Ruth
La sortie capture avait été un échec cuisant. Flagrant, même. Au fond de son lit, Ruth y repense, se massant les paupières, fermées. Elle aimerait effacer ce jour de sa mémoire, de sa vie ! Elle était pourtant partie motivée, avec de bons objectifs. Mais ce foutu poney… Elle grommelle dans sa barbe quelque chose d’incompréhensible. S’il le fallait, elle sortirait la cravache, pour s’occuper de ce canasson. Canasson qui… Lui mordille actuellement la manche de son pyjama. Qu’est-ce qu’il peut bien vouloir, de si bonne heure ? Ruth tente de le chasser, mais il tire d’autant plus fort, et elle finit hors du lit, s’éclatant le coccyx contre le sol.
« Espèce de… ! T’as vu l’heure qu’il est ?! »
Dix heures. L’heure de sortir du lit. Elle se frotte alors le dos, pestant. Et le voilà qui s’agite, dans la pièce. Mais qu’est-ce qu’il peut bien avoir, ce matin ? Elle remarque alors que le rideau est ouvert et qu’il fait relativement beau. C’est sûrement ce qui plaît au Ponyta. Vouloir gambader. Ruth se relève alors, et arbore un sourire narquois. Alors, quoi ? Il voulait sortir ?
« Qu’est-ce qui te fait croire qu’on va sortir, hm ? Tu penses l’avoir mérité, peut-être ? Et puis, d’abord, comment t’es sorti ? J’étais persuadée de t’avoir rangé dans… Et puis, laisse tomber. T’es un bandit, Dalton de mes deux. »
D’un mouvement de main, elle balaye les airs. Dans le fond, elle ne veut pas connaître ses sales combines. Le Ponyta prend un air vexé et s’empresse de revenir à ses côtés. S’il le faut, il la traînera au-dehors dans cette tenue ! Dans le kugurimi Pikachu dans lequel elle dort. Mais, le voyant arriver, Ruth se rue dans la salle de bain. Il vaut mieux s’y enfermer, elle y sera plus en sécurité. Elle lui claque la porte au nez, laissant entendre un petit rire derrière.
« T’as cru que tu m’aurais, hein ? Je cours plus vite que ton ombre, Jolly. T’as du souci à te faire. C’est mou tout ça, Boudini ! »
Elle l’entend cogner tout contre la porte, l’espace de quelques secondes, avant de retirer son vêtement et d’aller sous la douche. Bien évidemment, elle avait déjà prévu de sortir, elle n’a aucune envie de rester ici, à tourner en rond, au milieu d’inconnus. Mais elle était bien trop fière pour admettre que le Ponyta avait eu une bonne idée, en voyant le soleil. Elle ressort une bonne demi-heure plus tard, fin prête. Lavée, maquillée, parée de ses bijoux et habillée. Elle tourne alors sur elle-même, crânant devant son Pokémon.
« Alors, qu’est-ce que tu en penses ? On est parés à s- Ah, non. Il y a truc qui va pas chez toi, mon Jolly chéri… »
Devant le regard interloqué de son camarade, elle se dirige vers sa penderie, et fouille dans sa boîte à bijoux. Elle trouverait bien un quelque chose qui lui irait bien… Avec un peu de chance. Elle jette plusieurs affaires au sol, pestant de ne visiblement pas trouver ce qu’elle cherche. Elle marmonne, tapant du pied sur le sol. Elle brandit alors sa trouvaille, marchant sur les vêtements gisant au sol.
« Avec ça, t’auras plus d’allure. Crois-moi, tu feras fureur auprès des minettes. », qu’elle lui murmure, accentuant le tout d’un petit clin d’œil complice.
Il ne bouge plus, la regardant faire. Elle s’approche de lui, et vient lui mettre autour du cou un de ses colliers à clous. Vérifiant qu’il est bien attaché, elle se décale alors de quelques mètres, et l’admire. Elle siffle, avant d’attraper son miroir, sur sa table de chevet, et lui montrer à quoi il ressemble.
« Comme ça, on reconnaît que t’es à moi. Et puis, ça te donne une vraie allure de gangster. Ça change du foulard rouge et du chapeau de cow-boy. »
Elle se pose alors sur son lit, enfilant ses chaussures à hauts talons compensés., prenant une bonne quinzaine de centimètres de hauteur. Elle termine de fermer ses boucles, rattrape son sac à dos, sa casquette et vérifie ne rien avoir oublié. Dans son sac, les balls s’entrechoquent. Elle tique, soupirant. C’est vrai, il fallait qu’elle trouve quelqu’un à qui les revendre, quitte à l’arnaquer. Il fallait rentabiliser les pertes.
« Bon, on s’arrache. On va pas rester enfermés comme des putois toute la journée. »
Et direction le dehors. Le Ponyta, relativement fier de son nouveau bien, a des airs de princesse, se pavanant presque, dans l’espoir que l’on l’admire. Après s’être perdus en chemin, Ruth finit par arriver au parc, exténuée. Elle a l’impression d’avoir tourné en rond pendant si longtemps… Ses pieds sont en compote. Peut-être qu’elle n’a pas choisi les meilleures chaussures, en ce qui concerne la marche à pied.
« Pouce, Jolly, on fait une pause. Temps mort, chat perché, je sais pas, moi. »
Elle s’affale sur un banc, faisant râler une mère qui passe, un bébé dans les bras. Ruth lui tire la langue, prenant un air mesquin, voire mauvais. La femme accélère le pas, râlant sur cette jeunesse décadente, qui n’a plus de respect pour ses aînés, rajoutant que s’il s’agissait de sa propre fille, elle lui aurait retourné la tête à coup de claques. Elle ricane, la regardant s’éloigner. Qu’elle se tire, ouais. Ruth bâille alors, lançant un regard au Ponyta, qui semble également satisfait de la scène qui vient de se jouer devant lui.
« Bon, passons aux choses sérieuses. On va faire des photos pour ma mère, comme ça elle verra comme je te traite bien. »
Elle lui fait alors signe de venir au centre, si possible sur la pelouse verte, encore fraîche de la rosée du matin. Elle sort ensuite son téléphone, galérant à le déverrouiller, au vu de son écran éclaté. Elle ouvre l’application de l’appareil photo, et cherche le meilleur angle de vue.
« Dis ‘Cheeese’. Ah ben non, tu peux pas. », qu’elle ricane.
Elle se concentre alors, tapotant le centre de l’écran, pour qu’il fasse la mise au point, puisqu’il ne semble pas la vouloir faire seul. Elle recule également de quelques pas, pour éviter qu’il y ait un sale reflet. Et le CLIC du détonateur fictif se fait alors entendre. Ruth se redresse pour admirer la photo, couvrant le haut du téléphone, pour mieux voir son cliché, malgré le contre-jour.
« Elle est plutôt ré- JOLLY ! C’est quoi cet air de chien battu ?! Tu t’es pris pour le Chat Potté ? Tu veux voir ? Que ma mère te plaigne, et telle la Belle du Clochard, qu’elle vienne te récupérer ?! »
Ruth tape du pied, mécontente. Pourquoi ne pouvait-il pas se montrer doux, obéissant, calme ? Après tout, les enfants sont censés obéir à leurs parents, non ? Alors, il en est de même pour un Pokémon et son dresseur : au doigt et à l’œil. Elle plisse des yeux, croyant voir un semblant de sourire sur le coin des lèvres de son poney. Non, impossible, un cheval ça ne peut pas sourire. Ni rire. Et pourtant… Elle jurerait qu’il était en train de se moquer d’elle.
« On va la reprendre, hein ! Acte 1 scène 2 ! CLAP BONJOUR ! »
Mais rien à faire. Le Ponyta garde ces yeux, l’air de dire « aidez-moi, on me maltraite ». Ce qui agace d’autant plus Ruth. Elle se rapproche alors de lui, levant la main en l’air. Elle ne compte pas réellement lui en mettre une, elle veut simplement le menacer, lui montrer qu’elle en a assez de ses caprices, de tourner en bourrique.
« KAI KAI KAI KAI !! »
Et le voilà qui prend la fuite. Ruth a beau le rappeler à l’ordre, lui demander de revenir, rien à faire, le voilà qui s’enfuit. Hurlant, elle range son téléphone et se lance à sa poursuite. Il ne s’en sortirait pas ainsi, parole de scout.
« T’es pas un chien, abruti ! T’es un shetland à la noix ! »
Ne regardant pas réellement où elle fonce, notamment à cause de la frange, qui ne demande qu’à être coupée, qui lui tombe dans les yeux, Ruth se heurte soudainement à quelque chose. Ou plutôt… Quelqu’un. Tombant sur les fesses, le tout dans un boucan sans nom, en arrière, elle a les yeux rivés sur les chaussures de son assaillant. Elle serait bien tentée de lui donner un coup à l’aide des siennes, histoire de le faire tomber plus bas que terre, à son niveau à elle.
« Eh ! Tu pourrais faire attention où tu marches, toi ! Il faut regarder où on va, tu m’as fait tomber ! »
Le pauvre. Il a dû voir une tempête noire lui foncer dessus. Ruth se relève alors, époussetant ces vêtements. Son pantalon noir a pris la terre, et avec sa chaîne à gauche, pleine de croix, elle fait un drôle de tintamarre. Elle se décide enfin à dévisager son assaillant. Il lui faut lever la tête vachement haut, malgré ses hauts talons, le remontant peu à peu. Quel géant.
« Donc, Gulliver, la douce Lady que je suis exige d’exquises excuses. », articule-t-elle.