Ce cher Enzo, en tong, bermuda et chemise à fleur, se tenait, grelottant, au côté d’un Charlie Hudson véritablement ravi. Il n’était de toute évidence pas le seul puisque autour d’eux, nombreux étaient les jeunes hommes dans la même tenue que lui, à afficher un grand (et faux) sourire, ainsi que la pose emblématique de l’adjoint. Le pouce en l’air, la main sur la hanche, l’air niais, on aurait dit une mini armée de Charlie Hudson prête à attaquer la ville.
Heureusement pour eux, les faux Charlie, la séance photo se termina rapidement et ils purent rejoindre les vestiaires temporaires installés dans le parc de Nuevo. La séance photo pré-ouverture des festivités de Noël de Nuevo était maintenant terminée pour le plus grand plaisir d’Enzo. Se balader dans cette tenue, sérieusement, fallait être complètement taré. Et puis franchement, ces photos allaient être ridicules mais hey, tant qu’il était payé, Enzo s’en foutait totalement.
Bientôt emmitouflé dans sa veste en cuir et son écharpe, Enzo récupéra son argent avant de quitter le parc. La nuit tombait de plus en plus tôt et Enzo rêvait de rentrer à l’appart, allumer la télé et regarder une émission débile en mangeant des chips. Ouais, une soirée parfaite … Cependant, c’était pas si simple. Avant ça, il devait passer par le bout de plage de l’île, de l’autre côté de la ville, pour récupérer sa raie manta et déposer quelques CV sur le passage.
Avec l’approche des fêtes de fin d’années, les magasins avaient de plus en plus besoin de saisonniers et ça arrangeait bien ces affaires. En ce moment, le jeune homme était assez … ok, il était complètement fauché et être fauché à Noël, ça craint. Il voulait donc se remplumer un peu pour pouvoir se faire un repas de Noël de type cher et bon.
Parce que c’est cool.
Et qu’Enzo est cool.
Et aussi parce qu’il voulait offrir un cadeau sympa à Caro’ et peut-être à Ilea aussi. Si elle l’égorgeait pas la prochaine fois qu’il la croisait à la résidence.
Sa vie était d’un compliqué sérieux mais bon, il avait décidé d’essayer autre chose et que rester quelques temps sur Adala, comprenez, plus de deux semaines, ne pouvait que lui faire du bien. Il prenait donc son mal en patience et essayait, vaguement, d’avoir une situation à peu près stable et de régler les soucis qui se créaient autour de lui au lieu de faire comme il faisait depuis toujours, les fuir.
Du coup oui, il se trimballait les regards noirs de la seule femme qu’il avait jamais aimé et essayait d’élever ces pokemons tout en cherchant un taf et sérieux, c’était une galère sans non. D’habitude, Enzo était assez chanceux. En ce moment … C’était pas fou. Mais il essayait. Vraiment.
Et ça lui rappelait pourquoi il avait arrêté d’essayer il y a bien longtemps.
Cette terriblement longue introduction sert principalement à introduire le pourquoi du comment, dans quel espèce d’univers et de réalité est-ce que quelqu’un accepte de porter ça.
Ça étant un superbe costume jaune pétant de Tiplouf.
Ouais. Niveau coolitude, le niveau est pas exactement dingue mais hey, déjà y’a un masque qui cache son visage et en plus c’est assez bien payé.
Plus d’une balle par heure. C’est à peu près correct et puis, il peut pas exactement faire la fine bouche … Pas qu’il la fasse en général, Enzo a fait à peu près tous les métiers possibles et imaginables. Ça implique des trucs sympathiques, comme serveur ou marin et d’autres moins fun, comme éboueur ou mascotte.
Ça dérange pas vraiment Enzo, il travaille pour avoir de l’argent, pas pour une passion quelconque ou une vocation. Enzo n’en a pas vraiment. Il en a jamais vraiment eu.
Enzo, il veut juste la liberté. Enzo, il veut le vent dans ces cheveux. Il veut ses rangers libres d’aller où elles le désirent. Enzo, il aime la liberté plus que le reste. Enzo, il aime les rencontres et les découvertes. Enzo, c’est l’insatiable voyageur, l’infatigable vagabond. Il aime bien dire parfois que non, c’est pas sa faute, c’est pas son choix, c’est la vie d’aventurier qui l’a choisit.
Alors Enzo il est libre et il vagabonde. Enzo ne s’attache à rien personne.
Alors c’est pas exactement gênant ou dérangeant d’enfiler le ridicule costume de Tiplouf chromatique et Nérée peut bien mourir de rire à côté de lui, Enzo se contentera de faire son travail.
Comme toujours.
Le contrat qu’il a signé indique qu’il devra incarner Titi tous les jours pendant deux semaines, de 13 heures à 19 heures. Alors c’est très exactement qu’Enzo fait.
Chaque jour, Enzo enfile le costume ridicule.
Chaque jour, Nérée manque d’éclater de rire.
Chaque jour, Pontos redresse la tête du Tiplouf quand Enzo sort des vestiaires de la ville.
Chaque jour, Enzo se rend dans le parc de Nuevo.
Chaque jour, Enzo distribue les petits tracts.
Chaque jour, Enzo récite les phrases stupides qu’on lui a fait apprendre par cœur.
Chaque jour, Enzo exécute la petite danse joyeuse de la mascotte.
Chaque jour, Enzo est prit en photo.
Chaque jour, Enzo s’amuse avec les enfants.
Chaque jour, Enzo vente les mérites d’une ville qu’il connaît à peine.
Chaque jour, Enzo guide les gens parmi les activités que propose le centre-ville à l’approche des fêtes.
Chaque jour, Enzo se doit d’imiter les Tiploufs.
Chaque jour, Enzo glisse à plat ventre sur la grande piste glacée qui décore une partie du parc.
Chaque jour, Enzo force l’intonation de sa voix, un peu plus heureux, un peu plus enthousiaste, un peu plus aiguë.
Chaque jour, c’est la même routine, les mêmes mots, les mêmes danses à faire.
Chaque jour, c’est la même chose.
Chaque jour, c’est les mêmes personnes à croiser.
Chaque jour, c’est …
i n s u p p o r t a b l e ,
juste,
i n v i v a b l e .
Alors un soir, Enzo n’en peut juste plus.
Alors un soir, Enzo repose le masque du Tiplouf.
Alors un soir, Enzo dit stop.
Alors un soir, Enzo récupère la paye d’une semaine et demi et quitte la mairie.
Alors un soir, Enzo décide qu’il en a assez fait.
Alors un soir, Enzo réalise que c’est encore une promesse qu’il brise.
Au nom de sa liberté.
Au nom des aventures.
Simplement pour dire non. Dire non à la routine et aux habitudes. Dire non à tout ce que les autres accepte avec cette aisance qu’il est incapable d’accepter véritablement. Dire non à la facilité d’un job qui ne le pousse pas. Dire non à la simplicité. Dire non à tant de choses.
Enzo est presque un adulte mais il a toujours la rancœur de l’adolescent. Le besoin de se rebeller et de combattre. Enzo est presque adulte mais parfois il n’est qu’un enfant. On a forcé Enzo a tant de choses. Être un adulte quand il était un marmot. Être un enfant quand il était un adulte. Où aller, que faire pour survivre, qui aimer et qui apprécier. Posséder des pokemons, gagner de l’argent, vivre sous un toit.
Et Enzo déteste ça. Déteste les normes qu’on lui impose à droite et à gauche. Déteste que l’univers entier lui dit de rentrer dans le moule, de se prendre en main, de se poser.
Enzo déteste qu’il n’est pas tant que ça opposé à l’idée.
Plus vraiment.
(l’adolescent laisse place à l’adulte et il change, change, change)
Enzo déteste tout ça. Il déteste ce qu’il ressent et ses nouvelles envies, ses nouveaux besoins, ses nouveaux rêves et il s’est pas où il en est.
Alors Enzo, il a encore besoin, parfois, de dire non.
Pour se rappeler qui il est. Pour se rappeler la colère et la haine et la rébellion. Se rappeler qu’il veut combattre. Se rappeler qu’il doit combattre. Pour se protéger, pour se sentir vivre.
Aussi sûrement que partir, confronter définit Enzo.
Défier le regard des autres, défier les habitudes et les routines, déranger leurs train-trains quotidiens.
Alors oui, Enzo a quitté son job. Pour pas grand-chose, parce qu’il s’ennuie. Ça semble stupide et immature mais jamais Enzo a suggéré qu’il n’était pas stupide et immature.
Et quelque part, là aussi c’est un défi qu’il envoie au monde. Un rappel qu’il peut être stupide et immature s’il le souhaite et c’est son choix, à lui.
Qu’il fait, en toute
l i b e r t é .