(apocalyptico) dramatique
Dans le grand parc de Nuevo, au milieu des feuilles mordorées de l'automne et dans la lumière chatoyante du soleil descendant de cette fin d'après-midi, Nathanaël jeta un regard brillant au garçon qui lui faisait face. Son coeur affolé peinait à se calmer, mais déjà ses doutes se dissipaient. Et il remerciait silencieusement la Providence pour cette rencontre.
« Putain, mec, je t'aime. »Il y a des jours, comme ça, où rien ne semble se passer comme prévu. Pour le meilleur ou pour le pire. Mais souvent pour le pire.
Comme le fait qu'il se soit levé en retard (rendormi, serait plus juste), manquant ainsi son premier cours de la journée. Dès la deuxième semaine. Ou la façon dont il avait dégringolé au bas de l'échelle en tentant de descendre de la mezzanine de sa chambre. Quelle idée, aussi, de mettre des marches au pied du lit...
Mais tout ceci n'était somme toute pas bien grave, et le grand gaillard s'en était allé de sa journée, tranquillement, traçant son petit bout de chemin sans véritablement s'en soucier. Son absence lui vaudrait probablement des remontrances, son référent semblant peu apprécier le garçon, pour des raisons qui lui échappaient. Une histoire d'attitude, ou quelque chose comme ça. Mais Nate n'abandonnait pas. Les cours étaient plus prenants et complexes que ce à quoi il s'était attendu, mais il était motivé, et saurait se mettre à niveau pour se maintenir à flot. Son père et lui avaient tellement investi pour lui offrir cette chance... C'était à lui, désormais, de l'exploiter au maximum.
Mais pour l'heure, l'adolescent avait décidé de mettre à profit sa matinée fortuitement libérée pour aller faire un tour en ville. Il n'avait pas encore pu y prendre ses marques, et voulait y remédier au plus vite. Il s'était découvert un certain mal du pays au cours de l'été, et voulait se familiariser rapidement avec son nouvel environnement, afin de s'y sentir à l'aise et de pouvoir se concentrer sur sa nouvelle vie ici.
Le chemin jusqu'au centre ville se passa sans trop d'embûches, simplement animé par les chamailleries de ses deux compagnons griffus. Leur nouvel allié, le petit snubbul avec sa fière couleur rose, s'était immédiatement pris d'affection pour le starter du garçon. Son dresseur, en revanche, peinait à l'approcher. Nate ignorait s'il s'agissait de timidité ou de jalousie, mais il se retrouvait embêté par la situation — et surtout peiné, regardez-moi cette adorable bouille qu'il rêvait de câline — et espérait réussir à l'apprivoiser petit à petit. Quand au medhyena, il semblait peu emballé par ce soudain excès d'attention qu'il recevait, mais Nate s'en amusait, le traitant simplement de tsundere.
Une fois dans le centre, le petit groupe se promena un moment, tandis que le garçon observait tout, avec des yeux avides et curieux. Il acheta quelques bricoles par-ci par-là, un panini, un ticket de tombole, une carte postale pour sa famille. C'était plutôt sympa, en vrai. Rien à voir avec l'atmosphère estivale de Cobaba, Nuevo était une ville plus moderne et industrialisée, qui lui changeait beaucoup plus de son archipel natal. Mais c'était assez excitant. Le nombre de commerces et d'infrastructures l'impressionnait, le tout déposé au coeur d'un cadre malgré tout très naturel, comme en témoignaient la région aux alentours de la ville. Plus il observait, et plus Nate devenait curieux, désireux de tout tester, de tout découvrir. La pression du travail scolaire s'allégeait, tandis qu'il se rappelait que tout ceci était avant tout le signe de nouvelles expériences, et de tout un tas de choses à découvrir. Et que, plus qu'inquiétant, c'était surtout
excitant.
Mais une mauvaise journée n'oublie jamais de se rappeler à notre mémoire, même face à un optimisme débordant, et Nathanaël a encore beaucoup à apprendre de l'urbanisme. Comme, par exemple, à tenir compte d'une circulation dense et motorisée. Sans paniquer. C'est de justesse que le garçon voit la moto arriver, sent son sang se glacer, et bondit en direction du canidé pastel (qui ne craignait en vérité pas grand chose) pour le pousser hors de la route. Le motard ralentit en voyant un pauvre fou se jeter devant ses roues, mais l'évite sans peine, et poursuit son chemin, en pestant.
Nathanaël se retrouve à terre au bord du trottoir, le coeur battant, sous les regards étonnés des passants qui ne comprennent pas son geste. Lui, est persuadé d'avoir frôlé de peu la catastrophe, sans réaliser que c'est probablement de son action que venait la plus grande menace de la situation. Et le monde semble bien décidé à le lui signaler, quand le pokémon qu'il serre dans son étreinte se met à gémir douloureusement. Interpelé, l'adolescent baisse les yeux vers le petit monstre pour l'inspecter, et constater avec horreur qu'il semble s'être blessé à la patte au cours de sa chute.
Merde. Non. Non, non. Il faisait quoi, maintenant ? Il ne savait pas dresser de diagnostic, et ignorait la meilleur façon de procéder. Des instructions contraires lui venaient à l'esprit. S'éloigner de la route, porter le pokémon vers un centre ou une clinique. Ou alors, ne surtout pas déplacer le blessé, de peur d'aggraver son cas en le manipulant maladroitement. Son medhyena s'approcha, sentant l'agitation et la peur de son dresseur, pour venir observer leur nouveau camarade qui commençait à se débattre pour se libérer de l'étreinte de son dresseur. Il y mettait les griffes et les crocs, lui aussi paniqué par cette douleur soudaine et son immobilisation, effrayé par le garçon lui-même. Et Nathanaël se morfondait de se voir ainsi craint de son propre pokémon, maintenant sa prise malgré tout de peur que la créature ne s'échappe et n'aggrave son cas.
Il en était là de sa confusion quand une ombre tomba sur lui. Nathanaël releva la tête, pour découvrir la silhouette d'un jeune garçon qui devait avoir à peu près son âge, et qui s'était approché de lui. Il lui lança un regard désemparé, larmes aux yeux.
« P-pardon, je crois qu'il est blessé, je... Tu saurais où je peux trouver de l'aide ? »Il ne savait pas encore, à ce moment-là, que ce garçon qui ne faisait que passer par là en se dirigeait vers le grand parc, allait devenir l'un de ses meilleurs amis.
Ce n'est qu'une quinzaine de minutes plus tard, tandis qu'ils s'étaient installés au calme sur la pelouse du parc et que le nouveau venu lui assurait gentiment que la blessure du snubbul était bénigne, que Nathanaël souffla enfin, et se laissa aller à exprimer toute sa gratitude et son soulagement.
« Putain, mec, je t'aime. Merci, je sais pas ce que j'aurais fait si t'étais pas passé par là ! »Il jeta un coup d'oeil coupable au snubbul, que le nouveau venu avait réussi à calmer, et reporta son attention sur son nouveau héros, pour lui tendre la main avec un sourire.
« J'm'appelle Nathanaël. »