Algernon l'avait perdue de vue. Elle s'était élancée, contrairement aux autres élèves, sans hésitation aucune. Elle allait voler à nouveau, comme sur Alola, comme à dos de Dracaufeu. Mais portée par un Baudrive cette fois-ci. C'était plus lent, moins de voltige et plus de contrôle. Mais c'était au-dessus du sol malgré tout. Ce n'était pas lui, simple Picassaut, qui risquait de pouvoir lui offrir pareilles sensations. Alors il guettait. Mais de trop loin au point d'avoir perdu sa dresseuse hors de son champ de vision.

Il se rappelait son cri au moment du saut. Il se rappelait l'entrain qui l'avait poussée à basculer dans le vide. D'autres n'en avaient pas fait autant. Il était certain d'avoir aperçu la blonde danseuse qu'il connaissait bien pour lui avoir demandé de l'aide lors d'une nuit où son plumage était tombé. Arraché serait plus exact. Certain aussi d'avoir aperçu du coin de l’œil celui-là même qui avait fait voler en éclats son ramage. Mais cela, il n'en avait touché mot à sa dresseuse trop excitée à l'idée de décoller au-dessus des plateaux. De toute façon, elle n'aurait rien compris, comme toujours. Alors il était là à voleter, crevant les nuages qui le frappaient, combattant vent glacial et oiseaux sauvages. Il était là à parcourir ciel et terre puis terre et ciel.
Il était là mais Salomé, elle, n'était pas là.

Ça se perd pas, un Baudrive.
Ça se cache pas, un Baudrive.
Ça s'envole seulement avec le vent.

Il descendit en rase-motte le long du sol, slalomant entre les élèves en avance. Pas de chevelure  de feu dans les parages. C'était à cela qu'il la reconnaissait. Il s'arrêta un instant, la confondant avec une inconnue, mais reprit vite son envol en apercevant un Pokemon qui n'était ni une Plumeline, ni un Feurisson, ni un Germignon, à ses côtés. Autre facteur pour la distinguer d'entre la masse des étudiants. Mais le souci ne se posait pas d'ordinaire ; il ne la quittait pas, toujours lové dans ses mains ou perché sur son épaule gauche. Cette sortie chamboulait tous ses repères. Une épreuve de plus pour lui.

Il se souvient des professeurs et de leurs consignes, de la montagne et de son chiffre étrange, de l'avion et de son vrombissement, des étudiants et de leur panique.
Et de Salomé qui avait l'intention de tenter quelques acrobaties accrochée à son Baudrive.
Il n'abandonne pas. Entre roche et neige, glace et vent, il continue de survoler les différentes zones. La rousse a toujours ses pokéball avec elle, elle saura se débrouiller. Mais au cas où, lui aussi est dans les parages, à la recherche d'une crinière rousse qui saura lui brûler les prunelles.
Le rouge sur le blanc, c'est tout ce qu'il a en tête.

Il fit le tour des terres à l'aide de ses ailes fines et tremblantes.
Le ciel était à lui.
La terre était à elle.

HRP :

Je choisis ceux-là, merciii :

Il n'y avait rien.
Juste des falaises trop lisses et des cailloux à ses pieds.
La rousse laissa sa main sur la roche, tentant d'évaluer si l'escalade était possible ou non. Elle avait l'habitude des branches et des arbres, certainement pas d'une paroi sans aspérités auxquelles s'accrocher. La demoiselle redressa la tête, apercevant un fragment du ciel au-dessus d'elle. Cette toile de bleu distillé de blanc était son objectif.

— T'as vraiment déconné cette fois-ci, hein ?

Salomé sursauta avant de se retourner. Elle ne s'était pas attendue à croiser quiconque dans ce désert polaire. Elle regarda de gauche à droite, balayant l'espace confiné dans lequel elle se trouvait. Quelques bruissements et des bruits de pas résonnèrent, des essieux martelaient le silence, un vacarme qui n'en finissait pas. La rousse ouvrit de grands yeux face au cortège qu'elle avait là ; une charrette accompagné d'un jeune homme au visage dissimulé sous un large feutre sous lequel elle devinait une chevelure noire en bataille poursuivie par une tresse fine et rouge. Seul son sourire fendant son visage en deux était visible. Une cape toute aussi sombre reposait sur ses épaules, incapable de se mouvoir et immobile sous cette absence d'air et de gestes.

— Est-ce que tu es... Un élève ?

Mais lui était trop âgé pour étudier à l'académie. Elle le pressentait. L'inconnu se para d'un rire bref avant de se laisser tomber dans la charrette, visiblement à l'aise dans ce lieu exigu. Il y avait tout juste assez de place pour lui et tout son bazar. La Givrali, elle, avait fini par se laisser glisser au sol, son sac sur ses genoux, cherchant à tâtons pokéball et tout ce qui aurait pu être lui utile pour fausser compagnie à cet individu peu commun.

— Ça ne sert à rien. Tout est resté en haut, fit l'inconnu en pointant le ciel du doigt, Algernon te cherche sûrement mais difficile d'arriver jusqu'ici...
— J'y suis bien, moi ! cracha la gitane, t'en sais rien s'il y arrivera pas !

Elle disait cela mais il connaissait malgré tout le nom de son starter. Elle n'avait pas la force de s'interroger davantage. Tout cela lui paraissait trop irréel pour être vrai. Pourtant elle était bien là. Elle sentait le gel l'engourdir un peu plus alors que son dos rencontrait le froid de la pente. Salomé renversa son sac pour en inspecter le contenu ; rien. Rien que le vide et le néant sous ses yeux infinis.

— Ton œuf, tu as dû le perdre en faisant tes acrobaties de l'extrême. Faut vraiment être totalement stupide pour se lancer dans des exercices périlleux accrochée à un Baudrive... C'est pas une monture, un Baudrive, tu le sais, ça ?
— Tu étais là ?
— À ma manière, oui. Mais on s'en fiche de moi, d'accord ? Ce n'est pas ça le plus important.

Il était froid et sec comme l'hiver. Salomé continuait d'épier les alentours. Elle aurait aimé sentir la présence de Django auprès d'elle pour la réchauffer. L'ombre de Chayana aurait pu lui porter secours comme à son habitude tant ses os et ses muscles la faisaient souffrir. Et ce n'était rien face au mal de crâne qui l'habitait depuis qu'elle avait ouvert les yeux. Elle se rappelait l'avion, elle se rappelait le vide puis plus rien. Juste un trou noir. Elle avait beau se concentrer pour se souvenir, la mémoire la fuyait à chaque fois qu'elle manquait de mettre la main sur l'une ou l'autre réminiscence. Elle ne pouvait que se fier aux paroles de cet individu qui lui filait la chair de poule.

Mais hors de question de rester les bras croisés ici. Elle se redressa d'un bond, tentant l'ascension de cette paroi qui la séparait du monde. Son bras se perdait le long de l'inclinaison, sa main hésitait le long des aspérités invisibles. Tout était trop vertical pour elle.  Elle eut beau tenter de s'y accrocher par tous les moyens, son corps ne faisait que glisser au sol, encore et encore. Elle s'agitait et s'épuisait en vain sous le regard sombre de l'inconnu. Deux chandelles paraissaient vriller ses prunelles, ajoutant un peu d'éclat à ses traits, deux chandelles aux flammes aussi hésitantes que vivantes.

— Tu pourrais m'aider au lieu de te moquer ! Me faire la courte échelle, me porter, je sais pas ! Ou m'indiquer une autre sortie ! Ça doit bien se trouver, non ? Y a pas que le ciel pour débarquer ici !
— Tu peux toujours creuser un tunnel si ça t'amuse... Bon courage, j'espère que tu as du temps devant toi.

Cela ne servait à rien.
C'était comme parler à un mur. Elle s'y heurtait, encore et encore face à ces réponses toutes prêtes qui ne l'aiguillaient pas vers un avenir certain. Juste vers un hasard un peu plus flou. Elle se laissa choir au sol, encore une fois, plus épuisée que jamais par ses tentatives vaines. Elle avait toujours aussi froid, plus encore que tout à l'heure, ce qui était inconcevable au vu des efforts physiques qu'elle venait de fournir.

***

Du rouge sur du blanc.
L'oiseau avait fini par repérer ce qu'il cherchait. Il s'approcha, son vol modéré face au vent contre lui, jusqu'à finalement se poser.
Du rouge sur du blanc.
Il reconnaissait cette crinière rousse. Il reconnaissait ce corps allongé dans la neige. Il reconnaissait Salomé.
Ses ailes frôlèrent le visage de sa dresseuse. Ses yeux clos laissaient présager le pire. Il se mit à piaffer, tentant de l'éveiller de son sommeil. Plus fort encore. Jusqu'à s'en donner mal à la gorge. Mais c'était toujours la même réponse à son cri de détresse ; le mugissement glacial de la montagne.
Algernon reprit un peu de hauteur, battant des ailes pour tenter d'apercevoir le monde qui s'agitait face à lui. Il ignorait si les étudiants étaient proches du point de chute de Salomé. Le Baudrive était encore là, attaché à sa taille, chahuté par les rafales sévères et violentes. Le Picassaut redescendit au sol. Il connaissait l'équipe de sa dresseuse, il savait qu'eux pouvaient faire quelque chose jusqu'à ce que quelqu'un de plus qualifié ne s'en mêle.
De son petit corps fin et minuscule, il se faufila sous le pan de tissu qui recouvrait à la fois l’œuf offert pour Noël et les différentes pokéball. Depuis son bec, il appuya sur les boutons minuscules, dévoilant leurs occupants tour à tour.
Bonjour Django, bonjour Phoën, bonjour Miss Acacia, bonjour Chayana.
Il se retira alors, tournoyant autour du corps de Salomé pour que chacun puisse faire ce qu'il avait à faire. Il ne savait pas encore quoi mais eux paraissaient comprendre la gravité de la situation. Aussitôt, le couple de Feurisson se roula en boule près de la Givrali, l'entourant de leur chaleur corporelle et de leurs flammes bleutées et rougeâtres. La Germignon, elle, ne cessait d'employer Vibra Soin, laissant un flot de chaleur envahir le corps de la rousse. Elle paraissait concentrée sur sa tâche, sans que rien ne puisse ébranler ses pensées et sa détermination. La Plumeline, elle, se tenait près des pieds de sa dresseuse. Elle paraissait saisir l'ampleur de la situation mais n'agissait pas plus que cela malgré les cris incessants du starter.

Peu à peu, une empreinte sinueuse se creusait dans la neige. Algernon avança dans l'étendue blanche, bec en avant, tandis que le silence paraissait accompagner l'ombilic sinueux qui se propageait. L'oiseau fit encore un pas, puis deux, puis trois, avant de se retrouver bec contre truffe face au Pokemon bleu. Le serpent se redressa, sifflant à sa manière, avant de retomber au sol pour continuer son bout de chemin. Le Minidraco longea la rousse pour se faire accueillir à grands coups de grognements et de flammes de la part du Feurisson chromatique. Il n'avait jamais vu cet étrange spécimen mais hors de question qu'il fasse un pas de plus près de Salomé. Django se fit plus imposant, gonflant ses flammes bleutées aux teintes proches du Minidraco sous le regard effaré de ce dernier. Le petit, désespéré, voyait ses prunelles se perdre entre toute cette horde apprivoisée jusqu'à glisser sur l'humaine allongée.

Ce fut Algernon à l'initiative de cette merveilleuse idée.
Algernon et son intelligence à toute épreuve.
Le volatile s'en était allé fouiner dans le sac de sa dresseuse à la recherche d'une des précieuses sphères. Vide, cette fois-ci. Il la fit rouler près du Minidraco qui ne se méfiait pas. Depuis son bec, il poussait la ball avant de finalement appuyer dessus et de voir un halo rouge enfermer le Pokemon sauvage. En un éclat, il avait disparu. Ne restait plus que la pokéball qui remuait sous le regard intrigué de l'oiseau.
Et de tous les autres, circonspects face à cette décision qui ne leur appartenait pas. Comme s'il n'y avait rien de plus important en cet instant qu'une stupide capture.

HRP :

Elle avait chaud. Trop.
Elle transpirait presque alors qu'elle n'avait pas bougé. Elle porta un regard interrogateur sur l'inconnu mais lui ne disait rien. Lui observait seulement. Elle avait chaud de la tête jusqu'aux pieds, dans ses os et dans ses muscles. Elle avait chaud et se cogna face à une prise qui n'était pas là un peu plus tôt.

Et il n'y en avait pas qu'une. Tout un chemin d'escalade qui se dessinait là sous ses yeux. L'autre eut un geste de surprise aussi. Apparemment, cela contrecarrait tous ses projets. La charrette resterait vide un jour de plus ; il lui faudrait trouver quelqu'un d'autre pour la remplir. Salomé eut un sourire avant de porter sa main sur la première aspérité. C'était réel. Rien ne s'effritait. Elle la saisit pour se hisser et avancer son corps entier contre la paroi lisse qui ne l'effrayait plus désormais. Elle avait toujours aussi chaud, comme une chaleur divine qui l'entourait des pieds à la tête. Elle se retourna, jouant encore une fois les acrobates, ne tenant plus qu'à la force d'un de ses bras pour saluer une dernière fois le garçon dont elle ignorait le nom :

— Tu vois ? Je n'ai même pas eu besoin de ton aide, finalement !
— Tu ne pourras pas fuir éternellement, viendra un moment où il faudra bien que tu y ailles, dans ma charrette.

Mais pas aujourd'hui.

***

Mais quel crétin, cet Algernon !
Tandis que Salomé était en train d'agoniser, lui lançait des pokéballs à tout va. C'est qu'il était concentré dans sa tache, observant du coin de l’œil s'il avait réussi ou non son lancer. Et c'était le cas. Voilà que la Givrali se retrouvait avec un nouveau Pokemon sans avoir rien demandé, inconsciente qu'elle était. Le volatile s'envola, piaffant de joie face à cette capture réussie sous le regard consterné du Feurisson chromatique. Irrécupérable, vraiment. L'animal eut un soupir avant de pousser du bout du museau la prison du Minidraco. Avec un peu de chance, il pourrait l’enterrer dans la neige et tout serait oublié. Mais c'était sans compter sur le Pokemon anciennement sauvage qui venait de se libérer pour surgir à moins d'un mètre de Django. Ce dernier fit un bond en arrière avant de grogner face au reptile bleuté. Cet animal ne lui inspirait guère confiance ; toujours se méfier des serpents. Mais le Picassaut, lui, s'approcha, sans crainte aucune. Bien trop stupide pour être effrayé. Sans oublier que d'un point de vue purement formel, ce Minidraco était sien. Quelques piaffements suivis de cris aigus et le dragon s'installa près de la rousse.  Algernon revint parmi les siens, se posant sur la feuille instable de Chayana qui n'en finissait pas de porter des soins nouveaux à la rouquine. Des soins qui paraissaient porter leurs fruits ; le corps de la rousse bougea. À peine mais c'était un signe de vie malgré tout. Puis un autre. Jusqu'à ce que ses prunelles de rubis ne s'ouvrent en grand. La Germignon appela les autres à sa manière et à nouveau, un attroupement se forma autour d'elle.

Elle avait mal partout. Au crâne surtout, elle porta sa main par réflexe à sa tempe, découvrant des mèches plaquées par la sueur et l'humidité. Elle était congelée, aussi se réchauffa-t-elle près des flammes des deux Feurisson, se calant contre leur fourrure. Salomé avait encore les idées embrumées, et du mal à réaliser tout ce qui venait de se passer mais ne manqua pas de remarquer les iris emplis d'espoir et de peur passée de la part de son équipe.

— C'est bon, c'est bon, calmez-vous ! Je vais bien, promis !

Pas totalement.
Elle se redressa, la tête lui tournait encore. Elle s'accrocha aux ficelles du Baudrive pour ne pas chuter. Lui aussi était resté sagement à ses côtés en attendant son réveil. Combien de temps depuis son sommeil ? Le soleil avait décliné, l'heure de rentrer était proche. Pas de capture pour elle aujourd'hui. Au fond, ce n'était peut-être pas plus mal.
Mais Algernon et Django se donnaient en spectacle. L'un piaillait pendant que l'autre grognait. La rousse ne comprenait rien. Elle eut un soupir, avant de tenter d'instaurer un calme illusoire :

— Okay, okay, pas trop vite et pas en même temps, hein !

Mais cela ne changeait rien. Elle ne comprenait toujours pas ce que l'un et l'autre tentaient de lui narrer. Le volatile paraissait enjoué tandis que le hérisson enflammé, au contraire, était furieux. Une colère destinée contre le Picassaut. Elle leva les yeux au ciel avant de voir son starter s'agiter à la place qui était sienne quelques instants plus tôt. Son corps avait creusé une large empreinte. La trace fut bien vite perforée par une queue bleutée qui s'agitait. La demoiselle eut un mouvement de recul avant d'apercevoir la tête reconnaissable d'un Minidraco. Il paraissait amical et déjà Algernon s'en était allé vers lui, échangeant dans sa langue avec le dragon d'aquarelle.
Elle était sur le point d'expliquer à son starter qu'elle n'avait pas le temps pour une capture. Encore moins l'envie. Elle voulait juste rentrer et se reposer. Mais l'oiseau fit rouler à ses pieds une pokéball. Sûrement une des siennes. Qu'il ne compte pas sur elle pour l'attraper. Elle l'ignorait, faisant rentrer ses Pokemon terrestres et se préparer ainsi au voyage du retour. Seul restait son Picassaut qui pourrait l'accompagner comme à l'aller. Picassaut qui ne souhaitait pas abandonner et, voyant que sa dresseuse ignorait complètement la sphère, appuya sur son bouton en son centre tandis que cette dernière pointait le dragon. Alors il rentra gentiment dedans, comme tout bon Pokemon sous pokéball.

— Non mais quoi... ? Qu'est-ce que... Il peut pas être à moi, lui, c'est la première fois que je le vois !

Elle ramassa la sphère pleine, dépitée. Elle ne comprenait plus rien. Si quelqu'un pouvait lui expliquer comment elle s'était retrouvée l'heureuse propriétaire d'un Minidraco alors qu'elle délirait dans son sommeil, ce serait bienvenu.

— Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi... ?