Un amoncela de couleurs bigarrés sur l’horizon qui charriait l’odeur sucrés des barbapapa et des churros. Il en jaillissait une mélodie de hurlements, des voix amplifiées par hauts parleurs miteux qui faisaient montés l’adrénaline du peuple et des musiques rythmiques qui battaient la mesure. C’était l’Enfer, en mieux. Adèle était au centre de cette apocalypse. Elle était pantoise et sa bouche était grande ouverte. Ses jambes qui menaçaient de céder devant l’énormité d’un tel spectacle et ses yeux qui doucement s’embrasaient de plaisir. Jamais, jamais sa grand-mère ne l’aurait laissé poser ne serait-ce qu’un seul pied dans cet univers de débauche. C’était facile pour la brunette d’imaginer la vieille mégère armée d’une baguette de bois, défendant l’entrée. Tout ici était réuni pour la faire sortir de ses gonds : le bruit, les rires, les cris, la malbouffe, les gens qui vomissaient leurs tripes derrière les buissons aussi. Autant de choses qui avaient poussé l’héritière Faust à s’approcher. S’approcher toujours plus près pour mieux distinguer le « parc », que dis-je, le zoo où une centaine de gamins venaient se faire exploser le cœur.
La dresseuse n’aurait même pas soupçonné l’existence d’un tel endroit, une infraction au code de la vie, un péril dangereusement appétissant. La fille avançait, hagarde devant tant de gigantisme. Elle était vêtue de son pull trop large, ses prunelles sarcelle dévisageaient avec excitation les manèges et les autos tamponneuses. La brune avait confié la garde de Gollum à Causette, l’Osselait faisait une très bonne babysitteur. C’était tant mieux puisque que la dresseuse ne comprenait toujours pas le fonctionnement d’une Pokéball. Elle lui aurait bien laissé Zola, si le rongeur ne s’était pas habilement glissé dans son sac. La boule de poils tricolore était partout depuis qu’ils avaient débarqué ici. L’Emolga avait jaillit comme un mauvais fou et semait la pagaille dans la fête foraine avec la malice qui le caractérisait. Loin de se sentir responsable, Adèle faisait preuve de lâché prise avec le starter. Elle était blasée par sa capacité à transformer en capharnaüm tout ce à quoi il touchait. Au bout de six mois, la jeune femme se résignait lentement mais surement à l’idée de devoir le supporter jusqu’à la fin de son internat.
Le bruit mat de l’explosion d’un ballon à sa gauche la fit tressaillir. La demoiselle fixa un instant ces petites sphères allongées et bariolées que les projectiles décimaient une à une. Cette vision la persuada qu’elle voulait aussi jouer. La grosse matraque à air comprimé l’appelait, le genre d’appel auquel la cadette Faust accourait. Les règles du jeu lui semblaient simples. Eliminez les cibles avec un fusil. Il n’y avait pas de temps imparti, pas d’obstacles, juste quatre misérables baudruches en cage à deux mètre de distance. Autant dire que le défi s’annonçait simplissime, la Givrali s’adressa au gérant avec sa voix de gamine capricieuse. L’homme, un vieillard aigri par le commerce et arrondi par la bière lui offrit un sourire sournois. L’adolescente s’en méfia aussitôt, son petit nez retroussé alors qu’elle s’impatientait de le voir jauger son visage. Elle allait s’en prendre à lui verbalement quand il daigna lui répondre de la voix bourrue et tranquille du vendeur dont la clientèle abonde.
« Enchanté mademoiselle, t’as pas un petit copain pour essayer de te récupérer le Teddiursa géant ?
_ Pour quoi faire ? Toi aussi tu cherches à refiler tes Pokémons ? »
Le vendeur qui servait tranquillement son baratin habituel resta un instant déconcerté. Ses yeux étaient étrécis de bêtise à la façon des Magicarpes et l’académicienne lui servit son froncement de sourcils le plus contrarié. Non, hors de question qu’on lui refourgue encore un de ces ventres sur pattes. Il n’y avait pas marqué Société Protectrice de Pokémons sur son front ! Si ce personnage, qui ne lui inspirait aucune confiance, persistait dans son projet foireux de lui faire don d’un Pokémon il allait le regretter. Ce dernier avait pris un peu d’assurance, il rigolait franchement maintenant, froissant l’ego de petite fille de la dresseuse qui lui fit remarquer avec le plus grand sérieux du monde.
« Quand tu ries, ton deuxième menton tressaute. »
L’effet fut immédiat. Le vendeur devint placide, empocha les pièces et lui donna une arme et des balles avant de s’éloigner. Loin de culpabiliser, Adèle était ravie. Non seulement elle avait obtenu ce pour quoi elle poireautait depuis au moins deux minutes mais en plus l’individu avait totalement renoncé à son projet de conversation. La brune admira son jouet d’emprunt, une pensée pour le général Jackie l’effleura. Peut-être que l’ardente blonde avait commencé avec des objets comme celui-ci. Une bouffée d’admiration pour la prof poussa la dresseuse à empoigner son arme à deux mains. Les doigts de la Givrali glissèrent naturellement sur la gâchette alors qu’un curieux sentiment de puissance s’emparait d’elle. Les vieilles gens que l’héritière avait fréquentés au manoir parlaient souvent de guerre avec des gagnants et des perdants. La brunette se sentait à la place de ces petits soldats envoyés au combat, pleine d’adrénaline et de rage de vaincre. C’était un peu comme la bataille de boule de neiges, sauf qu’en plus on avait un viseur. Elle avait aligné son œil et regardait maintenant les cibles rouges et bleues qui dansaient tout autour de l’encoche.
Le stock de balles n’étaient pas immense autant dire que la Faust n’avait pas le droit à l’erreur. Elle tira une fois, échec. Une colère sourde gagna aussitôt ses veines de la cadette qui surprit le regard victorieux et mauvais du forain. Il vint replacer une bille dans l’arme en silence, pendant qu’elle pestait à voix haute sur la piètre qualité du fusil incapable d’admettre sa défaite.
« Bah de toute façon une femme c’est pas fait pour ce genre de sport, ça sait pas tuer. »
Blasphème. L’académicienne aurait crié pour défendre l’honneur de sa prof d’athlétisme, mais devant le faciès mou et sale de son interlocuteur, elle eut une meilleure idée. La brune lui arracha l’arme des mains et fit volte-face. Face à la foule, elle choisit une victime au hasard et pressa la gâchette. Détonation. Le forain pâle comme un linge restait tétanisé derrière son comptoir. La foule s’animait de cris, hurlait au crime. Partout on courrait et au milieu de cette pagaille, Adèle restait bien droite, contrariée de ne pas savoir si, oui ou non, elle avait touché juste. Personne ne la soupçonnait, les passants n’imaginaient pas ce petit avorton de fillette tirer à bout portant.