Soan.
Ce nom signifie « béni des Dieux ».
Béni, on peut dire qu’il l’est. Pour Soan… Tout a toujours été très facile.
Il né chromatique. Avec un véritable talent pour la Coordination. Et des IV parfaits.
Tout ce qu’il lui manquerait, ça serait un don inné pour le langage humain.
Mais ce minuscule détail mis à part, il n’a rien à envier à quelconque autre Pokémon sur terre. La plupart du temps, c’est même plutôt l’inverse : ce sont les autres qui l’envient.
Pour lui, tout a toujours été simple. Il a grandi dans un milieu aisé, entouré de personnes affectueuses, mais pas moins stimulantes. Ses compétences naturelles ont très rapidement été repérées, et tout a été mis en place pour lui permettre de s’épanouir. Que ce soit dans l’art du combat ou de la performance, il a rapidement eu l’occasion de se perfectionner. Et ce, peu importe la sous-discipline.
Car en plus d’être naturellement doué, Soan est également une créature appliquée. Ses facilités ne sont en rien un prétexte à la paresse. Elles doivent être pour lui un ressort pour viser toujours plus haut. Plus loin. Plus grand.
Le fait est que sa nature studieuse se conjugue très bien à ses nombreuses vocations, et aux attentes qui en découlent. Quand on est parfait, on est en droit d’espérer que nos résultats le soient aussi. Soan l’a compris très tôt, et il a donc tout mis en œuvre pour y répondre.
En fait, c’est même ainsi que toute sa vie a été construite. Il ne peut la concevoir autrement que comme une dévotion pure et totale à ses arts. Ainsi qu’à leur réussite.
Voilà donc que tout est resté très facile. Ses dons lui facilitent déjà grandement la tâche, mais si en plus de cela, il se donne les moyens de ses ambitions, sa conquête ne laisse que peu de place au doute.
Il ne lui aura pas fallu longtemps avant de remporter ses premiers combats. Ses premiers rubans. Puis ses premiers tournois. Et ses premiers rôles. D’abord au théâtre, puis au Pokéwood. Simplement. Ce fut un enchaînement des plus spontanés.
Bien vite – très vite – Soan est devenu ce qu’il était naturellement destiné à devenir.
Une étoile.
Une star, de renom, qui brille.
Et que rien ne peut ombrager.
Non, rien…
…
Enfin…
…. Presque, rien.
Parce que tout ceci, toute cette histoire, ne serait pas très intéressante si tout y était merveilleux et aisé, n’est-ce pas ?
Malgré ses dispositions au combat, sa grâce sur scène, ses facultés d’adaptation, son avenance naturelle, son charme à toute épreuve, sa minutie parfaite, son sens du détail, sa dévotion, Soan… A un défaut.
Un tout petit, anodin défaut.
Insignifiant, presque.
Qui passerait probablement inaperçu chez n’importe qui d’autre.
Mais qui, pour lui…
Ne cesse de lever des interrogations.
Son point noir, le voilà :
Soan n’est pas heureux.
Mais qu’est-ce que le bonheur, exactement ? Est-ce vraiment un objectif que l’on peut atteindre de façon concrète ? Lui, qui peut déjà tout obtenir à la portée de ses pattes, n’a-t-il pas gagné une certaine forme de consécration ? De satisfaction ? N’est-ce pas un peu cliché, qu’un être parfait à qui tout réussit, ne parvienne pas à se sentir accompli pour autant ?
Tout a toujours été très facile pour Soan. Mais il y a une chose qui ne l’a jamais été, pour lui, spécifiquement.
L’évolution.
Ah, voilà quelque chose que je ne vous ai pas précisé. Soan est un Pokémon chromatique certes, mais de quelle espèce ?
Un Laporeille. Un beau Laporeille rose.
Et vous savez comment évoluent les Laporeille ?
Par bonheur.
Voilà.
Il est là le souci.
C’est que Soan n’est pas heureux. Donc, Soan n’évolue pas.
Donc.
Cela se remarque.
Un Pokémon si bien éduqué, si bien entouré, si performant et si idolâtré. La logique voudrait qu’il soit au summum de l’allégresse, non ? Que peut-il demander de plus ? Que peut-il espérer de plus ? A part dévoiler son plein potentiel, qui justement, ne peut se faire que via l’évolution ? S’il évoluait, il pourrait très certainement atteindre de nouveaux sommets. Une nouvelle puissance. Une nouvelle grâce. Peut-être même pourrait-il devenir un prétendant pertinent, mature, et trouver l’être aimé parmi ses comparses Pokémon acteurs…. ?
Toutes les conditions sont réunies pour qu’il puisse évoluer. Et il a également tous les intérêts pour. Alors…
Pourquoi, au nom de Giratina, n’évolue-t-il pas ?
C’est le genre d’interrogation qui fait jaser, en studio. Rares sont ceux qui osent réellement amener le sujet sur le tapis, en vérité. Ce sont surtout des murmures. Des messes basses. Des questions posées innocemment, ou de manière détournée. Rien de concret, rien qui n’oblige le propriétaire de Soan à y faire face. Mais rien non plus qui n’échappe aux oreilles de ce dernier.
Les Laporeille ont une bonne ouïe, après tout.
« C’est la pression vous croyez ? » « Peut-être qu’il ne veut tout simplement pas... » « J’ai entendu dire qu’ils voulaient le faire évoluer pendant un tournage. » « Vous avez vu comme tout le monde est exigeant avec lui ? » « Moi, je pense qu’il est maltraité. » « Ce n’est pas normal qu’un Pokémon comme lui ne soit pas heureux, ça cache forcément quelque chose. »
Parmi ses nombreux talents naturels, la fonction cognitive de Soan figure bien haut dans la liste. S’il ne peut parler leur langue, la compréhension humaine n’a que peu de secrets pour lui, de même que ces sous-entendus.
Et Soan n’aime pas trop ce qu’il comprend.
Il n’aime pas ça car il sait que tout ceci est entièrement faux. Absolument aucune de ces rumeurs n’est vraie. Tous, ils réussissent l’exploit d’être dans l’erreur, alors même que, statistiquement, au moins l’un d’entre eux devrait être en mesure de trouver la raison véritable, même par hasard. Pourtant, personne n’est capable de ne serait-ce que toucher la vérité du doigt.
Et cela renfrogne un peu plus le Pokémon dans son dépit.
La vérité, elle est là : ni lui ni son maître ne comprennent pourquoi il ne peut guère se résoudre à évoluer.
Pourtant, ce dernier fait montre d’une patience à toute épreuve. Après tout, pourquoi le brusquer ? En soi, Soan est très performant en tant que Laporeille. Il coche déjà toutes les cases de l’innombrable liste d’attentes qui reposent sur lui ; et en plus, une évolution consiste toujours en un bouleversement dans le planning d’un Pokémon acteur. Autant attendre que cela survienne à une période de creux dans les tournages, pour à la fois ne causer aucun désagrément, et peut-être même en profiter pour relancer une carrière.
Dans l’immédiat, il ne perd pas grand-chose à le garder en tant que stade de base. A part faire taire ces rumeurs, et encore : l’éclat de Soan est tel que celles-ci ne restent que des murmures étouffés dans l’agitation du Pokéwood.
Et le concerné, qu’est-ce qu’il en pense ?
Il ne sait pas. Et ça l’agace.
Qu’est-ce qu’il attend pour évoluer, au juste ? Contrairement à toute autre espèce de Pokémon, il fait partie d’une catégorie spécifique dont la mutation de son organisme ne dépend que de son mental. Uniquement, et simplement, de son mental. Alors, lui qui est maître de son corps, maître de son esprit, capable des plus hautes performances, des plus grandes prouesses, ne devrait-il pas pouvoir évoluer par la simple pensée ? Ne lui suffit-il pas de le vouloir pour y parvenir ? Ne peut-il pas tout bêtement se convaincre « C’est bon, là, maintenant, je suis prêt » ?
C’est quoi, le déclic ?
Pourquoi ne le trouve-t-il pas ?
Qu’est-ce qu’il lui pose problème ?
Pourquoi
n’est-il pas
heureux ?
C’est le genre de question que se pose cette petite et anodine créature, le soir, devant le miroir de sa loge.
N’est-ce pas cruel ? Les Pokémon sont des créatures simples, à la base. Elles vivent pour se nourrir. S’abriter. Combattre. Et tout ça, pour survivre. C’est en tout cas ainsi qu’Arceus les a conçus, initialement.
Mais il a fallu que le destin appose sur les épaules de cet être misérable une plus grande connaissance de soi, une meilleure perception de son environnement, une encéphalisation plus importante pour que, d’un coup d’un seul, la voilà en proie à une crise existentielle.
Est-ce là son fardeau ? Le revers de la médaille ?
Le prix à payer pour être si naturellement… Privilégié ?
Savoir… Qu’il ne pourra jamais s’épanouir ?
Et que… Tous, autour de lui, devront en avoir conscience également ?
Pour le lui rappeler insidieusement, à chaque fois que l’occasion se présente ?
C’est… Cruel.
Certes.
Mais… En rapport à tous les autres avantages que la vie lui a prodigués…
C’est probablement un moindre coût.
En tout cas, c’est ce dont Soan a fini par se convaincre.
***
Soan.
Ce nom signifie « béni des Dieux ».
Béni, on peut dire qu’il l’est. Pour Soan… Tout a toujours été très facile.
Tout.
Tout…
Tout du moins, jusqu’à ce jour.
CRASH« LE… LE RÉACTEUR ! »
BUM« ON PERD DE L’ALTITUDE ! »
VIOUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUM« ON… ON VA MOURIR ! »
Tout est allé très vite.
Même une fois abrité dans sa Pokéball, Soan a senti la violence. La panique. Le choc.
La détresse.
L’avion est le moyen de transport le plus sûr du monde, on ne cesse de le répéter. Pour autant, si sur les cent millions de passagers qui le fréquentent chaque année, vous faîtes parties des 0,005 victimes d’un accident… Tout de suite, la probabilité de mourir croit de façon exponentielle.
Enfin… Plus, qu’exponentielle.
Mais je vous l’ai dit, non ? Soan signifie « béni des Dieux ». Et si un enfant du divin se retrouve à braver une statistique absurde qui joue en sa défaveur… Quoi de plus naturel que d’en surmonter une deuxième, cette fois-ci plus bénéfique, pour rétablir l’équilibre ?
Arceus ne va pas laisser mourir l’une de ses créatures bénies, n’est-ce pas ?
Quoique un tel départ puisse dénoter d’un certain panache…
Pour Soan, si décès il doit y avoir, il devra se faire avec bien moins d’éclat.
***
La première chose dont il se souvient est d’un contact froid avec sa joue.
Vient ensuite la sensation de ses muscles engourdis. L’ankylose de ses articulations. Et la difficulté qu’il a à se relever.
Lorsqu’enfin, ses yeux s’ouvrent, une brume blanchâtre emplit son champ de vision. Il lui faut un instant supplémentaire pour que celle-ci se dissipe, et qu’il puisse un peu mieux cerner son environnement.
Cette omniprésence blanche découle d’une quantité affolante de neige qui s’accumule devant lui. Le vent souffle violemment et produit un sifflement continu à glacer le sang ; presque autant que la température ambiante.
Si lui-même n’est pas déjà mort de froid, c’est probablement parce qu’il a échoué dans l’entrée d’une grotte. Il n’est certes pas à l’abri du vent, mais il est au moins protégé de la tempête, et cette roche caverneuse reste probablement plus agréable qu’un tapis de neige.
Maintenant qu’il a repris connaissance, il parvient à trouver la force de se redresser. Il se sent encore un peu secoué, mais la présence de sa Pokéball entrouverte, juste là, l’aide à resituer les événements. Il se souvient que le véhicule qui le transportait a eu un accident en plein vol, et qu’il a été mis à l’abri à l’intérieur.
Il a probablement fini par se faire éjecter au moment de l’impact, et... A atterri ici.
Lentement, il s’approche de la capsule, et lui donne un petit coup de patte. Elle est en entrouverte, oui, mais surtout, le mécanisme d’ouverture paraît cassé. Des petits fragments de la Pokéball fissurée prônent, juste à côté, et lui font perdre tout espoir de pouvoir se réfugier à l’intérieur.
D’un regard, il cherche une quelconque trace de l’accident ou d’un autre survivant. Mais dans cette caverne, il n’y a rien. Il se rapproche alors de la sortie, pour jeter un coup d’œil à l’extérieur, mais la tempête de neige qui y fait rage rend difficile l’observation. Tout ce qu’il constate, c’est une gigantesque paroi rocailleuse qui lui fait face, et dont il ne perçoit même pas le sommet. Est-ce de là-haut que sa Pokéball est tombée ? Cela semble être le seul moyen pour lui d’avoir atterri ici, s’il n’y a véritablement aucune autre trace du crash.
Alors, la suite logique serait de remonter là-haut, pour voir ce qu’il en est. Mais entre le vent qui souffle violemment, la neige qui chute sans fin et l’allure de la paroi, une ascension telle quelle est purement suicidaire. En fait, même sortir de la grotte et chercher un chemin pour remonter l’est, rien qu’à cause des deux premiers points.
Le Laporeille avise le fond de la grotte, qui semble s’enfoncer dans un réseau noir de galeries. La nyctalopie fait certes partie de ses nombreuses caractéristiques, mais doit-il pour autant partir à l’opposé de sa direction initiale ? Sans même savoir où cela va le mener ? La paroi derrière lui est sa seule piste immédiate. Il serait idiot de faire une croix dessus, si peu de temps après s’être retrouvé largué ici.
Pas le choix. Il va devoir attendre que la tempête se calme. En un souffle résigné, Soan prend appui contre un mur, et s’assoit convenablement. Il a déjà de la chance d’être sorti vivant de cet accident, sans blessure apparente de surcroît. Il peut bien prendre son mal en patience.
Il attend ainsi que le temps passe. Ce qui débutent comme des secondes se transforment rapidement en minutes, puis en heures. Rester ainsi, assis à ne rien faire, peut s’avérer pénible, surtout dans un tel contexte, mais cela ne paraît en rien affecter la créature. Après tout, les longues sessions de tournage qu’il a pour habitude d’enchaîner demandent tout autant d’endurance et de stoïcisme. Certes, cela se fait parfois dans un décor plus confortable et souvent dans une situation moins précaire, pour autant… Il n’a qu’à se dire qu’il est sur une scène plus éprouvante qu’à l’accoutumée pour parvenir à garder toute sa constance.
La seule chose capable de la gangrener est la température ambiante. Peut-être n’est-il pas au contact de la neige, mais sa froideur a contaminé les parois et le sol de la grotte dans laquelle il se trouve, sans parler des quelques bourrasques qui s’engouffrent parfois à l’intérieur. Fort heureusement, sa fourrure n’a pas que pour seul avantage d’être extrêmement soyeuse et scintillante : elle lui permet également de se tenir à minima au chaud et à ne pas geler sur place.
Ce n’est qu’après une (très) longue attente que l’accalmie survient. Le vent souffle moins fort, et les flocons ont cessé de tomber. Malgré une faible hésitation, Soan peut enfin poser une patte dehors.
Celle-ci s’enfonce à peine dans la neige, du fait de son faible poids. Il pressent cependant qu’il doit faire attention : s’il s’agite trop, il pourrait s’enfoncer encore plus et se retrouver enseveli sous toute cette poudreuse…
Avec précaution donc, il s’aventure pour la première fois hors de cette grotte. Il avise une fois encore cette gigantesque paroi qui semble le séparer de la zone du crash, mais ne perçoit pas mieux son sommet. De part et d’autre de sa position, il ne semble guère y avoir de sentier ou de chemin à privilégier.
Il va devoir avancer à l’aveuglette pour espérer rallier le sommet.
Ce n’est pas comme s’il avait d’autres choix, hélas. Alors, résolu, le Laporeille se met en marche. Le décor rocheux qui l’encerclait jusqu’alors laisse très rapidement place à une futaie, remplie de cèdres et de conifères en tout genre. Ce paysage montagneux et ce climat froid doit particulièrement bien leur convenir, à en juger l’abondance de leurs aiguilles. En dépit de sa domestication, Soan connaît bien ces arbres-là, puisque les humains apprécient en installer dans leur domicile à l’approche de certaines festivités.
Son regard balaie les alentours dans un mélange de curiosité et de crainte. Il n’est que rarement livré à lui-même, et c’est la première fois qu’il l’est dans un milieu aussi sauvage. Il se demande s’il est supposé marcher longtemps pour atteindre sa destination ; s’il existe bel et bien un chemin pour y parvenir ; s’il va être amené à croiser d’autres créatures ; des Pokémon ; des humains… Et s’ils seront avenants à son égard. Tout le monde s’est toujours gracilement comporté en sa présence, mais il se doute que c’est un comportement propre à son précédent environnement. Dans ce milieu hostile et sauvage, sa popularité en tant que star du Pokéwood n’a que peu de chance d’avoir une incidence sur ses interlocuteurs.
Il s’interroge également sur la conduite à suivre à l’approche de la tombée de la nuit. A force de marcher dans la neige, les extrémités de ses pattes postérieures sont engourdies, et son pelage est imbibé d’eau. Le froid commence à se faire plus pesant, et il craint que la disparition du soleil ne renforce cette désagréable sensation.
Il avise un instant les empreintes de pas laissées suite à son passage, puis les hauteurs qu’il cherche à atteindre. Il n’arrivera jamais là-haut avant le lendemain matin. Et si une chute de neige s’abat à nouveau, il risque tout simplement d’être pris au piège dans le froid. Depuis qu’il avance dans cette futaie, il n’a pas vu le moindre abri, et il craint de n’en découvrir aucun en continuant d’avancer au hasard.
Passé un instant à peser le pour et le contre, c’est non sans une certaine frustration qu’il décide de rebrousser chemin. Devoir retourner dans cette grotte alors qu’il y a été bloqué aussi longtemps a quelque chose de contrariant, mais il ne peut se risquer à se retrouver dehors en pleine tempête. Il peut certes voir dans le noir, mais sans la lune pour le guider, il est aussi aveugle qu’un Solochi.
Avec un peu de chance, le ciel sera dégagé demain matin. Si c’est le cas, il pourra arpenter la montagne tout au long de la journée, et trouver un abri plus en amont. De plus, l’épaisseur de la poudreuse aura diminué et il pourra avancer plus facilement.
Tous ces éléments convergent vers une même finalité : il va devoir passer la nuit dans la caverne où il a chu. Ce n’est guère une perspective qui le réjouit, mais il craint ne pas avoir d’autres solutions. De toute façon, même s’il reste éveillé, il sera trop épuisé pour l’ascension du lendemain.
Quel dommage que sa Pokéball soit brisée. Lui qui préfère d’habitude dormir dans son couffin, dans l’immédiat, il n’aurait pas craché dessus.
Une fois de retour à son point de départ, Soan fait de son mieux pour se lover dans un recoin, et utilise sa fourrure pour amoindrir la rudesse de la roche. Maintenant qu’elle est humide, il a encore plus froid, mais il va devoir surmonter ça. Il tente de se rassurer en pensant que la situation serait encore pire s’il avait dû dormir à la belle étoile, directement dans la neige.
Alors qu’il cherche le sommeil, il ne peut s’empêcher de repenser à ce crash. Il n’y a pas assisté puisqu’il était à l’intérieur de sa sphère. Est-ce que son dresseur s’en est sorti indemne ? Et les autres passagers ? Est-ce que des humains sont actuellement en train d’arpenter la montagne pour le retrouver ? Il les sait assez réactifs, lorsqu’il s’agit de retrouver un individu disparu. Il se souvient de cette fois où l’une des actrices avait fugué à la veille d’un tournage, et de la panique qui avait alors parcouru le studio. La réaction a-t-elle été la même à l’annonce de sa disparition ?
Au final, qu’elle soit émotionnelle ou physique, la fatigue finit par l’emporter et ses yeux se closent doucement. Au fond de lui, il espère que tout ceci n’est qu’un mauvais rêve, et que celui-ci se sera dissipé au réveil le lendemain matin.
Mais il n’en est rien.
Au réveil le lendemain matin, il constatera avec dépit que sa situation n’a pas évolué d’un iota. Si ce n’est que ses muscles sont encore plus ankylosés à cause de l’inconfort de la nuit. Cela étant dit, son pelage s’est asséché, et son intuition de la veille s’est avérée bonne : il fait suffisamment beau aujourd’hui pour se risquer à une ascension plus poussée.
Du moins, pense-t-il innocemment.
Si cette fois-ci il part de bonne heure et plein de volonté, un triste constat viendra brusquement le frapper. Bien que la neige soit moindre aujourd’hui, l’ascension lui parait plus compliquée. Plus éprouvante. Au point que la distance parcourue la veille lui semble soudainement inatteignable.
D’où vient cette fatigue soudaine, alors même qu’il vient de passer la nuit à dormir ? Deux éléments de réponse : la première est évidemment le contexte dans lequel il a passé la-duite nuit, peu propice à la récupération. Le second est un détail que Soan a complètement omis depuis le début de cette mésaventure : la faim.
Il sent son estomac vide, et sa gorge asséchée. Son dernier repas remonte bien avant son embarcation dans l’avion. Cela doit faire plus de vingt-quatre heures qu’il n’a rien avalé, ni bu. Si pour ce dernier point, la neige représente une bénédiction, c’est tout le contraire pour ce qui est de se remplir le ventre.
En vérité, il ne se leurre pas : quand bien même il aurait été au beau milieu du printemps, il n’aurait pas eu la moindre idée d’où trouver à manger. De sa naissance à ce triste accident, ce Laporeille n’a toujours été qu’un simple Pokémon domestique, nourri à la petite cuillère directement par son maître. Survivre en pleine nature ne fait hélas pas partie de son très large panel de compétences.
Tout en se tenant le ventre, il scrute les alentours. La faim ne commence qu’à peine à le tirailler, mais s’il ne trouve pas à manger dans la journée, il s’évanouira avant d’avoir atteint les lieux de l’accident.
Il peste intérieurement. Lui qui n’a jamais expérimenté la famine, voilà une fin qui serait bien déplorable.
Il ferme les yeux, et réquisitionne toute sa réflexion pour trouver comment résoudre ce problème. Il est actuellement dans une forêt enneigée en pleine montagne, sans trace de quiconque à l’horizon. Les arbres sont des conifères, de hauts troncs sans feuille ni fruit. Et pas le moindre buisson n’a été aperçu. Il pourrait bien tenter de mâcher des racines, mais son for intérieur le convainc que ce n’est en rien une solution à long terme. Il doit apprendre à trouver une vraie source de nutriments, et vite.
Encore heureux qu’il puisse absorber un peu de neige pour s’hydrater. Car si en plus de ça, il devait palier à la déshydratation, il serait très mal barré… Il n’y a pas que les baies qui se font rares, mais aussi la présence d’une source d’eau d’une façon générale. Cet endroit est vraiment inhospitalier. Ce qui doit expliquer l’absence d’autres êtres vivants…
C’est alors que, parcouru d’un éclair de génie, les oreilles du Laporeille se redressent. Là est son problème. Il n’est pas seulement loin de la nourriture… Mais il est aussi loin de tout point d’eau. S’il veut pouvoir manger… Il lui faut trouver un endroit où il est possible de boire, quand bien même lui peut s’en passer dans l’immédiat. Un endroit où se rassemblent d’autres Pokémon indiquerait forcément la présence de nourriture non loin !
Mais comment ? Dans quelle direction partir ? Vers où s’orienter ? L’espace d’une seconde, Soan craint que cette piste ne soit morte née. Mais la vision incessante de ces longs troncs à épines s’avérera salvatrice : il lui suffit tout simplement de prendre de la hauteur.
Le Pokémon acteur a toujours fait ses cascades lui-même. Je vous l’ai dit, il est du genre doué. Ainsi, il n’a besoin que d’un peu de concentration pour rassembler ses forces dans ses pattes arrière, et bondir jusqu’à atteindre la branche de l’arbre le plus proche. A l’aise avec les sauts, le Laporeille progresse ainsi de branche en branche dans l’espoir de gagner en altitude, et avoir une meilleure vision des alentours.
Aux trois quarts du tronc, il s’immobilise. Derrière lui s’étend le reste de la montagne. Et s’il peut également contempler la route qu’il lui reste à parcourir, il peut surtout voir les différents espaces qui définissent les lieux.
En aval de sa position, il peut ainsi observer la présence d’autres types d’arbres sur le flanc montagneux d’en face. Néanmoins tout autant enneigé, il ignore si c’est une zone plus propice à la recherche de nourriture que sa futaie de cèdres. Il remarque également que les reliefs sont nombreux et suppose la présence d’importantes galeries sous terre. Et surtout…
Il y a une grande étendue d’eau, plus loin. Un lac, nourri par une rivière qui descend du haut du versant où il se trouve. Sa source semble se prendre à quelques lieux de la direction initiale de la créature, donc il ne l’aurait jamais croisée s’il avait continué sa route normalement. Mais ce qui est important, c’est qu’une verdure plus marquée transparaît aux contours de l’eau. En tout cas, une verdure plus compacte et plus buissonnante que tous ces arbres qui l’encerclent. C’est plutôt bon signe. C’est même très bon signe.
Le fait même que l’eau ne soit pas gelée lui redonne un boost au moral. Il pourra boire une vraie eau cristalline, plutôt que mâcher cette neige. Il en est si enthousiasmé qu’il va pour redescendre d’une traite, mais fort heureusement, il est pris d’une subite retenue. Quitte à être là-haut… Autant observer ce qui l’attend sur sa route également.
A son grand désarroi : pas grand-chose. Les nuages et la brume s’accumulent à mesure qu’il contemple la partie supérieure du flanc de la montagne. Aucune trace de qui que ce soit ou quoi que ce soit. Il aurait au moins aimé avoir une confirmation que le crash a bien eu lieu en haut des falaises, mais il n’aura aucune visibilité dessus à moins de reprendre son ascension.
Cependant, la nourriture l’appelle. S’il ne mange pas, inutile de penser atteindre le haut de cette paroi. Après avoir mémorisé la direction de la rivière, Soan redescend, et se met en route, le pas vaillant.
Cette marche là s’avère moins pénible, puisqu’il n’est plus nécessaire pour lui de monter. En se contentant de longer le flanc, il devrait pouvoir rejoindre cette rivière sans perdre en altitude, et donc, s’économiser en ascension. Déjà que faire ce détour va lui faire perdre un certain temps, s’il peut ne pas avoir à rebrousser chemin, cela l’arrangerait.
D’après ses vagues capacités en évaluation des distances, il devrait pouvoir faire l’aller-retour entre ce point d’observation et la rivière en une ou deux heures. S’il trouve directement des baies à proximité, il est sauvé. Si ce n’est pas les cas, il continuera de monter tout en suivant la source d’eau, et priera pour en dénicher à proximité. Ainsi, dans le pire des cas, il continuera de se rapprocher de son objectif tout en cherchant.
Il a beau avancer et marcher à rythme soutenu, il ne croise toujours pas âme qui vive. Ses connaissances en démographie sont très limitées, mais il ne peut s’empêcher de voir en cela un mauvais présage. Néanmoins, le tiraillement provoqué par le faim le pousse à continuer le pas sûr.
Du côté de la végétation, les arbres se font moins hauts et plus rares à mesure qu’il progresse. Il comprend qu’il devra quitter la futaie s’il veut réellement atteindre cette rivière, et pareillement, il ne sait pas comment interpréter cette information. Dans un sens, cette forêt paraît de toute façon être un très mauvais plan pour s’approvisionner, mais de l’autre, avoir de la végétation aux alentours devrait être un indicateur premier sur la présence de baies ou non.
N’ayant aucune autre façon d’en avoir le cœur net, il continue de marcher sans faillir.
L’espoir viendra regonfler son petit estomac vide lorsque ses oreilles finissent par capter le son d’un ruissellement. La rivière ! Peut-être a-t-il un peu dévié en marchant, mais il l’a finalement atteinte. Il presse le pas jusqu’à quitter l’orée de la futaie, et atteindre une portion du versant complètement exposé au soleil. Non seulement la neige s’y fait encore plus rare, mais en plus…
Des buissons. Il y a des buissons à foison ! Dispersés ça et là, ils semblent former un tout hétérogène ; le dernier obstacle avant d’atteindre cette sacro-sainte rivière.
Tout en se dirigeant vers elle, le museau de Soan vient renifler avec intérêt le moindre arbuste. Se tenant bien haut sur la pointe de ses petites pattes, il croit déceler une vague odeur de nourriture sur les premiers buissons qu’il inspecte, mais aucune trace néanmoins de baies. Certes, cela implique que quelqu’un s’est servi avant lui, mais cela signifie surtout que son intuition était la bonne ! S’il continue de fouiller, il trouvera forcément un plant ayant été épargné.
Le grommellement qui émane de son ventre se manifeste avec plus d’intensité à mesure qu’il pense approcher son but. Il sent également un désagréable fourmillement dans ses membres, ainsi qu’une réelle faiblesse au niveau de ses muscles. Il a beaucoup sollicité ces derniers sans leur accorder de vrai repos ou d’apport nutritif, et cela commence à se faire ressentir. Le fait d’être probablement proche d’un aliment quelconque accentue son mal être : son corps tout entier lui fait savoir à quel point il est crucial pour lui de trouver à manger.
Il ne doit surtout pas céder à la faim, à la fatigue ou au froid. Pas si proche du but. Et bien que le tiraillement de son être tout entier devienne de plus en plus insoutenable, il doit continuer de chercher.
Fouiner.
Fouiller
Sentir.
Repérer.
Trouver.
Pour enfin, mettre la patte, sur une baie.
Lorsque ses trois petits doigts s’apposent délicatement sur cette sphère bleutée, Soan ressent une profonde excitation. Il a réussi. Il l’a déniché. Un plant de baies Oran, mûres, et qui ne demandent qu’à être cueillies. La rivière est toute proche, et, sur le peu de distance qui les sépare, semblent se concentrer tous les buissons encore alimentés en fruits. Les Pokémon du coin ont simplement dû venir grignoter sur les premiers à portée, pour repartir se réfugier dans la forêt aussitôt rassasiés. Cela doit expliquer pourquoi il a dû s’approcher autant de l’eau pour, finalement…
Pouvoir cueillir une baie Oran.
Ploc. En tirant un petit coup sec, il parvient à la détacher, et à la saisir de ses deux pattes. Son regard empli d’étoiles observe, fasciné, cet anodin et anecdotique fruit auquel il ne prête habituellement que peu d’attention.
Et c’est avec une satisfaction non dissimulée qu’il mord dedans.
Croquante, ferme. Son nectar se déverse instantanément dans ses papilles, et il parvient à en extraire encore plus de jus lorsque ses dents viennent mâcher sa chair. Un goût sucré et légèrement acidulé remplit sa bouche, pour ensuite se glisser dans sa gorge, et lentement, mais sûrement, atteindre le fond de son estomac.
Cette baie engloutie, il en saisit immédiatement une deuxième. Le bien être à l’idée de ne pas mourir de faim le soulage d’un tel poids que tous ses autres sens passent au repos. Pouvoir déguster une telle saveur tout en se remplissant le ventre n’est plus que son unique préoccupation, au point que c’est à peine s’il note l’arrivée d’un second Pokémon.
La bouche pleine, il tourne la tête vers l’inconnu qui s’approche du buisson. Lui aussi, vient profiter de cette splendeur ? De ce miracle de l’existence ? De ce goût inestimé, inégalé ? Celui de la vie, celui de l’existence ?
Soan serait bien content de partager avec lui sa joie de ne pas mourir de faim. Les yeux émus aux larmes, il lève la tête vers ce Machopeur, prêt à lui faire part de toute son admiration pour cette nourriture salvatrice. Qui sait, peut-être même qu’après avoir partagé un chaleureux repas ensemble, celui-ci pourrait lui venir en aide ? Et l’aiguiller sur la suite de son périple ? Si c’est un local, il sait probablement des tas de choses sur cette montagne. Comment s’y orienter, par exemple. Où trouver sa nourriture. L’art d’escalader les falaises. Et surtout, la meilleure méthode pour atteindre le point présumé de la chute de son avion.
Hélas, il croit ressentir ses tripes remonter dans sa gorge lorsque son poing vient s’enfoncer dans son ventre.
La baie qu’il est en train de manger se coince dans son gosier, et le pousse à régurgiter la quasi-totalité de son repas. Ce dernier est éjecté dans la direction opposée au Laporeille, qui, sous la violence du choc, est soulevé de terre, puis propulsé dans les airs.
Le Machopeur s’est sobrement rapproché de lui pour lui asséner une attaque Mach Punch dans l’estomac. Que ce soit à cause de son type Combat, de la différence de taille ou de sa force bien inégale, cela a amplement suffit à le faire voltiger. A contrario de Soan, ce Pokémon s’avère finalement moins enclin à partager sa nourriture. Tout compte fait, peut-être que l’absence d’autres spécimens dans les environs tient plus d’une histoire de territoire et de conservation des ressources, plus que d’un simple hasard.
Cette pensée lui effleure à peine l’esprit tandis que sa tête vient percuter le sol, un peu plus loin. A terre, il se tient le ventre et toussote à en recracher ses poumons. Parlant de cracher, sa salive, mêlée aux restes de baies Oran dans sa bouche, s’écoule de cette dernière en un amalgame visqueux et indistinct. Probablement qu’un peu de sang s’y mêle, mais difficile de l’affirmer lorsque l’on ajoute au tout les larmes et la morve d’un Laporeille désormais moribond.
Il n’a hélas guère le temps d’agoniser, ni même de réellement intégrer les événements, que des bruits de pas alertent ses oreilles, désormais attentives. Pour une raison qu’il n’a pas encore totalement assimilée, ce Machopeur veut sa mort, et avance vers lui dans l’optique de la lui octroyer.
Mu par un furieux instinct de survie, Soan passe outre toute sensation de douleur pour prendre appui sur ses pattes avant, et se redresser. Certes groggy, mais bien déterminé à ne pas crever, c’est au tour de ses pattes arrière d’entrer en action, et de marteler le sol dans la direction opposée au Pokémon sauvage.
Le voilà donc qui dévale la pente de la montagne à toute vitesse. Si Machopeur a pour lui la puissance, Laporeille a la vitesse, et c’est bien rapidement que notre petite créature parvient à le semer. De toute évidence, continuer cette poursuite n’a de toute façon que peu d’intérêt pour le type Combat : désormais, ce Pokémon inconscient se tiendra loin de sa réserve de nourriture, c’est certain.
Après avoir couru un temps et une distance qu’il lui est impossible d’estimer, Soan finit par s’arrêter net, pour ensuite s’écrouler au sol. A la douleur du coup et au rejet de son repas, s’ajoute une respiration haletante qui fait soulever et redescendre son ventre à une vitesse inquiétante. Il a du mal à respirer, du mal à regarder devant lui, et du mal à rester conscient. Probablement que la vive douleur qui brûle l’intérieur de son corps est l’unique chose qui le maintien éveillé.
C’est son inconscient qui vient presque lui rappeler qu’en dévalant la pente ainsi, il est resté à proximité de la rivière. Qui dit rivière dit eau, et peut-être bien que c’est ce dont son corps a besoin, là tout de suite. Ne réfléchissant guère plus, il se traîne jusqu’à atteindre le liquide salvateur, et immerge quasiment son visage à l’intérieur.
L’eau qui s’écoule dans sa gorge vient à la fois faire passer la sensation d’étouffement et le goût du sang qui l’oppresse. Il a besoin d’enchaîner les gorgées pour se nettoyer l’estomac, mais aussi pour se désaltérer à la suite de cet effort soudain. Ce n’est que lorsqu’un vague sentiment de fraîcheur parcourt son corps qu’il se redresse, et vient s’affaler contre un rocher.
Tout en récupérant de son souffle haletant, Soan tente de mieux cerner sa situation. Dans l’optique de ne pas mourir de faim, il a fait un détour sur son trajet en direction de l’avion. Sauf qu’en cherchant de la nourriture, il a envahi le territoire d’un Pokémon sauvage, qui l’a violemment savaté. Et en le fuyant, il a certainement marqué un écart encore plus important entre lui et sa destination ; désormais, en plus de s’être éloigné latéralement, il a également baissé en altitude.
Probablement même qu’avec le temps passé à dévaler la pente, il est maintenant plus bas que sa grotte initiale.
Et tout ça, pour toujours avoir le ventre vide, puisqu’il a recraché le peu de nourriture qu’il a pu avaler.
C’est… Si rageant. Et si injuste ! Il n’a qu’un tout petit estomac, deux ou trois baies auraient parfaitement suffit à le faire tenir jusqu’à son objectif. Ce Machopeur ne pouvait-il donc pas lui en céder quelques-unes ? Et d’ailleurs… C’était quoi, cette attaque surprise ? Il s’est approché de lui normalement, sans émettre le moindre signe d’hostilité… Et d’un seul coup, il a déployé toute sa violence et toute sa puissance dans une seule frappe. C’est si lâche. Tellement lâche !
C’est vrai, quoi ! Soan est un être parfait. Peut-être est-il plus frêle que ce Machopeur, mais il n’est pas faible pour autant. Dans un contexte plus classique, il aurait vu le coup venir. Il l’aurait esquivé, puis utilisé son agilité pour retourner la force de son adversaire contre lui. C’est un scénario qui s’est déjà produit des tas de fois lors de ses entraînements au combat.
Mais l’attaquer ainsi, par surprise, alors qu’il est perdu, affamé, au bord de l’évanouissement… C’est tellement minable. Misérable. Pitoyable ! Est-ce vraiment tout ce que cet être lamentable peut faire pour rivaliser contre lui ?
Une bouillonnante colère vient petit à petit infuser son petit corps. Malheureusement, l’adrénaline rechute violemment, et Soan a puisé dans ses dernières réserves d’énergie lors de cette fuite désespérée. Il est à bout de force, il a froid, il est fatigué, et même s’il a pu s’hydrater convenablement… Son estomac est toujours aussi vide.
Merde. Va-t-il sombrer dans l’inconscience ? Alors même qu’il est parvenu à se mettre en sûreté ? Alors qu’il était sur le point de se remplir le ventre, de refaire le plein d’énergie pour remonter au sommet de la falaise ? Pour ensuite retrouver son dresseur, retourner dans sa Pokéball, et rentrer au chaud dans sa loge ?
Certes, la neige est moins présente à cette hauteur, mais elle reste pour autant existante. Et si une tempête venait à s’abattre, il ne se donne pas plus de trente minutes avant de mourir de froid.
Ah…
Si seulement… Il avait pu manger un petit peu.
Ce n’est qu’alors que ses pensées divaguent, et qu’il sent ses muscles se relâcher, qu’il prend conscience de quelque chose.
Depuis tout ce temps… Entre le moment où ce Machopeur est apparu, et maintenant…
Il n’a pas lâché la baie qu’il tenait dans la patte.
Comme une volonté du fin fond de son subconscient, alors même qu’il se faisait tabasser, qu’il volait dans les airs, ou qu’il fuyait, ses doigts comprimaient dans leur paume un fragment de son repas. Un fragment déjà bien entamé, et désormais abîmé par les événements… Mais un fragment malgré tout.
Sans attendre une nouvelle attaque, Soan avale purement et simplement le pauvre morceau de baie Oran qu’il lui reste, maigre fruit de son infructueuse récolte. Il a quelques difficultés à déglutir et à l’avaler, mais il y parvient. Et s’ils sont maigres, il sent instantanément les effets curatifs de la baie se répercuter sur son corps.
Cela ne le sauve en rien de la misère dans laquelle il se trouve, mais cette baie salutaire a au moins pour mérite de retarder la terrible échéance. Maintenant, il peut se redresser, et… Espérer trouver un plan pour la suite.
D’abord… Un véritable abri. Une autre grotte, ou un trou, n’importe quoi dans lequel il puisse s’abriter. Il ignore jusqu’où ce Machopeur est capable de le suivre, alors autant faire en sorte qu’il soit incapable de le retrouver.
Il jettera son dévolu sur un amoncellement de rocher, plus loin. En les contournant, il découvre un semblant de tanière dans lequel s’engouffrer et se cacher. On y est beaucoup plus étroit que dans sa première grotte, et il n’est pas certain de préférer la salissure de la terre à la fermeté de ses parois, mais comme avec tout ce qu’il se passe depuis son accident : il va devoir concilier avec. Lové ainsi, il sera protégé et des prédateurs, et du froid.
Sauf s’il a, une fois encore, envahi le domicile d’un autre. Mais Soan se repose sur l’absence d’odeur marquée pour supposer cet abri déserté.
De toute façon, il ne sait pas s’il aura l’énergie ou même la chance d’en trouver un autre. Il est encore quelque peu sonné par le coup qu’il a reçu, et mine de rien, il a beaucoup bougé depuis son départ ce matin. Il va avoir besoin d’un instant pour se rétablir.
Au point qu’en voulant s’accorder ce répit, ni l’inconfort ni l’heure tôtive ne l’empêchent de fermer les yeux…. Et de s’endormir.