18.03.2018. Elle ouvre les yeux. La lumière l’éblouit. Pourtant, la salle, plongée dans la pénombre, n’est éclairée que de quelques bougies. Elle veut referma les yeux. Quelque chose l’éblouit. Un cauchemar. Mais elle devrait pouvoir se réveiller bientôt, non ? Alors elle referme les yeux. Réveille-toi, s’il-te-plaît. Bientôt elle se retrouvera dans son lit, dans sa pièce, et une journée nouvelle pourra commencer. Une nouvelle de merde, certes, mais toujours moins pire que ce qu’elle était en train de vivre. Il allait faire jour, ce sera le matin, elle pourra se lever sereinement, ou presque. Il y avait toujours ce problème de rouquin débile, Nils, mais qu’elle préférait désigner par boulet-bis, mais cela restait supportable, non ? Elle rouvre les yeux. Raté, toujours là, Là, dans la salle de réception de la demeure Yutaka. Avec la lueur des bougies, les couverts en argent, la vieille folle et… Cet homme. Cheveux coupés court, brun, tirant sur le noir, traits tirés, mais sourire polis, costard-cravate, en train de couper son filet mignon. Les bruits des couverts se heurtant contre la porcelaine animaient la pièce.
« … Je vous présente Hope, ma petite fille, la toute dernière de la famille. Elle fit signe au domestique de sortir une autre bouteille de vin. Ses yeux sont si beau ! Et cette chevelure, ce teint, jamais je n’aurais pu imaginer qu’une de mes descendances puisse avoir un tel physique ! Un vrai bijou, je vous assure ! Son père, pointe de dédain évident dans le ton employé, lui aura au moins légué ça de bon mais parlons d’autres choses, voulez-vous, je ne voudrais traumatiser cette pauvre fille, bien qu’elle ne semble pas le montrer, cela a indéniablement dû énormément l’affecter ».
La septuagénaire parlait, déversait son flot de parole, la vendait sans se préoccuper de la présence de cette dernière. Et la blonde, assise à ses côtés, mâchoire serrée après avoir réalisé qu’il ne s’agissait ni d’un cauchemar ni d’une blague, mais bel et bien de la réalité, redirigea sont attention vers son assiette, regard baissé, évitant au possible de croiser celui de l’hôte. Celui-ci ne semblait par ailleurs pas bien plus à l’aise, acquiesçant de temps à autre les propos de la doyenne de la maison, faisant mine de prêter attention à son monologue. La soirée s’annonçait longue.
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19.03.2018. Trempant la brosse à poils durs dans le bac d’eau savonneuse, elle soupira. À côté d’elle, Fanta, qui s’occupait de faire prendre la douche aux quelques Rhinocornes devant eux, lui jeta un regard inquiet. Sa dresseuse était préoccupée, et il savait très bien pourquoi mais ne pouvait pas y faire grand-chose. De sa trompe, il déversa une certaine quantité d’eau sur le corps rugueux d’une de ces bêtes recouvertes de bulles.
Elle frotta vigoureusement son patient, puis jeta un œil brièvement à son CapStick pour s’assurer que les résidents dont elle était en train de s’occuper appréciait leur traitement. Un silence pesant régnait. Seul le souffle lourd des Pokémon piquants masquait les bruits usuels du parc qui leur parvenaient depuis l’extérieur. Ce calme lui faisait le plus grand bien. La jeune fille avait marre de toutes les galères qui lui tombaient dessus depuis quelques jours. Elle n’avait qu’une hâte, celle de s’envoler pour Fiore. Là, au moins, elle savait qu’elle aura la paix, et qu’elle s’y plaira. Pas de boulet qui arrachait des pâquerettes à la moindre occasion pour les lui coller sous le nez, ou qui la fixait avec de gros yeux tristes. Pas de vieille au dos défoncer mais qui ne se gênait pas pour ricaner derrière son dos. Pas de réception bizarre où elle avait l’impression d’être un pot de fleur qu’on essayait de survendre. Rien de tout ça. Rien que le calme, la nature, et des Tylton. Il y a quelques années, on lui aurait proposé de rester paumée dans la montagne pendant plusieurs semaines, elle aurait refusé d’office. Mais depuis, elle avait appris à apprécier ces moments. Peut-être pas éternellement, mais cela ne la dérangeait pas. Et en cette période où la vie semblait s’acharner sur elle, ce n’était pas plus mal.
Il n’y avait eu que très peu de nouvelles concernant Lansat, ces derniers jours. Les journaux télévisés repassaient sans cesse les mêmes informations que précédemment. La situation n’empirait probablement pas, c’était déjà ça. Peut-être que le calme sera de retour d’ici quelques semaines. Elle espérait que cela sera le cas.
Elle accrocha le badge sur lequel était imprimé son nom sur la poitrine puis refit son chignon. Aujourd’hui était un jour un peu spécial. Hiro étant occupé, il a alors chargé la blonde de gérer seule une des visites. La moins compliquées, d’après lui. Effectivement, il s’agissait d’une simple ballade de trente minutes dans la plaine, à dos de Rhinocorne. Les mêmes que ceux à qui elle venait de donner une douche. Il y avait également une autre visite de prévue, en zone aquatique, et à son plus grand bonheur, son tuteur eut l’intelligence de ne pas lui confier celle-ci. Maintenir un banc de Carvanha à distance par elle-même ? Non merci. Elle n’avait aucune envie de se frotter à cette tâche délicate. D’ailleurs, elle n’avait pas demandé des nouvelles de la situation de ces poissons cannibales depuis. Il fallait qu’elle songe à le faire, s’ils pouvaient s’en débarrasser d’ici quelques jours, cela sera pour son plus grand bonheur. Et sûrement bénéfique pour le parc lui-même. Avouez, une affiche « Baladez vous au Parc des Amis au milieu des Carvanha ! » n’est pas des plus séduisantes, non ? Mais apparemment, cela ne semblait pas déranger les visiteurs. La quantité de visites aquatiques n’avait que très peu bougé, voire pas du tout, depuis leur entrée en pension. Enfin, leur entrée, l’entrée de deux Carvanaha. Désormais, ils étaient un banc entier.
Les couloirs du bâtiment étaient vides. Une porte grinça, Hope sortit de des vestiaires, prête à se diriger vers l’accueil, là où l’attendait les premiers visiteurs qu’elle accompagnera toute seule. Certes, le stage qu’elle effectuait n’était pas ce qui l’intéressait le plus, mais elle ne pouvait nier que cette visite la stressait. Elle tordait ses doigts, dans l’espoir de faire abstraction de ses mains moites.
Et cette porte s’ouvrit. Un homme, cheveux ébènes coupés court, traits tirés, en sortit. Après avoir verrouillé, il vérifia sa montre, haussa les sourcils, apparemment surpris. Il fallait qu’il se dépêche. Alors il se retourna puis tomba tête à tête avec la blonde. Le malaise était présent. Tous deux ne surent quoi dire. La plus jeune décida de se lancer en premier.
« Bonjour, monsieur Mithint. Et après ? Qu’était-elle censée dire ? Son interlocuteur ne l’aider pas. Je… Euh… Enfin, des clients m’attendent, du coup je vais y aller ! Bonne journée ! »
Pitié, qu’il dise quelque chose, qu’elle ne soit pas la seule à patauger dans ce malaise.
« Oh, très bien mademoiselle Y-… Spettell. Le malaise, à l’aide, le malaise. Mais au moins, elle ne passera pas pour une malpolie. Elle s’empressa de le dépasser, afin de mettre fin à cette rencontre le plus rapidement possible.
« Et bon courage pour la visite ! »
Elle se retourna. Ugh. Sourire forcé. Politesse, toujours. Et fuir.
Pourquoi il essayait de se montrer gentil, il pourrait tout autant s’en battre les deux reins d’elle, ça l’arrangerait.
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Soupir. Du calme. Elle pouvait enfin profiter de quelques minutes de repos. La pièce était exiguë, mais au moins, elle était sûre qu’aucun problème ne lui tombera dessus, durant ces quelques minutes où elle se soulageait. Assise sur le couvercle de la cuvette, la jeune fille en profita pour passer toute sa vie en revue. D’Onde-Sur-Mer à Lansat à Célapole à Bourg-Hiver à… Ce stage de malheur. À cette pensée, elle enfonça sa tête dans ses bras. À quel moment avait-elle pu penser que cela pouvait être une bonne idée ? Parc des Amis, le nom était si cruche, elle aurait dû s’en douter avant même de poser les pieds ici. Une force maléfique devait flotter sur Parmanie, ou au moins sur ce parc. Bon, certes, les deux semaines passées à Vermilava n’étaient pas si mal, mais… Ce parc, au secours.
Sa première visite en tant de guide à part entière s’était étonnement bien déroulée. Il n’y avait qu’un vieillard, qui arrivait à peine à garder les yeux ouverts, accompagné de ses petits-enfants qui avaient dans la vingtaine probablement. Il semblait peiner à tenir sur ses jambes, mais aussi surprenant soit-il, il s’était révélé être quelqu’un de plutôt énergétique ! Enfin, pour son âge. N’abusons pas. Et la présence de Fabien et Fabrice facilitait largement la tâche ! Ces presque si ces deux derniers s’étaient chargés de la visite à la place de Hope, expliquant chaque espèce qu’ils croisaient à leur grand-père. Des gosses adorables. Enfin, des gosses beaucoup plus âgés qu’elle aussi. Cela l’arrangea grandement, à vrai dire, la blonde n’avait pas vraiment la blonde à s’occuper de la visite. Elle avait néanmoins essayé de garder le sourire de politesse tout au long de ces trente minutes. Trente minutes qui lui parurent si longues mais si courtes. Enfin bref, la visite se fit elle-même sans qu’elle n’ait vraiment à bouger le petit doigt, et ce fut pour son plus grand bonheur ; elle put passer son temps, à dos de Rhinocorne, à se morfondre en silence.
Oui, mais du coup, si tout s’était si bien déroulé, ou est le problème ? Oh, mais il n’y en a pas, voyons ! Le problème était arrivé après. Quand une ambulance a débarqué, quelques minutes avant la fin de la visite. Le parc était en panique, tous se demandait ce qu’il se passait. La blonde essaya de rassurer ses clients du mieux qu’elle put, mais elle ne l’était pas bien plus. Son CapStick avait sonné, on lui avait ordonné de ramener immédiatement le groupe à l’entrée du parc. Pourquoi ? Arrivé à la réception, il y avait le directeur, le fameux « jeune homme charmant et professionnellement parlant, brillant », La source de son malaise depuis hier, en pleine discussion avec un infirmer. Et un policier. En la venant arriver, il parvint à se libérer quelques minutes, le temps d’expliquer la situation, très embellie, à ces trois clients puis de les ramener avec gentillesse à leur hôtel. Venus de si loin pour conclure leur visite par des sirènes d’ambulance, mh, ils avaient probablement dû connaître mieux. Enfin, de ce que la blonde avait cru comprendre, ils venaient de loin. Venir d’aussi loin pour un stupide parc, c’était un peu triste quand même. Elle espérait qu’ils avaient au moins prévu des activités à d’autres endroits.
Un visiteur s’était fait mordre. Enfin, « mordre ». Plus précisément, un visiteur, sous la charge de Lucie, une des collègues rangers du parc, s’était fait bouffé la main par un Carvanha. La scène ne devait pas être particulièrement glamour, la blonde se passait volontiers des images. La présence des policiers dura un certain temps, alors que le blessé fut amené d’urgence à l’hôpital. Les entrées furent bloquées un certain moment, et voilà où on en venait. Une Hope, enfermée dans les toilettes, essayant de profiter de ces quelques instants de calme. De toute manière, on lui avait formellement interdit de quitter les lieux, au cas où on voudrait lui poser des questions apparemment. Ouais ouais, lui poser des questions ? Quel genre de questions ? Elle n’avait pas assisté à la scène, elle n’en savait rien, ils pourraient tout aussi bien la laisser s’en aller pour la journée. Partir un peu plus tôt, ça serait cool non ? Mais non. Apparemment, son témoignage sera éventuellement nécessaire. En se rendant dans les toilettes, elle avait croisé la fameuse Lucie, complètement traumatisée. Il y avait de quoi. D’ailleurs, d’après ce qu’elle avait compris, seul Hiro s’était occupé des visites aquatiques depuis l’arrivée des Carvanha, non ? Enfin bref, toute l’histoire était plutôt malheureuse. La pauvre, si elle se retrouve avec un casier judiciaire à cause d’un parc débile, et bien… Dommage. Hope la plaignait.
Les toilettes, c’est bien aussi, non ? La jeune fille commençait à ressentir les fourmis dans ses pieds. Mais à l’accueil, aux dernières nouvelles, le directeur, monsieur Malaise, était toujours en discussion avec les autorités. Hiro aussi, avait dû se déplacer en urgence, apparemment bouleversé. Il s’en voulait aussi énormément, apparemment. Ouais, s’il avait géré la visite, le pauvre client ne se serait pas fait bouffer la main. Mais en même temps, quelle idée d’envoyer les clients dans un bassin rempli de Carvanha. On pouvait lui expliquer le problème ?
Les yeux du Spectrum la fixaient. Apparemment, le temps qu’elle avait passé sur la cuvette l’avait intrigué. Et maintenant, il devenait gênant. Il lui semblait qu’elle avait eu sa dose de gêne et de malaise aujourd’hui, mais son starter n’était pas de cet avis. Elle soupira. Très bien, il fallait qu’elle se lève. À contre-cœur, elle poussa la porte de la cabine puis quitta la salle d’eau.
On la retint encore plusieurs heures. Toujours sans savoir si elle devra témoigner ou non. Et la blonde faisait les cent pas, dans la cafétéria, en compagnie de la caissière, de la femme de ménage, et de deux membres de son incroyable groupe de jardinage. Dont le boulet-bis. Oh joie ! Oh bonheur ! Combien de temps allaient-ils les garder en cage ? Par ailleurs, la présence du rouquin la gênait énormément. Heureusement que le choc lui avait retiré toutes capacités d’expression. Il était là, assis sur une chaise, à fixer le vide, la bouche mi-ouverte. Comme un Magicarpe. Oh, tiens, Magicarpe, ça lui irait bien comme surnom ! … Mais en attendant, c’était elle qui faisait les cent pas en cercle, comme un stupide poissons dans son aquarium. Vivement que ce stage soi terminé, elle sentait ses nerfs arriver à bout.
Il leur fallut encore deux heures aux policiers avant de de décider qu’ils n’auront pas besoin de la stagiaire, de la caissière, de la femme de ménage, de la vieille fille en dépression qui était à deux doigt de se suicider avec un couteau en plastique lors de l’attente dans la cafétaria et du rouquin inutile et trop choqué pour parler qu’ils durent conduire à l’hôpital. Ce stage était un désastre. Qu’allait-elle dire dans son rapport ? Qu’elle n’a pas pu terminer son stage à cause des stupides Carvanha que le parc avait jugé bon de garder ? Certes, respecter la nature, être ranger, tout ça, oui. Mais n’empêche que certaines créatures ne méritent pas toujours leur place. Par exemple, ces Carvanha ne méritaient pas leur place dans ce parc. Et Hope ne méritait pas non plus ces cinq heures à rester enfermée dans une stupide cafétaria en compagnie d’une bande de gens déprimés. La femme de ménage n’avait cessé de se morfondre, expliquant que si le parc fermait, elle aura énormément de mal à retrouver un travail et qu’elle n’aura pas assez pour nourrir ses quatorze Chacripan et ses trois Chaglam. La blonde n’osait même pas imaginer l’état de l’appartement de cette dernière. À moins qu’il ne s’agisse de Pokémon empaillés, ce qui expliquerait bien des choses.
On lui annonça qu’elle n’aura pas besoin d’aller au parc le lendemain de l’accident. Bien. Pourquoi pas. Elle ne sut pas vraiment quoi en penser. D’un côté, ne pas avoir à se rendre dans ce parc de malheur au risque de croiser boulet-bis ou le directeur professionnellement brillant ne pouvait qu’être une bonne nouvelle, mais passer une journée entière dans le donjon Yutaka… Et bien… Et bien. Voilà. Avec un peu de chance, la mégère ne l’embêtera pas, par exemple, si Hope parvenait à se montrer suffisamment discrète pour qu’on la pense absente une journée entière. Enfin, deux. Le lendemain, en se réveillant à quatre heures du matin, tel un bon esclave, on lui annonça par CapStick que le parc allait fermer pendant une semaine. Des sanctions étaient tombées, le message expliquait en détail tout ce qui avait été discuté et tout ce qui était toujours à discuter. Beaucoup trop d’information qui ne lui étaient d’aucune utilité. Seul le dernier paragraphe lui parut nécessaire de lire. Afin de conclure le stage, il lui fut demander de toute de même se rendre au parc avant la date de fin prévue, histoire de régler quelques paperasses. À force, la jeune fille commençait à prendre l’habitude. Il lui semblait que depuis le début, rien ne se passait exactement comme prévu, ce qui l’obligeait à régler des papiers supplémentaires. Mais bon, tant pis, hein. Il paraît que devenir adulte, c’était ça aussi, gérer des papiers, des tonnes de papiers, et qui ne sont pas toujours forcément utiles.
Et puis, en y repensant bien, ce stage se terminait plutôt d’une bonne manière, non ? Garder des Cavanha dans un safari n’est effectivement pas une bonne idée. Et puis, elle pourra préparer sa valise sereinement, sans avoir à se presser, avant de partir à Fiore. L’idée de retourner dans la réserve l’enchantait, un large sourire se dessina sur ses lèvres alors qu’elle éteignait son CapStick, s’apprêtant à retourner comater dans son lit. Trois jours, il ne lui restait plus que trois jours. Elle avait si hâte.
Dernière édition par Hope Spettell le Jeu 12 Jan - 18:27, édité 1 fois