le thé, c'est mieux que le passé...
avec moi-même
L’odeur du café moulu commence à me faire tourner de l’œil. Les tartes et viennoiseries disparaissent au rythme des nouveaux clients qui remplissent le salon. La chaleur est écrasante, mes pommettes sont d’un rouge vif qui font tâche avec mon chemisier léger. Il est l’heure de partir, l’heure de quitter les souvenirs précieux. Mon regard se perd une dernière fois dans la pièce, chaque détail qui me rappelle Gladys imprimé dans ma mémoire. Ne rien oublier et ne rien remplacer, pour toujours. Le serveur est déjà venu me voir trois fois en à peine vingt minutes, ma table vaut de l’or à cette heure de la journée. Surtout que je l’occupe dans le vide, le thé était excellent mais rien d’autre ne pourrait se loger dans mon estomac. Le ventre noué de mille façons, de mille sentiments, de mille idées. Mon sac sur l’épaule, mon pull blottit contre moi, je suis prête à affronter de nouveau le froid estival de Kalos. Passer le mur de clients impatients me mit dans une rage encore plus profonde, et la force des Chelours m’aurait été d’une grande utilité pour réussir à sortir. Le rouge de mes joues prit un certain moment à s’estomper, ni les nouvelles larmes ni le paysage splendide ne calment la boule brûlante logée dans ma gorge. Je pleure comme une enfant, cela fait des années que les larmes n’ont pas autant coulé sur mon visage. Dans mon caractère discret s’est formé une vraie carapace sentimentale, mais les souvenirs sont toujours plus forts que le présent. Edward n’aurait surement pas su comment réagir en me voyant dans un tel état ; nous aurions été intimidés chacun à notre manière. Venir seule était la meilleure chose à faire. L’heure du midi bat son plein, les restaurants qui bordent la côte sont plus que remplis. On a rajouté des tables dans les minuscules endroits encore libres pour installer les clients beaucoup plus nombreux que les jours d’automne. Que serait Kalos sans l’été et ses touristes ? Le port de pêche serait moins agité, les commerces ne résisteraient pas aux loyers astronomiques, la ville dormirait pour l’éternité. Les natifs de ses terres vivraient peut-être plus paisiblement, ou l’absence d’activités nous achèveraient aussi et la seule issue serait de partir. Mon père avait pris cette voie, et sans m’en rendre réellement compte, j’avais pris les mêmes traces que lui. Cette idée me fit frissonnée. Mon père était une partie de ma vie aussi vague que l’océan du nord : des étendues d’inconnue et des questions aux réponses manquantes. Décidément, ma famille n’était rien qu’une formalité. Je ne m’en sortais pas trop mal dans leur absence, Gladys était toujours là, elle. Mes yeux gonflés ne cessent de se noyer dans les larmes, et mes jambes avancent sans s’arrêter. Regarder autour de moi ne me rappelle que le passé, il faut continuer. Les douleurs sont toujours vives, et aucun médicament n’excite encore pour les peines qui me troublent.
Des kilomètres de plages s’ouvrent à moi, la tentation de glisser ses pieds dans le sable humide est immense. Mais déclencher de nouveaux torrents de larmes me coupe dans mon élan. Je serais ridicule au milieu de toutes ces familles qui rient aux éclats. Et la solitude me va si bien au teint. Un petit panneau signale un sentier qui mène au sommet des falaises. Dans mon souvenir, la vue était splendide, une vision panoramique sur toute l’île. Tout semble être minuscule à une telle hauteur, et peut-être que mes chagrins disparaîtront avec les rafales de vent. Une centaine de mètres plus loin, le chemin séparait la forêt en deux, la lumière s’estompait dans l’épaisse couche de branche. Un frisson me parcourt le dos, mon pull n’est pas aussi chaud que je ne le pensais. Je n’ai pourtant aucune envie de rentrer au bateau, Edward doit encore être dans ses papiers ; le froid ne fera pas obstacle à ma promenade. Des flaques de boue rythment mon ascension, j’ai l’air d’un Rocabot à un concours d’agility. Mes trouvailles florales me remontent le moral, j’avais oublié la richesse des terrains boiseux de Kalos. Des petites fleurs nuancées de rose et de rouge sont éparpillées aux pieds des arbres ; un joli contraste entre la noirceur des branchages et du sol si doux. La nature a ce don pour apaiser les cœurs fragiles, c’est une véritable source de confort. Etant plus jeune, j’aurais pu parler aux plantes si mon âme avait été plus en peine, mais quand on est enfant les responsabilités et les problèmes ne sont que secondaires ; les enfants ont leur type de problèmes, bien inutiles.
Le panneau ne donnait aucune information sur la durée du voyage, voilà bientôt deux heures que je marche dans l’obscurité. Faire demi-tour maintenant serait ridicule, Edward m’attendra pour manger ce soir. La solitude commence à me peser, cela faisait un moment que je ne m’étais pas retrouver aussi longtemps seule. Mon état est plus convenable, les idées sont revenues au clair. Autre chose me tracasse pourtant. Mes relations avec Mimi, ma Moufouette sont troubles en ce moment. Entre moments de faiblesse lors de notre dernière mission secrète et ses bêtises, mon Pokémon me donne du fil à retordre. Mon affection pour elle ne bouge pas pour autant ; malgré notre histoire et les circonstances, elle est la plus belle chose qui me relie à mon père. Mais une petite discussion est nécessaire avec elle pour tout remettre dans l’ordre. Un banc entouré de buisson marque une halte possible sur le chemin, il sera parfait pour nos explications. Dans cet endroit charmant, je libère Mimi qui vient s’installer à mes côtés. Son air est presque aussi morose que celui de sa dresseuse, elle reconnaît ses torts, je ne peux pas lui reprocher son honnêteté. Sa bouille triste me fend le cœur, c’est un supplice de la voir dans un tel état.
« Que se passe-t-il ma belle ? J’ai l’impression que rien ne va plus entre nous. Les moments tragiques se multiplient et je ne sais pas trop quoi en penser ? Est-ce que c’est ma faute ? Quelque chose te tracasse ou t’empêche d’être comme tu es ? Je ne supporte pas de te voir au plus bas, tu es une Moufouette incroyable et ce nouvel aspect de toi ne me plaît pas tellement… La joyeuse et curieuse Mimi me manque et en rien je ne préfère la Mimi incertaine et dissipée. Tout aurait pu être bien plus dangereux au bâtiment des arts si Edward ne nous avait pas sauvé, je n’ose même pas imaginer le désastre. Tu ne le fais pas exprès je le sais, mais avec le temps, j’aurais cru que tu serais devenue plus sage… Je ne t’en veux pas Mimi, pour rien au monde, mais nous devons faire attention dans ce monde qui nous entoure. Tu n’as pas cessé de grandir depuis le premier jour où je t’ai rencontré, et c’est le moment de me montrer qui tu es vraiment… »
Elle était maintenant en face de moi, assisse dans le petit parterre verdoyant. Nos regards l’un dans l’autre, les deux amies de longue date se connaissant par cœur. On se regarda comme ça un petit moment avant qu’elle ne s’approche de moi. Une hésitation avant qu’elle n’ose venir poser sa tête sur mes genoux. Mes mains viennent alors se perdre dans sa fourrure, une vraie petite bouillote sur pattes. Nous restons là un moment, personne ne souhaite casser l’instant rare. Nos souvenirs pleins la tête, du premier regard sur elle, aux moments compliqués mais surtout à nos plus belles victoires, je me remémore ces dernières années de vie commune. Le sourire est même revenu se dessiner sur mon visage.
Quand soudain, un bruit. Un craquement net d’une branche morte dans l’obscurité. Je n’ai encore croisé aucun randonneur, et personne n’ose s’avancer dans les allées étroites de la forêt. Mimi sursauta autant que moi faisant même volte-face au bruit. Un silence profond dura une bonne minute avant qu’un autre craquement ne retentisse, encore plus proche de nous. Je ne parle pas, Mimi ne bouge pas d’un poil. On nous guète c’est certain. Mais qui ? Mais quoi ? Je n’ose pas aller vérifier, une boule de peur s’est logée dans mon estomac. Pour rajouter plus d’angoisse, la nuit semble être tombée en à peine cinq minutes.
« Mimi ne bouge surtout pas… Je ne veux pas qu’il nous arrive quelque chose… »
Dans ses moustaches pourtant, je l’entends commencer à grogner. Jamais auparavant elle n’avait essayé, même dans les pires situations. Comme si une vague de hargne et de courage venait de naître en elle. Elle était plus déterminée que jamais, en position d’attaque. Elle était prête à protéger sa dresseuse, à me protéger. Elle tremblait de tout son être, comme une bête féroce. Est-ce notre conversation qui l’a mis dans un état pareil ? Ou est-ce un moyen de me montrer son réel potentiel ? Qu’importe, la peur commençait à me quitter. Elle ne mit pas longtemps à revenir quand je distinguai une paire d’yeux rouge vif. Cette scène m’était familière, ma rencontre avec Yupsy était identique ; Mimi et moi contre ce regard démoniaque. Mimi devenait de plus en plus en transe, je ne comprenais pas vraiment ce qu’il se passait, tout va si vite. Puis dans l’obscurité profonde, une lumière apparue comme bouclier. Je perdis Mimi un instant de vue avant de comprendre ce qu’il se passait sous mes yeux : Mimi était en train d’évoluer. Le moment suivant, tout était comme à notre arrivée, impossible de deviner ce que nous venions de vivre. Mimi était maintenant une Moufflair robuste et vaillante, prête à se battre à mes côtés. L’événement n’a pas fait fuir le regard ténébreux, bien au contraire. Il se rapproche un peu plus chaque minute, il aime le défi. Mon Pokémon est fin prêt à faire ses preuves dans la cour des grands. Seulement quelques mètres nous séparent les uns des autres. Le combat est imminant. Je n’ai plus peur, nous n’avons plus peur ensemble. Mimi attend mes instructions et elle réagira au doigt et à l’œil. Je me sens invincible. Au détour d’une branche, je vois enfin notre adversaire du jour. Un Absol. Malgré son air combatif, il dégage une certaine prestance que je ne peux pas décrire. Il est le maitre des lieux, nous sommes chez lui. Il se positionne lui aussi, prêt à réagir à la moindre attaque. Mais qui laissera la main à l’autre ?
Que faire ? Partir pour éviter la moindre casse, ou continuer à tenir tête ? Mimi semble décider sur le sujet, nous ne bougerons pas d’ici. Impossible pour elle de s’incliner maintenant devant l’ennemi. Et pausa une patte en avant, c’était maintenant que tout aller se jouer. Elle me jeta un regard aussi fort qu’un Racaillou, elle semble si sûre d’elle. Je devais la soutenir, maintenant ou jamais.
« Mimi à toi de jouer ! »
Elle s’élança sur son adversaire enchaînant attaque sur attaque comme ne l’avait jamais fait. Mes encouragements ne parvenaient sûrement pas à elle, elle était ailleurs dans un autre monde. Absol ne lâchait pas prise, il innovait dans ses techniques pour déstabiliser Mimi. Et toujours elle renchérissait, elle ne se démonte pas. Je revois devant la télévision les jours de grands tournois à admirer les dresseurs bien plus expérimentés que moi dont les Pokémons donnaient de véritables shows en guise de combat. Le spectacle que j’ai devant les yeux en a tout l’air. Notre adversaire est de taille, c’est un Pokémon d’exception il n’y a aucun doute. L’idée me traverse alors l’esprit. Les combattants commencent à faiblir chacun leur tour ; je dois faire vite. La main dans mon sac, je cherche l’objet précieux qui pourrait changer le tournant de cette journée. Je ne dois pas tarder si je veux avoir une chance de réussir mon coup. La voilà.
« Mimi, arrête ! »
Mon Pokémon tremble encore plus, la rage dans ses yeux se mélange aux premières traces de fatigue. En face, Absol ne bronche pas, les membres sont instables. Le combat a été épique, ça ne fait aucun doute. Dégainant ma dernière carte, la Superball s’envole. Absol disparaît dans un faisceau rouge à l’intérieur de la petite sphère. Les jambes m’en tombent, je me rattrape au banc. J’ai l’impression d’avoir autant combattu que Mimi qui s’allonge elle aussi de tout son long dans l’herbe humide. Je n’ai pas reconnu mon Pokémon. Je suis encore bouche bée. Mon regard se dirige à nouveau vers la sphère encore active sur le sol. La décision lui revient maintenant, c’est son destin. C’est à lui de choisir sa famille. Devenir un allié de la famille Berry ou rester libre comme le vent ? Conquérir le monde olfactif au côté de sa dresseuse ou disparaître aussi vite que la fumée de l’encens ? La décision lui appartient…