Adèle était en cours de Coordination. Son tout premier cours de Coordination, le seul qui devait potentiellement lui parler bien qu’elle ait choisi ce parcours un peu à l’aveuglette. Elle s’était vêtue de son habituel pull verdâtre et avait ramené l’aquarium de Mobydick. Sa partenaire aquatique et elle étaient devenues in-sé-pa-ra-ble. Le seul frein à leur tendresse mutuelle c’était le transport. La jeune Faust éprouvait toujours de très grandes difficultés pour utiliser ses Pokéballs et sans Causette pour jouer les nounous, la brune aurait probablement dû se trimballer tous les autres larrons. La gamine était assise en tailleur sur sa table, le professeur était en retard et les murs couverts de parures lui faisait de l’œil. L’opulence des accessoires et des textiles l’hypnotisaient, poussait son esprit de faible consommatrice au délit. Elle enfournait le plus discrètement possible tout un tas de ruban, des bijoux et des pierres qui lui semblaient prendre vie en touchant ses doigts fins. Quand Hearnett entra, la demoiselle passa au garde vous, littéralement debout sur sa table. Sauf que l’homme n’était pas Jackie et qu’il était vêtu comme une de ces divas masculine pour qui la frontière entre la virilité et la coquetterie a depuis longtemps était franchie. Il lui faisait un peu pensait à un artiste peintre en pleine période du bleu et du violet, totalement dépassé par son propre art.
Ses sourires aguicheurs, son clin d’œil, Adèle ne les manqua pas. Etaient-ils donc complice à ce point ? Toutes les filles tombaient comme des quiches à côté d’elle, soupirant de bonheur à la vue de cet acteur né. La Styliste se trouvait bien chanceuse d’avoir été choisi par son regard, en emmenant son hideux Barpau en cours, la fillette avait quand même pris un risque très important. Elle répondit à l’instituteur par un petit geste de la main et un sourire auquel elle tenta d’insuffler un peu d’intimité. Un cours de mode ? Il la connaissait donc si bien ?! La brune en rosissait de plaisir, un cours en son honneur voyez-vous cela ! Il ne manquait plus qu’un exercice où on pouvait habiller un mannequin et cet homme la touchait au cœur ! … La cadette Faust était touché au cœur. Ah ! Enfin un homme qui avait un peu de considération pour ses talents dans la couture. Le jeu qui se jouait à trois l’amusait par avance.
Elle bondit de son pupitre et caressa la vitre de l’aquarium. Dedans le poisson violet au regard stupide faisait une bulle, puis deux, puis trois… Ne pas se laisser distraire ! C’était plus soporifique que comptait les Wattouats ! Les deux jeunes gens de son groupe ne tardèrent pas à s’approcher. L’une était connue, c’était Ambre et… Elles s’étaient croisées à la fête du Nouvel An, non ? La Coordinatrice avait une mémoire des visages peu enviable et elle renonça bien vite aux souvenirs qu’elle avait pu partager avec cette grande brune qui circulait dans leur dortoir. Elle préféra attraper sa main avec chaleur.
« Je suis enchantée ! Je m’appelle Adèle et toi c’est Ambre, non ? »
Ambre sentait une douce odeur de livres comme son frère. Ce devait sans doute être une camarade intelligente, Adèle maugréa intérieurement en espérant que la jeune femme n’exprimerait pas de condescendance à son égard. L’autre… La Givrali fronça les sourcils. C’était un homme, un grand brun très mince qui avait deux prunelles ambrées pétillantes de vie et de maturité. Une petite voix lui soufflait que le garçon ne lui était pas inconnu, que c’était important. Elle sentait dans son cœur une tendresse passée, comme si quelque chose d’extrêmement personnel et intime les avait tous deux unis de façon très brève. Il n’était pas blond comme son frère, impossible qu’il s’agisse d’un rapprochement douteux comme la gamine avait l’habitude de les faire. Interloquée, la jeune Faust lâcha la main d’Ambre pour toucher le visage de l’autre garçon. Le toucher était chez la brune un sens très développer qui la rendait rapidement envahissante mais dont elle ne pouvait faire abstraction. Elle redessina l’arête du nez du garçon, la forme de son arcade sourcilière, cherchant dans les reliefs de sa peau pâle une familiarité. La jeune femme s’était un peu approchée et le parfum boisé de son camarade ravivait quelque chose d’enfouie tout au fond de son crâne.
« Dis, qui es-tu ? On s’est déjà vu ? Ah excuse-moi, je sais il ne faut pas tripoter les gens. »
Elle dit sa dernière phrase avec un haussement d’épaules et en roulant des yeux. Elle avait sagement ôté ses dextres du minois du brun conformément à ce qu’aurait voulu sa nourrice, cette sainte femme. Adèle se tourna ensuite vers le mannequin. Finalement la réponse du garçon lui importait peu. Si elle le connaissait, elle devait probablement lui avoir laissé un mauvais souvenir car le jeune homme n’avait même pas fait semblant de la reconnaître. Le devoir élaboré par Hearnett à son intention était présentement, bien plus intéressant. La Styliste ne souhaitait en aucun cas décevoir l’homme qui avait quand même conçu un cours pour elle. Bon, s’il restait insatisfait ce ne serait pas un drame non plus… En plus du mannequin, le camarade avait parlé « d’utiliser » son Pokémon ? Plussch ? Un canari jaune avec des ailes en forme de nuages. Biiiiien, voilà qui s’annonçaient palpitant. Au moins l’animal n’avait pas l’air trop agressif. La Faust n’avait pas beaucoup mieux a proposé, Mobydick était peut-être le seul Pokémon supportable de l’univers mais ce n’était pas une raison pour imposer son physique… particulier au reste de la troupe. La brune fixa avec désespoir leur dernière chance.
« Ambre, je t’en prie, dis-moi que tu es un Pokémon bipède. C’est encore ce qu’il y a de plus habillable de nos jours. »
Il y avait des gens réfractaires aux bonnes initiatives. Souvent c’était un élan d’humeur qui se traduisait par une moue contrariée et un refus net, c’était un caprice. Adèle, elle connaissait le procédé par cœur. Limite si elle n’aurait pas pu être reconnue comme experte en la matière. C’est pour cette raison qu’elle fronça les sourcils en voyant les bras d’Ambre se refermer sur sa créature. « Cou-ouh » ? Ce n’était même pas un nom ça. Le faciès agressif de la jeune femme était familier à la cadette Faust. La gamine ignorait d’où lui venaient ses souvenirs de la Lawford mais ils ne s’étaient pas dérouler sous de bons hospices. Fragile ?! Mais elle se moquait en plus ! Les monstres de poches étaient utilisés depuis la nuit des temps pour s’entretuer de façon sportive et en toute légalité. C’était des machines de guerres, des combattants sanguinaires, pas des peluches. Ça lui revenait maintenant, la Styliste avait déjà été en conflit avec Ambre au sujet de l’éducation des Pokémons. Son expression faciale s’assombrit un peu plus en voyant sa camarade pousser le jeu plus loin en assurant que Pleusch convenait mieux à leur devoir pour ajouter ensuite qu’il leur fallait du bleu et du violet.
« Si tu crois que le jaune pissenlit c’est facile à accorder tu te fourres le doigt dans l’œil très profondément Ambre, ça demande juste un minimum de goût pour s’en rendre compte. »
La caractérielle brunette continuait sur sa lancée. Adèle avait croisé ses bras sur sa poitrine, la moue boudeuse. Cette fille lui piquait son seul domaine de prédilection. Ces modestes prédictions sur l’orgueil des gens intellectuels se confirmaient, on ne pouvait rien leur faire entre puisqu’ils avaient « toujours raison ». Hearnett passait dans les rangs, il avait au moins la bonté de commencer par les autres pour leur laisser le temps de présenter quelque chose. Noctis, le garçon d’une sortie au parc d’attractions dont elle ne gardait aucun souvenir, tenta de reprendre les rênes de la situation. Il était clairement mal à l’aise ce qui eut le mérite de dérider l’héritière Faust. Il parla sur un ton aussi aseptisé qu’un Pokédex des couleurs ce qui transperça le cœur de la plus jeune du groupe. Enfin, mais quelle harmonie pouvait-il bien exister si on rationalisait la passion et l’intuition ? Comment le brun pouvait-il blasphémer avec temps de calme ? Il ne semblait même pas s’en rendre compte, s’excusant platement de son manque de connaissances en la matière. Ce cruel handicape dont souffrait le jeune homme au sujet de la mode suscita chez la brunette une vague de compassion. La Coordinatrice posa une main sur son épaule de façon camarade tout en lui adressant un regard de soutien.
« Je vais t’aider Noctis. Mais tu dois me promettre de ne plus jamais parler comme le dictionnaire de ma grand-mère, d’accord ? »
Elle relâcha le pauvre garçon et se fendit d’un sourire, ses prunelles avaient de nouveau glissé sur les étalages de richesses textiles. Sans demander la permission, elle attrapa le Pokémon cotonneux qu’ils étaient contraints d’habiller pour faire plaisir à « Madame » et commença à tripoter ses ailes duveteuses pour en saisir la douceur et l’épaisseur. « Pleusch » qui ressemblait une grosse peluche ne lui faisait pas trop peur et la Faust s’enhardissait jusqu’à quelques caresses à son égard. Une fois son rapide examen terminé, la demoiselle se retourna vers les deux autres.
« Il faudrait une tenue assez aérienne je pense, avec beaucoup de coton et un robe du même jaune que ses plumes… Une grande écharpe de soie mauve pâle ou… Non, il faut toucher, sentir, regarder avant de choisir quoique ce soit ! »
Malgré l’évidente rancune que lui témoignait Ambre, la fillette lui attrapa la main. Cette passion pour la mode qui se développait de jour en jour dans son atelier dépassait de loin leurs petites altercations. Et cela, la rancunière intellectuelle devait bien être en mesure de l’entendre. Adèle la tira en direction des frasques misent à leur disposition. La Givrali voulait obliger l’autre à s’émerveiller devant tant de choix et de splendeur, à trouver par elle-même ce qui s’accordait le miaux avec la bête légère et naïve. La Styliste dit en lui fourrant entre ses dextres une étoffe jaune et fluide :
« Touche ! C’est exactement comme le plumage de… de Pleuch ! »
Un sourire d’enfant ravie ornait le minois de l’excentrique demoiselle.
Adèle se moquait pas mal du regard des autres. Elle était comme étrangère à leur dédain, leurs accusations moqueuses ou cette ambiance électriquement chargée dont elle était la cause. La brune vaquait à ses occupations et se permettait l’outrecuidance d’ignorer superbement les minois boudeurs ou contrariés. Ambre et son manque naturel de diplomatie qui l’a poussé à attacher naturellement des accents méprisants à chacun des mots qui lui était adressés avait fini de la perturber. Dans le tourbillon des tissus, la Faust en avait fait abstraction. Il lui venait même à l’esprit des pensées joyeuses en voyant l’esprit artistique de sa camarade – celui que sa propriétaire avait certainement décidé d’enfermer dans une petite boîte cadenassée au quotidien – s’ouvrir. Des idées étonnantes avec une écharpe cotonneuse qui venait enlaçaient avec grâce la silhouette de fer forgé. La plus jeune n’était pas en reste. Elle avait cisaillé l’étoffe de la couleur du canari en suivant un patron de sa création qu’elle connaissait par cœur. C’était une robe assez sobre avec des manches très courtes, serrée au niveau de la taille mais dont la jupe large rappelait celle des fillettes.
La styliste la voyait déjà gonflée par le vent d’été, évoquant l’envol enfantin du Pokémon de Noctis. Elle posa sur le mannequin son œuvre, fière d’en contempler le résultat, un doux succès qui lui montait déjà à la tête. La brune se tourna vers son « public » le regard pétillant. Le brun était là, son visage contracté par une expression maussade que seul le contact de la main de la Lawford dans la sienne parvint à dérider. Sans trop comprendre leur complicité intime rendait la troisième mal à l’aise. C’était cet étrange sentiment, le même qui l’avait parcouru comme un frisson tendre en voyant le Flavelle arrivé dans son groupe. Elle enraya cette vague d’émotions à l’origine non identifié en s’approchant du mannequin d’un pas vif. Le garçon parler de « détail » et de « truc » tout un vocabulaire lui échapper à l’évidence. D’ailleurs son manque de participation frustrait un peu la bourgeoise qui aurait voulu le voir jouer avec les motifs excentriques et la formes multiples. Raisonnable dans son art, la gamine se garda de le rabrouer et tenta plutôt d’observer les choses de son point de vu. C’était une charmante femme-oiseau qu’elle et sa camarade pleine de mauvaise volonté avait créé. Mais il manquait « l’éclat », sans doute celui que Noctis appelait « détail ». Quand il lui demanda son avis, elle fut surprise. Adèle le regarda avec des yeux ronds peu habituée à ce qu’on lui « demande » son opinion, elle dévisagea alors avec une curiosité accrue et si la présence envahissante d’Ambre ne le lui avait pas interdit, la brunette se serait sans doute approché. Après avoir oscillé la tête sur le droite, pensive, elle s’insurgea vivement.
« Mais oui ! Oui, c’est l’éclat qu’il nous manque ! Il faut quelque chose qui soit l’essence même de Pleuch ! »
La cadette Faust ne réfléchit pas plus, n’attendit pas une seconde. La Coordinatrice se rua sur les boîtes d’accessoires, s’empara des perles, des plumes, des clous et fleurs en bousculant quelques malheureux au passage. Elle revint le visage illuminé d’un sourire en déposant bruyamment son chargement sur un pupitre face au duo. De ses mains habiles, elle attrapa un collier en chaîne dorée et avec pour pendentif un éclat de Pierre Nuit. La demoiselle le contempla avant de l’essayer sur Ambre pour finalement lui retirer. Non, non, non ! Il fallait mieux, un peu plus d’extravagance, une parure sage avec beaucoup de caractère à l’image de sa camarade de dortoir. Elle ne le réalisait que maintenant, mais la nature du canari et de la mauvaise tête était semblable. Cette révélation fit l’effet d’une bombe dans le cœur de la gamine.
« Ambre ! Ce doit être toi notre mannequin, tu porteras la robe mieux que la silhouette de fer. Il manque quelque chose de vivant de vrai dans l’œuvre et c’est toi qui l’incarneras. Tes cheveux bleu nuit s’accorderont à merveilles ! »
La styliste s’emporta un peu et commença à mettre des plumes dans les cheveux de celle qu’elle imaginait maintenant en train de défilé, Pleuch sur l’épaule. Sa pauvre victime se retrouva avec des touches jaunes dispersées entre ses mèches, prenant conscience de son erreur la novice en mode tourna un regard inquiet vers le seul homme du groupe.
« Je n’aurais peut-être pas dû mettre des plumes, hein ? Nanou dit toujours que j’en fais trop… Tu m’aides à réparer ? »
Dans ses prunelles sarcelles une lueur inquiète à l’idée d’être grondée.
On n’eut pas le temps d’y songer, parce que le fauve à la crinière mauve pâle bondissait déjà derrière eux. Adèle se tue, scrutant dans un silence religieux les faits et gestes de cet homme au regard bleu incisif et étincelant. Il était satisfait, sur ses lèvres un sourire arrogant et dans son attitude la grâce féline des acteurs. Ses étranges habits qui suintaient l’art et l’excentricité le rendaient impérial, et la Faust se liquéfia en l’entendant se plaindre du cruel manque « d’éclat » de sa robe. Celle que la jeune brune avait confectionnée seule, guidée par sa très chère intuition. C’était pire qu’une déception, c’était une défaite personnelle. Refusant de céder à la facilité – autrement dit, à une crise de larmes suivie de la fuite de la salle - la petite brune se concentra mentalement sur son modèle : le général Jackie. Elle n’aurait rien abandonné, elle. Cette blonde rude aurait relevé le menton avec cran, accepté la brimade et recommencé, animée d’une volonté féroce.
La bourgeoise fit appel à toute sa volonté pour parvenir à un résultat similaire. C’est avec une pauvre tête de Caninos battue que la gamine s’en tira. Andreas les avait quittés, il en avait vraisemblablement finit avec eux. BIEN, car eux n’en avaient pas fini du tout. Plus forte, plus forte, plus forte… Noctis racontait des choses à côté. Adèle avait déjà une idée précise de la démarche à suivre. La Coordinatrice attrapa le vêtement avec brutalité, éclatant les petits boutons du col par la même occasion, avant de le déchirer. Le bruit du tissu qui cédait sous les dextres de la cadette Faust était semblable à l’ultime râle d’une pauvre bête. L’agonie de dura que quelques secondes avant que le bourreau ne relâcha l’habit qui s'affaissa sur ses baskets, désormais hors d’usage. Sur son visage un calme glacial, ses yeux fixaient un point invisible, son geste la répugnait aussi logique lui paraissait-il. Ses traits s’étaient durcis, la brune ne pouvait tolérer de rendre un travail manquant d’originalité, ça ne lui allait pas. Elle préférait encore ne rien rendre du tout. Heureusement, ils n’en étaient pas là. Il restait au groupe encore assez de temps pour trouver une nouvelle idée. Ce que la plus jeune jugea utile de souligner.
« Biiiien. Nous ne sommes pas à un échec près de toute façon. Une idée va bien finir par arriver. »
Mais malgré cette phrase innocente qui mettait surtout en valeur la naïveté du mode de fonctionnement de celle qui l’avait prononcée, l’idée n’arriva pas. Pas d’éclair de génie qui la poussait à s’emparer à nouveau des rubans. La vision de Pleuch ne faisait rien naître chez elle et seul le contact de la robe déchiquetée à ses pieds lui rappelait qu’il y avait eu une idée, autrefois. Un grand malaise l’envahit mais elle le rejeta de toute sa volonté de petite fille, cherchant un soutien dans ses équipiers.
« Je… Nous… Je… Il faut observer… Différemment ! L’idée va venir si on cherche une autre façon de regarder. »
Elle avait beau brandir cette argument avec assurance, une angoisse inhabituelle asséchait sa gorge. Ne supportant pas très bien ce, très étrange, sentiment de culpabilité, la demoiselle fit quelques pas en retrait pour se réfugier près de Mobydick. Le poisson aux écailles violettes et aux nageoires bleues n’avait pas bougé, il « bullait », inconscient des tourments de sa maîtresse. La petite encercla l’aquarium de ses bras, en quête d’un allié dans ce qui était peut-être une bêtise finalement. Au sol était étendu le textile mordoré soyeux qui aurait épouser à merveille la gracieuse silhouette d’Ambre, tel un reproche vivant.
La petite était tassée près de son aquarium, pareille à une bête craintive poussée dans ses derniers retranchements. Les choses allaient pourtant sans elle, comme elles avaient toujours été d’ailleurs. Ambre avait trouvé une idée, Noctis de son regard d’homme transi l’encourageait se laisser gagner par cette inspiration amoureuse qu’il puisait dans la contemplation de sa muse. La brune les voyait s’agiter maladroitement, attrapant les tissus, les textiles avec des précautions qui différaient totalement de ses pulsions intuitives. Adèle n’aimait pas ce moment. Elle en était trop absente, l’attention dont elle était privée lui asséchait le cœur, semblait vouloir l’engloutir dans un néant morne et terne. Ses camarades employaient pourtant tout un tas de mots qui lui étaient familier : patron, couture, couleur… la brune avait appris à se servir de ce qu’ils désignaient mais dans la bouche d’autrui, ces mots perdaient de leur saveur. La Givrali aurait pu les laisser tourbillonner ensemble dans cette valse à laquelle elle n’appartenait apparemment pas, sans doute se serait-elle assoupie, fatiguée d’attendre une idée. Un jet glacial qui s’explosa en gouttes cristallines sur le visage pâlichon de la Styliste raya définitivement cette éventualité.
La victime laissa échapper un cri et sauta debout sur la table d’un coup, ses cheveux étaient trempés et son cœur battait à tout rompre encore affolé. Mobydick ?! La bourgeoise fixait le poisson avec un mélange d’incompréhension et de colère. Perchée sur la table, la Faust pointa son Pokémon du doigt.
« Toi ? Tu oses ! »
Sa voix était grondante, elle résonnait dans la vaste pièce, arrêtant quelques élèves que la Mode n’avait pas réussi à charmé. La plus jeune se sentait trahie. Cet être d’écailles que la Coordinatrice traitait en ami depuis le début la défiait ouvertement. La gamine s’apprêtait à hurler tout un flot d’injures dont l’hideuse créature ne comprendrait, de toute façon, pas un mot quand elle comprit. Et cette illumination la mit littéralement à genoux. Adèle voulait dire un mot gentil, mais sa bouche s’ouvrait et se refermait devenant le miroir de celle du Barpau. Le brune renonça à parler et se contenta de sourire. La Givrali sauta souplement près ses acolytes, de nouveau il lui semblait régnait en maîtresse dans son empire de la mode. Le duo progressait, lentement mais surement, la benjamine en baillait. Négligemment, la Styliste attrapa un fil de fer doré qu’elle tordit pour en faire un arc circulaire. La demoiselle enroula un coton épais pour rappeler les nuages et accrocha des petits soleils dorés et des lunes argenté sur sa couronne céleste. Une fois que la Faust estima le résultat satisfaisant, elle déposa son œuvre sur le crâne d’Ambre et sourit largement.
« Quelle belle femme mirage ! Noc, tu devrais faire le col un plus échancré, ça accentueras l’aspect « léger » du ciel. »
Le petit groupe progressait avec une efficacité remarquable. Noctis s’affairait en vaillant soldat, ce qui était plaisant pour la brune. Elle était toute troublée qu’on l’écoute. Il lui semblait accéder à un privilège rare. Ambre était une femme pensante. Adèle songeait que cela devait être drôlement pratique de pouvoir énumérer les étapes dans l’ordre. Tout devait être clair sous sa belle chevelure brune, un ordre qui la fascinait sans qu’elle ne l’envie. Son capharnaüm personnel lui confiait, la Faust avait besoin de s’y perdre pour mieux s’y trouver. En attendant, les réflexes de son aînée venaient d’éviter une robe trop étroite ou mal ajustée. Il fallut l’emballer dans un rouleau de tissus pour cacher sa peau blafarde des yeux avides de la classe. La Styliste sourit en voyant un trouble étrange gagné l’homme du trinôme. Son cœur était-il fragile au point de céder à la confusion du bruit délicieux des nippes qui glissent au sol ?
La Lawford sortit enfin. Sa silhouette était fraîchement habillée par la robe claire et rêveuse. Il y avait dans les textiles tout une grâce de petite fille qui rappelait à la créatrice les robes de son enfance. Le bleu très doux rappelait de façon tactique le thème et la couronne lui donnait l’air royal d’une fille céleste. Adèle aimait la façon dont l’habit épousait les courbes du corps et don les cheveux bleu nuit de cette dernière contrastait avec les couleurs lumineuses. Chaussures ? La petite fronça les sourcils. Détail, qui portait des chaussures en robe ? Qu’elle étrange idée… Mais Noc avait déjà empoigné des ciseaux et du fil, il confectionnait avec fébrilité une paire pour sa dulcinée. La manière appliquée dont il le faisait n’enlevait rien à l’étrangeté de la scène. Définitivement, la Coordinatrice tenait à ses mœurs et voir ce garçon accroupi en train de coudre, c’était… troublant. Les plumes et le tissu étaient très élégants. La petite Faust tomba à genoux à côté de son camarade pour admirer la façon gracieuse dont les plumes se balançaient aux talons du mannequin de chaire.
« C’est joli. Tu devrais faire plus de trucs sans réfléchir. »
Elle avait murmuré ses mots à l’intention du brun en lui tapotant la tête avec enthousiasme. Son cœur était ravi. Mr. Hearnett allait l’être doublement. Elle renifla un peu, il faut dire que sa douche impromptue l’avait laissée transie de froid. Quand quand le garçon embrassa discrètement leur modèle sur la joue, la gamine s’insurgea. Et puis quoi encore ? Elle grimaça de façon expressive en tirant la langue.
« Mais c’est dégoûtant ! Vous ne pouvez pas faire ça ailleurs ! Tu vas la salir, berk. »
Leur intimité la mettait mal à l’aise en plus. Elle se percha sur un table et mit sa main en visière. L’extravagant professeur avait cessé d’errer, il regardait paisiblement ses élèves faires les dernières retouches, s’évertuait dans quelques détails. La brunette trépignait sur le pupitre, mettant en péril l’équilibre du gros aquarium installé dessus. Une fois l’avis de l’homme donné, Adèle partirait. Elle prendrait le jugement avec désinvolture et prétexterait un besoin urgent de nettoyer l’aquarium de Mobydick pour s’éclipser sans s’attarder. La porte claquerait derrière elle et on l’entendrait marcher avec difficulté à cause de son chargement dans les couloirs.
Il arriva. Poupoupoum, poupoupoum. C’était le petit cœur de la brunette face à ce géant maigre et décoloré. Ses yeux naïfs voyaient l’homme comme un modèle, fascinant et énigmatique. C’était un grand Dieu dont l’insolence vestimentaire clouait la fillette sur place. Il approchait, elle se taisait. Ce charme reptilien de bleu, de violet et de fleurs entrelacés la paralysait tout entière. La novice demeurait muette. Andreas ondoyait autour d’Ambre. De ses yeux clairs il jugeait et détaillait, c’étaient deux armes deux chasses aiguisées pour un assaut fatal. Adèle l’observait, nerveuse et silencieuse du haut de son pupitre. Elle fixait avec une profondeur tout particulière les lèvres rosées et épanouies de son instituteur, des lèvres d’orateur savamment exercées pour ne jamais fourcher sur un mot et pour mieux s’étirer dans un onctueux sourire. La Givrali redoutait et réclamer les mots qui risquaient d’en sortir. C’était la première fois qu’on évaluer l’une de ses confections. Les domestiques minaudaient souvent un compliment pour se débarrasser d’elle mais un avis raisonnable, jamais.
En fait, les paroles, la cadette Faust ne les écouta presque pas. Ses oreilles étaient trop concentrées sur le bruit à peine perceptible que faisaient les bulles de Mobydick pour identifier le moindre commentaire émis par Hearnett. L’académicienne n’était pas prête à entendre un jugement, le sourire charmeur du Coordinateur de renom lui suffisait. Quand il partit, une tension électrique qui semblait avoir crispé les visages de Noctis et Ambre se relâcha d’un coup. Une joie semblait naître de la fructification de leur travail et Adèle ne manqua pas d’y participer en revêtant la couronne que le mannequin avait reposée. La brune dansa joyeusement près de l’aquarium et manqua de s’étaler lamentablement. Elle fut toute étonnée de les entendre remercier. Ce la mettait si mal à l’aise qu’elle bafouilla de façon tout à fait inintelligible une envie pressante de ménage. La Givrali s’alourdit du poids de Mobydick et de son habitat et se hâta comme elle put vers la sortie. La Styliste faisait cela avec tant de précipitation que par maladresse, elle éclaboussa d’autres groupes qui ne manquèrent pas de la huer en criant au scandale. Leur colère amuse la gamine qui sortit de la salle dans un éclat de rire tonitruant.