« On gère ! Leur acuité visuelle est basée sur le mouvem… AAAAH, ON GERE PAS, ON GERE PAS ! »Nico n’en mène pas large. Il a l’air aussi, si ce n’est plus, abasourdi que moi. Il entreprend bien de poser quelques questions, et de contester la décision, mais il se tait rapidement pour plutôt se ratatiner sur lui-même. Je l’observe avec de grands yeux se taire devant le calme impassible de Mme Jones, pour ensuite me tourner directement vers elle. Vas-y Nico, si tu commences à pleurer, je suis sûr qu’on pourra définitivement la faire passer pour la méchante !… Non ? Bon bah, je vais devoir mener une discussion sensée, je présume…
« -Je… Ne doute pas de… L’incongruité… De la présence de telles créatures dans les cieux de l’île… Ni même du peu de confiance accordé en deux adolescents censés les maîtriser, mais… » Hésitants, mes propos tendent à s’affirmer, alors que je m’avance lentement sur ma chaise.
« -Je vous jure que ces Ptéra n’aspirent à rien d’autres que la liberté. Ils… Ils ont passé un certain à vivre sous-terre, dans un paradis artificiel, et… Contrairement à tout ce que les rumeurs pourront dire, je doute que Palladium ait nourri en eux une quelconque rancune envers les humains… Ils veulent juste pouvoir voler à leur guise, sans limite, à l’inverse de ce que leur ancien dôme pouvait leur offrir ! » Brusquement placer Palladium dans mon argumentation, et d’autant plus les défendre, me paraît être après coup un choix quelque peu discutable. Néanmoins, je ne pense pas moins sincèrement ce que je dis : je suis certain que Sharon et Terry ont été traités différemment que les Pokémon Obscurs lâchés sur Lansat. Ni Nico ni moi-même n’avons remarqué la moindre séquelle sur leurs corps, et tous deux sont tout à fait obéissants. Jamais ils n’ont manqué de répondre à un coup de sifflet ! Pas de mon côté, en tout cas…
Et c’est sans doute en ce sens que j’aurai surenchéri si la mairesse m’en avait laissé le temps.
« -J’aimerai vous faire confiance. Et je ne doute pas une seule seconde de votre bonne volonté… » Elle se redresse, et s’appuie contre le dossier de sa chaise, bras croisés.
« -Mais si ce que vous dîtes est vrai, alors ce stage ne devrait être qu’une formalité. Toutes paroles, aussi sincères soient-elles, n’en restent pas moins que des paroles aux yeux de l’administration. Alors qu’un certificat de maîtrise… C’est une preuve rigoureuse et officielle de vos capacités. » Elle hausse les épaules.
« -Voyez ça comme un marché, passé de vous à moi. Si vous prouvez vos dires au cours du stage, nous nous porterons garant quant à la viabilité de vos deux spécimens sur Adala. Ils pourront continuer d’arpenter librement nos cieux, pour reprendre vos propos, et de notre côté, nous serons à peu près certains qu’aucun incident ne surviendra. » J’expire lentement, méditatif. Je n’aime vraiment pas l’idée de soumettre à Sharon ce type de test… C’est comme lui annoncer que sa liberté supposée acquise ne l’est plus vraiment, qu’elle reste encore à prouver. Elle pourrait mal le prendre… Ou n’en avoir rien à faire, j’avoue que j’ai beau lui faire confiance, j’ai parfois un peu de mal à savoir quelles sont ses priorités.
« -Tout ce que vous aurez à faire, c’est de vous rendre à la base militaire de l’île lors d’une convocation ultérieure. Nous vous ferons faire, à vous et vos compagnons, une série d’exercice qui aboutiront à une épreuve finale. S’ils remplissent les conditions de validation, l’affaire sera bouclée et vous n’entendrez plus parler de cette histoire. » elle hausse les sourcils
« Vous aurez même un petit diplôme. » On sent à son ton qu’elle cherche à détendre l’atmosphère, mon son expression résolument neutre n’aide pas vraiment. Néanmoins, je reconnais n’avoir plus grand-chose à dire pour contester cette décision… Peut-être que si on m’avait simplement proposé de passer ce test plutôt que de me l’imposer, je l’aurai mieux considéré, mais le menace sous-jacente m’effraie beaucoup.
C’est alors que Nico reprend brusquement la parole. Pris d’une détermination soudaine, il maintient à Juliet sa confiance en son compagnon, et insiste sur la nécessité qu’il puisse parcourir librement le ciel d’Adala. Bien qu’un peu surpris par tant de hardiesse, je finis par lentement acquiescer à ses propos, tout en observant la mairesse droit dans les yeux. La réponse paraît lui convenir.
« -Bien. » elle s’empare d’une feuille et d’un stylo
« Nous sommes d’accord que vous êtes libérés des cours le week-end ?... » Une prise de rendez-vous plus tard, nous voila sortis de ce bureau. Si je pensais un jour parler en face à face avec la tête pensante de l’île… Quand j’y réfléchis, je ne me souviens même pas avoir déjà aperçu le maire de Lansat. Juliet et Charlie paraissent avoir une implication toute autre dans les affaires de leur ville… Ce n’est pas un mal, je présume.
Sur le chemin du retour, Nico ne peut que difficilement s’empêcher de me questionner à propos de ces stages. Sa première interrogation m’arrache un léger rire, après lequel je secoue la tête de droite à gauche.
« -Non, non... » je reprends un ton plus sérieux
« Par contre, j’ai déjà été amené à évaluer des Pokémon pour un particulier. Sur les trois à tester, j’en diagnostiqué un comment étant de dangerosité deux…. » J’ai toujours un peu de peine au moment de repenser à ce Luxray. J’ignore ce qu’il est devenu après avoir décrété l’impossibilité de l’utiliser comme monture, mais j’ose espérer qu’il se plaît dans sa nouvelle vie…
« -En Coaching, on divise les Pokémon en quatre catégories. Le niveau 1 rassemble la majorité des Pokémon domestiques, obéissants et à priori sans risque pour les humains. Le niveau 2 concerne ceux qui, dans certaines situations d’anxiété ou autre, peuvent présenter une faible dangerosité pour son entourage. Le niveau 3 sont ceux pour qui le danger est réel en cas de rares débordements. » mon expression s’assombrit
« Le dernier palier, le niveau 4, concerne les Pokémon jugés inaptes à la cohabitation, à cause de leur trop grande puissance ou inclinaison à la colère. » Hmm. Nahr serait là, je suis certain qu’il serait satisfait de mon petit résumé.
« -Concrètement, il n’est pas bien rare de croiser des Pokémon sauvages qu’on pourrait ranger dans cette catégorie, voire même certains Pokémon domestiques. Mais tant qu’ils n’ont pas vocation à être exposés au plus grand nombre, on ne s’embête pas à les faire évaluer. » je me gratte l’arrière de la tête, pensif
« Si nous conservions Sharon et Terry dans leurs Pokéballs comme tous les autres dresseurs, je suis certain que personne ne nous aurait jamais embêté avec ça. Mais de toute évidence, nous avons véritablement relâché dans la nature deux prédateurs qui avant cela, ne connaissaient rien au monde extérieur… » Je fronce les sourcils, renfrogné.
« -Je reste convaincu que les ranger dans la catégorie 4 est une effroyable exagération. Je pense qu’ils ont été décrétés comme tels à cause de la méconnaissance de leur espèce, leur origine douteuse, et… » je lâche un soupir résigné
« Ok, peut-être un ou deux atterrissages maladroits en ville, je le reconnais. » Je finis cependant par me détendre, et adresse un sourire au Phyllali.
« -Mais je suis certain qu’ils passeront le test haut les ailes. Les rares fois où Sharon a essayé d’atomiser quelque chose, c’était à cause d’une incompréhension de ma part, donc… Ça devrait aller ? » … Rappelez-moi de ne pas préciser ça aux examinateurs, le jour J.
***
Dans le bureau du maire….
Le silence retombe dans la pièce après le départ des deux adolescents. Parfaitement immobile, Juliet observe la porte hermétiquement close d’un air pensif. Derrière elle, une ombre se meut, et prend la forme d’une immense silhouette dans son dos.
« -Duc. » Elle ferme les yeux, et acquiesce lentement.
« -Je sais, Piou. J’y suis peut-être allée un peu fort... » Mais elle les rouvre avec assurance.
« -Mais c’était nécessaire. Je dois m’assurer qu’ils aient une accréditation maximale… » Un fin sourire se dessine sur ses lèvres, alors qu’elle replace ses lunettes sur son nez.
« -Et ainsi… Nous pourrons promouvoir Adala comme la première île où il est possible d’observer des Ptéra évoluer dans leur milieu naturel ! On pourra demander à leurs dresseurs s’ils ont connaissance d’endroits spécifiques par lesquels ils passent, et mettre en place des sentiers de randonnées grâce auxquels il sera possible de… » L’Archéduc de la mairesse soupire lentement. Elle ne changera jamais...