Plusieurs mois s’étaient écoulés à l’académie sans qu’aucune sortie capture ne soit organisée. La nouvelle de celle-ci avait donc été accueillie à bras ouverts par les élèves, et notamment les plus jeunes d’entre eux s’apprêtant à découvrir la capture de Pokémon. Outre cet aspect, ces sorties étaient aussi un moyen de découvrir de nouvelles îles, explorer des lieux inconnus et nouer des liens avec les locaux. Avec plusieurs années d’expérience et un panel assez large de Pokémon à ses côtés, Paul s’inscrivait toujours avec joie aux sorties capture, tout en ayant plus cet aspect d’exploration en tête que lors de ses premières échappées. De plus, à en croire les informations inscrites sur la note de la sortie, ils allaient se rendre sur Cyfandir, une île au passé riche. Autrefois civilisée, l’île était redevenue sauvage. En tant qu’archéologue et explorateur, Paul avait hâte de se lancer dans des fouilles de l’île, retrouver les traces des humains ayant vécu ici de nombreuses années auparavant, ainsi que de comprendre comment la situation avait pu se transformer.

Avant le départ, Paul vérifia l’ajustement de sa prothèse. Elle était neuve, complètement neuve. Il l’avait reçue deux jours auparavant, mais s’était montré incapable de la sortir de sa boite. D’une part, il était excité de retrouver une main, de pouvoir de nouveau agir par lui-même. D’autre part, il avait extrêmement peur. Peur de ne rien ressentir, peur de ne pas l’accepter, peur d’être gêné, peur peur peur… Au final, malgré ses blagues parfois irritantes, Sirius avait convaincu Paul de l’essayer. « Au moins dans la chambre » avait-il dit au détour d’un autre argument. Et Paul devait reconnaître que son bro avait raison : s’il ne testait pas, il ne pourrait jamais savoir. Il brava donc sa peur, chassant ses doutes d’un revers de moignon et installa la main en suivant précisément les instructions que lui avait donné le médecin. Si elle ne lui allait pas, il n’avait qu’à la ramener et ils lui en fabriqueraient une nouvelle. Il n’avait par conséquent rien à perdre.

Ce fut laborieux, mais Paul réussit à franchir le cap et passer une heure avec sa nouvelle main. Attraper un objet, quel qu’il soit, ou toucher la peau écailleuse d’Ali n’offrait plus les mêmes sensations. Le toucher était totalement différent. Par un système électrique, ou quelque chose qu’il avait compris comme ça, des signaux lui étaient envoyés et il ressentait le degré quand il touchait et pressait quelque chose. En revanche, les différentes textures, leur température, leur rigidité ou souplesse,… lui étaient totalement inconnues. C’était simplement presser ou ne pas presser. La base. Pourtant, d’autres mains, bien plus performantes existaient sur le marché. Si Paul devait se contenter de celle-ci, et il savait qu’il devait déjà s’en montrer heureux, c’était uniquement parce qu’il n’avait pas les moyens d’avoir mieux. Quand sa mère avait appris ce qui était arrivé, en plus de ce qui s’était passé à la veille des vacances avec la Team Rouage, même si elle se montrait généralement compréhensive, cette fois-ci elle avait été à deux doigts de retirer son fils de l’académie. Heureusement, les bons résultats des années précédentes de Paul associés aux nombreuses rencontres que l’académie avait permis à son fils, sa mère avait finalement fait marche arrière et laissé son fils sur Adala. Toutefois, elle n’en restait pas moins inquiète pour lui et sourire en montrant sa nouvelle main sur la photo qu’il lui envoya, était un moyen efficace de la rassurer.

Le ferry, qu’utilisait l’académie pour se rendre sur les îles, était bien connu des élèves vétérans. Paul avait du mal à imaginer qu’il en faisait désormais partie. Il s’était toujours considéré comme un élève parmi tant d’autres. Aujourd’hui, il se sentait plus vieux et plus mature, que la plupart d’entre eux, bien que certaines nuits il aille jouer le héros masqué. Par habitude, il ne s’était pas collé aux professeurs et s’était un peu éloigné d’eux, connaissant leur speech de présentation par cœur. De plus, Melty faisant partie des accompagnateurs, il était préférable de garder ses distances, par simple mesure de sûreté. Dès le débarquement, Paul et Aligatueur analysèrent la géographie du lieu. Ils avaient été déposés sur une plage, classique. Face à celle-ci, plusieurs environnements étaient distinguables en premier lieu : une forêt épaisse, que la lumière ne devait pas beaucoup traverser, et des collines vallonnant le paysage. Au regard de ces premières observations et de ses maigres connaissances sur les colons, les ruines de leurs demeures devaient se trouver logiquement dans les collines. Ce serait par conséquent leur destination. Plusieurs chemins s’offraient entre eux, mais chacun d’eux finissaient par se rejoindre plus loin avec un autre chemin, sans aucune indication précise. Les collines se trouvant par-delà la forêt, ils décidèrent de couper par elle en prenant un chemin qui leur semblait peu sinueux.

Une fois de plus, Paul et Aligatueur se retrouvaient plongés au cœur d’une forêt obscure. Comme tant d’autres, celle-ci dégageait une atmosphère étouffante et anxiogène, liée à l’absence de lumière. Cela ne semblait pas déranger les deux compagnons qui avançaient d’un pas serein sans se détourner du petit chemin de terre. Leurs différents voyages les avaient amenés à plusieurs reprises à se confronter à ce genre d’environnement, qui étaient assez communs, et le bois brumeux de feu Lansat représentaient à leurs yeux le plus terrifiant de ces endroits. Malgré sa proximité avec l’académie, Paul ne s’y était rendu qu’une seule et unique fois, à la suite de la soirée Halloween. Les raisons de cette expédition avec Max Arago étaient flous dans sa mémoire, mais il se rappelait avec une précision chirurgicale de tout ce qu’ils avaient pu voir là-bas : un dortoir rose bonbon nappé de brume et aux étranges dispositions. Curieux et naïf, ils s’étaient lancés à sa conquête et n’y avaient découvert que des choses plus horribles les unes que les autres. A tel point, qu’ils avaient rebroussé chemin au milieu de leur exploration, certains de ne pas être seuls dans ce dortoir.

Désormais, plus aucune forêt ne lui faisait donc peur ! Et puis, cette histoire avait pris place au moins deux ans auparavant. C’est fou comme avec le temps, les souvenirs se mêlaient et les années se mélangaient. Dans tous les cas, le garçon n’avait plus rien à craindre de personne, tant qu’Aligatueur restait avec lui. Le rose dont les autres se moquaient autrefois était devenu un monstre au corps musclé et huilé. Certes, ce n’était peut-être pas aussi effrayant qu’un Dracaufeu noir crachant des flammes à tout va, mais ça avait le mérite d’être efficace en nature.

Au fur et à mesure de leur progression, un sentiment différent de la peur venait tout de même les inquiéter. Ils étaient persuadés d’être suivis ! Et cette personne ou Pokémon se montrait extrêmement discrète. Pas un pas n’était audible, pas une branche ne craquait, pas une feuille ne bruissait. Il y avait simplement cette désagréable sensation dans la nuque, qu’un regard les fixait dans l’ombre. Paul souffla discrètement à Ali de rester sur ses gardes, tout en agissant comme si de rien était. Tant que leur poursuivant pensait qu’ils n’avaient rien remarqué, tout irait bien en théorie. Et s’il décidait de s’en prendre à eux, de quelque façon que ce soit, ils auraient au moins l’effet de surprise sur l’agresseur de se retourner pour réagir.

- Nous arrivons à l’orée de la forêt.

Aligatueur acquiesça. Au bout de ce tunnel sans fin, venait enfin percer une lueur du soleil. La vive lumière provoquée à la sortie, donnait l’impression qu’un autre monde les attendait de l’autre côté. Néanmoins, ils n’accélèrent pas. Ils devaient continuer de se montrer neutre à la situation. Mais alors qu’ils marchaient, un craquement derrière eux retentit. L’inconnu venait de signaler sa position et les deux compères ne comptaient pas manquer cette occasion en or. Automatiquement, leurs regards se braquèrent dans la direction du bruit et d’un commun accord, ils se retournèrent pour surprendre et assaillirent… Un malheureux petit Pichu, face contre terre, ayant trébuché sur une racine.

- Hein ? C’est lui qui nous suivait depuis tout ce temps ?

Aligatueur haussa les épaules, aussi étonné que son dresseur de découvrir le bébé Pokémon. Paul s’accroupit à côté de lui et le poka doucement.

- Petit, tu vas bien ? Tu peux bouger ?

En réponse, Paul reçut une châtaigne qui le fit tomber sur les fesses.

- Pichu, arrête. Je ne te veux pas de mal. J’essayais simplement de t’aider.

Comme s’il n’avait rien entendu, Pichu se releva en continuant de lancer des éclairs dans tous les sens, sans viser particulièrement Paul ou Ali. Il nettoya son visage plein de terre avec ses petites pattes toute choupi et regarda les deux inconnus de ses grands yeux. Son corps n’avait de cesse d’électrifier tout ce qui passait sous sa main, puis sans raison apparente, cela s’arrêta. Paul s’assit en tailleur devant lui et l’examina du regard, prêt au besoin à sortir sa trousse de soin.

- Apparemment, tu n’as rien. Ouf, je suis soulagé.

Le Pichu pencha la tête légèrement.

- Tu nous as fait peur tout à l’heure. On se demandait par qui nous étions suivis.

Paul avait beau parler, Pichu ne répondait pas. D’ailleurs, il ne fixait pas vraiment le garçon ou son Pokémon. Et naturellement, il contourna Paul et s’approcha de son sac à dos, sous le regard perdu de ce dernier. Il poussa sur ses pattes pour se porter vers l’ouverture du sac et renifla plusieurs fois, trémoussant son petit nez.

- Aligatueur aliii.

- De la nourriture ? Oh mais oui ! J’ai acheté un sandwich chèvre miel au réfectoire ce matin, ça doit être ça qu’il sent. Attends. Pichu se recula en voyant Paul retirer son sac et farfouiller dedans. Il en sortit un sandwich emballé dans du papier alu, qu’il enleva. C’est ça que tu veux ? Dit-il en lui tendant le sandwich frais. N’aie pas peur, tu peux le prendre.

Pichu alterna un moment entre Paul et le sandwich, qu’il lui tendait. Doucement, il s’approcha de la nourriture, fraîchement préparée par Mama Odie et dont l’odeur n’avait d’égal que son goût succulent. De temps à autres, de faibles éclairs s’échappaient du corps du petit Pokémon, sans que lui ne s’en soucie. On aurait dit, qu’il n’avait aucune maîtrise sur eux. Faisant fi de cela, il renifla ce que Paul lui proposait et remarquant qu’il s’agissait bel et bien de ce qu’il avait repéré dans le sac du garçon, il s’en empara et s’assit d’un geste pour déguster son repas. Paul sourit en le voyant et lui caressa gentiment la tête, manquant de peu de se reprendre une châtaigne.

- Tu peux le garder, je te l’offre. Tâche de faire attention à toi. Sur ces paroles, Paul prit appui sur le sol et se releva. Allons-y Ali, nous avons encore du chemin à parcourir.

- Rwal ?

- Pour le déjeuner ? Ne t’en fais pas, les professeurs ont prévu quelque chose pour ce midi sur la plage. Nous n’aurons qu’à y retourner pour quatorze heures.

Aligatueur n’avait pas l’air aussi ravi que son dresseur de devoir rebrousser chemin au beau milieu de la journée. D’autant plus, qu’il adorait les plats préparés par Mama Odie, même s’il ne s’agissait que de simple sandwich. La saveur, les ingrédients, la sauce, l’odeur,… Tout était si parfait dans sa cuisine, que pour rien au monde il aurait voulu en changer. Malheureusement pour ce goinfre, il faudrait se contenter d’un plat banal, réchauffé sur la plage, ce midi.

Ensemble, ils reprirent donc leur route et sortirent de la forêt. Après quoi, ils débarquèrent sur de larges collines, donnant par derrière sur d’autres collines, qui s’enchaînaient ainsi à perte de vue, surplombant tout autre paysage de l’île. Au travers, il était possible de reconnaître ci et là, des monticules de pierres qui s’apparentaient à des ruines.

- Nous y sommes enfin ! Il y en a tellement de dispersées dans toutes ces collines, que je ne sais par laquelle commencer. S’exclama le Noctali.

Se référant à leur instinct, ils prirent une direction au hasard, sachant qu’elle les mènerait forcément à l’une des ruines, tant leur nombre était conséquent. Après cinq minutes de marche, ils déboulèrent sur un sentier, composé des mêmes dalles, que celui qu’ils avaient emprunté à leur arrivée sur l’île. Tant mieux, cela signifiait qu’ils ne s’étaient pas perdus ! A en croire toutes les installations qui avaient été réalisées sur l’île, il y avait eu beaucoup de passage à l’époque dessus. Peut-être que chacune de ces ruines correspondait à des villages ? Ils en auraient bientôt le cœur net. Mais tandis qu’ils avançaient, ils entendirent des couinements derrière eux. Ils se retournèrent et découvrirent que le petit Pichu les avait suivis, son sandwich à demi-dévoré en mains.

- Pichu ? S’étonna Paul. Mais qu’est-ce que tu fais là ?

Semblant toujours aussi perdu chaque fois que lui parlait le garçon, le Pokémon le regarda avec de grands yeux, incapable de répondre. Cet air perdu sur son visage, le rendait d’autant plus mignon, qu’il ne l’était déjà de base. Pichu reprit la dégustation de son sandwich.

- T’es vraiment trop mignon toi. Tu peux venir avec nous si tu veux. Dit-il en souriant au petit, puis il se remit en marche, gardant régulièrement à l’œil Pichu pour s’assurer qu’il suivait et qu’il allait bien. Ali, tu crois qu’on peut le garder ?

- Rwaaaali ?

- Mais quoi ?! Regarde-le, il est trop mignon ! Et il ne nous lâche pas d’une semelle.

- Aligatwueur, aliii gwaaar aliga aligatueur.

- Non, ce n’est pas la même chose. Je suis sûr qu’il n’est pas juste là parce qu’on l'a nourri. Ce n’est pas un Ponchiot errant !

Il était vrai qu’en ville, les Ponchiot avaient la mauvaise réputation de manger dans les poubelles tout ce qu’ils trouvaient, d’attendre dans les ruelles des boucheries et de ne plus lâcher quiconque leur donnait la moindre nourriture. En cela, ils étaient très collants. Mais Pichu n’avait rien avoir avec eux aux yeux de Paul. Certes, il ne comprenait rien de ce qu’il lui disait, mais s’il traînait avec eux, c’était sûrement parce qu’ils lui plaisaient. Surtout, qu’ils n’avaient plus rien à lui donner à manger.

La journée passa, sans que Pichu ne les ait quitté une seule fois. Même lorsque son sandwich fut englouti, il continua de les suivre et de s’intéresser à ce qu’ils faisaient. Il avait l’air intrigué par leur présence, mais aussi fasciné par leurs recherches. Il ne comprenait pas tout, mais tentait de se rendre parfois utile, comme en ramenant des cailloux qu’il présentait à Paul, lorsque ce dernier fouillait dans les ruines. Au final, Paul se retrouva devant un choix difficile au moment de reprendre la mer.

- Ali, je sais que tu ne veux pas d’un petit constamment dans les pattes. Mais pense à lui. Il a vraiment l’air de se plaire avec non.

- Rwal. Grogna Aligatueur, bras croisés et dos tourné, signe de sa désapprobation.

- Tu n’es pas très gentil. Regarde-le, tu comprendras. S’enquit Paul en attrapant Pichu et en le soulevant à la hauteur du gigantesque crocodile rose. Ce dernier leva un œil dans sa direction, puis le ferma aussitôt.

- Rwal. Répéta-t-il fermement.

- Pff, t’es pas drôle. Je ne sais même pas pourquoi je te demande ton avis, on est pas mariés.

- Aliiigatwueur.

- Mouais… Bah, tu feras bien de t’en accommoder, parce qu’il va venir avec nous ! Je suis incapable de me séparer de ce petit bout de chou trop mignon.

Aligatueur soupira. Il était incapable de se rappeler le nombre de fois où Paul avait craqué devant Pichu en le qualifiant de « trop mignon ». Visiblement, son avis ne serait pas entendu de son ami aujourd’hui. Toutefois, il pouvait se consoler dans le fait que Paul se prenait régulièrement des coup d’jus non-maîtrisé par Pichu. Avec un peu de chance, ils finiraient par lui remettre le cerveau en place !