Samaragd était un petit village paisible dans la partie Nord de la région désertique de Rhode. Il y faisait chaud, mais la seule rivière qui traversait la ville suffisait à rendre possible la vie là bas. Coleen avait toujours aimé la forme particulière de sa ville natale. Comme un arbre gigantesque, dont les racines se mêlaient à l'eau. Oui, tout ici était beau, sympathique. Si seulement... Si seulement elle n'était pas aussi seule. L'enfant soupira, assise sur une branche. La petite demoiselle n'avait que sept ans, mais il lui semblait avoir passé nettement plus de temps ici. Sa très nombreuse famille n'avait de cesse de l'embêter.
D'abord, il y avait son Grand-Père. Charmant homme dans sa jeunesse, qu'il disait, il ressemblait plus à un vieux qui aimait radoter et crier. Il faisait tout le temps des blagues qui énervait sa Grand-Mère, et résultat, il se faisait taper dessus. La Grand-Mère en question avait un sale caractère. Rebelle, les cheveux trop longs pour son âge et avec une apparence des plus douteuses. Elle piquait les vêtements de sa mère pour faire jeune, et trouvait les bracelets à piques d'un goût sans égal. Pour cette raison, sa canne était décoré de toutes sortes de têtes de morts et chaînes, et elle l'abattait en général avec fracas sur la solide tête de son époux. Son père était déjà plus normal. Pêcheur, il passait la plupart de son temps à Port Amarrée, en compagnie de sa mère, une vendeuse. Deux parents adorables et aimants, même peut être trop plein d'amour pour leurs quatre enfants. Sa sœur aînée n'habitait plus à la maison depuis pratiquement deux ans. C'était une éleveuse qui avait réussi à établir sa propre petite pension à Hoenn. Elles se voyaient rarement, et pour dire vrai, Coleen n'était pas sûre de l'aimer. Pas qu'elle la détestait. Mais elle n'avait jamais eu aucun contact avec elle. Puis, il y avait son frangin mécano. La plupart du temps, il bricolait des motos capables de se déplacer dans le désert. Des plus conciliant et familier, il adorait embêter sa cadette en lui tirant les joues. Chose que la brunette n'appréciait pas vraiment. Enfin, il y avait son autre frère. Bougon, malpoli, voir carrément brutal. Il traînait généralement seul et il rentrait parfois tard le soir, ce qui provoquait d'interminables disputes avec leurs parents. Justement, le soleil se couchait, et c'était l'heure pour elle de rentrer.
Affalée sur le fauteuil devant la télé, l'enfant observait l'échange pour le moins imagé entre ses grands-parents.
« Tu as encore réussi à perdre cette fichue télécommande, hein ?! Ben alors, t'as déjà Alzheimer ?! A ton âge ?! Tu devrais avoir honte !
-Ah ouais... J'ai 95 ans moi, ma p'tite dame, et je ne me prend pas pour ces filles débraillées et sans vertu  !
-Pas comme si quelqu'un me l'avait enlevé, ma vertu !
-MAMAN ! »
La vieille femme se tut à l'entente de la voix indignée de sa fille, avant de marmonner :
« Oh ça va, c'est pas comme si c'était grâce à ça que tu existais... »
Coleen leva les yeux au ciel. La plupart des conversations qui avait lieu à la maison ressemblaient à ça. Enfin, tout dépendait de l'humeur de ses habitants. Pour autant, elle ne pouvait pas dire qu'elle n'aimait pas cette ambiance. Elle avait appris à y vivre, et à connaître chacun de ses occupants.
« Mamie, tu faisais quoi, à mon âge, quand tu t'ennuyais ? »
Pleine de tendresse pour la moins âgée de ses petites filles, la femme lui répondit :
« J'allais voir les autres. Je ne passais pas ma journée à regarder le ciel, jeune fille. Tu devrais essayer de crier. Les gens te remarqueront à coup sûr. »
Peu convaincue par le conseil de l'aînée, elle entendit la porte claquer, et William lança un vague salut à la maisonnée.
« Will, qu'est-ce qu'on avait dit sur l'heure où tu devais rentrer ? »
Pour toute réponse à sa très chère mère, Will ferma à double tour la porte de sa chambre. Blessée par l'attitude de son propre fils, la mère en question soupira et retourna à sa tâche. Coleen entreprit d'aller voir son aîné, toquant à sa porte. Une fois, deux fois... Un cliquetis se fit entendre, et dans le noir de la pièce, elle distingua un œil sévère qui la fixait. Soupirant, l'adolescent laissa sa cadette entrer, avant de refermer la porte. Ils ne s'entendaient pas très bien, mais tout deux partageaient quelque chose d'essentiel : ils se comprenaient. Ils ne se moquaient jamais l'un de l'autre quand ils disaient ressentir le besoin de s'évader, d'être seul. De rêver, d'autre chose que de la vie qu'ils avaient toujours connu. Le plus âgé s'assit devant son ordinateur, et quelques secondes plus tard, la gamine vint se poser sur ses genoux pour observer. Naturellement, comme le frère qu'il était – même s'il détestait avouer ce lien – une main protectrice vint se poser sur son ventre. La fille s'appuya plus sur son torse, et cet instant dura. Une complicité muette se formait entre les deux, dans ces moments fugaces.

Le terrain vert de Samaragd était propice à nombre d'activités impossibles ailleurs dans Rhode. C'était notamment le cas du golf. Presque tous les après-midi, des clubs se réunissaient pour en pratiquer. L'enfant les regardait, se moquant parfois de leurs airs trop sérieux et concentrés. Elle ne voyait pas l'intérêt de ce sport. Tous les gens qui y participaient se ressemblaient. Pourtant, ce jour là, il y en avait une qui était différente. Elle regardait le terrain d'un air morose, comme si l'expérience était déjà ennuyeuse. Par habitude ou par prévention ? Ses yeux argentés fixèrent l'autre fille, durant une bonne partie de son avancée. Puis, se détachant enfin de son rocher, elle trouva l'autre sur le point de finir un trou. Raté. Visiblement gênée qu'on l'ait surprise dans de telles conditions, elle se justifia comme elle put :
« Selon mes règles, j'ai gagné. »
Ses règles ? Un sourire amusé se forma sur le visage de Coleen.
« Bah, ce n'est pas grave. C'est pas important. »
L'autre la regarda avec une curiosité non dissimulée. Attirée par l'inconnue, la brunette passa le reste de l'heure suivante avec elle. Les deux fillettes eurent vite fait d'aller se trouver des bonbons, et commença ensuite le pire après-midi de la vie des adultes du terrain. Manger avec quelqu'un renforce les liens, dit-on. Que dire face aux deux enfants folles d'idées dont les blagues faisaient payer très cher ce voyage aux adultes ? La petite voiture du terrain subit elle aussi ce sort, et ce ne fut pas sans mal que ce jour là, on les rattrapa à bord de cette golfette trafiquée. On les réprimanda, mais la lueur complice qui brillait dans leurs yeux voulait tout dire. Parfois, la plus grande des amitiés commence avec une bêtise.

« Dis Adèle, tu vas repartir ? »
L'autre fillette hocha la tête, confirmant qu'elle n'était là que pour une courte durée.
« Tu sais, moi, j'ai pas l'intention de rester ici toute ma vie. Je deviendrais une grande dresseuse ! Alors on se reverra. Tu me promet que tu ne m'oublieras pas ? »
Le sourire confiant de la petite fille fit chaud au cœur de Coleen. C'était une promesse. Elle la rangea soigneusement au fond de son petit cœur d'enfant, se jurant de ne jamais oublier.

« Fais attention à toi, Coleen ! »
Un vague murmure blasé fut la seule réponse que la demoiselle daigna donner à sa mère. Discrètement, elle attrapa un sac tout préparé la veille. Aujourd'hui, elle partait en expédition, même si sa famille l'ignorait. Des petites grottes avaient été découvertes, et bien qu'on lui interdisait d'y mettre les pieds, elle n'avait pas l'intention de renoncer pour autant ! Du haut de ses douze ans, la fillette entreprit de se faufiler à l'intérieur de la grotte près de Samaragd. Elle s'était déjà fait sévèrement réprimander pour son excursion dans la forêt près de l'autel Célébi – mais elle voulait tellement le voir ! - alors, une fois de plus, une fois de moins... L'air était humide, et l'ambiance plus fraîche que le désert. Un sourire émerveillé s'était affiché, silencieusement. Tout autour d'elle... C'était nouveau, inattendu, et...
Son pied glissa, l'entraînant vers une chute douloureuse et irréparable. Elle dévalait la pente gelée de la grotte, et bientôt, une énorme stalagmite lui fit face. Elle allait s'écraser dessus. Elle allait se tuer là dessus. Un cri terrifié sortit de son corps, alors qu'elle cherchait en vain à se raccrocher à n'importe quoi. Mais elle fut réceptionnée par quelque chose. Ça avait beau être froid, c'était chaud en même temps. Couverte de bleus et d'égratignures, elle ouvrit les yeux. Un grand pokémon, blanc et vert, la regardait, comme inquiet.
« Je... Je vais bien. Merci... »
Mais au lieu de la reposer, il sauta jusqu'en haut de l'endroit où elle était tombée. Un tel bond l'impressionna, et elle se raccrocha à sa fourrure glacée. Le Blizzaroi la reposa à terre, et lui adressa un bref signe de tête. Encore toute heureuse de sa rencontre, elle fila pour raconter l'exploit du pokémon glace à ses parents.

« Mais je l'ai vu ! Je t'assure qu'il était là !
-Ça suffit comme ça, Coleen ! Arrête de dire des bêtises ! Tu ne crois pas que tu en as assez fais ? Tu aurais pu mourir ! »
En voyant perler les larmes au coin des yeux de sa mère, la jeune femme ne put répondre quoi que ce soit. Kyle la regardait sans savoir quoi dire, mal à l'aise, alors que ses deux grands-parents étaient étrangement silencieux. Son père la fixait également, l'air sévère, et c'est en larmes qu'elle s'enferma dans sa chambre. Pourquoi personne ne la croyait ? C'était exactement comme quand ils disaient qu'elle ne pourrait jamais être dresseuse.
Qu'elle ne serait jamais aussi brillante que sa sœur. Qu'Alicia.
Furieuse, elle envoya voler ses meubles. La porte s'ouvrit doucement, et elle s'apprêta à se battre avec la personne qui était entrée. Peu lui importait que ce soit sa mère !
« Moi non plus, je ne serais jamais Kyle. Je te crois. »
La colère retomba instantanément. Will la fixait de ses yeux sombres, irrévocables. Je comprend ce que tu ressens. Voilà ce qu'il lui disait. Elle se jeta dans les bras de son frère aîné.
« Toi et moi, on ne sera jamais que des petites choses fragiles incapables d'accomplir quoi que ce soit, hein ? Pourtant Coleen, malgré les apparences, tu as le courage d'aller là où tu veux. Ne laisse pas le monde te dicter ta conduite. La seule chose qui doit te guider, c'est la passion de ton cœur. »
Elle pleurait à chaudes larmes, comme une enfant brisée. Ah, qu'il connaissait bien ce sentiment... Il la serra plus fort, pleurant silencieusement à son tour.

« Kyle, tu es sûr que ça ira...? Papa et Maman vont être furieux... »
Kyle et Will la regardaient, le premier souriant et sûr de lui, peut être un peu bête, le deuxième avec une mine renfrognée et boudeuse.
« Mais oui. Will et moi on s'est organisés. Tu pars pour cette école, et quand tu y seras, tout iras bien ! Je t'assure ! »
Elle eut un sourire bienveillant pour ses deux frères. A Kyle, elle donna un baiser sur la joue. A Will, ce fut un câlin en réponse de toute son attention.
« File, grogna-t-il, réprimant un sourire. Tu vas rater ton bateau. »
Un peu effrayée et surexcité à la fois, elle força tout de même ses jambes à la porter. Le rythme cardiaque anormal, la respiration légèrement effrénée...
Qu'est-ce qui l'attendait, au juste ?

Elle avait imaginé bien des choses, mais pas ça. Le test sur ordinateur qu'elle devait réaliser pour l'étrange homme qui la fixait avec un drôle de regard la mettait mal à l'aise. Timidement, elle lui annonça qu'elle avait fini, et il jeta un œil au résultat.
« Ah, oui, bien sûr, je vois... Où est-ce que tu es...? Ah, ici. »
Il lui tendit une petite ball, et elle l'attrapa maladroitement. Que contenait-elle ? Est-ce qu'elle devait l'ouvrir ? Est-ce qu'il le lui donnait ? Mais c'était un pokémon, pas vrai ? C'était précieux...
« Ouvre-là, petite. De quoi calmer tes appréhensions. Il saura t'apaiser. »
Un peu intriguée par les dires de l'homme, elle obtempéra. Un pokémon élancé et à l'air calme fixa sa nouvelle dresseuse, impassible. Un frisson le parcourut en voyant les yeux inquiets de sa maîtresse. Il se frotta contre sa joue, avant de prendre une position de sphinx. L'Absol attendait patiemment une réponse de l'enfant inquiète. Intimidée, alors qu'il s'agissait désormais de son pokémon, elle avança sa main vers lui, prête à le caresser. Voyant qu'il ne bronchait pas à sa démarche, elle continua, jusqu'à voir un sourire satisfait poindre sur le visage du pokémon. Aussitôt, elle l'aima.
« Tu as le courage nécessaire pour surmonter tes peurs, petite. Mais ce dont tu as besoin, c'est d'une présence rassurante pour t'épauler de temps à autre. »
Fourrée dans le pelage de son nouveau compagnon, elle hocha la tête, pleine d'un entrain nouveau. Tout irait bien maintenant.