Dix-huit heures trente, vendredi en fin d'après-midi. Alors qu'un calme relatif planait sur les bâtiments des salles de classe de la Pokémon Academy, les étudiants étant pour la plupart partis vaquer à leur occupations, les quelques présents étant encore soit en cours soit restés étudier par eux-mêmes à un bureau, une mélodie étouffée de musique classique se glissait dans les couloirs des derniers étages. Elle provenait de l'une des salles spécialisées mises à disposition des étudiants en option art, véritable salle de musique de l'établissement. C'était probablement l'un des lieux préférés d'Ariel sur le campus : la collection fantastique d'instruments de musique mis à disposition ne l'intéressait pas vraiment, mais l'équipement audio et l'espace qu'il parvenait à dégager dans la pièce en les écartant, ainsi que l'équipement audio en place, étaient tout à fait appréciables. Mais surtout, l'endroit était calme, un peu isolé et relativement peu fréquenté, si bien que le garçon avait fini par prendre l'habitude d'y effectuer la majorité de ses petits entraînements de coordination réguliers. Il n'y manquait que des miroirs plein-pied, que l'étudiant avait commencé à chercher à dénicher d'occasion sur l'île et à entreproser dans la pièce. Avec un peu de chance, personne ne s'occuperait véritablement de savoir d'où ils provenaient, ou de les déloger. La salle restait un peu à l'étroit pour réaliser certaines chorégraphies, notamment quelques combos d'attaques avec lesquelles le garçon devait être très prudent pour ne pas endommager les lieux, mais il avait bon espoir d'y entretenir une sorte de petit studio de danse d'appoint, et limiter l'usage de lieux plus fréquentés tels que les espaces des pôles Pokéathlète ou Coordinateur pour de plus rares répétitions en conditions optimales.
Cela faisait près d'une heure déjà qu'Ariel soumettait son Feunnec à l'un de ses stricts entraînements de danse. Le Voltali avait de grandes attentes pour le petit renard, dont il devenait le grand potentiel, mais dont les performances peu rigoureuses ne cessaient de frustrer le jeune dresseur. Oxalis, son Plumeline, assistait à cette énième session de danse avec lassitude. Il ne comprenait pas l'obsession de son dresseur pour le petit canidé quadrupède, qui n'était clairement pas taillé pour ce qu'Ariel avait en tête. Toute cette énergie et ce temps dépensés sur le pokémon feu étaient, à ses yeux, amplement gâchés. C'étaient autant de ressources qui auraient été mieux investies dans le volatile. Et il devait, en plus, assister son dresseur dans cette futile entreprise et servir de mentor au Feunnec, au fil d'exercices ou de routines en duo.
C'était de ce second type d'entraînement qu'il s'agissait en cette fin de journée. Cela faisait un moment qu'Ariel avait choisi d'entraîner les deux créatures sur une chorégraphie de la Danse de l'Oiseau de Feu, tâchant de les guider sur la puissante partition de Stravinsky. Une habile combinaison des mouvements d'ailes d'Oxalis, et des attaques feu de Canna, devrait en théorie parfaitement rendre justice au majestueux phoenix. Mais la coordination entre les deux pokémon, et notamment entre le Feunnec et le rythme musical, était aussi hasardeuse qu'à l'accoutumée. Ariel ne réalisait pas que les mouvements qu'il imaginait ne correspondaient absolument pas au pauvre canidé, au point qu'Oxalis peinait à ne pas reprendre le devant de la scène à chaque tentative. Ce n'était pourtant pas faute de bonne volonté de la part du petit renard, qui s'appliquait tant qu'il le pouvait pour tenter de comprendre les instructions de ses enseignants. Mais aucune des démonstrations d'Ariel ni d'Oxalis ne lui semblait très utile. Leurs morphologies, et leurs sensibilités artistiques, différaient trop pour que Canna comprenne ce qu'on tentait de lui faire réaliser. Lui-même habillé d'un justaucorps bleu nuit pailleté et de ses précieux chaussons de danse bleu layette, Ariel était déterminé à corriger la moindre erreur, à démontrer ce qu'il attendait, à leur faire répéter leurs routines encore et encore, faisant grandir la tension dans la petite salle. Le garçon finit par songer avec agacement que le pokémon feu n'était peut-être bon qu'à exécuter des farces burlesques telles que Renard, pour rester chez le même compositeur. L'exaspération du Plumeline le poussait à contester ouvertement l'espace de la scène au Feunnec. Celui-ci, enfin, s'empêtrait dans ses mouvements en tentant d'approcher la légèreté et la précision de pas de ses deux modèles, poussant, puisant au plus profond de lui-même à la recherche d'un sens du timing, de l'équilibre, et d'une grâce qu'il ne parvenait à atteindre. Les reproches s'enchaînaient, les corrections d'Ariel allant chercher toujours plus à la poursuite de osn idéal frustré. Plus léger, plus tendu, plus arqué, plus--
Plus humain.
Le déclic, enfin, après des semaines à se heurter à l'idée sans la formuler, s'effectua enfin. Chez Ariel, comme chez Canna. Une réalisation limpide, évidence fataliste. Alors soudain, tandis que les accords sonnaient l'atterrissage majestueux de l'Oiseau de Feu après un vol acrobatique, le Feunnec se mit à briller de mille feux. La lumière aveuglante enveloppa et déforma sa silhouette, pour la révéler enfin gracieusement transformée. Plus grande. Plus étirée. Et, surtout, bipède. Humanoïde. A l'image d'Ariel et de ses souhaits les plus fous.
Le garçon laissa échapper un petit cri de victoire. Il était là, le résultat tant espéré. L'objectif obstiné, un pas de plus vers sa vision splendide. Son Feunnec avait enfin évolué. Se jetant sur son sac, l'adolescent en sortit en hpate ses livres et ses carnets classés dans l'ordre, à la recherche des notes qu'il avait prises en prévision de cet instant. Livres de coordination, sur l'utilisation du feu dans le ballet, tout ce qu'il avait pu trouver évoquant de près ou de loin l'idée de faire danser des pokémon, le tout parsemé de post its colorés, d'annotations, et de renvois à la numérotation de ses carnets où convergeaient les différentes références, et les commentaires les plus développés. Ainsi plongé dans ses études, Ariel en oublia la musique qui poursuivait seule, ses pokémon un peu désorientés face à la situation, et surtout la porte de la salle qui s'ouvrit soudainement sur cette démonstration des plus studieuses.
