter le Spectrum, alors qu’il s’en allait joyeusement sans la moindre gêne. Tous… Sauf le Général, dont le sourire n’avait jamais été empreint d’autant de bonheur qu’en ce moment-même.

-Alors ça y est. Tu as enfin décidé d’abandonner, Noctali. Je vais pouvoir rentrer et accueillir les premi…

-NON ! Mon poing se serra au sang sur le mur. Il n’est pas question d’abandonner maintenant. Nous allons retrouver ce Spectrum et récupérer notre bougie. Quoi qu’il m’en coûte !

-Oh ! Notre larve voudrait-elle se prendre pour un papillon ? Très bien, voyons ce dont tu es capable.

Mes yeux croisèrent les siens et je vis qu’elle comprenait que je ne plaisantais pas. Du moins, plus maintenant. J’allais parcourir toutes ces galeries s’il le fallait, mais je retrouverai ce Spectrum et lui arracherai notre bougie comme si je lui arrachais le cœur qu’il n’a plus.

-Bien… En route.

Ce n’était plus la marche tranquille que j’arborais, mais un pas de course, qui surprit le Général. Evidemment, elle n’avait aucun mal à me suivre, mais cela importait peu. Ce n’était pas le même cas pour les autres. Ouisticram et Crocrodil arrivaient à tenir la cadence, quant à Embrylex, il était à la traîne. Avec un tel poids, j’aurais peut-être dû prendre plus soin de l’exercer à la course. Il avait fallu du temps pour que Kaiminus puisse courir plusieurs kilomètres sans sourciller, il en faudrait aussi pour qu’Embrylex parvienne à ce stade. En attendant, je ne pouvais pas laisser un seul de mes amis en arrière. Je tenais à eux plus que tout et même si j’étais pressé de faire ravaler sa fierté au Général, je ne comptais pas le faire au détriment de mes compagnons. Nous étions partis à cinq, nous reviendrions à cinq.

Les galeries se succédaient, mais toujours aucune trace du Spectrum. Je m’étonnais aussi de ne pas être encore tombé dans l’un des autres pièges du Général. Sur notre passage, nous croisèrent pourtant des restes témoignant de l’activation de certains par les groupes précédents. Jusqu’à ce qu’un fil se brise et qu’un bruit de roulement se fasse entendre. Je pouvais en déduire aisément, que nous venions nous-même d’en déclencher un. Même éclairés par la flamme de Ouisticram, je n’avais su le repérer, tant était-il bien caché.

-Ne restons pas là ! Dépêchons !

Ce n’était pas faute d’avoir essayé de prévenir, mais aurais-je peut-être dû le faire avant que tout le monde se soit arrêté. De là où provenait le bruit, un rocher de la taille de la galerie pointait le bout de son nez, nous fonçant dessus sans hésiter.

-Allez, vite !

Personne n’osait bouger encore.

-On se remue les morveux et on bouge son fessier gentiment de là !

Instantanément, tous les Pokémons prirent la fuite et je remerciais mentalement le Général Jackie de son intervention. Au moins, avait-elle su atteindre leur esprit au travers de la peur qui les paralysait tous. Cependant, nous avions beau courir, cela ne semblait servir à rien. La grotte allait en descendant et le rocher prenait petit à petit de la vitesse. Bientôt, il finirait par nous rattraper et nous écraser si nous ne trouvions pas une solution rapidement.

-Là ! Dis-je en pointant une brèche dans une paroi. Allez, vous mettre à l’abri dedans !

Ouisticram, Embrylex et le Général se cachèrent dans le petit renfoncement, sauf que celui-ci ne permettait pas d’accueillir plus d’une autre personne.

-Crocrodil, va avec eux. Je vais me débrouiller. On se retrouve après.

-Cro.

-On n’a pas le temps de discuter. Va avec eux !

-Cro !

Le rocher serait sur nous sous peu, je ne pouvais pas me permettre de contester encore plus longtemps. Faisant une grimace, je me remis à courir, accompagné du crocodile. Nous arrivions au bout de la galerie et…

-Un cul-de-sac !

Touchant la paroi glacée de mes mains, je cherchais une porte dérobée qui nous permettrait d’échapper au rocher. Seulement, c’était vain et Crocrodil m’alerta que le temps nous était compté. Nous allions donc devoir affronter notre destin… De face. Je faisais volte-face vers la sphère mortelle et avec conviction, je lançais ce nouveau combat.

-Crocrodil ! Utilise Force !

-CROOOOOOOOOOOOOOOOO !!!

Ses mains s’illuminèrent d’un éclat blanc, qui éclaira l’ensemble de la galerie. La fraction de seconde suivante, il fonçait sur le rocher. Il appliqua ses mains luminescentes dessus et ancra ses pieds dans le sol. De toutes ses forces, il tenta de retenir le rocher sur place, mais il n’était pas assez puissant et il commença à perdre du terrain, ses pieds se faisant lentement repousser de leur ancrage.

-Tiens bon Crocrodil ! Je sais que tu en es capable.

Donnant tout ce qu’il avait, il ne put empêcher la sphère de poursuivre sa route. Elle tournait bien trop vite et le repoussait inlassablement. Néanmoins, le croco n’avait pas dit son dernier mot. Alors que l’éclat sur ses pattes s’affaiblissait, il changea de posture et freina de son corps l’objet tournoyant. Cela semblait fonctionner ! Il ralentissait, bien que ne s’arrêtant pas pour autant. C’était l’occasion ou jamais d’en finir.

-Lance Casse-Brique !

Rouvrant un œil, il sauta en arrière et tout l’éclat blanc se concentra dans un seul de ses poings. Le rocher arriva sur lui la seconde suivante et son poing s’abattit au centre de la formation naturelle. L’impact provoqua une puissante onde de choc lumineuse et je dû fermer les yeux pour ne pas être aveuglé. Quand toute lumière fut dissipée et que je pus rouvrir les yeux, le rocher gisait au sol, séparé en deux parties identiques. Au centre, Crocrodil se tenait courbé et essoufflé. Son flanc droit portait les marques de son effort et de multiples blessures dues aux frottements parsemaient son corps.

-Crocrodil ! Je courrais vers lui et l’enserrais de mes bras. Merci.

Cette zone de la grotte semblait soudainement moins obscure que celles que nous avions croisées jusqu’ici. La combinaison d’attaques de Crocrodil semblait avoir eu l’effet d’un faible Flash. Je constatais que finalement, cette galerie n’était pas une voie sans issue. Il y en avait bel et bien une, mais que je n’avais su voir dans le noir. Peu de temps après, le Général et mes Pokémons arrivèrent. Elle affichait un sourire franc, que je ne lui avais jamais vu.

-Beau travail. Son visage reprit son éternelle impassibilité. Je crois qu’il te reste toujours un Spectrum à capturer.

Regardant tour à tour, elle puis le sol, je me relevais le poing fermé. Non, je n’avais pas oublié ce pour quoi je me battais.

-Vous avez raison, Général. Allons-y.

M’engouffrant dans le passage que j’avais découvert, je ne courrais plus à présent. L’endroit était étroit et l’obscurité reprenait ses droits à mesure que nous nous éloignions de l’ancienne galerie. La flamme de Ouisticram redevint notre seule source de lumière et nous marchâmes une bonne dizaine de minutes, parfois devant ramper ou escalader pour esquiver des obstacles rocheux. Puis, la lumière revint. Au bout du tunnel, une lueur brillait comme un phare dans la tempête.

-Tenez bon, nous sommes presque arrivés !

Mes yeux fixaient cette lueur, ils ne la quittaient pas un seul instant. Ce fut elle, qui les abandonna. Toute clarté cessa d’exister et les ténèbres prirent possession des lieux. Comme par magie, nous débouchâmes dans une grande pièce contenant de nombreuses stalactites. Aucun piège ne semblait avoir été disposé ici, mais ce n’était pas une raison pour se laisser aller.

-Spec Spec Spec Spec Spec !

Ce rire était reconnaissable entre mille et son instigateur ne tarda pas à se faire connaître. Déboulant de nulle part, Spectrum et ma bougie apparurent au centre de la pièce. Il riait en jouant avec ma bougie éteinte, mimant qu’il la mangeait avant de la faire sortir d’un œil. Des blagues sordides, dont lui seul avait le secret. Mais je n’étais pas là pour plaisanter. Je comptais bien récupérer ce qui me revenait de droit et s’il le fallait, j’affronterais Spectrum.

-Let’s go, Ouisticram. Montrons-lui qu’il s’en est pris au mauvais cheval.

-Ouisticram !

-Spec Spec, SPECTRUM !

La pièce parut changer d’aspect et le Général, ainsi que mes autres Pokémons disparurent. Il ne restait plus que moi et Ouisticram, face au Spectrum. Celui-ci rigola encore une fois, avant de s’engouffrer dans les ombres, une tactique bien connu de ce Pokémon. D’ailleurs, c’était sa principale force. Sa capacité à se cacher dans les murs ou les ténèbres le rendait particulièrement difficile à atteindre.

-Tu peux toujours te cacher. Je te ferais sortir tôt ou tard ! Ouisticram, Danseflamme.

-OUISTIIIIIIIIIIIIIII !

Le petit singe cracha un torrent de flammes, qui englobèrent les ombres. De la même façon qu’une danse, elles tournoyèrent autour du terrain et embrasèrent tout sur leur passage. Elles n’étaient pas seulement violentes, mais aussi d’une incroyable beauté. La chaleur s’intensifiait et je me sentais comme chez moi. J’inspirais profondément cet air chargé de cette odeur caractéristique du feu. Contrairement à moi, quelqu’un sembla ne pas autant apprécier cette attaque. Surgissant des ombres, Spectrum appliqua sa Malédiction sur Ouisticram et se recula en riant, s’apprêtant à disparaitre dans le sol.

-Tu ne vas pas t’enfuir aussi vite ! Provoc-le, qu’il ne puisse pas fuir et crame-le avec Lance-Flamme.

Ouisticram obéit aisément à ces ordres, la malédiction venant à peine d’être posée sur lui. Toutefois, Spectrum ne se laisserait pas faire pour autant. Provoc insinuait qu’il allait attaquer et Lance-Flamme avait pour but de contrer sa première offensive. Sauf qu’il était plus malin qu’il ne le paraissait. Plutôt que d’attaquer frontalement, ses mains se transformèrent en ombres, qui plongèrent dans le sol jusqu’à Ouisticram et remontèrent pour le frapper violemment. Le petit n’eut pas le temps de cracher ses flammes, qu’il volait dans les airs, projeté par l’impact de l’attaque Ombre Nocturne. De plus, la malédiction fit ses premiers signes et Ouisticram cria, lorsqu’il fut pris de convulsions étranges. En retombant sur le sol, il était clair qu’il ne tiendrait plus très longtemps encore. Seulement, nous n’avions pas dit notre dernier mot. Il devait juste résister encore un peu et nous pourrions déclencher le bouquet final.

-Okay, on part sur une Machination.

-Ouisti Ouisticram.

Un halo de flammes enveloppa son corps et il se cambra, fier de cette nouvelle puissance qui le parcourait. Spectrum ne resta pas à attendre sans rien faire, tandis que son ennemi montait en puissance. Dans l’incapacité de lancer autre chose qu’une attaque, il forma au creux de ses doigts une sphère d’énergie obscure. Un concentré de pure noirceur à la force dévastatrice, qu’il lança joyeusement sur son adversaire. Le choc renvoya quelques mètres plus loin le ouistiti, le laissant en proie à de nouvelles convulsions. Sauf qu’en se relevant, il n’était pas abattu, loin de là. A quelques pourcents d’être mis au tapis, le véritable combat pouvait commencer.

-C’est terminé pour toi Spectrum… Lance-Flamme !

Le spectre, voyant la boule de feu se former, s’empressa d’attaquer. Son ombre traversa l’écart entre les deux Pokémons à une vitesse folle et il plaça un Coup-Bas efficace sur Ouisticram. Il était néanmoins trop tard pour arrêter l’explosion pyrotechnique, qui déferla sur Spectrum, le réduisant à néant. Les flammes percèrent la couche obscure et la grotte reprit son apparence initiale. Lorsque le Général, Crocrodil et Embrylex furent de nouveaux visibles, Spectrum gisait sur le sol, complètement hors d’état de nuire.

-Général, je suis ravi de vous revoir.

-Occupe-toi de ton Pokémon, Noctali.

-Ah oui ! Ouisticram !

Je m’approchais de lui et le prenais dans mes bras. Tout comme Crocrodil, son corps était couvert de blessure et ce n’était pas mentir que de dire qu’un détour par l’infirmerie serait utile, une fois retournés au village. En attendant, je lui disais d’utiliser Paresse, pour récupérer un peu de la malédiction encore active. Par endroit, des flammes brûlaient encore et on sentait l’odeur du cramé, c’était plaisant. A côté du corps inerte de Spectrum, se tenait ma bougie, à dire qu’il n’en restait qu’un tout petit morceau après la dernière attaque. J’étais déjà surpris de pouvoir la retrouver, je pensais qu’elle avait été totalement fondue, mais je me trompais. A l’autre bout de la pièce, la lueur était revenue. Elle était bien plus grande qu’auparavant, comme une porte vers un autre monde. Souriant, je me dirigeais vers elle, y découvrant l’autel de fin de parcours et les innombrables bougies déjà déposées. J’ajoutais la mienne à celles-ci et j’en prenais une nouvelle déjà allumée.

Nous avions réussi, nous étions arrivés à traverser la grotte et ses épreuves jusqu’à l’autel. Je savais que je n’aurais jamais pu y parvenir sans l’aide de mes Pokémons. Leurs blessures témoignaient des difficultés que nous avions rencontrées et nous rendaient encore plus satisfait d’avoir atteint notre objectif. En allumant la bougie du retour, je comprenais que tout n’était pas terminé. Le plus dur était derrière nous désormais, seulement il ne fallait pas nous relâcher. Bien des pièges se tenaient encore entre nous et la sortie, à espérer nous jouer leurs mauvais tours. La bougie en main, je me sentais le cœur réchauffé et paré à affronter les prochains obstacles. En regardant l’état de mes compagnons, je ne pouvais toutefois leur ordonner de repartir avec moi dans ce dédale dès maintenant.

-Nous allons faire une halte, histoire que vous puissiez reprendre des forces. Nous repartirons dans vingt minutes tout au plus. D’ici-là, reposez-vous.

-Tu devrais les rappeler dans leurs pokéballs. Ce serait préférable pour leur santé. Emmène-les ensuite voir Needle.

-Mais…

-NE vois-tu pas qu’ils sont mal en point ?! Ton Ouisticram a clairement besoin de soins. Ce ne sont pas quelques minutes de repos qui le remettront sur pied.

Je devais me rendre à l’évidence… Elle avait raison. Ouisticram était à peine capable de marcher avec le soutien d’Embrylex. Résigné, je tirais sa pokéball de ma ceinture et le rappelais. C’était mieux ainsi. Quant à Crocrodil, celui-ci n’était pas en si mauvais état que cela. Je savais que de toute façon, il ne souhaiterait pas retourner dans sa pokéball. A force, j’avais presque oublié qu’il en avait une. Nous ne nous séparions jamais et même blessé, il continuait à lutter à mes côtés. Etait-ce de l’idiotie que de le laisser faire ? Je n’en savais rien et le Général Jackie me poussait à y réfléchir. Je sentais son regard lourd et plein de sens, posé sur moi. Elle voulait que je le rappelle lui aussi. Mon poing se serra, tandis que je cherchais quoi faire en mon fond intérieur. Quand Crocrodil n’était qu’un Kaiminus, il lui était déjà arrivé de se retrouver dans ce genre de situations. Je l’avais de suite porté et soigné, mais depuis son évolution, je n’étais plus capable de le faire. Sa taille avait doublé, en même temps que son poids. Au final, j’en revenais toujours à son évolution. Elle avait changé tellement de choses à son propos, sauf que je ne voulais pas qu’elle affecte notre relation. Nous avions pris des habitudes, l’un comme l’autre, et juste parce qu’il s’était transformé, tout se retrouvait chamboulé. J’étais encore capable de le garder auprès de moi, mais lorsqu’il deviendrait un Aligatueur, pourrais-je toujours le traiter pareillement ? Crocrodil était à la frontière des deux autres stades et des complications apparaissaient sans en être vraiment. Peut-être était-ce simplement moi qui étais dans le faux. Kaiminus avait évolué en Crocrodil, peut-être devais-je simplement évolué moi aussi et prendre conscience de notre nouvel relation. Doucement, ma main descendit vers sa pokéball, que je n’avais pas touché depuis des lustres. Elle était froide et presque poussiéreuse, pourtant, je ressentais cette même sensation au toucher que la première fois que je l’avais eu entre les mains. Elle était réconfortante et apaisante. Elle contenait presque une partie de l’âme de ce Kaiminus, que j’avais rencontré il y a de cela presque un an. Je ne pouvais m’empêcher de penser à lui, quand soudainement, une patte m’arrêta. Mes yeux glissèrent vers elle et Crocrodil qui me retenait d’appuyer sur le bouton d’activation de la sphère de capture.

-Crocrodil ?

-Crooo. Cro Crocrodil Crodiiil.

-Tu ne veux pas ? Mais tu es blessé. Le Général a raison, je ferais mieux de te renvoyer dans ta pokéball, où tu seras en sécurité.

-CRODIL !

-Mais… Et s’il t’arrivait quelque chose ?

-Crocrodil Crooo Cro.

-Tu en es certain ?

-Crocrodil !

Son sourire était des plus radieux et il avait l’air de savoir parfaitement ce qu’il faisait. Aussi vite que j’avais pris la pokéball, je la raccrochais à ma ceinture, restant rivé sur mon starter. Faisais-je un mauvais dresseur aux yeux du Général d’obéir à mon Pokémon ? Et après tout, est-ce que cela m’importait vraiment ? Je n’avais que faire du regard des autres, tout ce qui comptait, c’était de rendre heureux mes Pokémons. S’ils l’étaient, alors je l’étais aussi.

-Vous en avez terminé, les marmots ? On peut repartir ?

-Euh… Oui, Général. Nous arrivons. A mes deux Pokémons. Allons-y, nous avons encore un bout de chemin à parcourir.

Tous ensemble, nous sortions de la salle de l’autel et prenions la direction de la sortie. Le Général n’était plus en retrait comme au départ. Elle marchait fièrement à notre hauteur dans une démarche militaire, les bras toujours croisés dans son dos. Je me demandais s’il lui arrivait d’avoir d’autres postures ou si elle était constamment ainsi. En fait, je me rendais compte que je la connaissais peu. Elle était la référente des Pyrolis et s’occupaient des Pokéathlètes. Sa puissance légendaire et sa rigueur étaient réputées dans tout l’établissement. Hormis cela, je ne savais pas vraiment qui elle était, ni qu’elle avait été son parcours jusqu’à l’académie, à l’inverse de Ace dont les posters, affiches, et combats,  ornaient les murs de tout le dortoir.

-Général Jackie…

-Qu'y a-t-il, soldat ?

-Je me demandais, si…

-Allez-y, parlez. Je n’ai pas que ça à faire d’attendre.

Pourtant, je ne voyais pas ce que nous pouvions faire d’autre, alors que nous traversions cette grotte, éclairés par une simple bougie ne nous permettant même pas de voir à plus d’un mètre devant nous.

-D’où venez-vous ? Enfin, je veux dire… Que faisiez-vous avant de venir à la Pokémon Community ?

-Ça te regarde ?

Directe, intransigeante, impressionnante… Si je n’étais pas aussi surpris qu’elle me réponde aussi sec, je serais actuellement en PLS dans un coin de la grotte. Cela n’empêche pas quelques gouttes de sueur de perler sur mon front et mes yeux de trembler sous la pression qu’elle exerce. Je m’arrête brutalement au milieu du passage, tandis qu’ils continuent tous sur plusieurs mètres avant de se tourner vers moi. Je sens sa remarque venir, mais je l’interrompt avant.

-Général, j’ai entendu dire que vous prodiguiez des entrainements matinaux. J’aimerais en être !

A ce moment-là, un bruit similaire de corde qui se brise retentit et Crocrodil tourna vers nous une tête pleine d’excuses. Comme à la pyramide Kalalau, il n’avait su s’empêcher de continuer et venait de déclencher un nouveau piège. Un roulement bien connu se fit entendre et mon premier réflexe fut d’alerter tout le monde, bien que je sache que chacun avait très bien compris de ce dont il s’agissait. C’est alors que la boule de roc apparut et se rua sur nous. Je voulais attraper Embrylex, mais je n’arrivais à le soulever de terre. Je lui instiguais de fuir immédiatement. Mais alors que la boule s’approcha, sans même y jeter un œil, le Général Jackie frappa de son poing et le rocher se fissura de part en part, avant de s’effondrer en plusieurs morceaux sur le sol.

-Très bien, tu es le bienvenu. Je t’attends à la rentrée, 5h tapante devant le dortoir Pyroli. Aucun retard ne sera toléré. Est-ce bien compris ?

Encore abasourdi par sa puissance démesurée et non-exagérée par les récits de l’académie, je hoche la tête positivement, la regardant sourire et reprendre sa route comme si de rien était. Je me remettais alors de mes émotions et m’apprêtais à la suivre, lorsqu’Embrylex vint me voir, un œuf en main. Il était léger et sa coquille semblait très fine. Des marques turquoise le parsemaient, se combinant à un violet très sombre qui servait de toile de fond.

-Où as-tu trouvé ça ?

De sa petite patte, il me désigna le recoin où il s’était caché. Un renfoncement somme toute semblable à celui dans lequel ils s’étaient cachés au premier rocher. Un Pokémon avait dû déposer son œuf ici, nous ferions mieux de le ramener au Collectionneur, qu’il nous dise de quel genre il s’agit. En attendant, le Général s’était déjà bien éloigné et n’était plus à portée de vue.

-GENERAL ! Attendez-nous !

Je me mettais à courir à sa poursuite, protégeant la bougie des gouttes d’eau tombant du plafond. Cette partie de la grotte était plus humide que les autres et de l’eau emplissait l’espace au sol. On aurait même dit que de l’eau coulait des murs. Un piège, ayant déjà été activé par d’autres élèves, qui devait consister à une épreuve de survie aquatique. Mieux valait ne pas être claustrophobique dans cet environnement-là. Nous finîmes par rejoindre le Général, mais aussi la sortie de la grotte. J’aurais bien aimé dire que nous retrouvions la lumière du Soleil, mais il faisait aussi sombre à l’intérieur qu’à l’extérieur de la grotte. Les quelques bougies des élèves ressortis formaient néanmoins une zone éclairée où il était plus facile de se repérer. Nous étions désormais hors de danger et cette épreuve était terminée. Le Général s’approcha de moi et je me mis instinctivement au garde à vous, un réflexe qui pouvait sauver la vie.

-Repos soldat !

-Général.

-Nous en avons terminé avec cette mission. La larve a encore du travail si elle veut devenir un Papillusion, mais elle est en bonne voie.

-Merci Général.

-Je tenais toutefois à ce que vous sachiez que je vous préférerais en Rhinoféros. Il est bien trop facile de briser les ailes d’un Papillusion.

-Comptez sur moi pour ne laisser personne les atteindre.

-Tachez de les obtenir déjà.

Sans aucun salut, elle quitta les lieux et se dirigea vers un autre groupe d’élèves. Je la regardais partir, silencieux, et m’accroupissais une fois fait à côté de Crocrodil et Embrylex.

-Merci les gars, vous avez été géniaux. Allons trouver quelqu’un qui pourra vous soigner.