Confortablement allongée dans la méridienne, Erica « jouait » avec ses jambes tout en regardant langoureusement le Dr. Klaus. Le bougre était coriace, mais elle s’était juré de réussir à le faire craquer avant la fin de sa thérapie. Elle n’éprouvait pas de quelconques sentiments à son égard, mais ce petit jeu l’amusait terriblement. Oui, tout ceci n’était plus qu’un jeu pour elle depuis ce jour.

« — Bien, dit-il en avalant bruyamment sa salive, nous avons fait beaucoup de progrès cette année… J’aimerai donc faire une bonne fois pour tout le point avec vous. Reprenons tout depuis le début.

— C’est vous le doc', doc'… dit-elle sur un ton des plus amusés, alors… »

La jeune femme se leva, elle n’était pas le genre de patient qui se confiait plus facilement une fois allongé, elle préférait parler tout en faisant les cent pas dans la salle, et cela lui semblait d’autant plus amusant de titiller le docteur ainsi avec les petits claquements que provoquaient ses talons sur le parquet.

«  — J’ai eu une enfance sans histoire, je sais que ça vous emmerde vous autres adeptes de psychanalyse concernant cette période la vie, mais je n’ai vraiment pas grand-chose à raconter à ce sujet. Je suis née à Unys, dans une charmante ville sans histoire. Mes parents étaient tout deux des dresseurs très talentueux, ils étaient d’ailleurs champions de la petite arène locale. Elle n’était pas officielle, il n’y avait aucun badge à la clé, mais les dresseurs appréciaient s’y arrêter pour juger leur niveau. J’étais fille unique, et il était clair que mes parents étaient désireux de me voir reprendre le flambeau plus tard. J’ai donc eu mon tout premier pokémon très tôt, vers mes 7 ou 8 ans il me semble. C’était un Poussifeu que mon père avait capturé lors de nos vacances à Hoenn, pendant que nous faisions une cure thermale à Vermilava. J’étais très heureuse d’avoir mon premier pokémon, mais penser à la raison pour laquelle il m’avait été confié si jeune me rendait malade. Je ne voulais pas être dresseuse, courir après les badges pour devenir la meilleure et ensuite reprendre l’arène me passait à trois milles lieux au dessus de la tête. »

Erica soupira légèrement, se retourna vers le docteur et alla s’asseoir de façon nonchalante sur l’un des accoudoirs du fauteuil sur lequel ce dernier était assis, ce qui ne manqua pas de le faire quelque peu reculer de surprise. Elle s’adressait maintenant de manière plus directe à lui, en le fixant droit dans les yeux, tout en continuant bien évidemment son petit jeu de séduction en s’humidifiant sensuellement ou mordillant de temps à autre les lèvres. Cela faisait son petit effet, Dr. Klaus semblait avoir beaucoup de mal à conserver un parfait contact visuel avec sa chère patiente.

« — De ce côté-là, nous nous ressemblions je suppose. Déjà petite je rêvais de faire des études médicales. Ce n’était pas très commun à un âge où tous les enfants de ma ville rêvaient de rentrer dans la secte des scouts en short qui aimaient agresser les jeunes dresseurs en leur envoyant des pokémons insectes de toute sorte. Mais c’est une autre histoire. J’ai pris le plus possible sur moi-même, j’étais leur seule fille, je ne pouvais pas les décevoir.
Ils me forçaient à entraîner quotidiennement Poussifeu. Leurs espoirs étaient grands… Mais j’ai évidemment craqué… C’était le jour où Poussifeu évolua en Galifeu. Je devais avoir 9 ans, mais ils voulaient déjà m’envoyer à la conquête des badges. Au fond, ils ne valaient pas mieux que tous ces irresponsables qui envoient leurs gamins mener une vie de vagabond. J’ai donc décidé de leur dire tout ce que j’avais sur le cœur : mes rêves d’études, d’avenir, … Ah ça leur en a fait un choc ! Avec le recul, c’était peut être encore pire que quand je leur ai présentée Lilly pour la première fois. »

Elle baissa machinalement les yeux et esquissa un sourire que Dr. Klaus s’empressa de prendre en notes. Une fois assurée de la réaction de ce dernier, elle reprit sa tirade.

« — Mais c’est encore une autre histoire, j’y reviendrai dans quelques instants si le temps me le permet. Ils étaient donc choqués, mais ont fini par l’accepter, c’était une vocation tout aussi digne d’intérêt à leurs yeux. Ils me laissèrent donc suivre une scolarité normale et m’accordèrent leur attention pour me préparer au mieux à mes futures études. Je prenais toutefois encore un peu de mon temps pour l’entraînement. Je savais que ça leur faisait plaisir, et j’attrapai même un second pokémon ! Un Magicarpe qui évolua plutôt rapidement en Leviator. Galifeu avait aussi évolué entre temps en Brasegali. C’était donc avec ce sentiment d’accomplissement que j’entamai mes études de médecine peu après ma majorité. »

Erica se releva et alla se poster près de la fenêtre pour contempler l’horizon afin de poursuivre son récit dans un ton à la fois mélancolique, mais aussi plein d’espoir, tourné vers le futur. De nouveau, le docteur prit des notes. La facilité avec laquelle elle parvenait à lui faire croire à sa rémission la faisait beaucoup rire intérieurement.

« — Certainement les meilleures années de ma vie… Je suis arrivée ici, à Volucité, des étoiles plein les yeux. Tout me paraissait si grand, si beau, … Ah ça me changeait bien de ma « campagne natale » ! Les premières années de fac furent les plus éprouvantes pour moi. J’avais toujours eu beaucoup de facilité d’apprentissage, mais ce qui était demandé ici était tout autre, et je ne pouvais plus autant me reposer sur mes acquis qu’auparavant. Mais j’ai réussi, j’enchainais les stages en milieu hospitalier, je rencontrais des tas de gens tous si différents les uns des autres, mais néanmoins tous si intéressants... Et puis mes années d’internes débutèrent. Avec les responsabilités s’y rattachant… Je m’en souviens comme si c’était hier ; je venais d’avoir 25 ans, et cette fille allait changer ma vie.

— Lilly… marmonna Dr. Klaus. »

Elle se retourna plus ou moins brusquement en entendant ce nom. Elle avait pris soin cependant de garder cet air nostalgique et apaisé qu’il voulait tant voir. A cet instant, elle pensa sincèrement qu’il essayait de jauger sa réaction. S’en suivit alors une intense réflexion de la part d’Erica sur quelle attitude adopter face à lui pour la suite de son récit.

► Il m’attaque volontairement… Je ne peux feindre l’inintérêt, il comprendrait de suite que je joue la comédie. Non, ce qu’il veut, c’est que je réagisse, mais que veut-il voir réellement ? Si je lui montre que cela me touche, que pourrait-il en déduire ? Que je n’ai toujours pas réussi à tourner la page… Mais dois-je réellement la tourner ? Est-ce vraiment ce qu’il pense être la meilleure solution ? Lui faire croire que tout va pour le meilleur des mondes désormais apparaît de toute évidence trop suspect, et je ne pourrais difficilement pas surjouer.
Tss.. Enfoiré, tu es censé la clouer pendant toute la séance pour ne pas bloquer le patient… Un tel manque de professionnalisme me déçoit venant de l’homme qui a su résister à mes avances si longtemps… Tu vas voir ce que tu vas voir après, je ne manquerai pas de…

Soudainement inspirée, elle s’adossa au mur pour faire face à son interlocuteur. La meilleure des défenses n’est autre que l’attaque ; c’est ainsi qu’elle avait décidé de conclure son histoire sous l’assidue prise de note de Dr. Klaus qui ne manquait toutefois pas une miette du spectacle que lui offrait la jeune femme qui déboutonna un bouton de plus de son chemisier.

« — Ce n’est pas bien d’interrompre le patient, doc', on ne vous a pas appris ça à la fac ? lui dit-elle avec un sourire narquois. Mais faisons pour l’instant l’impasse sur votre évident manque de sérieux, sérieux que nous tâcherons de rectifier un peu plus tard si vous le voulez bien, murmura-t-elle sur la fin. Bien, où en étais-je ? Ah oui, je disais que je venais de débuter l’internat. C’est cette année là que j’ai rencontré Lilly, elle était en stage et était sous ma supervision. J’étais en radiologie, et elle était là pour observer les appareils dans le cadre de son module d’étude sur les appareils à la pointe de la technologie dans le domaine de la santé et de la recherche. Après des débuts tumultueux, le courant a finalement commencé à s’installer entre nous et nous avons très vite conclu. »

Elle marqua un temps d’arrêt, le regardant avec un air provocateur avant d’ajouter :

« — Je sais que ça vous avez fait beaucoup d’effet lorsque je vous en ai parlé la première fois, mais non, je ne reviendrai plus sur les détails. Et puis je serais capable de vous parler d'elle pendant des heures, vous savez. C'était une fille si formidable... Cette relation d'un an à ses côtés a été la plus belle idylle que j'ai pu vivre, aussi bien avec une femme qu'avec un homme. C'était intense, fusionnel... Elle est la première personne à m'avoir fait croire en l'amour, le vrai. Et pourtant, je l'ai tuée.

— Ne dites pas ça, vous avez fait le bon choix, il n'y avait plus rien que vous pouviez faire pour elle dès lors qu'elle fut déclarée cérébralement morte... »

► Peu importe sous quel angle on analyse la situation, je suis en partie responsable de ce qu'il lui est arrivé ! Si je ne lui avais pas amené ce pokémon chromatique que je venais de capturer... jamais tout cela ne serait arrivé. Jamais elle ne l'aurait étudié seule dans son laboratoire ce soir-là. Jamais ces voleurs ne seraient entrés par effraction pour le dérober... Jamais elle n'aurait essayé de s'interposer... Elle serait encore là à l'heure qu'il est  !

La jeune femme serra discrètement son poing et inspira calmement pour se contenir avant de répliquer :

« — Je sais bien, mais cette décision fut tout de même très pénible à prendre... En y repensant, je n'aurai peut être jamais pu me faire une raison sans votre aide.

— Bien, dit-il en refermant son carnet, je crois que nous en avons fini pour aujourd'hui. Et fini tout court aussi d'ailleurs. Votre état s'est très clairement stabilisé, je vous félicite pour le travail que vous avez réussi à effectuer sur vous même, ce n'est jamais facile de se relever après la perte d'un proche...

— Et moi je vous félicite pour votre professionnalisme à toute épreuve, doc'... dit-elle sur un ton amusé en déboutonnant un énième bouton de son chemisier. »


Lorsqu'elle se réveilla le lendemain matin dans les bras de Karl (alias le Dr. Klaus), ce dernier était déjà réveillé.

« — Qu'est-ce que tu comptes faire maintenant ? Tu vas continuer tes études ?

— Tout reprendre à zéro loin d'ici. Je t'avais parlé de ce Mushana que Lilly étudiait ? Eh bien je l'ai vu : la recherche, c'était toute sa vie, c'était son rêve... et je compte bien le perpétuer en sa mémoire.

— Tu es sûre que tu ne vas pas regretter de tout plaquer juste avant ta thèse ? Et où comptes-tu aller ?

— J'y ai beaucoup réfléchi, tu sais, et ces années ne sont pas perdues, je vais pouvoir mettre mes connaissances à profit dans autre chose, c'est tout, dit-elle en marquant un temps d'arrêt avant de répondre à la seconde question, j'ai trouvé une maison sympa sur l'ïle Lansat, c'est calme, ça me changera de Volucité. »

► Ouais, c'est calme... et c'est surtout là-bas que sont partis ces salopards... Depuis le temps que j'attendais de les retrouver pour leur faire payer...


Quelques jours et formalités plus tard, Erica arriva enfin sur l'île Lansat, bien décidé à mettre la main sur les autres grands coupables de la mort de Lilly.