Il faisait chaud. Beaucoup trop chaud. Isadora avait débarqué sur la plaine d'Embrun coiffée d'un gigantesque chapeau de paille et les yeux bien à l'abri derrière de gigantesques lunettes de soleil. Même sa légère combishort lui paraissait de trop. Cependant, elle était plutôt heureuse d'avoir emporté des chaussures suffisamment épaisses pour éviter à ses pieds de cuire sur le terrain aride. Actuellement elle tenait plus d'une lanière de boeuf cuite à la plancha que d'un être humain.

- C'est bien la dernière fois que je fais confiance à une conseillère d'agence de voyage...

Elle la voyait encore, toute pimpante dans son super bureau dernier cri ultra ventilé. Elle n'aurait pas pu dire ce qui lui avait le plus donné mal à la tête. Son parfum entêtant de patchouli, la couleur rose Skitty de son vernis, l'éclat aveuglant de son badge sur lequel les lettres KAREN brillaient plus que de raison ou bien sa voix criarde qui martelait fermement : "Non mais vous verrez, à cette période de l'année, le temps est I-D-É-A-L !".

Elle aurait mieux fait de quitter l'agence sur place au lieu de signer ce foutu papier et de payer l'excursion. Enfin, il n'y avait plus qu'à espérer que les paysages préservés de cette île absolument PAS paradisiaque valent suffisamment le détour de la randonnée.

- Bon, eh bien, en route !

La jeune femme soupira et commença à avancer sur la plaine, quand soudain la terre se mit à ronfler. Quelque chose vibrait sous elle et elle entendait comme un... Un glougloutement ?
À peine deux mètres plus loin, elle eut à peine le temps de voir une flaque d'eau faire quelques vaguelettes qu'un grand jet fendait soudain les cieux avec une puissance telle qu'elle ne put s'empêcher de faire un pas de recul. Plus loin, un homme avec un grand chapeau de garde forestier lâcha un rire satisfait.

- Eh bah ma p'tite dame, on vous avait pas prévenu pour les Geysers ici ? C'est pourtant not' spécialité locale !

Isadora se racla la gorge et rajusta son chapeau en rougissant. Elle détestait se ridiculiser, encore plus en public.

- Je pensais que les geysers auraient eu l'intelligence d'être indiqués

Elle lâcha un petit soupir et continua son avancée, frémissant à chaque grondement de terre alors que la voix du garde chasse rieur se perdait dans le lointain.

- Bonne journée mam'zelle, et oubliez pas d'faire attention quand ça clignote !

En rajustant son chapeau, Isadora se lança à l'assaut de la plaine aux Geysers. Elle était très prudente et n'osa laisser sortir que Dragée, sa Sucreine. Dulcinée était trop capricieuse pour supporter un tel cagnard sans râler et Odette était trop jeune, la première éruption lui aurait fait trop peur pour continuer la promenade.
Après avoir bu une grande rasade d'eau fraîche et aspergée son Pokémon avec un brumisateur, elle profita d'un coin presque ombragé pour admirer un instant le paysage.
Malgré la chaleur assommante, elle pouvait apprécier la beauté de cette plaine déchiquetée par les caprices de la terre. L'eau bouillonnante des geysers se parait de mille et une couleurs chatoyantes dues aux minéraux rares créés par la grande activité sismique de la région. On aurait presque eu envie d'y plonger la tête la première, s'il n'y avait pas le risque de ressembler à un poulet cuit à la cocotte en ressortant.

- Bon, allez, avançons un peu sinon le soleil va nous cuire plus vite que l'eau des cratères...

Mais Dragée ne semblait pas vouloir bouger. Quelque chose la perturbait. Isadora s'arrêta et l'examina, aux aguets, perchée sur la pointe de ses bottes. Un cri, léger, se fit entendre au loin et la pokémon plante descendit la pente, à toutes jambes, dans sa direction. Isadora la suivit d'un pas pressé, retenant avec difficulté son chapeau.

La sucreine s'était arrêtée quelques centaines de mètres plus loin, au bord d'un cratère quelque peu abîmé. Là, entre les pierres, quelque chose se tortillait. Une pierre assez différente des autres puisqu'elle avait des plumes et de toutes petites serres ?!

- Oh non c'est un Vostourno ! Mais comment est-ce qu'il a fait pour se retrouver là ?

Dragée lâcha un cri de panique, en écho aux piaillements du Vostourno. La terre commençait lentement mais sûrement à gronder et elles savaient toutes les trois ce que cela signifiait. Si une solution n'était pas trouvée dans la minute, le petit pokémon allait se retrouver changé en suprême de volaille.
Sans hésiter, elle se précipita vers le petit oiseau et essaya de le déloger de ses mains. L'eau du geyser l'éclaboussa et elle réprima un grognement de douleur. Pas moyen de faire sortir la bestiole de là. Ses gesticulations de panique ne l'aidaient pas spécialement non plus !

- Bon je sais que la situation n'est pas confortable mais tu as intérêt à bouger si tu veux que je te sorte de là ! Dragée ! Mets-toi de l'autre côté du cratère et utilise Écrasement ! On va essayer de faire bouger les pierres par la force !

La sucreine s'exécuta. La terre trembla une première fois. Isadora parvint à glisser sa main entre la coquille et les rochers, en priant pour qu'elle ne soit pas broyée dans l'opération.
La terre trembla une deuxième fois. L'oisillon lançait des regards apeurés en direction de la dresseuse en battant frénétiquement des ailes. Isadora parvint à glisser sa deuxième main et ferma les yeux de peur de prendre un coup de bec. L'eau commençait à buller sérieusement à la surface.

- Allez bon sang... Bouge !

La terre trembla une troisième fois et Isadora tira de toutes ses forces. Elle bascula en arrière avec l'oisillon alors qu'une nouvelle colonne d'eau brûlante fendait le ciel. Dragée recula le plus loin possible et évita les éclaboussures. La danseuse sentit que sa main avait râpé contre les rochers et que du sang coulait le long de ses doigts.

- Eh bien... Tu es quand même une sacrée petite veinarde toi !

L'oisillon lâcha un piaillement suraigu (de contentement ou de panique ? Difficile de le savoir). L'instant d'après, la danseuse plissa les yeux alors qu'une ombre d'oiseau passait au-dessus d'elle. L'instant d'après, une Vaututrice fondait en piqué sur ses bras et arrachait l'oiseau de son étreinte. La maman, visiblement courroucée, donna un coup de bec réprobateur à son enfant et s'envola en l'emmenant à sa suite, à grand renforts de cris d'orfraie.

- Bon... Merci et bonne journée surtout !

Isadora soupira et partit retrouver Dragée. Sa main piquait affreusement, avait-elle pensé à emporter un peu d'antiseptique ?