- Donc en résumé, c’est ça que tu vas devoir faire. Tu as tout compris ?
Enzo lève son pouce en l’air et ajoute un clin d’œil.
- Pas de problème. La boutique ouvre à quelle heure ?
Le technicien (Alfonse ? Anthony ? Julien ?), un type grand aux cheveux brun foncé et la gueule sympathique, lui répond avec enthousiasme.
- Dans une heure à peu près. Vers 9h. L’idéal c’est que tu viennes tous les jours avec un peu d’avance, au cas où on ait des cas particuliers. Et aujourd’hui, on va faire les shootings pour les présentations à l’écran. Tu me suis ? Je vais te passer le polo de l’émission.
Enzo se contente d’hocher la tête en réponse et suit le jeune homme sans faire trop d’histoire. L’habitude des jobs un peu perchés même si le bleu doit bien reconnaître que cette fois-ci, le délire est bien particulier. Bien plus que d’habitude.
Boah, c’est ni la première ni la dernière fois qu’Enzo passe dans une émission de télé ! Avec une discrétion à toute épreuve, il fait rapidement un selfie devant l’enseigne du Pawn Staris, l’émission dans laquelle il va tourner pendant quelques jours. Il tape rapidement un message « Plus au chômage !! » et l’envoie à sa copine sans tarder.
La photo est un peu stupide, on ne voit que le haut de son visage. Cadrée essentiellement pour mettre en avant la grosse enseigne derrière lui, seuls les yeux et la touffe colorée du garçon est visible. Avec un peu de chance, ça tirera un sourire à Caro.
Le technicien (Josh ? Paul ? Richard ?) lui fait signe depuis l’entrée des petits bureaux de la boutique de prêt sur gage et Enzo se décide enfin à le rejoindre. On lui fourre un polo noir avec le logo de l’émission brodé en blanc sur son pectoral droit. Il ne lui faut pas longtemps pour l’enfiler et ressortir du minable petit bureau.
- C’est quoi votre objectif en achetant une boutique sur cette île ? J’veux dire, vous êtes dans toutes les capitales des régions. Pourquoi Adala ?
Le brun hausse vaguement les épaules.
- Je sais pas vraiment. Je crois que ça a voir avec l’état de la boutique. Elle est au plus bas. Dans nos directives de réalisation, on doit accentuer sa misère. Je pense qu’ils veulent faire une série évolutive. Genre, on commence au plus bas mais au finit au sommet. Un truc du genre.
Enzo hoche la tête.
- Ça se tient, j’imagine.
Les deux garçons échangent un regard et haussent les épaules d’un même mouvement.
- On va prendre ces shoots du coup ?
- Fort dommage que tu ne parles pas d’alcool quand même.
- Si tu savais combien de fois je me dis ça.
Ils partagent un léger rire avant de se mettre en route vers la zone dédiée aux gros plans. L’installation est assez bancale pour une émission aussi connue et populaire. Visiblement, ils veulent que leur effet misérable se ressente jusque dans la qualité d’image. Étrange mais hey, Enzo est pas réalisateur de la série. Le technicien (Jérome ? Jules ? James ?) lui transmet rapidement les directives avant de s’installer derrière la caméra.
- C’est pas compliqué, tu dois simplement croiser les bras et te tourner de 45 degrés vers la gauche. Essaie d’avoir l’air dur à cuir. Ou quelque chose.
Très professionnel.
Cependant, Enzo s’en sort relativement bien. Après quelques fou rires face au ridicule absolu de sa situation, le jeune homme se fond dans la moule et exécute de mieux en mieux la fameuse pose du mec sérieux. Ce qui, en soit, est une vaste blague à partir du moment où on le connaît.
- Parfait, c’est bon pour moi. Je te laisse rejoindre les équipes, elles vont te refaire un rapide topo. À plus Enzo !
- Tchuss.
Les deux jeunes hommes échangent un check de l’amitié avant que chacun parte de son côté. Enzo n’a pas beaucoup de mal à s’intégrer dans le groupe des vendeurs là pour une semaine au maximum et écoute presque avec attention les informations que leur transmet le manager (très permanent lui). Le propriétaire (enfin, ex-propriétaire maintenant star de la télévision) arrive quelques minutes à peine avant l’ouverture et leur adresse à peine un salut. Vive les patrons pas vrai ?
Enfin, pas comme si ça intéressait véritablement Enzo. Il s’installe rapidement à son poste, au comptoir. Maintenant, c’est les scènes coupées, la longue attente pour les clients. Youhou. L’éclate totale quoi. Son ami technicien (Hector ? Félix ? Michel ?) vient rapidement lui taper la discute.
La matinée est relativement calme. Quelques personnes viennent proposer des trucs assez banals. Un set de comics books de Captain Ranger, des bijoux et même quelques bouquins, bref, rien d’exceptionnellement passionnant. Mais comme le dit si bien Kévin ? Damien ? Sam ? Il faut parfois plusieurs jours de tournage avant que quelque chose de vraiment chic arrive.
Et c’est basiquement ce qu’il se passe. Enzo se fond dans le travail avec une aisance certaine. Il évalue les biens d’un air expert et use avec soin la quantité de ses voyages pour raconter des anecdotes par rapport à chacun des objets qui lui est présenté. L’avantage avec ça, c’est qu’il est capable de dire que cette pierre précieuse venant du Désert Désolant n’est en fait qu’une copie et ce, sans même appeler l’expert.
Et puis, comme à chaque fois qu’il fait un job en contact direct avec la clientèle, sa gueule d’ange lui permet de remporter les négociations avec un sourire désolé. Ça amuse beaucoup Louis ? Harry ? Vernon ?, qui dit qu’il sera probablement un des chouchous de ces épisodes. La joie d’être mignon !
Le moment vraiment chouette de toute cette aventure reste quand même le dernier jour. Pourquoi est-ce que c’est chouette ? Parce que finit les bouquins et autres bijoux ! Ce jour là, on ramène dans la petite boutique de prêts sur gage, un incroyable, fantastique et totalement irréaliste traîneau du Père Noël. Début février. Bien après la période de Noël.
Incroyable.
Et c’est aussi ce que semble penser l’équipe de production qui pousse le pauvre Enzo a prendre en charge l’engin. Le soucis est qu’Enzo, malgré ses voyages et ses expériences étranges, n’a jamais, jamais eu à voir un fucking traîneau du Père Noël.
Il tient donc la jambe du propriétaire de l’engin le temps qu’on aille cherche le gérant de la boutique et l’interroge un peu intrigué sur le fameux traîneau.
- Mes parents sont des grands fans de Noël. Ils se sont rencontrés à cette période là, mon père a demandé ma mère en mariage par là aussi et même le mariage s’est fait deux jours avant Noël. Je vous dit pas les crampes d’estomac qu’on a eu … Bref, du coup, pour leur dixième anniversaire de mariage, mon père a fait construire ce traîneau pour ma mère et depuis, il trône dans le salon, toute l’année.
- Toute l’année ?
L’air un peu gêné, le client précise que ça fait une décoration incroyable à Noël.
- Pourquoi vous en séparer du coup ? Vous avez l’air de bien l’aimer.
- Oui … C’est devenu quelque chose de précieux pour toute la famille mais c’est encombrant … Avec le décès de mes parents, la fratrie a décidé d’essayer de s’en séparer.
Quelques minutes plus tard, le patron arrive,visiblement agacé qu’on le dérange pour ce qu’il imagine être pas grand-chose. Sa réaction est plutôt drôle quand Enzo lui explique que le soucis, c’est un traîneau du Père Noël.
Le patron est totalement pris au dépourvu par le machin et finit par refuser d’acheter le traîneau, argumentant que c’est un peu trop particulier pour qu’il puisse le revendre à un bon prix et conseille au client de se diriger vers des sites de ventes de particuliers à particuliers. Peut-être trouvera-t-il acheteur.
Franchement, Enzo en doute.
Le soir, après avoir rendu son polo et reçu son salaire, il est arrêté par le technicien (Gary ? Bob ? Patrick ?) qui lui tend sa carte de visite avec un sourire.
- Tu passes plutôt bien à l’écran. Si ça te tente de repasser sur le petit, voir même le grand écran, n’hésite pas à me contacter. Je devrais pouvoir te trouver des petits boulots, plutôt bien payés.
- Merci mec !
Aaaah, ça fait plaisir de voir que la chance penche à nouveau de son côté.
Et au final, son nom c'est Luc.