Rosalia. « Une ville chargée d’histoire », selon le panneau qui désignait le lieu alors que Shiori passait devant, portant sa petite valise. Ils avaient voyagé quelques heures jusqu’ici, partant de Céladopole pour rejoindre de la famille éloignée. Ses petits frères partirent aussitôt jouer avec leurs cousins et cousines. Sa mère et sa toute petite sœur allèrent à la rencontre des tantes qui s’extasiaient devant la beauté du bébé. Son père était parti discuter avec les oncles, riant et parlant fort de « choses d’hommes ». Elle déposa ses bagages en soupirant devant la demeure familiale où ils allaient passer les deux jours suivants, bougeant son bras qui s’était engourdi à force de porter ses affaires. Puis, elle plongea sa main dans son sac, en sortant le plus redouté de tous les étudiants en période estivale : le devoir de vacances. Elle l’avait reçu quelques jours plus tôt, ayant demandé aux professeurs de lui remettre un peu avant les autres, puisqu’elle ne savait pas quand elle pourrait retourner à Cobaba. Ou plutôt, quand les siens allaient la laisser partir plutôt que de la surveiller non-stop pour éventuellement mater son « mauvais comportement ».

Son jumeau et elle avaient alors fait en sorte de caler la visite familiale au bon endroit et au bon moment en prenant en compte l’un des sujets disponibles, car un concours allait bientôt se dérouler ici même. Pas la spécialité de la jeune fille, mais mieux que rien, et surtout mieux qu’un zéro sur son dossier scolaire déjà peu reluisant. Rosalia n’était pas connu pour ce genre d’événements, mais il s’agissait d’un jour spécial : la fête des étoiles, issue d’une vieille légende dont elle ne se souvenait plus du tout. Et pour l’occasion, la ville s’était parée de décorations, avait installé tout le nécessaire pour les diverses épreuves, et accueillait surtout les plus grands noms de la Coordination. Parmi eux, un homme dont Shiori avait déjà entendu parler plusieurs fois. Un type, jeune, qui venait de commencer sa carrière et avait fait une percée fulgurante en la matière en très peu de temps avec des chorégraphies simples mais stylisées. Accessoirement, un gars dont son frère arrivait à ressortir la biographie sans sourciller, ce qu’elle essayait d’ignorer le plus possible – c’était perturbant –. Il avait d’ailleurs insisté pour l’aider à rédiger son devoir, et elle ne s’en était pas plainte. Elle n’avait jamais été très douée pour les rédactions.

J’ai décidé de venir en aide à Kristian Kornebr, un coordinateur ayant commencé sa carrière récemment, mais étant déjà dans les grands noms des performers. Mon arrivée en début d’après-midi le vendredi 6 juillet et le concours se déroulant le soir du samedi 7 juillet ne me laissait que peu de temps pour faire connaissance et commencer à travailler avec lui. Cependant, il a fait preuve d’une ouverture et d’une franchise impressionnante nous permettant aussitôt de régler les premiers détails, afin de nous mettre au travail au plus vite.

« - Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Beurk ! C’est HI-DEUX, ma chérie ! Si tu veux travailler avec moi, sois gentille et va te changer. Non, parce que, j’avais demandé de jeunes « TALENTS », pas de jeunes « RELENTS », quoi. Parce que là… Pfiou ! C’est vo-mi-tif ! »

Elle baissa les yeux sur sa veste fétiche, ne comprenant pas le problème que ce mec au nom de scène ridicule et pas du tout original avait avec elle. Peut-être que c’était une blague, espéra-t-elle, avant de réaliser que le blond peroxydé au costume coloré et criard en face d’elle était tout à fait sérieux. Il lui fallut une dizaine de minutes et l’aide d’une de ses tantes pour trouver de quoi se changer, cette dernière insistant pour qu’elle passe un yukata joliment décoré, parce que « Tu comprends, poussinette, c’est un artiste, alors il va forcément préférer ça ». Elle lui faisait confiance, et était prête à tous les sacrifices tant qu’elle n’avait plus à entendre la voix nasillarde et pleine de tics de langage de cet abruti critiquer sa façon de se saper.

Elle le retrouva dans un bâtiment plus loin, un hôtel qui avait été entièrement réservé pour les stars à l’occasion du défilé. Certains, hommes comme femmes et plus ou moins bien vêtus, se pavanaient dans le hall d’entrée, d’autres préférant monter dans leurs chambres avec leur fidèle compagnon de scène pour aller se reposer. On la guida jusqu’à celle de son coéquipier forcé, et ce qu’elle trouva en ouvrant la porte était assez… Inquiétant pour la suite de son devoir.

Dès que les premiers ajustements ont été réalisés, j’ai compris que Kristian, comme tous les coordinateurs, mettait l’accent sur les détails. Une personne qui n’est pas habituée (Comme moi) remarque l’absence de ces derniers, et non leur présence, c’est pour cela qu’il faut absolument vérifier jusqu’au moindre élément et ne rien oublier. Cela vaut à la fois pour la tenue du performer que l’apparence de son Pokémon qui doit être soignée (Fourrure ou plumage propre, par exemple), et il s’agit d’une quantité de travail conséquente qu’une personne seule ne peut pas toujours assumer elle-même. Kristian a donc fait appel à un élève afin de le soutenir, et pour maximiser le nombre de possibilités puis les départager pour le grand jour.

« - PLUS RIEN ! Plus d’inspi, pouf, envolée, partie ! Ahhh, ça y est, le talent me quitte… ! »

Assise en face de lui, elle regardait avec stupéfaction le pseudo professionnel, lamentablement affalé sur le kotatsu installé dans ses quartiers temporaires, sa veste de costume précédemment impeccable se trempant progressivement au niveau des manches à mesure que Kristian chouinait et sanglotait sur la prétendue perte de ses capacités artistiques. C’était assez pitoyable, venant d’un adulte, et elle ne s’était pas du tout imaginé devoir faire du baby-sitting avec un homme ayant au moins cinq ans de plus qu’elle. Aux côtés de ce dernier se trouvait un Cornèbre, sans aucune surprise, qui lui tapotait délicatement l’épaule d’une aile, de façon compatissante et visiblement très habitué par les caprices de star de son dresseur.

« - Je t’en prie, gamine… Dis-moi que sous cette horrible coupe de cheveux se trouve un cerveau fonctionnel ! »

Elle se retint le plus possible de grogner, de s’énerver et d’apprendre à la blondasse à bien se tenir à coups de tartes dans sa face précieuse, prenant une grande inspiration. Il s’agissait là de mettre en avant ses talents. Pas en combat, mais en créativité stylistique. Même si elle n’avait pas du tout choisi ce sujet d’études à l’académie, elle aimait lire des magazines de modes ou étiquetés « féminins », des ouvrages qui parlaient de maquillage, de cheveux, d’ongles vernis et de jupes à froufrous. Elle n’osait jamais en porter, car elle savait pertinemment que ses manières peu gracieuses ne rendraient pas justice à un attirail élaboré. Mais Kristian et son Pokémon, eux, étaient faits pour ça. Alors peut-être… Peut-être qu’elle pouvait y arriver.

Nous avons décidé d’un commun accord d’aller parler aux habitants les plus vieux de Rosalia. La fête des étoiles étant basée sur une légende ancienne, nous avons voulu mettre ce côté historique en avant dans la prestation de Kristian Kornebr. Pour cela, il nous fallait faire appel à des personnes ayant fêté l’événement le plus loin dans le passé possible. Nous avons pu nous procurer de vieux ouvrages décrivant les habits de l’époque, des dessins et d’anciennes photos nous permettant de les reproduire le plus fidèlement possible, et nous avons également pensé à demander leur aide aux geishas de Rosalia, en particulier les tutrices des jeunes apprenties, plus expérimentées. Grâce à elles, nous avons pu apprendre les principales traditions réalisées le jour de la fête des étoiles et la légende de laquelle elle découlait. En effet, le festival des étoiles est connu dans d’autres régions, mais ne reprend pas les mêmes éléments, mettant notamment à l’honneur le Pokémon Jirachi, ce qui n’est pas le cas dans la version locale.

Elle était rassurée de voir que le blond savait au moins se tenir dans la salle de danse, dans laquelle ils s’étaient rendus le matin suivant. Les danseuses Sakura, Michiyo et Keiko avaient accepté de les recevoir dans leur course effrénée avant le sept au soir. Il y avait encore beaucoup à faire, autant pour elles et la préparation de la fête, que pour Shiori et Kristian pour le concours. Elles leur expliquèrent patiemment les coutumes locales : tout d’abord la tenue traditionnelle, un yukata. Elles leur indiquèrent qu’ils pouvaient s’en procurer un facilement à cette période, mais la jeune fille n’était pas inquiète. Shouhei serait sans doute ravi de prêter l’un des siens à cet homme qu’il semblait idolâtrer pour elle ne savait trop quelle raison, compte tenu du fait que le gars était largement insupportable, et ils avaient une carrure assez similaire. Taille moyenne et peu de muscles, tout en finesse. Coco le Cornèbre, quant à lui, aurait droit à de beaux accessoires floraux, pas trop lourds pour ne pas gêner son vol.

La discussion dériva finalement sur la légende à l’origine de cette fête. Une histoire tragique d’un homme et d’une femme amoureux mais à l’amour interdit, qui ne pouvaient se voir que la septième nuit du septième mois de l’année. Une histoire qui ne faisait pas rêver Shiori plus que cela, mais qui mit des étoiles dans les yeux de Kristian. Oh quelle surprise, il était donc un cliché sur pattes (Comment ça, la rédactrice est en faute ?!). Il insista pour élaborer une chorégraphie qui raconterait cette histoire, à l’aide de son partenaire et de ses attaques qu’il allait exécuter au millimètre près, du moins selon son dresseur. Et elle espérait très sincèrement que ce serait le cas. Connaissant l’énergumène et sa maturité – notez l’ironie –, elle se disait qu’il aurait été capable de lui rejeter la faute si jamais il perdait. Les trois tutrices acceptèrent de lui montrer quelques mouvements le temps que Shiori aille s’occuper des derniers détails, promettant plus ou moins à son jumeau de lui rapporter un autographe s’il lui prêtait son yukata. Elle ne comprenait définitivement pas son obsession… Et ne voulait pas comprendre, en fait. Surtout pas.

Nous avons opté pour un yukata bleu sombre orné de motifs blancs, afin de rappeler les étoiles brillant dans la nuit. M. Kornebr a répété une chorégraphie simple mais dynamique assez longue pour durer tout le temps de sa représentation. Son Cornèbre est bien évidemment au centre de cette chorégraphie, et tous deux ont fait preuve d’une parfaite synchronisation. Nous avons pu répéter la danse plusieurs fois avant le début du concours, qui se déroulait vers 22h30 au centre de Rosalia. Tout le déroulement du concours a été filmé par la presse locale, et j’ai pu me procurer une copie de l’enregistrement, que vous trouverez dans la clé USB ci-jointe.

Elle était nerveuse. La concurrente sur scène en ce moment même venait de terminer une prestation flamboyante, et Kristian passait juste après. Elle se moquait un peu du résultat du concours, en vérité. Elle n’en était pas la participante, et n’avait au final que donné un soutien émotionnel à un performer déprimé convaincu de ne plus avoir d’idées simplement parce qu’il avait un trou la veille d’un show. Mais d’un autre côté, et outre la note finale qu’elle aurait sur le projet, c’était un peu comme une mission, et si elle échouait, elle en serait terriblement frustrée, sans compter le caprice de starlette que l’autre ferait sans aucun doute.

Il monta finalement sur scène, et commença sa chorégraphie. Ses mouvements se mêlèrent à la Buée Noire lancée par le Cornèbre, qui passa au-dessus de lui. Puis un enchaînement fait d’Ombre Nocturne et de Vent Arrière, plongeant l’estrade dans l’obscurité, avant qu’une Puissance Cachée ne l’illumine à nouveau, à la fin de la danse de Kristian. Il y eut des applaudissements, qui firent grimacer Shiori à cause du bruit provoqué, mais elle ne dissimula pas un sourire plutôt fier, que le coordinateur lui rendit en descendant pour laisser la place au suivant.

Kristian Kornebr n’a pas gagné le concours, et est arrivé à la troisième place. Malgré la défaite, il m’a assuré avoir été satisfait de l’aide que je lui ai apporté, et m’a même dit s’être amusé. Quant à moi, cela m’a permis de mieux comprendre le monde de la coordination, les nombreux défis que les performers doivent réaliser, les contraintes qui leur sont imposées avec les thèmes et les capacités de leurs Pokémons, mais aussi la satisfaction apportée par une prestation bien réalisée, même si elle ne rapporte pas la victoire. C’était une bonne expérience qui me servira sans doute dans le futur.

Coco croassa à la fin de la discussion entre son dresseur et la jeune fille, et chacun repartit de son côté. Elle était soulagée que ce devoir soit terminé, et même si elle avait passé deux jours d’enfer dans ce festival pourri, au moins aurait-elle – elle l’espérait – une note acceptable. Elle revint lentement auprès de son frère, qui croisa les bras en la voyant, l’air fâché. Mais cette moue disparut pour se transformer en joie dès que sa jumelle sortit un petit papier, le lui tendant.

« - « Pour Shouhei, de la part de Kristian Kornebr », avec un petit cœur. Alors, t’es content ? »

Il la serra dans ses bras, geste ô combien rare – et encore plus perturbant compte tenu du fanboyisme total de son frangin sur ce mec –, la remerciant. Elle se détacha doucement de lui, le repoussant calmement pour reprendre sa route jusqu’à la maison. Elle s’était levée bien trop tôt, elle avait couru partout, supporté un gosse plus âgé qu’elle, apporté des fringues et des accessoires, et même dansé ! Alors elle allait faire ce qu’elle méritait le plus en cet instant : manger et dormir.

« - Alors ? » demanda Shouhei. « Il est trop génial, hein ?
- Ouais, ouais… Par contre, il a gardé ton yukata.
- Quoi ?! »

[Il y a dans le devoir une feuille avec un autographe de Kristian et un petit dessin qu’il a fait…]