“Hmmm hm hmm hm hmmm ♪”

La voix cristalline de la jeune fille était en partie étouffée par son masque, mais quiconque s’approchait pouvait l’entendre fredonner un air guilleret. Hakiba était accrochée au bastingage, les doigts crispés sur la barrière, et regardait l’île approcher avec des étoiles dans les yeux et une excitation palpable. La silhouette était encore minuscule à l’horizon, un petit point brun qui grandissait un peu plus à chaque soubresaut du bateau sous ses pieds. C’était sa première fois au large, la première fois qu’elle pouvait ressentir les vagues faire trembler ses jambes et danser le sol sous ses pieds, et bien sûr la première fois qu’elle pourrait croiser des pokemons sauvages. il y en avait déjà, vaguement visibles sous la surface de l’eau, qui suivaient la course de leur embarcation avant de s’éloigner dans les profondeurs et laisser la place à d’autres. Parfois elle détachait ses doigts du métal pour leur faire des saluts, qui ne lui étaient jamais rendus. Une des silhouettes semblait les accompagner depuis plus longtemps que les autres, juste trop loin de la surface pour être reconnaissable. Elle voulut se pencher pour l’observer plus en détail mais quelque chose retint son manteau et la tira en arrière. Elle abandonna donc ses enquêtes et se baissa pour ramasser Wani, qui relâcha le tissu et laissa échapper un glapissement heureux. Le pauvre reptile tremblait de tout son corps, terrifié par l’étendue d’eau presque infinie au centre de laquelle il était enfermé. Elle posa son museau sur son épaule et glissa une main sous son crâne, ses ongles manucurés gratouillant les écailles rugueuses derrière ses yeux. Cette attention soudaine le calma peu à peu, et il acheva de se blottir contre sa dresseuse. Le sourire de l’adolescente pouvait se deviner malgré le masque, ses yeux plissés luisaient en regardant la forme d’un promontoir rocheux se découper contre les reliefs de l’île.

Elle ne pensait pas à l’extraordinaire changement qu’était ce voyage. Elle avait entendu parler du Galopen aux informations, elle savait ce que cela signifiait, mais ces histoires de politique avaient bien moins d’intérêt pour elle que l’opportunité de capturer un pokemon. Sa première rencontre avec des pokemons sauvages ! Enfin, il y avait bien quelques rattatas à Rosalia, mais guère plus, et elle n’était pas autorisée à sortir de la ville. Alors qu’aujourd’hui, elle était loin de chez elle, plus qu’elle ne l’avait jamais été, en plein territoire naturel et dangereux ! Sans le poids du masque sur son visage pour lui rappeler d’être prudente, elle serait déjà en train de courir à travers les plaines et de partir à l’aventure ! Elle avait même enfilé ses grosses bottes de randonnée pour l’occasion, ainsi qu’un kimono plus court qu’à l’accoutumé pour ne pas le coincer dans les branches. Et elle avait Wani. Le pokemon sol était beaucoup plus à l’aise maintenant qu’ils avaient débarqués, et semblait ravi de laisser l’océan derrière lui. Il trottinait donc derrière sa dresseuse, son petit corps se dandinant contre le sol au rythme de ses pas. Il ne payait pas de mine, petit et adorable qu’il était, mais sa mâchoire n’était pas à sous-estimer. Les mascaïmans étaient des prédateurs, à l’origine, après tout. Même si Wani semblait incapable de faire du mal à une mouche.

“Et si nous y allions ?”

Elle baissa le regard vers son compagnon, qui dut lever la tête pour le lui rendre et acquiescer. Alors elle étouffa un petit rire et reporta son attention sur la plaine en face d’eux, déjà envahie par les étudiants, avant de s’avancer d’un pas décidé pour les rejoindre.

Ils trottinaient tous deux le long de la plage, à l'affût d’une trace d’activité ou d’un pokemon sauvage qui serait attiré par leur présence. Hakiba espérait que sa tenue d’un rose fort peu naturel sur cette île suffise à la faire remarquer. Wani, de son côté, avait plus peur d’une telle rencontre. Il n’était qu’un petit crocodile, en taille comme en capacités, et il y avait bien pire que lui dans les alentours. Il semblait cependant que la fortune ne devait pas sourire à la jeune dresseur, à moins que tous ses camarades plus vifs et tout aussi excités n’aient déjà fait fuir toute la faune locale. En tout cas, elle ne rencontra aucun pokemon.

Après une heure de marche à faire le tour de l’île, elle commençait à douter de ses chances et à se sentir abattue. N’y avait-il donc vraiment aucun pokemon qui voudrait venir à sa rencontre ? Ils n’avaient pas à être amicaux, Wani pouvait calmer les plus aggressifs. Sans doute. Elle tourna le regard dans sa direction et il agita la tête de chaque côté, les yeux fermés et la mâchoire crispée, comme pour marquer son désaccord. Elle se pencha pour lui accorder quelques gratouilles sur l’arrière du crâne, avant de le prendre dans ses bras. Il était peut-être temps de faire demi-tour et retourner au bateau, elle commençait à avoir le souffle court.

C’est alors qu’elle remarqua l’ouverture. Cachée dans le relief d’une colline proche, aux trois-quart dissimulée derrière des buissons, la grotte était presque invisible, seule l’ombre intimidante qui s’étendait de l’autre côté des arbustes, là où les branches ne touchaient pas le sol, lui permit de remarquer quelque chose. Elle se redressa et s’approcha de la végétation. En observant de plus près, elle pouvait deviner la forme emplie de ténèbres de la galerie qui s’étendait de l’autre côté. C’était peut-être sa chance, un abri où des pokemons s’étaient réfugiés pour éviter ses camarades de classe ! Elle connaissait les histoires sur ce genre de cavernes, pleines de Nosféraptis qui harcelaient et terrifiaient les voyageurs, mais elle n’était pas facile à intimider. Elle avait Wani ! Il pourrait la défendre ! Et elle aimait bien l’idée d’avoir son propre Nostenfer. Elle en avait vu en photos, ils étaient impressionnants, et leur couleur était vraiment jolie.

Elle baissa encore le regard sur son petit pokemon, qui le lui rendit. Il était visiblement bien moins confiant qu’elle en cette idée. Cependant, la détermination de l’adolescente avait quelque chose de contagieux et il finit par hocher la tête. Alors elle le tendit à bouts de bras, gueule en avant, et il commença à débroussailler. Ses puissantes mâchoires et ses dents acérées étaient plus radicales qu’une machette, elles creusèrent un passage dans la végétation sans effort ni pitié. Après quelques secondes, Hakiba put reprendre son compagnon contre sa poitrine et s’engager dans le gouffre sans craindre d’accrocher son kimono dans les branches.

L’intérieur était sombre, mais ils pouvaient tout de même voir où elle posait les pieds. Le sol rocheux descendait en pente douce sur une distance difficile à apprécier, avant de bifurquer vers ce qui était peut-être un réseau de galeries. La dresseur se munit de son ipok et alluma sa lampe, tout en essayant de marcher sans bruit. Les ténèbres oppressantes se battaient avec l’excitation renouvelée de la jeune fille, qui pouvait presque entendre son coeur battre la chamade. Sans le poids de son masque, elle aurait encore oublié de faire attention à sa respiration et aurait laissé celle-ci s'emballer.

Elle ralentit plus encore quand elle entendit un bruit. Ce n’était pas le sifflement étouffé de son masque, ou le fin crissement de ses bottes sur la roche, c’était quelque chose de plus cristalin. Il y avait du mouvement devant elle, quelque part, juste derrière le coude de la galerie. Elle fit un pas de plus et tendit la tête en avant, accompagnée par Wani dont la queue s’était soudainement raidie. Il était aussi tendu que l’adolescente, mais pas par l’excitation. Il pouvait sentir le danger approcher, et l’immense silhouette qui apparut devant eux lui donna raison.

Hakiba fit un pas en arrière et partit à la renverse. Ce qui venait de débouler devant elle était immense, jamais une créature pareille n’aurait dû pouvoir se déplacer sans faire plus de bruits ! Le pokemon sauvage faisait au moins deux mètres, tout en acier poli qui reflétait la lumière du téléphone comme un miroir ! C’est pourtant dans un silence presque absolu qu’il fit un pas de plus et leva son bras, prêt à l’abattre sur la pauvre humaine désemparée. Fort heureusement, Wani fut le plus réactif et il s’élança en avant.

Les crocs du petit mascaïman n’avaient évidemment pas la force nécessaire pour transpercer la peau d’acier du colosse. Le choc fut assez pour détourner l’attention de celui-ci, cependant. Sa griffe se déporta de côté et frappa la roche, laissant à Hakiba le temps de se redresser en urgence. Sa main libre saisit la queue de Wani tandis que l’autre serrait le téléphone à s’en blanchir les phalanges. Elle tira d’un coup sec et attira le crocodile entre ses bras, juste à temps pour qu’il ne finisse pas écrasé à son tour. Puis, ignorant sa poitrine déjà fatiguée, elle s’élança en avant.

Ses poumons lui permirent de rejoindre l’entrée de la caverne, et même de poursuivre sa course sur une vingtaine de mètres avant qu’elle ne tousse, trébuche, et s’effondre. Son front manqua de peu une racine et ne toucha, heureusement, que de la terre meuble. Elle n’en était pas moins complètement paralysée, en position foetale, et secouée d’une toux aussi douloureuse que bruyante. Ses yeux étaient voilés de larmes et ses oreilles bourdonnaient, incapable d’entendre autre chose qu’elle-même.

La première réaction de Wani fut de se retourner et d’ouvrir grand la gueule, prêt à attaquer encore le massif Duralugon s’il tentait de les poursuivre. Il ne semblait cependant pas vouloir quitter son terrier, car rien ne sortit de la caverne. Un bruit, cependant, se fit entendre de l’autre côté du bois. Une autre créature avait entendu le vacarme, et semblait plus curieuse qu’effrayée....

Wani se retourna d’un bond sur ses petites pattes, la mâchoire toujours ouverte et prête à claquer sur la moindre menace. Oh il était terrifié, d’autant plus que sa dresseur était vulnérable et en souffrance. Tout son corps tremblait. Mais il refusait aussi de l’abandonner alors qu’elle avait besoin de lui. Il ne pouvait pas calmer sa crise, seulement attendre qu’elle se calme d’elle-même, mais il pouvait la protéger pendant ce temps.

Les buissons voisins continuèrent de bruisser et s’agiter quelques secondes encore, puis ils s’immobilisèrent un instant, et s’ouvrirent finalement pour révéler une silhouette blanche et rouge. Le flambino bondit presque jusqu’à atteindre l’humaine étendue au sol avant de s’arrêter près de ses pieds. Ses longues oreilles tressaillaient à chaque fois que Hakiba toussait, une nuisance sonore qui semblait énormément le déranger. Son petit minois ordinairement si mignon était plissé et renfermé, l’irritation était visible sur ses traits. A un mètre de là, plus proche du dos de la dresseur, le mascaïman s’était tourné vers le pokemon sauvage. Sa gueule toujours béante émettait désormais un mélange de grognement et de sifflement, un avertissement destiné à l’intrus. Au moindre geste suspect, il serait chargé et neutralisé.

Le flambino ne remarqua cependant pas Wani, à moins qu’il ait juste choisi de l’ignorer. Quel qu’ait été son raisonnement, il fit fi de la menace et arma son pied pour frapper ceux de Hakiba. Aussitôt, Wani se précipita en avant, s’aidant de tout son corps pour à la fois courir et ramper. Le pokemon sauvage eut juste le temps d’atteindre la cheville de l’humaine, qui se recroquevilla un peu plus et laissa échapper un sanglot, avant que la mâchoire implacable du crocodile ne se referme sur lui.

Le lapin bondit en arrière pour se libérer mais trop tard, les crocs implacables de Wani avaient laissé de vilaines blessures. Le mascaïman se plaça entre lui et Hakiba, sa mâchoire ouverte pour rappeler qu’il pouvait recommencer, et il reprit son grognement sifflant. Le flambino n’était pas intimidé, cependant.  Il fronça plus fort encore les sourcils et sauta, avec assez d’adresse pour donner un vilain coup de talon à son adversaire. Le choc fit rouler Wani, qui ferma la gueule dans le vide et poussa un glapissement de douleur avant de se reprendre et de retourner à l’assaut.

L’adolescente, de son côté, sentait peu à peu la douleur s'apaiser. Elle arrivait à reprendre le contrôle de sa poitrine, et les quintes de toux s'espaçaient. Elle put rouvrir les yeux, chasser les larmes qui brouillaient sa vue, et revenir à la réalité. Elle n’avait pas remarqué que son pokémon se battait jusqu’ici, et fut aussi surprise que choquée de voir la boule de poils rouge et blanche rouler devant elle. Après avoir eu un mouvement de recul, elle se rappela pourquoi elle était là, sur cette île.

“Attends, Wani, ne le blesse pas trop !”

Elle n’attendit même pas de se redresser et plongea la main dans son sac. Les enseignants lui avaient confié deux pokeballs avant qu’elle débarque, précisément pour ce genre de cas. Le crocodile ne savait pas bien quoi faire de cet ordre, dont il en comprenait pas la raison. Il se moquait de blesser le flambino, mais il voulait se défendre, et défendre sa dresseur ! Et s’il fallait ça pour intimider cette tête de bourrinos et le faire fuir… Mais il avait confiance en Hakiba, et préféra intimider son adversaire que l’achever, le temps de comprendre. Il libéra donc la patte du lapin et lui fit des gros yeux pour l’intimider.

Ce changement d’attitude déstabilisa le pokemon sauvage, qui hésita avant de frapper une fois encore Wani. Le pokémon sol commençait à fatiguer, surtout à cause de la douleur. Les blessures s’accumulaient, et il n’avait pas l’habitude de combattre ainsi. Heureusement, Hakiba trouva enfin la pokéball dans son sac et put la lancer sur le Flambino, en espérant ne pas avoir oublié une étape essentielle de la procédure.

Elle roula sur le ventre au moment de lancer, appuyée sur son coude gauche pour ne pas finir avec le visage collé au sol. La pokéball vola rapidement jusqu’à la tête du flambino, qui poussa un léger couinement quand elle lui toucha la tête. Il n’eut pas le temps de réagir plus avant car déjà la ball s’ouvrait et absorbait le pokémon sauvage en un flot rouge translucide. Le crocodile eut un mouvement de recul quand son adversaire disparut avant de comprendre ce qui venait de se passer et de se détendre. Hakiba et Wani avaient désormais les yeux rivés sur la sphère rouge et blanche qui s’agitait dans l’herbe piétinée. Une première secousse. Wani referma sa mâchoire. Une seconde secousse. La jeune fille retenait son souffle, parfaitement immobile. Une troisième secousse. Puis plus rien. Dans le doute, elle attendit encore quelques longues secondes avant de rouler de joie.

“Ouiiiiiii !”

Ses bras se tendirent vers le ciel pendant qu’elle criait sa joie, juste avant d’étouffer une nouvelle quinte de toux et de se rouler en boule. Wani vint se coller à elle, son museau collé à son front, espérant la soulager un peu. Cette fois la crise ne fut pas trop violente, heureusement. Ce n’était qu’un reste de celle qui l’avait immobilisée plus tôt. Après quelques secondes, elle put reprendre son souffle et se redresser en haletant.

“Merci Wani, c’est grâce à toi que…”

Elle s’interrompit et se pencha en avant pour ramasser son pokemon. Elle n’avait pas fait attention jusqu’ici, mais le mascaïman était couvert d'hématomes et ménageait visiblement une de ses pattes blessées. L’étudiante retint un frisson et serra son ami entre ses bras, envahie par une soudaine tristesse.

“Je suis désolée, tu es dans cet état à cause de moi… Il est temps de rentrer, je crois.”

Il hocha la tête et se tortilla pour mieux se lover dans les bras de sa dresseur. Elle lui gratta les écailles à l’arrière du crâne, en évitant ses blessures. Sa queue battait lentement contre la jambe de la jeune fille, signe qu’il était heureux malgré la douleur. Elle dut se pencher encore une fois pour ramasser la pokeball et la glisser dans son sac, puis elle reporta de nouveau toute son attention sur le pokemon sol tout en trottinant vers le bateau. A son arrivée, la fierté laissa place à une honte dévorante quand quelqu’un lui fit remarquer que son kimono était couvert de feuilles et de terre.