Ruth
« T’as une autorisation pour prononcer mon prénom, peut-être ? Je crois pas, non. Eh ! Parle pas de moi alors que j’suis à côté de toi ! Je t’entends, tu sais ! Et tu ne me fais toujours pas peur, malgré la dernière fois. »
Ruth fait alors claquer sa langue contre son palais. Alors quoi, comme une vraie blonde, elle n’a pas utilisé sa cervelle pour retenir les dires de Ruth ? Et en plus de cela, elle l’ignore. Tout ce que Ruth déteste : être ignorée et pas écoutée. Pourquoi est-ce que le professeur les ont mises ensemble ? Ruth en est persuadée, c’est un complot, sûrement dans le vain espoir de les rabibocher. Comme si elle allait lui pardonner sa bavure de la dernière fois. Mais le professeur semble également sourd aux réclamations de Ruth. Il faut donc se rendre à l’évidence : elle doit accepter son sort, serrer les dents et accepter la lourde tâche – au sens propre du terme – qui leur a été assignée. Ruth n’avait déjà qu’une hâte : que la journée se termine, ayant à peine commencé. Ruth finit par se ressaisir et vouloir prendre les devants. Après tout, la brute a les poings, elle a la finesse d’esprit – toujours selon elle.
« Au moins, tu sais reconnaître ta propre valeur MDR. Ouais, ouais, tu veux que je m’échauffe sur ta tronche, peut-être ? Creuse comme c’est à l’intérieur, ça va vite se casser en deux. »
Elle ricane alors, oubliant ses malheurs précédents. Elle a retrouvé son aplomb, sa pêche habituelle. Désormais, Ruth veut en découdre. Et surtout prouver à cette Barbie-Judo qu’elle aussi elle en a dans le ventre, qu’elle ne compte pas abandonner au moindre obstacle – quoique ce point est encore à revoir.
« Parle mieux à ton chef, ou tu seras pas payée. »
Disons que Ruth prend très à cœur son rôle de leader. Elle fait alors un signe de tête à son Jolly. Finies les roupillades, il est désormais temps de mettre les mains dans le cambouis. Ou plutôt, la corne dans la terre. Si Ruth l’a emmené avec elle, c’est pour être sûre de ne pas avoir à faire tout le sale travail seule. Et puis, quitte à être dans les ennuis, autant y entraîner quelqu’un avec, c’est toujours plus amusant. Mais le Ponyta ne semble pas vouloir contribuer de suite. C’est un peu le défaut qu’il a, ce Pokémon. Il renâcle à la besogne. D’autant plus si elle lui demande plus d’efforts qu’il n’aimerait en fournir. D’un autre côté, avec une dresseuse comme Ruth pour modèle, il est difficile de s’imaginer un Pokémon plus motivé ou combatif.
« Bon, Jolly, fais pas ta mijaurée, là. Tu nous aides, sinon je te rase la crinière. », qu’elle le menace, lui faisant les gros yeux au passage.
Vu la rapidité à laquelle le Pokémon décide enfin de s’atteler à la tâche, c’en est à se demander s’il craint plus les ciseaux ou sa dresseuse – en réalité, il tient plus que tout à sa douce crinière, soyeuse, pailletée et à l’odeur enivrante. Une vraie guimauve sur pattes, si on fait abstraction de la couleur noire de sa robe.
« Tu vois, quand tu veux. Prends exemple sur la couche-culotte. Lui, au moins, il participe sans faire de cinéma. »
La corne du Ponyta se met alors à étinceler avant de franchement briller. Tant pis pour ceux que ça éblouirait. Ruth, même si elle ne compte pas l’avouer, trouve toujours ce spectacle joli. Surtout quand il ferme les yeux, pour chercher – le peu de – la concentration dont il saurait faire preuve. Ruth passe alors une main dans ses cheveux et les balance à l’arrière, à la manière d’une de ces publicités pour femmes, de type L’Oréal, parce qu’elle le vaut bien. Ruth finit par passer la corde autour du bloc et tire. Malgré l’aide des Pokémons, Ruth commence à regretter sa place. Elle a l’habitude d’user de ses poings, mais pour les bras, c’est une autre histoire. Ils sont formés pour la protéger de potentiels coups, pas pour faire preuve de force. Non sans se plaindre de la lourdeur de cette terre, qui semble collée au sol, à cause de la gravité, Ruth participe. Son front perle déjà de sueur. Elle a pourtant fait montre de plus d’endurance, lors de la rixe de la dernière fois. La première porte s’ouvre et Ruth s’esclame, heureuse de découvrir une rampe… Qui semble alors difficilement accessible.
« QUOI ?! », qu’elle repart dans les aigus. « Non mais c’est mort, je le fais pas hein. Je veux bien tirer ce truc plus lourd qu’une vieille en fauteuil roulant, mais sur des plaques ? On va juste l’exploser et s’en prendre plein dans le visage. », qu’elle râle de nouveau.
Elle semble décidée à ne pas vouloir franchir cette pièce. Peut-être que, malgré toute la détermination dont elle est capable de faire preuve, cela lui semble réellement impossible. Elle n’est pourtant pas du genre à facilement baisser les bras, ni abandonner. D’habitude, au front, elle est la première à se relever, même si elle est en train de vomir ses tripes et cracher son sang. Le Ponyta lui lance un sale regard. Elle n’avait qu’à y réfléchir par deux fois, avant de se lancer dans ce cours. Elle l’a forcé à contribuer, alors il s’approche d’elle, et lui donne un coup de sabot dans le derrière, appuyant les propos de Théa.
« J’espère tu tomberas pas sur du Bilal Hassani, parce que sinon, je me pends vraiment, mais à l’aide de ces plaques tournantes. »
En d’autres termes, même si l’idée ne lui plaît absolument pas, elle accepte ce deal. D’accord. Quitte à être au fond du gouffre, autant s’y noyer. Elle ne serait plus à ça près. Alors, elle laisse Théa sortir son téléphone, pour lancer leur nouveau supplice. Ruth ferme les yeux, priant intérieurement pour ne pas tomber sur une de ces musiques populaires, purement industrielle et créée pour rester dans l’esprit, même des années après ne plus être passée à la radio. La musique d’hérétique, en d’autres termes. Et la sentence tombe. Wejdene, avec son titre « Anissa ».
« MAIS NON ! J’AIME PAS ÇA ! CHANGE ! », qu’elle proteste, malgré l’accord.
Mais un marché est un marché. Il faut donc le respecter à la lettre. Ruth manque de donner un coup de pied dans le bloc de terre, suite à un mélange de colère et de frustration. Décidément, plus rien ne va dans cette journée. Une véritable catabase. Heureux qui comme Ulysse, quel idiot du village, celui-là. Alors le coup termine dans le mur. Parce que la dernière chose à faire est de briser ce bloc et que le Ponyta la bouscule tout contre. Au moins, dans un mur, elle ne fera pas de dégâts. Et comme elle a sûrement été bercée trop près en étant plus jeune, cela lui rappellera uniquement de bons souvenirs de son enfance.
« On va jamais y arriver… », qu’elle peste. « En plus, j’suis malade sur les manèges, ça donne le tournis. Toi, Jolly, tu dois avoir l’habitude PTDR comme t’es un poney. », qu’elle chambre son Pokémon, sûrement pour faire oublier sa possible gêne.
Peu positive, Ruth se remet pourtant à la tâche. De toute manière, elle n’a plus le choix. Maintenant qu’elle a pris la température de ce Styx avec son pied, tout le corps doit y entrer. Mais ce bloc ne passera jamais aussi facilement. Avec les plaques qui tournent… Il pourrait s’effriter. Pire encore, qui ne leur dit pas qu’une fois le pied posé sur l’une d’entre elles, elles accélèrent ? C’est un casse-tête chinois, aux yeux de Ruth. Et, spoiler alert, c’est tout ce qu’elle déteste : devoir réfléchir et penser stratégie. Foncer dans le tas est beaucoup moins prise de tête mais également plus risqué. Et même si elle ne dit pas craindre Théa, elle ne tient pas à finir de nouveau au sol pour ne pas avoir poussé la réflexion ne serait-ce qu’au moins quelques minutes. Ruth fixe alors ses pieds, lançant des petits regards à Théa. Est-ce qu’elle a une idée, elle ?
« Quand faut y aller, faut y aller au pire hein. Lance la musique et… Amie, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaiiiiiiiines… », que chante Ruth, pour motiver les troupes.
Elle reprend alors sa corde, et se remet à tirer une fois qu’elle a vérifié que tout le monde mettait de nouveau la main à la pâte. Non, elle ne compte toujours pas s’y prendre seule. Pourtant méfiante, Ruth s’avance la première dans la salle, essayant de caler ses pas au rythme de cette musique. « Tu n’as pas de principes, j’te jure sur ma vie. », que les accompagne la chanson. Plus les paroles passent, plus Ruth hésite à se laisser tomber sur une de ces plaques pour se laisser mourir. Un suicide auditif. Œdipe revisité. Les premiers instants dans la salle se passent plutôt bien. Ruth semble plus sereine, vis-à-vis des plaques. Il faut dire que rien n’a changé, et le bloc passe d’une plaque à une autre avec une facilité déconcertante. Peut-être même trop… C’est au bout du passage de la deuxième à la troisième plaque, que tout dérape. Ruth l’avait pourtant pressenti mais comme à son habitude, elle n’a pas écouté son instinct.
« AAAAAAAAAAAH ! »
Son pied part en avant, l’entraînant. La plaque a accéléré. Elle tourne plus vite que lorsqu’elles sont entrées. Ruth tombe alors sur cette troisième plaque, dans un bruit sourd. Visiblement, malgré sa taille fine, Mademoiselle est un poids lourd. Et la voilà qui tourne, sur cette plaque, ayant lâché la corde et commençant à avoir la tête qui tourne. Elle l’a dit : sur les manèges, elle est malade.
« Théaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa ! Sors-moi de làààààààà ! Je suis pas un fruit qu’on mixe !!! Encore moins une spationaute dans une centrifugeuse !! Ne HORS PAS DE MA VUE !!! »