Sous un soleil de plomb, une petite bête à plumes
SC Été 2018
« - Tu t’es battue, n’est-ce pas ? »
Le silence régnait dans la pièce, seulement troublé par les respirations de chacun. Assise devant le kotatsu, profitant de la chaleur de ce dernier pour réchauffer ses mains glacées posées sur ses genoux, Shiori détourna le regard. Elle ne pouvait pas mentir. Bien sûr qu’elle s’était battue, ce jour-là. Bien sûr qu’elle avait saisi la première occasion pour se battre, se défouler, comme avant. Tout du moins, c’était ce que l’on pouvait penser. Mais ses parents n’étaient pas idiots : un jour, ils apprenaient qu’une organisation criminelle avait pris le contrôle de l’île où était supposée être leur fille et en sécurité, et le lendemain, ils la retrouvaient couverte de bleus, de blessures, les yeux cernés et son Tauros en piteux état lui aussi. Et puis, ils la connaissaient bien. Ils savaient que tout était une excuse pour frapper. En tout cas, selon eux, ce n’était que ça.
Son père poussa un grognement, reprenant ses cent pas à côté d’elle et de la table. Sa mère, assise en face d’elle, semblait se retenir à grand peine de pleurer. Elle tremblait, serrant entre ses doigts un mouchoir qu’elle essayait de cacher, mais qui était déjà trempé.
« - Je n’arrive pas à y croire… » souffla son père avant de revenir en furie vers elle. « Tu es folle ?! Inconsciente ! Tu aurais pu te faire gravement blesser ! Ou pire ! Ce n’est pas une simple petite bagarre entre collégiens ! Ce sont des adultes mal intentionnés ! Et tu t’es battue avec eux ! Et tu l’admets, en plus ! »
Une baffe partit, la heurtant à l’arrière du crâne, provoquant aussitôt les protestations de sa mère. La tête basse, la jeune fille tourna les yeux vers ses frères, qui regardaient la scène, se tenant dans l’encadrement d’une large porte coulissante. Son jumeau se contenta de remonter ses lunettes sur son nez, mais elle ne lisait aucun jugement en lui. Cela la motiva à rester silencieuse et à endurer la dispute, qui continua de plus belle pendant plusieurs minutes, avant qu’un calme lourd et oppressant ne s’empare des lieux une fois de plus.
« - Puisque tu as encore besoin de te défouler et d’être disciplinée, je vais m’en charger moi-même. Va dans ta chambre et prépare des affaires de course. Debout et préparée ici à six heures pétantes demain matin. »
Tout le monde se dispersa progressivement, et Shiori retourna à sa chambre, notant que son frère la suivait. Elle tenta de lui fermer la porte au nez, mais Shouhei était rapide, son bras venant bloquer d’un coup sec le mouvement du panneau de bois. Elle n’avait pas envie de parler, mais il le savait très bien. Calmement, il referma derrière lui, prit les mains de sa sœur et l’invita à s’asseoir sur le tapis. Ils n’avaient que peu de points communs, si ce n’était leur naissance même, mais le jeune homme avait au moins un bon point : il ne la forçait jamais à utiliser sa voix. Il leva ses mains, commençant à utiliser la langue des signes, lui demandant de lui expliquer, la laissant s’exprimer, dire à quel point elle avait juste voulu bien faire, puis que les bruits forts l’avaient déstabilisé. Elle lui raconta même les détails que leurs parents ne connaîtraient pas. Elle lui faisait confiance malgré leurs différences.
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« - ALLER ! PLUS VITE ! »
Il la faisait courir depuis maintenant plusieurs heures tout le long de la Route 7, ne l’autorisant à s’arrêter que pour boire et faire quelques étirements. Il croyait sans doute que l’épuiser physiquement allait suffire à la calmer, et peut-être qu’il n’avait pas si tort que cela, après tout. Cela lui permettait de ne plus avoir à penser, de simplement se laisser porter par son corps sans chercher plus loin, sans avoir à élaborer des réflexions complexes. Les quelques passants autour étaient stupéfaits, mais n’osaient pas interpeller le duo, s’écartant au passage du Tauros imposant qui les suivait tranquillement, portant sans broncher le sac de sa dresseuse.
Le souffle court, elle ne put résister au besoin de s’arrêter, s’appuyant sur ses genoux pour reprendre sa respiration. Son attention fut toutefois attirée par un bruit dans les herbes, puis une ombre lui passant au-dessus, lui faisant relever la tête, une main en visière pour éviter de s’aveugler avec le soleil qui était à cette heure bien haut dans le ciel.
« - Pourquoi tu t’arrêtes ? » demanda son père, visiblement prêt à la réprimander, mais s’arrêtant dès qu’elle lui fit signe de ne pas faire de bruit.
Lentement, elle tendit la main vers Genki, lui indiquant d’approcher. Ca ne devait pas être grand-chose, mais on n’était jamais trop prudent, et les récents événements ne l’avaient pas rendue très confiante en son environnement.