« -… Tu en penses quoi Lysian ? »La Korillon plisse les yeux pour tenter de voir au travers de ses épaisses lunettes de soleil, puis secoue la tête de droite à gauche en signe de refus. Caroline acquiesce en réaction, et fait glisser son doigt sur l’écran de son portable.
« -Ouais. On est d’accord. »Les deux donzelles ont un look certain. Assises à la terrasse d’un café, elles ont la même paille blanche rayée orange dans la bouche, et des verres protecteurs similaires en tout point, si ce n’est que ceux de Lysian sont adaptées à sa taille. La petite Pokémon Psy est tranquillement posée sur l’épaule de la blonde, son verre de limonade en suspension dans les airs, et contemple avec le même air désintéressé les différents profils qu’affichent son portable. Caroline tient sa propre boisson d’une main, son téléphone de l’autre, et éjecte un à un les prétendants avec son expression la plus méprisante possible.
Peut-être qu’elles se la jouent un peu, aussi.
C’est bien simple : Caro se fait ièch. Elle est sans nouvelle du boulot, ne connaît personne sur cette île, si ce n’est sa nouvelle colocataire qui – elle – travaille, et broie du noir à cause de son très cher frangin. Franchement, quelle idée il a eu aussi de se foutre dans le coma, lui aussi ?… Bon, ça ne serait peut-être pas arrivé si Caroline n’avait pas pris ses Pokémon en otage. La catastrophe aurait sans doute pu être évitée avec plus de protections. Ce qui fait, sans nul doute, d’elle la conséquence directe de son état. Et de celui de son Pikachu. Parce qu’une mauvaise nouvelle ne vient jamais seule.
Et que Caro, bah elle culpabilise un peu.
Sentant une boule lui nouer le ventre, sa fréquence de swipe augmente en conséquence. Elle se fait ièch, elle culpabilise, et maintenant elle a les nerfs. Mais qu’est-ce qu’elle a été stupide ! Et Lysian le sent bien.
Qu’elle a les nerfs, pas qu’elle soit stupide.
C’est pourquoi elle interrompt brusquement Caroline d’un cri. Cette dernière lui jette une œillade surprise, et observe la photo que sa Korillon pointe du doigt avec insistance. Sa dresseuse doit impérativement trouver des personnes à embê-euh avec qui passer du temps, si elle ne veut pas la voir partir en totale dépression, et pour ça, n’importe quel random rencontré sur son application fera le taff.
Au pire ça sera un sale con et ça donnera à Caroline l’occasion de se défouler.
Un peu perplexe quant au choix de sa compagnonne, la blonde se permet toutefois un haussement de sourcil en dévisageant la photo de profil.
« -Euh… Il a un sourire sacrément niais quand même. Et puis, tu m’expliques ce qu’il fait avec un prospectus de pizzeria dans les mains ? »Au tour de Lysian de hausser, mais les pattes cette fois-ci. Caroline expire en un
« Pfff... » assez représentatif de son envie de rencontrer ce type, mais finit par abdiquer à la proposition de la Korillon.
« -Bah, si ça se trouve, il me paiera une quatre fromage. » ***
Une transition étoile plus tard, elle y est.
Café Let’s Go. C’est ici qu’elle a rendez-vous avec ce gars. Un certain Enzo. Cheveux bleus, légèrement mate, un petit air d’abruti fier. Description : une Reine sans champignon avec supplément lardon. Un sacré spécimen.
Au début, la motivation ne l’a pas vraiment habitée. Mais Caro a décidé de prendre ça à la légère. Cela la distraira, et avec un peu de chance, cela commencera à étendre son réseau de relation sur Adala. ‘Faut bien commencer quelque part.
Donc c’est un peu moins maussade qu’elle franchit les portes du café. Sans quitter ses lunettes de soleil, déjà parce que c’est une badass, et ensuite parce que ça cache les cernes sous ses yeux.
Et heureusement qu’elle a un ego mal placé, parce qu’autrement, tout le monde aurait vu sa mine déconfite en comprenant qui peuple ce café.
Des Pikachu. De partout. Qui dorment, grignotent, jouent, ou réclament les câlins. Il y a des Evoli aussi, mais ça elle s’en tamponne. Il y a des PIKACHU bordel. Comme celui qu’elle a envoyé à l’hôpital avec ses idées diplomates à la con.
Comme son frangin, putain.
Ce qu’elle a envie de faire, là de suite ? Prendre ses jambes à son cou ? Non, elle a plutôt envie de rendre son petit dej. Mais Arceus soit béni, elle n’a pas déjeuné, ce matin. Déjà parce que si elle commence à faire sa grosse elle va prendre trois kilos, et aussi et surtout parce que son appétit est parti en même temps que Ginji à l’hôpital.
Bon. Calme toi, Caro. T’es espionne, je te rappelle. T’en censée pouvoir encaisser pire, comme choc psychologique.
Cette réminiscence intempestive suffit à la convaincre d’avancer. Et puis, elle doit trouver le Zozo. Et oui, elle va vraiment l’appeler comme ça.
Par chance, l’endroit n’est pas bien grand. Les Pikachu nombreux, et c’est limite si elle n’a pas envie de shooter dans celui qui lui passe devant, mais en attendant, elle pense rapidement trouver son date.
En tout cas, elle est presque sûre que c’est le seul idiot capable de se tromper de correspondante.
« -Pour te servir. » Le ton est sec et autoritaire. Les bras croisés, Caroline s’est placée devant la table où le supposé Enzo s’est installé, face à une femme blonde qu’il a interpellé à son nom. Cette dernière jette un regard fort circonspect envers l’inconnue et l’autre anonyme qui s’est assis en face d’elle, tandis que l’aînée Labelvi vient attraper le bleu par le bras.
« -Excusez-le, il est avec moi. ♪ Et belle coiffure ! » Pupupupupu. En parfaite indiscrétion, on tire le jeune homme, et on le pousse sur la chaise d’une autre table. Sans plus de transition, Caroline prend place en face, et croise ses jambes au moment de le détailler de bas à haut. Bottes de combat, jean, veste en cuir, lunettes. Pendant un instant, la blonde croirait faire face à un genderswap d’elle-même. Elle espère toutefois que l’affiliation s’arrêtera au style vestimentaire, car les cheveux, et ça c’est clair, c’est non direct. En tout cas, pas avec cette coupe et ces vêtements. Pour le reste, il paraît un minima baraqué. Et un peu paumé. Mais pas bien méchant. Du moins, elle présume.
Après cette analyse physionomique, Caroline se fait plus détendue et prend appui contre le dossier de sa chaise. Un sourire s’étire sur ses lèvres, alors qu’elle entame les festivités.
« -Donc, salut à toi ! Beau br… Bleu ? Ça se dit, bleu ténébreux… ? » elle fixe un instant le visage d’Enzo
« … On va dire que non. Caroline, enchantée ! »Sans prévenir, elle se redresse, et se penche au dessus de la table tout entière pour murmurer à l’oreille de son interlocuteur.
« -Sache que les gros pervers, je les castre. Just sayin. ♥ »Elle se laisse aussitôt retomber sur sa chaise, et attrape une carte posée sur la table.
« -Bon ! Tu prends quoi ?… » elle lui lance un regard suspicieux par delà ses lunettes de soleil
« Tu es du genre à inviter dès le premier date ou c’est trop forcé pour toi ? Que j’évalue ce qu’il va m’être possible de prendre… ♫ »