Same story, again.
La situation tourne drôlement au vinaigre. Voilà que la personne qui est sensée nous accueillir retourne soudainement son manteau pour nous chasser dehors, Raudhr et moi. En plus, mon oeuf est coincé là-haut. On a plus le choix, il faut trouver une nouvelle solution pour pénétrer dans la maison. C’est une question de survie. Ou juste d’égo. Parce quand on est comme moi, ça se fait pas. Et … et puis… Merde ! Je viens d’arriver, je suis pas venu pour qu’on me foute dehors ! J’ai besoin de dormir, de me poser, pas de problèmes en plus !
Enfin, ça n’a pas l’air d’être mon été. Alors que Raudhr m’avoue qu’il ne lui avait jamais fait ce coup-là, nous marchons d’un même pas vers le centre du village. Il a beau ne pas être très grand, l’animation vaut bien celle de ses aînées. Je rumine en silence l’action qui vient de se dérouler. L’idée du déguisement n’est fondamentalement pas mauvaise. Mais les deux vieux n’ont pas l’air de beaucoup aimer accueillir des gens… A moins que…
°_ STU……… Stuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu. Ne m’ignore pas. Pas encore une fois. Je sais que ce genre de folies, tu kiffes bien… Mais va falloir te calmer. Je suis sûre que si vous rentrez dans une heure, la vieille aura déjà oublié. Ne songe pas plus longtemps à cette connerie. Tu sais pertinemment que Raudhr ne va pas vouloir. Regarde ce gros coincé.°Je la fais taire en me penchant plus près de ce joli stand de vente de bracelet. Il est vrai que KoniKoni fait sa réputation de part ce marché et ses ventes d’objets aussi divers que variés.
La réticence que Glaedr a mon idée ne fait que la renforcer. Et je vais être assez malin pour prendre mon nouveau coloc par surprise. Il ne va rien capter jusqu’à ce que mon plan soit parfait.
°_ T’es vraiment un gros entêté aujourd’hui.°Oui et le pire dans tout ça ? T’es obligée de supporter mes caprices, aussi débiles, immatures et nuls soient-ils. Héhéhé. Je surveille du coin de l’oeil Raudhr qui flâne à travers les allées, gardant toujours ses Pokémons dans son champ de vision. Je profite de ce petit instant pour rapatrier les miens dans leur Pokéball, à l'exception de Phy, Invy et Aisy qui se faufilent aisément à travers la foule.
Je penche mon buste au dessus d’une échoppe de bracelets de pierre semie-précieuses. Elles reflètent joliment le soleil et font un accessoire plus que parfait pour ce qui nous attend. Faisant mine de rien, j’en achète quelques uns, marmonnant dans ma barbe que c’est pour des cadeaux. Le vendeur me répète que c’est un excellent choix, j'acquiesce d’un mouvement de tête en lui adressant un petit sourire et empoche mes emplettes. Raudhr m’observe sans vraiment comprendre. T’inquiète, tu vas vite capter. Ou pas. Non, en fait, fait pas gaffe, tu risquerai de ne pas être trop d’accord avec moi.
Notre chemin nous mène bientôt devant un chariot vendeur d’orange. Ohoh ! Il a failli nous manquer d’un truc. Les vendeurs me proposent un jus d’orange, je décline poliment l’offre et demande plutôt quatre orange de taille moyenne. Parfait. Le piège va bientôt pouvoir se refermer.
Je me poste juste devant l’entrée d’un magasin de vêtements, attendant que Raudhr me rejoigne.
« _ Je dois faire quelques achats, tu viens ? »Sans plus de motivation, Raudhr me suit tout de même à l’intérieur. La dernière fois que j’ai fait les magasins avec un ami de l’Académie… ça a terminé en baiser passionné -oupas- devant le vendeur gay. Ahem. Je fais mine de chercher quelques choses de très précis au rayon pantalon pour ne pas laisser paraître ma gène. Allez ! Reprends toi ! Une toute nouvelle mission, une toute nouvelle aventure, peu de chances pour que ça termine de la même façon. Et puis… je ne vais pas réellement m’acheter des vêtements, si ?
Sans me laisser le temps de tergiverser plus longtemps, j’atrappe la manche de Raudhr pour l’emporter jusqu’au rayon femme. Ici, tout est carrément trop petit, même pour nos frêles carrures. Mais il ne me faut pas bien longtemps pour dégoter quelques trucs qui pourraient bien faire l’affaire. J'emmagasine une pile énorme de vêtements pour que nous nous retrouvions tout pile devant les cabines d’essayage. Je tends les déguisements à mon camarade, un sourire triomphale aux lèvres. Son visage se décompose tout juste sous mes yeux. Il devient tout pâle. Bichette ! Je lui fourre le tout sur les bras, le fait pivoter et l’envoie se changer. Sans vraiment prendre en compte sa petite remarque. C’est à peine si je l’ai entendu.
Durant ce lapse de temps d’essayage, je me mets en quête de chaussures. J’attrape deux paires, étant persuadé que ces bottes blanches iraient parfaitement à Raudhr et ces discrètes ballerines à talons pour moi. Je prends aussi le temps de choisir ma tenue, une jupe légère noire accompagnée d’un débardeur rose. Je ne sais pas qui se pourrait tromper avec mes épaules carrées et mes poils aux jambes mais… peut-être qu’avec ces oranges sous le maillot, ça pourrait le faire.
Je me retrouve devant la cabine du rouge au moment où celui-ci sort, habillé de la petite robe blanche. Si j’avais su que son “choix” se porterai sur ce type de vêtement, j’en aurais fait une plus vaste sélection ! Je me fends d’un sourire, la gêne qui lui colle à la peau est presque mignonne à voir.
Maintenant, direction les dessous féminins ! J’y connais pas grand chose mais j’observe deux filles qui ont l’air expertes dans ce domaine. J’entends certains de leur commentaire et, pour le reste, je me fie à mon intuition. Voyant le regard médusé de l’autre, je soutiens ma proposition :
«_ Allez ! Ca va rendre le tout plus vrai ! J’te jure ! » J’en chope deux, vérifiant autour de moi que personne n’y a vraiment fait attention. Sans prendre le temps de les essayer, on les glisse sous notre haut en même temps que les oranges. C’est pas très crédible mais en regardant de loin, dans le noir et en émettant l’hypothèse que les vieux sont bigleux, ça devrait passer.
Le moment de la caisse est on-ne-peut-plus gênant. Raudhr s’est réfugié sous un chapeau aux bords si larges que j’ai perdu depuis une bonne demie-heure ses yeux. Quant à moi, juste avant de sortir, je m’arme de mon dernier accessoire : un ruban aux motifs rouge que je noue dans mes cheveux à peine sortis du magasin. Nous sommes juste parfaits. Je profite d’un moment d'inattention de mon colocataire pour prendre un petit selfie en biais. Niquel ! Petit souvenir de vacances.
Le chemin pour retourner dans notre “chez nous” me paraît plus long qu’à l’aller. Déjà, parce que ces maudites ballerines à talons me font un mal de chien et qu’en plus elles me font me dandiner de gauche à droite comme quelqu’un de saoul. Et je vois bien que Raudhr à côté de moi est à deux doigts de se marrer. Enfin ! Il peut parler mais il a pris la technique du faible : ce grand chapeau, c’est trop facile. Alors que j’ai pris vachement plus de risques. On va voir qui joue le mieux à ce petit jeu-là. Après ce qui me semble être une éternité, nous arrivons enfin devant le porche du couple de vieux. Je ne réfléchis pas plus (sinon Raudhr aurait le temps de se faire la malle !) et frappe à la porte.
C’est à nouveau Tatsuya qui nous ouvre. Elle se fend directement d’un sourire en voyant nos deux petites bouilles déguisées et ne se questionne pas un seul instant grâce à mon redoutable déhanché.
«_ Mesdemoiselles, que me vaut l’honneur de votre visite ? »Tâchant de prendre un timbre de voix fluet, je lui réponds dans l’impro la plus totale.
«_ Eh bieeeeeen, chère madame… euh. Tout d’abord, excusez-nous de vous dérangez. Maaaaaais nous faisons en fait parties des jeunes recrues de l’église de l’île -voussavezcellequivénèrelesNatus- ! »Un léger silence s’installe mais le regard de Tatsuya finit par s’éclairer. Elle semble satisfaite de cette révélation.
«_ Quelle incroyable coïncidence ! Nous sommes tellement coupés du monde sur notre petite colline que nous ne savions même pas que cette église avait vu le jour ! Comment vous appelez-vous ? »Je réfléchis une fraction de seconde et le visage d’une amie proche m’apparaît comme par magie.
«_ Ida…. Idaliénor ! »Elle me sourit à nouveau et se tourne vers Raudhr, qui n’a pas l’air d’avoir capté la question. Je sens une perle de sueur couler le long de mon cou. Je continue à sourire bêtement… J’ai le temps de compter trois secondes dans ma tête avant qu’il ne se décide à répondre. Enfin… après que Tatsuya lui ait posé à nouveau la question. Un peu plus et il faisait foirer tout le plan ! Heureusement, la vieille a du prendre ça pour de la timidité… ben oui… Les p’tites filles, tout ça.
Nous entrons donc dans la maison que nous connaissons déjà. Nous nous attablons et le couple est plus jovial qu’à son habitude. Les questions pleuvent sur la soit-disant église à laquelle nous appartenons. J’enchaîne mensonge sur mensonge, espérant simplement que “Jasmine” soit capable d’accorder ses violons si elle se décide à parler. Je me prends drôlement au jeu et profite de l'engouement du vieux couple pour leur demander s’ils ont entendu parler des élèves de l’Académie de Lansat. J'obtiens en réponse une foultitude de termes aussi divers que variés. Un coup c’est très bien, l’autre fois c’est une folie. Je les laisse monologuer entre eux sans qu’ils ne prononcent jamais les noms de Raudhr et Aaron.
Aussi soudainement que surprenamment, Jasmine prend la parole pour demander où se trouvent les toilettes. Tiens ? Un problème de déguisement ? Je fronce légèrement les sourcils en regardant mon collègue monter les escaliers, quelque peu précipitamment. Uh ?
°_ Il t’a lâché.°Et merde.
Alors que je contiens sagement la conversation pour éviter les questions trop pointues sur une religion dont je ne connais que le nom, j’accueille presque avec soulagement l’arrivée de Raudhr, à nouveau lui-même. Je penche très fort “LÂCHEUR” mais il me dit bonjour. Comme si on ne se connaissait pas mais son regard en dit bien plus long. La vengeance a déjà sonné.
«_ Raudhr, c’est ça ? C’est mignon comme prénom. Ca te va bien. Et tu es charmant. »Ce qui n’est pas totalement faux. Le rouge a ce don un peu mystérieux et énigmatique qui ne me laisse pas de marbre. Et puis, il y a cette “chose” commune, terrée en chacun de nous. Je me dois de le garder à l’oeil. Je me lève, peut-être un peu brusquement.
«_ Je suis sûre qu’il se fera un plaisir de me faire visiter la maison, n’est-ce pas ? »Regard appuyé dans sa direction alors qu’il se résigne à emprunter à nouveau l’escalier. Je me concentre quelques instants pour ne pas m’étaler dans les marches avec mes talons. Arrivé en haut, j’enlève ces maudites chaussures et me précipite dans la chambre. Mes Pokémons se sont mis en formation serrée autour de l’oeuf, prêt à bondir sur le moindre intru. Je leur fait signe de se calmer, récupère l’oeuf pour le fourrer dans mon sac avec le reste de mes affaires. Hors de question qu’on reste plus longtemps ici. On trouvera une autre maison, d’autres hôtes, mais je ne reste pas une minute de plus chez ces fous. D’un commun accord tacite avec Raudhr et nous bouclons nos bagages.
Je n’aurais même pas passé une nuit ici. Honnêtement, ça vaut mieux. Je glisse mon sac sur mon épaule, rappelle mes Pokémons dans leur ball et me coule dans l’escalier le plus discrètement possible. Kento et Tatsuya sont plongés dans une longue discussion sur leur religion moisie et nous n’avons aucun mal à rejoindre la porte sans qu’ils ne nous accordent la moindre attention.
Nous n’avions plus qu’à trouver un nouvel endroit où dormir.
***
L’histoire nous apprendra que le courroux d’Elisabeth Snow à l’encontre des deux jeunes garçons fût tel qu’ils furent obligés de déposer à nouveau bagage chez ce charmant couple pour le reste de l’été. La cohabitation ne fut pas des plus simple mais, au moins, ils n’apprirent jamais qu’Idaliénor, Jasmine et leur église n’étaient que pure fiction.
Aaron S. Mightley