Moira maudissait son horloge interne.
Une journée de cours commençant plus tard que d'habitude aurait été une parfaite occasion de faire la grasse matinée. [Sept heures trente deux minutes], avait pourtant annoncé son Ipok lorsqu'elle avait réussi à mettre la main dessus après avoir tâtonné quelques minutes du mauvais côté du lit. Elle avait bien essayé de se rendormir, mais rien n'y avait fait : une fois réveillée, Moira l'était pour de bon, et ce matin là ne faisait pas exception. Alors elle avait laissé tombé, s'était arrachée à la douce étreinte de son lit et s'était habillée sans trop de précipitation pendant que Lucia bâillait à s'en décrocher la machoire, tranquillement calée contre son oreiller. Une séance de grattouilles plus tard, elle s'était ensuite dirigée vers le réfectoire, la riolu ouvrant la marche sur son flanc gauche comme elle en avait pris l'habitude, le pat pat de ses pas faisant écho au tap tap de la canne.
Quitte à avoir du temps à perdre, autant l'occuper avec quelque chose d'agréable : et là, tout de suite, elle avait furieusement envie d'un chocolat chaud. L'air avait beau sentir l'approche du printemps, le froid hivernal était encore loin de s'être dissipé, et il faisait encore beaucoup trop frisquet à son goût. Au moins, c'était une belle journée, à en juger par le soleil qu'elle sentait lui réchauffer le visage.
Elle replia sa canne en entrant dans le bâtiment principal et la raccrocha à sa ceinture : elle commençait à saisir assez bien la configuration des lieux pour que ce ne soit plus une nécessité absolue, en tout cas ici. Le reste viendrait avec le temps et l'habitude, sans doute. Une fois dans le réfectoire (qui lui semblait d'ailleurs soit moins plein que d'habitude, soit bien moins bruyant), la machine à café ne fut pas difficile à trouver : il suffisait de suivre l'odeur. Et miraculeusement, cette dernière était même libre!
La seule difficulté, comme le réalisa Moira très vite en passant la main sur la face de l'engin, serait de trouver le chocolat. Deux colonnes de boutons rectangulaires, surmontées de deux autres boutons plus éloignés du reste : probablement pour ajuster la quantité de sucre. Et bien évidemment, rien de tout ça ne portait d'indications en braille : elle allait donc devoir se débrouiller sans. D'après son expérience, les premiers boutons correspondaient généralement à diverses sortes de café. En toute logique, le chocolat se trouverait donc vers le bas. Suivant ce raisonnement incroyablement développé, elle inséra un jeton, ajouta assez de sucre pour tuer cinq diabétiques et appuya en bas à gauche. La machine émit un ronronnement sourd, puis un bruit de liquide qui s'écoule, et lui dispensa quelque chose...
...Qui, d'après l'odeur, était très certainement un café.
Elle but une gorgée, grimaçant quand le liquide lui brûla la langue. Un café avec autre chose dedans, plus précisément : peut-être du lait? Ou alors de la crème, difficile à dire. Rien de bien enthousiasmant, en tout cas, et Moira n'aurait même pas fini son verre si elle n'était pas aussi opposée au gaspillage. Une fois la chose vidée à contrecoeur, elle retenta l'expérience, cette fois-ci avec le bouton d'au dessus.
Et reçut un second café.
Une personne normalement constituée aurait demandé de l'aide à ce moment là. Moira n'était pas cette personne. Clairement, cette machine la narguait, et elle en faisait une affaire personnelle. A présent, elle était sa nemesis, son ennemie jurée, et Moira avait bien l'intention d'en triompher et de laver son honneur de cet affront, ou quelque chose comme ça. Eh bien, si la machine la feintait, elle allait réagir en conséquence, ça lui apprendrait. Avalant son second café cul-sec sans se soucier de la température, elle empila ses deux verres vides et pressa fièrement le bouton supérieur droit en ponctuant son action d'un a-ha!.
C'est à ce moment là que Lucia, qui s'était tenue tranquille jusqu'ici, la sortit de sa rêverie en se mettant soudainement à grogner vers son coté droit, queue plaquée contre sa jambe. Etait-elle si absorbée par son duel psychologique imaginaire avec un objet inanimé qu'elle n'avait pas remarqué que quelqu'un d'autre attendait pour se servir? Elle leva brièvement sa main libre vers la direction générale de l'intrus avant de saisir le troisième verre.
« Désolée, j'ai presque fini! »
Sur ces mots, elle renifla le contenu avec une certaine hésitation, avant d'émettre un claquement de langue agacé. Café.
« Hmmm, ou peut-être pas. Juste un de plus! »