Ruth
« PTDR eh, tu le répètes pas. J’te le dis parce que t’es ma poto, maintenant. Mais à leur truc de galette des rois, là. Bah… J’ai genre volé toutes les fèves que je pouvais. J’ai eu aucune récompense de plus. Du coup, je les ai jetées. »
Epaulée contre le chambranle de la porte de sa chambre, Ruth parle avec Ranya, sucette en bouche. Bien évidemment, elle ne se prive pas de faire des bruits de bouche, comme pour agacer le plus de monde possible dans les alentours. Son kigurumi Nymphali sur le dos, capuche sur la tête, en guise de pyjama, elle est prête à ne pas tarder à aller au lit. Ce n’est pas une veille-tard, elle a besoin de ses dix heures de sommeil. Au risque qu’elle soit de plus mauvais poil qu’à l’accoutumée. Ruth entend alors des pas pressés, venir de l’autre bout du couloir, et détourne la tête pour observer la furie qui semble chercher des gens.
« AH ! Mesdemoiselles ! »
Pas le temps de s’enfermer dans la chambre comme une malpropre. Ruth reconnaît rapidement de qui il s’agit – elle a tendance à ne pas oublier le personnel éducatif. Les miracles de sa mémoire sélective. Elle roule alors des yeux, tandis que cette dernière s’arrête à leur hauteur. Alors quoi ? Ruth ne se souvient pas s’être bagarrée, ces derniers jours. Ce qui est plutôt étonnant, ceci dit. A ce constat personnel, Ruth fronce les sourcils, comme agacée contre elle-même. Il faudrait changer cela au plus vite. A moins que sa rencontre avec Gio ne commence à la canaliser. Non, impossible, ce sont les faibles qui changent pour une autre personne. Ruth, gardant sa sucette en bouche, toute polie qu’elle est, soupire et demande alors :
« Qu’echqui fous amène, Madame ? »
Et si elle était là pour les fèves ? Peut-être que l’un de ses camarades de chambre l’avait dénoncée ? Ou un des cuisiniers ? Après tout, ils se trouvaient sur le lieu du crime, et ne l’avaient pourtant pas arrêtée. A moins qu’elle ne l’ait entendue se confier ? Ruth reste sur ses gardes, préférant ne pas se trahir. Le personnel de l’école a le chic pour lui trouver plus d’ennuis que nécessaires. Ruth remarque pourtant que Janice est essoufflée, à bout de souffle. Combien de kilomètres a-t-elle parcouru, pour être dans cet état ? Elle semble pressée, en alerte. Il y a quelque chose qui cloche, et même Ruth arrive à le voir.
« On a des élèves qui ne sont pas rentrés, ce soir. Je ne pense pas qu’ils aient fugué, je pense qu’ils ont dû se perdre. Je viens de faire le tour des dortoirs, mais je ne les trouve nulle part. Et vous êtes les premières sur lesquelles je tombe. Alors, c’est à vous que je vais demander d’aller les chercher.
- Pardon ? Mais vous avez vu l’heure, Madame ? Et puis, je ne suis pas en état de sortir, pas comme ça. »
Ruth en a retiré sa sucette, interloquée, un filet de bave s’étirant au passage. Non mais, quel toupet ! S’ils se sont perdus, c’est leur problème. Pourquoi cela devrait-il devenir celui de Ruth ? Et celui de Ranya, par extension. C’est le souci avec les enfants : leurs actes et conséquences retombent toujours sur les autres, jamais sur eux – sacrés dommages collatéraux. Visiblement, l’entraide, l’esprit d’équipe et l’altruisme ne font toujours pas partie du vocabulaire, voire des principes de Ruth. Pourquoi devrait-elle venir en aide à des inconnus ? Est-ce qu’ils méritent son temps, son attention ?
« En plus, ce n’est pas une heure pour des jeunes filles de sortir. Il pourrait nous arriver n’importe quoi ! »
La bonne blague. S’il y a bien quelqu’un à craindre, à une heure pareille, c’est Ruth. Elle est en mesure de se défendre. C’est même elle qui pourrait finir par amocher ses assaillants, puisqu’elle n’aurait pas peur de le répliquer. Et visiblement, Janice n’est pas dupe. Ses bras se croisent sur son torse, fronçant ses sourcils. Elle ne pensait pas devoir (ab)user de son autorité mais la noiraude ne lui laisse pas le choix. Aux grands maux les grands remèdes.
« Jeunes filles, dois-je vous rappeler le petit incident qui a eu lieu, au centre-ville ? Souhaitez-vous réellement que tout ceci remonte aux oreilles de vos parents ? De vos différents professeurs ? Je suis pour l’instant la seule au courant, mais tout ceci peut changer dès que je serais de retour dans mon bureau. »
Ruth s’en moque éperdument. Sa mère sait déjà que sa fille est un cas perdu, pour ne pas dire social. En revanche, cet argument de taille semble avoir son importance pour Ranya, qui ne tarde pas à obtempérer et abdiquer, face à la menace. Ruth ouvre grand les yeux, choquée de ne pas être soutenue dans son action révolutionnaire. Pourquoi est-ce que Ranya lui plante un pareil couteau dans le dos ? Ruth ne proteste pas plus que ça, elle estime que c’est le prix à payer pour l’aide que Ranya lui a apportée la dernière fois – elle lui renvoie l’ascenseur. Victorieuse, Janice leur indique alors qu’ils avaient une mission en forêt, et que depuis qu’ils sont partis, plus personne n’a entendu parler d’eux. Elle demande à être prévenue une fois qu’ils seront tous de retour et s’éloigne.
« Ranya, t’es sérieuse ? Je vais pas sortir comme ça, quand même ?! De quoi j’ai l’air ?! »
Maquillée comme l’emo qu’elle se refuse d’être, en simple kigurumi Nymphali, décoiffée et cloutée. De quoi faire une excellente impression à ces pauvres gosses. Comprenant l’ennui de son amie, si ceci remontait aux oreilles de son professeur, Ruth se plie à sa décision, lui faisant comprendre que VRAIMENT, elle accepte uniquement pour ses beaux yeux. Ruth lui fait alors signe de l’attendre, le temps d’enfiler une de ses paires de chaussures – crantées et cloutées. Un look à faire fuir le premier venu. Elle fait alors signe à Jolly de la suivre, et attrape CrocDog, son Morpeko, entre ses bras.
« Allons-y. », qu’elle soupire, croquant définitivement dans sa sucette. « J’te jure, j’espère que ces mômes ont bien les j’tons. Quelle idée de faire des gosses aussi débiles et peu débrouillards. Ils connaissent pas Google Maps ou bien ? », qu’elle râle, emboîtant le pas à Ranya.