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Icon : Pikachu Explorateur, à votre service !
Taille de l'équipe : 2
Région d'origine : Sinnoh
Âge : 18
Niveau : 25
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Lissa Labelvi
est un Coordinateur Éleveur
Soan.

Ce nom signifie « béni des Dieux ».

Béni, on peut dire qu’il l’est. Pour Soan… Tout a toujours été très facile.

Il né chromatique. Avec un véritable talent pour la Coordination. Et des IV parfaits.

Tout ce qu’il lui manquerait, ça serait un don inné pour le langage humain.

Mais ce minuscule détail mis à part, il n’a rien à envier à quelconque autre Pokémon sur terre. La plupart du temps, c’est même plutôt l’inverse : ce sont les autres qui l’envient.

Pour lui, tout a toujours été simple. Il a grandi dans un milieu aisé, entouré de personnes affectueuses, mais pas moins stimulantes. Ses compétences naturelles ont très rapidement été repérées, et tout a été mis en place pour lui permettre de s’épanouir. Que ce soit dans l’art du combat ou de la performance, il a rapidement eu l’occasion de se perfectionner. Et ce, peu importe la sous-discipline.

Car en plus d’être naturellement doué, Soan est également une créature appliquée. Ses facilités ne sont en rien un prétexte à la paresse. Elles doivent être pour lui un ressort pour viser toujours plus haut. Plus loin. Plus grand.

Le fait est que sa nature studieuse se conjugue très bien à ses nombreuses vocations, et aux attentes qui en découlent. Quand on est parfait, on est en droit d’espérer que nos résultats le soient aussi. Soan l’a compris très tôt, et il a donc tout mis en œuvre pour y répondre.

En fait, c’est même ainsi que toute sa vie a été construite. Il ne peut la concevoir autrement que comme une dévotion pure et totale à ses arts. Ainsi qu’à leur réussite.

Voilà donc que tout est resté très facile. Ses dons lui facilitent déjà grandement la tâche, mais si en plus de cela, il se donne les moyens de ses ambitions, sa conquête ne laisse que peu de place au doute.  

Il ne lui aura pas fallu longtemps avant de remporter ses premiers combats. Ses premiers rubans. Puis ses premiers tournois. Et ses premiers rôles. D’abord au théâtre, puis au Pokéwood. Simplement. Ce fut un enchaînement des plus spontanés.  

Bien vite – très vite – Soan est devenu ce qu’il était naturellement destiné à devenir.

Une étoile.

Une star, de renom, qui brille.

Et que rien ne peut ombrager.

Non, rien…



Enfin…

…. Presque, rien.

Parce que tout ceci, toute cette histoire, ne serait pas très intéressante si tout y était merveilleux et aisé, n’est-ce pas ?

Malgré ses dispositions au combat, sa grâce sur scène, ses facultés d’adaptation, son avenance naturelle, son charme à toute épreuve, sa minutie parfaite, son sens du détail, sa dévotion, Soan… A un défaut.

Un tout petit, anodin défaut.

Insignifiant, presque.

Qui passerait probablement inaperçu chez n’importe qui d’autre.

Mais qui, pour lui…

Ne cesse de lever des interrogations.

Son point noir, le voilà :

Soan n’est pas heureux.

Mais qu’est-ce que le bonheur, exactement ? Est-ce vraiment un objectif que l’on peut atteindre de façon concrète ? Lui, qui peut déjà tout obtenir à la portée de ses pattes, n’a-t-il pas gagné une certaine forme de consécration ? De satisfaction ? N’est-ce pas un peu cliché, qu’un être parfait à qui tout réussit, ne parvienne pas à se sentir accompli pour autant ?

Tout a toujours été très facile pour Soan. Mais il y a une chose qui ne l’a jamais été, pour lui, spécifiquement.

L’évolution.

Ah, voilà quelque chose que je ne vous ai pas précisé. Soan est un Pokémon chromatique certes, mais de quelle espèce ?

Un Laporeille. Un beau Laporeille rose.

Et vous savez comment évoluent les Laporeille ?

Par bonheur.

Voilà.

Il est là le souci.

C’est que Soan n’est pas heureux. Donc, Soan n’évolue pas.

Donc.

Cela se remarque.

Un Pokémon si bien éduqué, si bien entouré, si performant et si idolâtré. La logique voudrait qu’il soit au summum de l’allégresse, non ?  Que peut-il demander de plus ? Que peut-il espérer de plus ? A part dévoiler son plein potentiel, qui justement, ne peut se faire que via l’évolution ? S’il évoluait, il pourrait très certainement atteindre de nouveaux sommets. Une nouvelle puissance. Une nouvelle grâce. Peut-être même pourrait-il devenir un prétendant pertinent, mature, et trouver l’être aimé parmi ses comparses Pokémon acteurs…. ?

Toutes les conditions sont réunies pour qu’il puisse évoluer. Et il a également tous les intérêts pour. Alors…

Pourquoi, au nom de Giratina, n’évolue-t-il pas ?

C’est le genre d’interrogation qui fait jaser, en studio. Rares sont ceux qui osent réellement amener le sujet sur le tapis, en vérité. Ce sont surtout des murmures. Des messes basses. Des questions posées innocemment, ou de manière détournée. Rien de concret, rien qui n’oblige le propriétaire de Soan à y faire face. Mais rien non plus qui n’échappe aux oreilles de ce dernier.

Les Laporeille ont une bonne ouïe, après tout.

« C’est la pression vous croyez ? » « Peut-être qu’il ne veut tout simplement pas... » « J’ai entendu dire qu’ils voulaient le faire évoluer pendant un tournage. » « Vous avez vu comme tout le monde est exigeant avec lui ? » « Moi, je pense qu’il est maltraité. » « Ce n’est pas normal qu’un Pokémon comme lui ne soit pas heureux, ça cache forcément quelque chose. »

Parmi ses nombreux talents naturels, la fonction cognitive de Soan figure bien haut dans la liste. S’il ne peut parler leur langue, la compréhension humaine n’a que peu de secrets pour lui, de même que ces sous-entendus.

Et Soan n’aime pas trop ce qu’il comprend.

Il n’aime pas ça car il sait que tout ceci est entièrement faux. Absolument aucune de ces rumeurs n’est vraie. Tous, ils réussissent l’exploit d’être dans l’erreur, alors même que, statistiquement, au moins l’un d’entre eux devrait être en mesure de trouver la raison véritable, même par hasard. Pourtant, personne n’est capable de ne serait-ce que toucher la vérité du doigt.

Et cela renfrogne un peu plus le Pokémon dans son dépit.

La vérité, elle est là : ni lui ni son maître ne comprennent pourquoi il ne peut guère se résoudre à évoluer.

Pourtant, ce dernier fait montre d’une patience à toute épreuve. Après tout, pourquoi le brusquer ? En soi, Soan est très performant en tant que Laporeille. Il coche déjà toutes les cases de l’innombrable liste d’attentes qui reposent sur lui ; et en plus, une évolution consiste toujours en un bouleversement dans le planning d’un Pokémon acteur. Autant attendre que cela survienne à une période de creux dans les tournages, pour à la fois ne causer aucun désagrément, et peut-être même en profiter pour relancer une carrière.  

Dans l’immédiat, il ne perd pas grand-chose à le garder en tant que stade de base. A part faire taire ces rumeurs, et encore : l’éclat de Soan est tel que celles-ci ne restent que des murmures étouffés dans l’agitation du Pokéwood.

Et le concerné, qu’est-ce qu’il en pense ?

Il ne sait pas. Et ça l’agace.

Qu’est-ce qu’il attend pour évoluer, au juste ? Contrairement à toute autre espèce de Pokémon, il fait partie d’une catégorie spécifique dont la mutation de son organisme ne dépend que de son mental. Uniquement, et simplement, de son mental. Alors, lui qui est maître de son corps, maître de son esprit, capable des plus hautes performances, des plus grandes prouesses, ne devrait-il pas pouvoir évoluer par la simple pensée ? Ne lui suffit-il pas de le vouloir pour y parvenir ? Ne peut-il pas tout bêtement se convaincre « C’est bon, là, maintenant, je suis prêt » ?

C’est quoi, le déclic ?

Pourquoi ne le trouve-t-il pas ?

Qu’est-ce qu’il lui pose problème ?

Pourquoi

n’est-il pas

heureux ?

C’est le genre de question que se pose cette petite et anodine créature, le soir, devant le miroir de sa loge.

N’est-ce pas cruel ? Les Pokémon sont des créatures simples, à la base. Elles vivent pour se nourrir. S’abriter. Combattre. Et tout ça, pour survivre. C’est en tout cas ainsi qu’Arceus les a conçus, initialement.

Mais il a fallu que le destin appose sur les épaules de cet être misérable une plus grande connaissance de soi, une meilleure perception de son environnement, une encéphalisation plus importante pour que, d’un coup d’un seul, la voilà en proie à une crise existentielle.

Est-ce là son fardeau ? Le revers de la médaille ?

Le prix à payer pour être si naturellement… Privilégié ?

Savoir… Qu’il ne pourra jamais s’épanouir ?

Et que… Tous, autour de lui, devront en avoir conscience également ?

Pour le lui rappeler insidieusement, à chaque fois que l’occasion se présente ?

C’est… Cruel.

Certes.

Mais… En rapport à tous les autres avantages que la vie lui a prodigués…

C’est probablement un moindre coût.




En tout cas, c’est ce dont Soan a fini par se convaincre.










***


Soan.

Ce nom signifie « béni des Dieux ».

Béni, on peut dire qu’il l’est. Pour Soan… Tout a toujours été très facile.

Tout.

Tout…

Tout du moins, jusqu’à ce jour.




CRASH

« LE… LE RÉACTEUR ! »

BUM

« ON PERD DE L’ALTITUDE ! »

VIOUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUM

« ON… ON VA MOURIR ! »




Tout est allé très vite.

Même une fois abrité dans sa Pokéball, Soan a senti la violence. La panique. Le choc.

La détresse.

L’avion est le moyen de transport le plus sûr du monde, on ne cesse de le répéter. Pour autant, si sur les cent millions de passagers qui le fréquentent chaque année, vous faîtes parties des 0,005 victimes d’un accident… Tout de suite, la probabilité de mourir croit de façon exponentielle.

Enfin… Plus, qu’exponentielle.

Mais je vous l’ai dit, non ? Soan signifie « béni des Dieux ». Et si un enfant du divin se retrouve à braver une statistique absurde qui joue en sa défaveur… Quoi de plus naturel que d’en surmonter une deuxième, cette fois-ci plus bénéfique, pour rétablir l’équilibre ?

Arceus ne va pas laisser mourir l’une de ses créatures bénies, n’est-ce pas ?

Quoique un tel départ puisse dénoter d’un certain panache…

Pour Soan, si décès il doit y avoir, il devra se faire avec bien moins d’éclat.






***

La première chose dont il se souvient est d’un contact froid avec sa joue.

Vient ensuite la sensation de ses muscles engourdis. L’ankylose de ses articulations. Et la difficulté qu’il a à se relever.

Lorsqu’enfin, ses yeux s’ouvrent, une brume blanchâtre emplit son champ de vision. Il lui faut un instant supplémentaire pour que celle-ci se dissipe, et qu’il puisse un peu mieux cerner son environnement.

Cette omniprésence blanche découle d’une quantité affolante de neige qui s’accumule devant lui. Le vent souffle violemment et produit un sifflement continu à glacer le sang ; presque autant que la température ambiante.

Si lui-même n’est pas déjà mort de froid, c’est probablement parce qu’il a échoué dans l’entrée d’une grotte. Il n’est certes pas à l’abri du vent, mais il est au moins protégé de la tempête, et cette roche caverneuse reste probablement plus agréable qu’un tapis de neige.

Maintenant qu’il a repris connaissance, il parvient à trouver la force de se redresser. Il se sent encore un peu secoué, mais la présence de sa Pokéball entrouverte, juste là, l’aide à resituer les événements. Il se souvient que le véhicule qui le transportait a eu un accident en plein vol, et qu’il a été mis à l’abri à l’intérieur.

Il a probablement fini par se faire éjecter au moment de l’impact, et... A atterri ici.

Lentement, il s’approche de la capsule, et lui donne un petit coup de patte. Elle est en entrouverte, oui, mais surtout, le mécanisme d’ouverture paraît cassé. Des petits fragments de la Pokéball fissurée prônent, juste à côté, et lui font perdre tout espoir de pouvoir se réfugier à l’intérieur.

D’un regard, il cherche une quelconque trace de l’accident ou d’un autre survivant. Mais dans cette caverne, il n’y a rien. Il se rapproche alors de la sortie, pour jeter un coup d’œil à l’extérieur, mais la tempête de neige qui y fait rage rend difficile l’observation. Tout ce qu’il constate, c’est une gigantesque paroi rocailleuse qui lui fait face, et dont il ne perçoit même pas le sommet. Est-ce de là-haut que sa Pokéball est tombée ? Cela semble être le seul moyen pour lui d’avoir atterri ici, s’il n’y a véritablement aucune autre trace du crash.

Alors, la suite logique serait de remonter là-haut, pour voir ce qu’il en est. Mais entre le vent qui souffle violemment, la neige qui chute sans fin et l’allure de la paroi, une ascension telle quelle est purement suicidaire. En fait, même sortir de la grotte et chercher un chemin pour remonter l’est, rien qu’à cause des deux premiers points.

Le Laporeille avise le fond de la grotte, qui semble s’enfoncer dans un réseau noir de galeries. La nyctalopie fait certes partie de ses nombreuses caractéristiques, mais doit-il pour autant partir à l’opposé de sa direction initiale ? Sans même savoir où cela va le mener ? La paroi derrière lui est sa seule piste immédiate. Il serait idiot de faire une croix dessus, si peu de temps après s’être retrouvé largué ici.

Pas le choix. Il va devoir attendre que la tempête se calme. En un souffle résigné, Soan prend appui contre un mur, et s’assoit convenablement. Il a déjà de la chance d’être sorti vivant de cet accident, sans blessure apparente de surcroît. Il peut bien prendre son mal en patience.

Il attend ainsi que le temps passe. Ce qui débutent comme des secondes se transforment rapidement en minutes, puis en heures. Rester ainsi, assis à ne rien faire, peut s’avérer pénible, surtout dans un tel contexte, mais cela ne paraît en rien affecter la créature. Après tout, les longues sessions de tournage qu’il a pour habitude d’enchaîner demandent tout autant d’endurance et de stoïcisme. Certes, cela se fait parfois dans un décor plus confortable et souvent dans une situation moins précaire, pour autant… Il n’a qu’à se dire qu’il est sur une scène plus éprouvante qu’à l’accoutumée pour parvenir à garder toute sa constance.

La seule chose capable de la gangrener est la température ambiante. Peut-être n’est-il pas au contact de la neige, mais sa froideur a contaminé les parois et le sol de la grotte dans laquelle il se trouve, sans parler des quelques bourrasques qui s’engouffrent parfois à l’intérieur. Fort heureusement, sa fourrure n’a pas que pour seul avantage d’être extrêmement soyeuse et scintillante : elle lui permet également de se tenir à minima au chaud et à ne pas geler sur place.

Ce n’est qu’après une (très) longue attente que l’accalmie survient.  Le vent souffle moins fort, et les flocons ont cessé de tomber. Malgré une faible hésitation, Soan peut enfin poser une patte dehors.

Celle-ci s’enfonce à peine dans la neige, du fait de son faible poids. Il pressent cependant qu’il doit faire attention : s’il s’agite trop, il pourrait s’enfoncer encore plus et se retrouver enseveli sous toute cette poudreuse…

Avec précaution donc, il s’aventure pour la première fois hors de cette grotte. Il avise une fois encore cette gigantesque paroi qui semble le séparer de la zone du crash, mais ne perçoit pas mieux son sommet. De part et d’autre de sa position, il ne semble guère y avoir de sentier ou de chemin à privilégier.

Il va devoir avancer à l’aveuglette pour espérer rallier le sommet.

Ce n’est pas comme s’il avait d’autres choix, hélas. Alors, résolu, le Laporeille se met en marche. Le décor rocheux qui l’encerclait jusqu’alors laisse très rapidement place à une futaie, remplie de cèdres et de conifères en tout genre. Ce paysage montagneux et ce climat froid doit particulièrement bien leur convenir, à en juger l’abondance de leurs aiguilles. En dépit de sa domestication, Soan connaît bien ces arbres-là, puisque les humains apprécient en installer dans leur domicile à l’approche de certaines festivités.

Son regard balaie les alentours dans un mélange de curiosité et de crainte. Il n’est que rarement livré à lui-même, et c’est la première fois qu’il l’est dans un milieu aussi sauvage. Il se demande s’il est supposé marcher longtemps pour atteindre sa destination ; s’il existe bel et bien un chemin pour y parvenir ; s’il va être amené à croiser d’autres créatures ; des Pokémon ; des humains… Et s’ils seront avenants à son égard. Tout le monde s’est toujours gracilement comporté en sa présence, mais il se doute que c’est un comportement propre à son précédent environnement. Dans ce milieu hostile et sauvage, sa popularité en tant que star du Pokéwood n’a que peu de chance d’avoir une incidence sur ses interlocuteurs.

Il s’interroge également sur la conduite à suivre à l’approche de la tombée de la nuit. A force de marcher dans la neige, les extrémités de ses pattes postérieures sont engourdies, et son pelage est imbibé d’eau. Le froid commence à se faire plus pesant, et il craint que la disparition du soleil ne renforce cette désagréable sensation.

Il avise un instant les empreintes de pas laissées suite à son passage, puis les hauteurs qu’il cherche à atteindre. Il n’arrivera jamais là-haut avant le lendemain matin. Et si une chute de neige s’abat à nouveau, il risque tout simplement d’être pris au piège dans le froid. Depuis qu’il avance dans cette futaie, il n’a pas vu le moindre abri, et il craint de n’en découvrir aucun en continuant d’avancer au hasard.

Passé un instant à peser le pour et le contre, c’est non sans une certaine frustration qu’il décide de rebrousser chemin. Devoir retourner dans cette grotte alors qu’il y a été bloqué aussi longtemps a quelque chose de contrariant, mais il ne peut se risquer à se retrouver dehors en pleine tempête. Il peut certes voir dans le noir, mais sans la lune pour le guider, il est aussi aveugle qu’un Solochi.  

Avec un peu de chance, le ciel sera dégagé demain matin. Si c’est le cas, il pourra arpenter la montagne tout au long de la journée, et trouver un abri plus en amont. De plus, l’épaisseur de la poudreuse aura diminué et il pourra avancer plus facilement.

Tous ces éléments convergent vers une même finalité : il va devoir passer la nuit dans la caverne où il a chu. Ce n’est guère une perspective qui le réjouit, mais il craint ne pas avoir d’autres solutions. De toute façon, même s’il reste éveillé, il sera trop épuisé pour l’ascension du lendemain.

Quel dommage que sa Pokéball soit brisée. Lui qui préfère d’habitude dormir dans son couffin, dans l’immédiat, il n’aurait pas craché dessus.

Une fois de retour à son point de départ, Soan fait de son mieux pour se lover dans un recoin, et utilise sa fourrure pour amoindrir la rudesse de la roche. Maintenant qu’elle est humide, il a encore plus froid, mais il va devoir surmonter ça. Il tente de se rassurer en pensant que la situation serait encore pire s’il avait dû dormir à la belle étoile, directement dans la neige.

Alors qu’il cherche le sommeil, il ne peut s’empêcher de repenser à ce crash. Il n’y a pas assisté puisqu’il était à l’intérieur de sa sphère. Est-ce que son dresseur s’en est sorti indemne ? Et les autres passagers ? Est-ce que des humains sont actuellement en train d’arpenter la montagne pour le retrouver ? Il les sait assez réactifs, lorsqu’il s’agit de retrouver un individu disparu. Il se souvient de cette fois où l’une des actrices avait fugué à la veille d’un tournage, et de la panique qui avait alors parcouru le studio. La réaction a-t-elle été la même à l’annonce de sa disparition ?

Au final, qu’elle soit émotionnelle ou physique, la fatigue finit par l’emporter et ses yeux se closent doucement. Au fond de lui, il espère que tout ceci n’est qu’un mauvais rêve, et que celui-ci se sera dissipé au réveil le lendemain matin.

Mais il n’en est rien.

Au réveil le lendemain matin, il constatera avec dépit que sa situation n’a pas évolué d’un iota. Si ce n’est que ses muscles sont encore plus ankylosés à cause de l’inconfort de la nuit. Cela étant dit, son pelage s’est asséché, et son intuition de la veille s’est avérée bonne : il fait suffisamment beau aujourd’hui pour se risquer à une ascension plus poussée.

Du moins, pense-t-il innocemment.

Si cette fois-ci il part de bonne heure et plein de volonté, un triste constat viendra brusquement le frapper. Bien que la neige soit moindre aujourd’hui, l’ascension lui parait plus compliquée. Plus éprouvante. Au point que la distance parcourue la veille lui semble soudainement inatteignable.

D’où vient cette fatigue soudaine, alors même qu’il vient de passer la nuit à dormir ? Deux éléments de réponse : la première est évidemment le contexte dans lequel il a passé la-duite nuit, peu propice à la récupération. Le second est un détail que Soan a complètement omis depuis le début de cette mésaventure : la faim.

Il sent son estomac vide, et sa gorge asséchée. Son dernier repas remonte bien avant son embarcation dans l’avion. Cela doit faire plus de vingt-quatre heures qu’il n’a rien avalé, ni bu. Si pour ce dernier point, la neige représente une bénédiction, c’est tout le contraire pour ce qui est de se remplir le ventre.

En vérité, il ne se leurre pas : quand bien même il aurait été au beau milieu du printemps, il n’aurait pas eu la moindre idée d’où trouver à manger. De sa naissance à ce triste accident, ce Laporeille n’a toujours été qu’un simple Pokémon domestique, nourri à la petite cuillère directement par son maître. Survivre en pleine nature ne fait hélas pas partie de son très large panel de compétences.

Tout en se tenant le ventre, il scrute les alentours. La faim ne commence qu’à peine à le tirailler, mais s’il ne trouve pas à manger dans la journée, il s’évanouira avant d’avoir atteint les lieux de l’accident.

Il peste intérieurement. Lui qui n’a jamais expérimenté la famine, voilà une fin qui serait bien déplorable.

Il ferme les yeux, et réquisitionne toute sa réflexion pour trouver comment résoudre ce problème. Il est actuellement dans une forêt enneigée en pleine montagne, sans trace de quiconque à l’horizon. Les arbres sont des conifères, de hauts troncs sans feuille ni fruit. Et pas le moindre buisson n’a été aperçu. Il pourrait bien tenter de mâcher des racines, mais son for intérieur le convainc que ce n’est en rien une solution à long terme. Il doit apprendre à trouver une vraie source de nutriments, et vite.

Encore heureux qu’il puisse absorber un peu de neige pour s’hydrater. Car si en plus de ça, il devait palier à la déshydratation, il serait très mal barré… Il n’y a pas que les baies qui se font rares, mais aussi la présence d’une source d’eau d’une façon générale. Cet endroit est vraiment inhospitalier. Ce qui doit expliquer l’absence d’autres êtres vivants…

C’est alors que, parcouru d’un éclair de génie, les oreilles du Laporeille se redressent. Là est son problème. Il n’est pas seulement loin de la nourriture… Mais il est aussi loin de tout point d’eau. S’il veut pouvoir manger… Il lui faut trouver un endroit où il est possible de boire, quand bien même lui peut s’en passer dans l’immédiat. Un endroit où se rassemblent d’autres Pokémon indiquerait forcément la présence de nourriture non loin !

Mais comment ? Dans quelle direction partir ? Vers où s’orienter ? L’espace d’une seconde, Soan craint que cette piste ne soit morte née. Mais la vision incessante de ces longs troncs à épines s’avérera salvatrice : il lui suffit tout simplement de prendre de la hauteur.

Le Pokémon acteur a toujours fait ses cascades lui-même. Je vous l’ai dit, il est du genre doué. Ainsi, il n’a besoin que d’un peu de concentration pour rassembler ses forces dans ses pattes arrière, et bondir jusqu’à atteindre la branche de l’arbre le plus proche. A l’aise avec les sauts, le Laporeille progresse ainsi de branche en branche dans l’espoir de gagner en altitude, et avoir une meilleure vision des alentours.  

Aux trois quarts du tronc, il s’immobilise. Derrière lui s’étend le reste de la montagne. Et s’il peut également contempler la route qu’il lui reste à parcourir, il peut surtout voir les différents espaces qui définissent les lieux.

En aval de sa position, il peut ainsi observer la présence d’autres types d’arbres sur le flanc montagneux d’en face. Néanmoins tout autant enneigé, il ignore si c’est une zone plus propice à la recherche de nourriture que sa futaie de cèdres. Il remarque également que les reliefs sont nombreux et suppose la présence d’importantes galeries sous terre. Et surtout…

Il y a une grande étendue d’eau, plus loin. Un lac, nourri par une rivière qui descend du haut du versant où il se trouve. Sa source semble se prendre à quelques lieux de la direction initiale de la créature, donc il ne l’aurait jamais croisée s’il avait continué sa route normalement. Mais ce qui est important, c’est qu’une verdure plus marquée transparaît aux contours de l’eau. En tout cas, une verdure plus compacte et plus buissonnante que tous ces arbres qui l’encerclent. C’est plutôt bon signe. C’est même très bon signe.

Le fait même que l’eau ne soit pas gelée lui redonne un boost au moral. Il pourra boire une vraie eau cristalline, plutôt que mâcher cette neige. Il en est si enthousiasmé qu’il va pour redescendre d’une traite, mais fort heureusement, il est pris d’une subite retenue. Quitte à être là-haut… Autant observer ce qui l’attend sur sa route également.

A son grand désarroi : pas grand-chose. Les nuages et la brume s’accumulent à mesure qu’il contemple la partie supérieure du flanc de la montagne. Aucune trace de qui que ce soit ou quoi que ce soit. Il aurait au moins aimé avoir une confirmation que le crash a bien eu lieu en haut des falaises, mais il n’aura aucune visibilité dessus à moins de reprendre son ascension.

Cependant, la nourriture l’appelle. S’il ne mange pas, inutile de penser atteindre le haut de cette paroi. Après avoir mémorisé la direction de la rivière, Soan redescend, et se met en route, le pas vaillant.

Cette marche là s’avère moins pénible, puisqu’il n’est plus nécessaire pour lui de monter. En se contentant de longer le flanc, il devrait pouvoir rejoindre cette rivière sans perdre en altitude, et donc, s’économiser en ascension. Déjà que faire ce détour va lui faire perdre un certain temps, s’il peut ne pas avoir à rebrousser chemin, cela l’arrangerait.

D’après ses vagues capacités en évaluation des distances, il devrait pouvoir faire l’aller-retour entre ce point d’observation et la rivière en une ou deux heures. S’il trouve directement des baies à proximité, il est sauvé. Si ce n’est pas les cas, il continuera de monter tout en suivant la source d’eau, et priera pour en dénicher à proximité. Ainsi, dans le pire des cas, il continuera de se rapprocher de son objectif tout en cherchant.

Il a beau avancer et marcher à rythme soutenu, il ne croise toujours pas âme qui vive. Ses connaissances en démographie sont très limitées, mais il ne peut s’empêcher de voir en cela un mauvais présage. Néanmoins, le tiraillement provoqué par le faim le pousse à continuer le pas sûr.

Du côté de la végétation, les arbres se font moins hauts et plus rares à mesure qu’il progresse. Il comprend qu’il devra quitter la futaie s’il veut réellement atteindre cette rivière, et pareillement, il ne sait pas comment interpréter cette information. Dans un sens, cette forêt paraît de toute façon être un très mauvais plan pour s’approvisionner, mais de l’autre, avoir de la végétation aux alentours devrait être un indicateur premier sur la présence de baies ou non.

N’ayant aucune autre façon d’en avoir le cœur net, il continue de marcher sans faillir.

L’espoir viendra regonfler son petit estomac vide lorsque ses oreilles finissent par capter le son d’un ruissellement. La rivière ! Peut-être a-t-il un peu dévié en marchant, mais il l’a finalement atteinte. Il presse le pas jusqu’à quitter l’orée de la futaie, et atteindre une portion du versant complètement exposé au soleil. Non seulement la neige s’y fait encore plus rare, mais en plus…

Des buissons. Il y a des buissons à foison ! Dispersés ça et là, ils semblent former un tout hétérogène ; le dernier obstacle avant d’atteindre cette sacro-sainte rivière.

Tout en se dirigeant vers elle, le museau de Soan vient renifler avec intérêt le moindre arbuste. Se tenant bien haut sur la pointe de ses petites pattes, il croit déceler une vague odeur de nourriture sur les premiers buissons qu’il inspecte, mais aucune trace néanmoins de baies. Certes, cela implique que quelqu’un s’est servi avant lui, mais cela signifie surtout que son intuition était la bonne ! S’il continue de fouiller, il trouvera forcément un plant ayant été épargné.

Le grommellement qui émane de son ventre se manifeste avec plus d’intensité à mesure qu’il pense approcher son but. Il sent également un désagréable fourmillement dans ses membres, ainsi qu’une réelle faiblesse au niveau de ses muscles. Il a beaucoup sollicité ces derniers sans leur accorder de vrai repos ou d’apport nutritif, et cela commence à se faire ressentir. Le fait d’être probablement proche d’un aliment quelconque accentue son mal être : son corps tout entier lui fait savoir à quel point il est crucial pour lui de trouver à manger.

Il ne doit surtout pas céder à la faim, à la fatigue ou au froid. Pas si proche du but. Et bien que le tiraillement de son être tout entier devienne de plus en plus insoutenable, il doit continuer de chercher.

Fouiner.

Fouiller

Sentir.

Repérer.

Trouver.

Pour enfin, mettre la patte, sur une baie.

Lorsque ses trois petits doigts s’apposent délicatement sur cette sphère bleutée, Soan ressent une profonde excitation. Il a réussi. Il l’a déniché. Un plant de baies Oran, mûres, et qui ne demandent qu’à être cueillies. La rivière est toute proche, et, sur le peu de distance qui les sépare, semblent se concentrer tous les buissons encore alimentés en fruits. Les Pokémon du coin ont simplement dû venir grignoter sur les premiers à portée, pour repartir se réfugier dans la forêt aussitôt rassasiés. Cela doit expliquer pourquoi il a dû s’approcher autant de l’eau pour, finalement…

Pouvoir cueillir une baie Oran. Ploc. En tirant un petit coup sec, il parvient à la détacher, et à la saisir de ses deux pattes. Son regard empli d’étoiles observe, fasciné, cet anodin et anecdotique fruit auquel il ne prête habituellement que peu d’attention.

Et c’est avec une satisfaction non dissimulée qu’il mord dedans.

Croquante, ferme. Son nectar se déverse instantanément dans ses papilles, et il parvient à en extraire encore plus de jus lorsque ses dents viennent mâcher sa chair. Un goût sucré et légèrement acidulé remplit sa bouche, pour ensuite se glisser dans sa gorge, et lentement, mais sûrement, atteindre le fond de son estomac.

Cette baie engloutie, il en saisit immédiatement une deuxième. Le bien être à l’idée de ne pas mourir de faim le soulage d’un tel poids que tous ses autres sens passent au repos. Pouvoir déguster une telle saveur tout en se remplissant le ventre n’est plus que son unique préoccupation, au point que c’est à peine s’il note l’arrivée d’un second Pokémon.

La bouche pleine, il tourne la tête vers l’inconnu qui s’approche du buisson. Lui aussi, vient profiter de cette splendeur ? De ce miracle de l’existence ? De ce goût inestimé, inégalé ? Celui de la vie, celui de l’existence ?

Soan serait bien content de partager avec lui sa joie de ne pas mourir de faim. Les yeux émus aux larmes, il lève la tête vers ce Machopeur, prêt à lui faire part de toute son admiration pour cette nourriture salvatrice. Qui sait, peut-être même qu’après avoir partagé un chaleureux repas ensemble, celui-ci pourrait lui venir en aide ? Et l’aiguiller sur la suite de son périple ? Si c’est un local, il sait probablement des tas de choses sur cette montagne. Comment s’y orienter, par exemple. Où trouver sa nourriture. L’art d’escalader les falaises. Et surtout, la meilleure méthode pour atteindre le point présumé de la chute de son avion.

Hélas, il croit ressentir ses tripes remonter dans sa gorge lorsque son poing vient s’enfoncer dans son ventre.

La baie qu’il est en train de manger se coince dans son gosier, et le pousse à régurgiter la quasi-totalité de son repas. Ce dernier est éjecté dans la direction opposée au Laporeille, qui, sous la violence du choc, est soulevé de terre, puis propulsé dans les airs.

Le Machopeur s’est sobrement rapproché de lui pour lui asséner une attaque Mach Punch dans l’estomac. Que ce soit à cause de son type Combat, de la différence de taille ou de sa force bien inégale, cela a amplement suffit à le faire voltiger. A contrario de Soan, ce Pokémon s’avère finalement moins enclin à partager sa nourriture. Tout compte fait, peut-être que l’absence d’autres spécimens dans les environs tient plus d’une histoire de territoire et de conservation des ressources, plus que d’un simple hasard.

Cette pensée lui effleure à peine l’esprit tandis que sa tête vient percuter le sol, un peu plus loin. A terre, il se tient le ventre et toussote à en recracher ses poumons. Parlant de cracher, sa salive, mêlée aux restes de baies Oran dans sa bouche, s’écoule de cette dernière en un amalgame visqueux et indistinct. Probablement qu’un peu de sang s’y mêle, mais difficile de l’affirmer lorsque l’on ajoute au tout les larmes et la morve d’un Laporeille désormais moribond.

Il n’a hélas guère le temps d’agoniser, ni même de réellement intégrer les événements, que des bruits de pas alertent ses oreilles, désormais attentives. Pour une raison qu’il n’a pas encore totalement assimilée, ce Machopeur veut sa mort, et avance vers lui dans l’optique de la lui octroyer.

Mu par un furieux instinct de survie, Soan passe outre toute sensation de douleur pour prendre appui sur ses pattes avant, et se redresser. Certes groggy, mais bien déterminé à ne pas crever, c’est au tour de ses pattes arrière d’entrer en action, et de marteler le sol dans la direction opposée au Pokémon sauvage.

Le voilà donc qui dévale la pente de la montagne à toute vitesse. Si Machopeur a pour lui la puissance, Laporeille a la vitesse, et c’est bien rapidement que notre petite créature parvient à le semer. De toute évidence, continuer cette poursuite n’a de toute façon que peu d’intérêt pour le type Combat : désormais, ce Pokémon inconscient se tiendra loin de sa réserve de nourriture, c’est certain.

Après avoir couru un temps et une distance qu’il lui est impossible d’estimer, Soan finit par s’arrêter net, pour ensuite s’écrouler au sol. A la douleur du coup et au rejet de son repas, s’ajoute une respiration haletante qui fait soulever et redescendre son ventre à une vitesse inquiétante. Il a du mal à respirer, du mal à regarder devant lui, et du mal à rester conscient. Probablement que la vive douleur qui brûle l’intérieur de son corps est l’unique chose qui le maintien éveillé.

C’est son inconscient qui vient presque lui rappeler qu’en dévalant la pente ainsi, il est resté à proximité de la rivière. Qui dit rivière dit eau, et peut-être bien que c’est ce dont son corps a besoin, là tout de suite. Ne réfléchissant guère plus, il se traîne jusqu’à atteindre le liquide salvateur, et immerge quasiment son visage à l’intérieur.

L’eau qui s’écoule dans sa gorge vient à la fois faire passer la sensation d’étouffement et le goût du sang qui l’oppresse. Il a besoin d’enchaîner les gorgées pour se nettoyer l’estomac, mais aussi pour se désaltérer à la suite de cet effort soudain. Ce n’est que lorsqu’un vague sentiment de fraîcheur parcourt son corps qu’il se redresse, et vient s’affaler contre un rocher.

Tout en récupérant de son souffle haletant, Soan tente de mieux cerner sa situation. Dans l’optique de ne pas mourir de faim, il a fait un détour sur son trajet en direction de l’avion. Sauf qu’en cherchant de la nourriture, il a envahi le territoire d’un Pokémon sauvage, qui l’a violemment savaté. Et en le fuyant, il a certainement marqué un écart encore plus important entre lui et sa destination ; désormais, en plus de s’être éloigné latéralement, il a également baissé en altitude.

Probablement même qu’avec le temps passé à dévaler la pente, il est maintenant plus bas que sa grotte initiale.

Et tout ça, pour toujours avoir le ventre vide, puisqu’il a recraché le peu de nourriture qu’il a pu avaler.

C’est… Si rageant. Et si injuste ! Il n’a qu’un tout petit estomac, deux ou trois baies auraient parfaitement suffit à le faire tenir jusqu’à son objectif. Ce Machopeur ne pouvait-il donc pas lui en céder quelques-unes ? Et d’ailleurs… C’était quoi, cette attaque surprise ? Il s’est approché de lui normalement, sans émettre le moindre signe d’hostilité… Et d’un seul coup, il a déployé toute sa violence et toute sa puissance dans une seule frappe. C’est si lâche. Tellement lâche !

C’est vrai, quoi ! Soan est un être parfait. Peut-être est-il plus frêle que ce Machopeur, mais il n’est pas faible pour autant. Dans un contexte plus classique, il aurait vu le coup venir. Il l’aurait esquivé, puis utilisé son agilité pour retourner la force de son adversaire contre lui. C’est un scénario qui s’est déjà produit des tas de fois lors de ses entraînements au combat.

Mais l’attaquer ainsi, par surprise, alors qu’il est perdu, affamé, au bord de l’évanouissement… C’est tellement minable. Misérable. Pitoyable ! Est-ce vraiment tout ce que cet être lamentable peut faire pour rivaliser contre lui ?

Une bouillonnante colère vient petit à petit infuser son petit corps. Malheureusement, l’adrénaline rechute violemment, et Soan a puisé dans ses dernières réserves d’énergie lors de cette fuite désespérée. Il est à bout de force, il a froid, il est fatigué, et même s’il a pu s’hydrater convenablement… Son estomac est toujours aussi vide.

Merde. Va-t-il sombrer dans l’inconscience ? Alors même qu’il est parvenu à se mettre en sûreté ? Alors qu’il était sur le point de se remplir le ventre, de refaire le plein d’énergie pour remonter au sommet de la falaise ? Pour ensuite retrouver son dresseur, retourner dans sa Pokéball, et rentrer au chaud dans sa loge ?

Certes, la neige est moins présente à cette hauteur, mais elle reste pour autant existante. Et si une tempête venait à s’abattre, il ne se donne pas plus de trente minutes avant de mourir de froid.

Ah…

Si seulement… Il avait pu manger un petit peu.

Ce n’est qu’alors que ses pensées divaguent, et qu’il sent ses muscles se relâcher, qu’il prend conscience de quelque chose.

Depuis tout ce temps… Entre le moment où ce Machopeur est apparu, et maintenant…

Il n’a pas lâché la baie qu’il tenait dans la patte.

Comme une volonté du fin fond de son subconscient, alors même qu’il se faisait tabasser, qu’il volait dans les airs, ou qu’il fuyait, ses doigts comprimaient dans leur paume un fragment de son repas. Un fragment déjà bien entamé, et désormais abîmé par les événements… Mais un fragment malgré tout.

Sans attendre une nouvelle attaque, Soan avale purement et simplement le pauvre morceau de baie Oran qu’il lui reste, maigre fruit de son infructueuse récolte. Il a quelques difficultés à déglutir et à l’avaler, mais il y parvient. Et s’ils sont maigres, il sent instantanément les effets curatifs de la baie se répercuter sur son corps.

Cela ne le sauve en rien de la misère dans laquelle il se trouve, mais cette baie salutaire a au moins pour mérite de retarder la terrible échéance. Maintenant, il peut se redresser, et… Espérer trouver un plan pour la suite.

D’abord… Un véritable abri. Une autre grotte, ou un trou, n’importe quoi dans lequel il puisse s’abriter. Il ignore jusqu’où ce Machopeur est capable de le suivre, alors autant faire en sorte qu’il soit incapable de le retrouver.

Il jettera son dévolu sur un amoncellement de rocher, plus loin. En les contournant, il découvre un semblant de tanière dans lequel s’engouffrer et se cacher. On y est beaucoup plus étroit que dans sa première grotte, et il n’est pas certain de préférer la salissure de la terre à la fermeté de ses parois, mais comme avec tout ce qu’il se passe depuis son accident : il va devoir concilier avec. Lové ainsi, il sera protégé et des prédateurs, et du froid.

Sauf s’il a, une fois encore, envahi le domicile d’un autre. Mais Soan se repose sur l’absence d’odeur marquée pour supposer cet abri déserté.

De toute façon, il ne sait pas s’il aura l’énergie ou même la chance d’en trouver un autre. Il est encore quelque peu sonné par le coup qu’il a reçu, et mine de rien, il a beaucoup bougé depuis son départ ce matin. Il va avoir besoin d’un instant pour se rétablir.

Au point qu’en voulant s’accorder ce répit, ni l’inconfort ni l’heure tôtive ne l’empêchent de fermer les yeux….  Et de s’endormir.




«  Je suis une Labelvi ! Fille de la campagne ! Je n’ai pas peur de traîner dans la boue, ni de me salir ! Alors, ce n’est pas un parquet tout propre tout ciré qui va me faire peur… »
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Lissa Labelvi
est un Coordinateur Éleveur
Si sa première nuit à l’état sauvage n’a laissé place qu’à un grand et nihiliste noir dans son esprit, on ne peut pas en dire autant de cette sieste imprévue. Au fil des heures, son sommeil s’avère troublé ; dans ses songes repassent des scènes indistinctes de l’accident, de la neige, de la forêt, de ce Machopeur et des baies qu’il n’a pas su récupérer. Contorsionné, se tournant, se retournant, son état de fatigue avancé l’empêchera hélas de mettre fin à son tourment avant que le soleil ne se couche…

Il découvre donc, non sans une certaine surprise, qu’il a dormi tout l’après-midi. La lune a désormais pris la place qui était sienne dans le ciel, aux côtés des étoiles et quelques nuages volant à leurs côtés. La température semble avoir encore chuté d’un cran, mais rien d’insurmontable pour sa fourrure. Heureusement, le peu d’arbres aux alentours aide ses yeux à refléter la lumière céleste, et lui confèrent une certaine visibilité sur les environs.

La météo ne s’est pas dégradée, donc pas de tempête de neige en vue. Soan a perdu beaucoup de temps, et la distance qui le sépare de son objectif n’a fait qu’augmenter. Peut-être devrait-il profiter de ces conditions idéales pour se remettre en route…

Mais voilà. Une grimace, et sa patte se porte de nouveau à son estomac. Certes, il a pu manger une demi-baie, mais maintenant qu’il a dormi, la faim est de retour. Par rapport à son départ de la grotte, sa situation a juste… Empiré.

Que faire ? Chercher une nouvelle source de baies ? Pour trouver la précédente, il n’a pas pu s’en remettre à la chance et a été contraint d’utiliser son sens de l’observation. S’il est certes nyctalope, sa vision reste diminuée la nuit, il ne pourra donc pas repérer d’autres buissons d’aussi loin que la première fois. D’autant que…

Il s’est déjà trop écarté de son chemin initial. S’il s’éloigne encore plus, eh bien… Il ne sait pas trop. Son but est d’atteindre la zone du crash dans l’optique d’y retrouver son dresseur, mais cela va bientôt faire deux jours qu’il a eu lieu. Est-ce qu’il y sera encore ? Son maître n’est-il pas parti à sa recherche, lui aussi ? Ou a-t-il simplement quitté la montagne… ?

Quelle que soit la réponse, Soan ne sera fixé qu’en se rendant là-bas. De toute façon, il n’a pas la moindre idée d’où aller en dehors du sommet des falaises, endroit présupposé de l’accident. Et une fois sur place, il trouvera au mieux son maître, au pire une piste à suivre pour le retrouver.

Son objectif reste donc toujours de rallier les hauteurs. Et s’il doit trouver à manger, cela doit être sur la route. Il a déjà perdu bien assez de temps comme ça pour continuer d’errer au hasard dans ces montagnes…

Son expression se fait plus contrariée à mesure qu’il réfléchit, et que son estomac grommelle. Il connait bien une réserve de nourriture qui remplit ce critère, mais…

Il y a ce Machopeur qui veille aux grains. Et en vue de la façon dont il a agi dès qu’il a découvert sa présence, dialoguer ne semble même pas être une option. Ce Pokémon sauvage a essayé de le tuer, il l’a vu dans ses yeux. Hors de question d’essayer de discuter, autant parce que Soan tient à sa vie… Qu’il n’est pas certain de vouloir lui pardonner quoi que ce soit.

En revanche… Il fait nuit, désormais. Et… Maintenant qu’il s’est déjà fait avoir une fois…

Soan devrait être en mesure de retenter le coup.

C’est vrai, quand on y réfléchit. L’attaque qu’il a reçue n’avait que pour seule cause son imprévisibilité. De plus, le Laporeille semble plus rapide que ce gros tas de muscle, puisqu’il a pu le fuir même en étant blessé. Et surpris, de surcroit. En outre… Machopeur ne s’attendra probablement pas à ce qu’il revienne tenter un vol de baies après la raclée qu’il lui a infligé.

Et pour finir…

A cette heure-là, il est sûrement en train de dormir. Et à défaut… Est-ce que les Machopeur voient aussi bien que lui, dans le noir ? A dire vrai, Soan n’a, sur le papier, pas la réponse, mais… Ce truc est humanoïde. Et les humains…  Ne voient pas dans le noir, eux. Alors…



Oui, il y a un truc à tenter.

S’il se rend là-bas à pas feutrés, qu’il cueille deux ou trois baies, et se carapate avant que leur propriétaire ne s’en aperçoit, c’est gagné.

Soan pourra à la fois se remplir la panse, et obtenir sa petite vengeance.

Puis il se remettra en route en direction des falaises. Et retrouvera les lieux du crash.

Voila… De nouveau, un plan se dessine !

Il n’y a pas de temps à perdre. Il ignore à quel stade de la nuit il en est exactement… Tout aussi bien, le soleil va se lever dans une heure ou deux. Il se doit donc d’agir prestement s’il veut être certain de pouvoir mettre son projet à exécution.

Doucement, le Laporeille quitte sa cachette, puis remonte la piste de sa fuite. Les souvenirs de cette dernière sont confus ; entre la douleur, la panique et la vitesse à laquelle tout ça s’est enchainé, il n’a pas prêté trop attention au trajet exact. Néanmoins, il dispose d’un indice de taille : cette rivière qui jusqu’à présent, a toujours constitué son unique point de repère, saura le ramener à hauteur de la réserve de baies. Il n’a qu’à la longer, discrètement, et à reprendre son ascension pour inévitablement, tomber dessus.

Son ventre se tord à mesure qu’il pense rapprocher des lieux. Si avant, cette sensation était à imputer à la famine seule, désormais, l’anxiété vient également s’en mêler. À tout moment, il peut tomber museau à museau face à ce prédateur fou-furieux. Il ne faut vraiment pas qu’il croise sa route avant d’avoir atteint les baies, auquel cas tout son projet tombe à l’eau.

Le seul espoir auquel il peut se raccrocher, et qui le pousse à avancer, est que le Machopeur soit tout simplement absent. Après tout, il n’était pas là lorsque Soan est arrivé la première fois. Il en est certain… S’il avait trouvé la zone quelques minutes plus tôt, peut-être même aurait-il pu repartir sans avoir à le croiser.

Finalement, lorsque la clairière apparait dans son champ de vision, c’est pour un constat en demi-teinte : son némésis est bien présent… Mais également, endormi.

Il s’est étalé en plein milieu des buissons, à même le sol et complètement exposé. Sa posture est aussi quelque peu… Nonchalante. Il n’a pas l’air bien inquiet quant au fait qu’un Pokémon sauvage puisse surgir pour l’attaquer. Soit il est particulièrement insouciant… Soit il est au contraire très confiant vis-à-vis de son statut au sein de cette montagne.

La violence qu’il est capable de déchainer a de quoi en effrayer plus d’un, c’est vrai. C’est même probablement pour ça que les alentours sont aussi déserts. On peut même pousser la théorie plus loin encore : si les seuls buissons défraichis sont ceux présents aux extrémités, c’est peut-être car les rares spécimens à tenter de l’approcher se contentent de cueillir les baies les plus éloignés pour ne pas se montrer au maître des lieux.

Un luxe que Soan ne pourra pas se permettre, hélas.

S’il veut espérer mettre la patte sur sa nourriture, il va devoir approcher du centre. Et donc, du Machopeur. Mais celui-ci dort. Et probablement qu’il ne voit rien dans le noir. Alors… Tout va bien, non ?

Le Laporeille prend une profonde inspiration. Il faut qu’il rassemble son courage, sans quoi il ne pourra jamais espérer rentrer chez lui. Ce qu’il doit faire, des tas de Pokémon sauvages le font au quotidien. En quoi serait-il plus mauvais qu’un autre ? Au contraire, il a toujours fait montre d’un grand talent pour tout ce qu’il entreprend. Alors, il va s’en sortir. Il le faut.

Il fait un premier pas en direction du centre de la clairière. Puis un second. Suivi d’un troisième. Et d’un quatrième. Petit à petit, pas après pas, il progresse vers les plants qu’il a brutalement dû quitter, un peu plus tôt. Tout en étant focalisé sur son objectif, son regard multiplie les allers-retours en direction de la créature. Lorsqu’elle émet un mouvement, un bruit, Soan se tétanise et son souffle se coupe. Mais aucun signe de réveil pour autant ; alors, il expire un coup, et se remet à marcher.

Les palpitations de son petit cœur ne font que croître. Parfois, la pression et le trop-plein de précautions le poussent à accélérer le pas, à se réfugier derrière un buisson dès que celui-ci est à portée. Il doit alors recouvrer son calme, apaiser la pression qui parcourt son corps, déglutir, et se remettre en route.

Si la veille, atteindre ces baies lui a semblé être un calvaire, c’est encore pire actuellement. Il sait désormais ce qui l’attend en cas d’échec. Certes, il ne compte pas se laisser attraper une seconde fois… Mais la douleur de ce poing dans son estomac est encore vive dans son esprit, et génère en lui une peur qu’il serait injuste de qualifier d’irrationnelle.

Le Machopeur est le prédateur. Et lui est une faible proie.

Pour la première fois dans son existence, il expérimente la rudesse de l’ordre naturel.

Ce n’est néanmoins pas ça qui va le dissuader d’avancer.

Ce soir… Il mangera.

Que ce type Combat le veuille, ou non.

Finalement, Soan arrive au niveau des premières baies. Le Machopeur n’est plus qu’à quelques mètres, désormais. Mais il semble toujours endormi. Ses déplacements n’ont pas provoqué le moindre trouble dans son sommeil… Il faut dire qu’avec son faible poids et ses pattes pelucheuses, il est aisé pour lui d’avancer discrètement sur la neige. Peut-être même qu’autant de précaution dans sa façon de se déplacer n’était pas nécessaire. Mais… Peu importe.

Il y est, désormais. Les baies sont face à lui. 

Trois. Il lui en faut juste… Trois. Avec ça… Il pourra tenir une journée de plus, sans aucun problème. Juste le temps qu’il lui faut pour retrouver l’avion.

En tout cas… Il espère.

Sa patte se porte sur une première baie Oran… Qu’il arrache ensuite au buisson.

Ploc.

La baie est maintenant entre ses doigts.

Et un profond grognement se fait entendre depuis le centre de la clairière.

Les oreilles de Soan se redressent, et il dévisage le Machopeur avec de grands yeux. Celui-ci… Est actuellement en train de se réveiller. Le Laporeille a besoin d’un moment pour pleinement s’en rendre compte… Comment est-ce possible ? Cela fait plusieurs minutes qu’il marche sans aucun souci, et… Il a suffi qu’il cueille UNE baie pour interrompre son sommeil ? Ce n’est pas réel. C’est juste une coïncidence. Il ne peut pas avoir décelé sa présence au son de cette seule baie Oran… Ca ne peut pas être vrai.

Après s’être levé, le Machopeur expire bruyamment.

Et se tourne vers Soan.

... Oh non.

Est-il suffisamment pingre au point de se réveiller dès que quelqu’un cueille une baie sur son territoire ? En y repensant, la première fois qu’il est apparu, c’est également après que Soan ait récupéré un fruit. Mais a-t-il réellement conscience de sa présence ? Il est probablement encore à moitié endormi, non ? Et puis, il fait nuit noire. Il ne doit pas le percevoir… Pas vrai ?

Peut-être que s’il reste immobile, il se rendormira. Ou peut-être que Soan a le temps de se cacher. Ou alors, doit-il profiter de la distance qui les sépare pour récupérer deux autres baies, et partir en courant ? Ou est-ce trop tard ? Devrait-il d’ors et déjà détaler ? Aïe, le Machopeur est en train de se rapprocher. Et il a l’air furieux ! Pourquoi est-ce qu’il avance dans sa direction ? Est-ce juste parce qu’il a entendu que la baie venait de là, ou est-ce qu’il l’a réellement aperçu ? Que doit faire Soan ? Se cacher ? Fuir ? Ne surtout pas bouger ? Ne pas respirer ? Il se rapproche. Il se rapproche et il n’a toujours pas pris la moindre décision. La peur le tétanise, autant au niveau de ses muscles que de sa réflexion. Il voit sa silhouette sombre se détacher du noir, prendre en ampleur et avancer progressivement. Elle ne laisse percevoir que deux perles habitées d’une rage folle en guise d’yeux. Ça y est. C’est la fin.

Son plan est tombé à l’eau.

Alors que le Machopeur lève son poing, Soan doit se rendre à l’évidence.

Cette tentative est un échec.

C’est cette pensée, l’idée de devoir abandonner tout espoir de réussite, qui lui permet de se remettre en mouvement.

Il ne pourra certes pas cueillir d’autres baies, mais il ne doit pas mourir pour autant.

Le poing du Machopeur vient se fracasser contre le sol, et génère une fissure sur l’ancien emplacement du Laporeille. Ce dernier a bondi seulement une fraction de secondes avant l’impact. Cette fois-ci, il ne se laissera pas avoir.

Il atterri un peu plus loin, avec un peu moins d’aisance qu’escompté. Son némésis se redresse lentement, et le suit du regard. Il ignore s’il peut réellement voir dans le noir ou s’il le repère uniquement grâce au son, mais une chose est sûre : Soan ne doit pas trainer là.

Il effectue une volte-face, et part au quart de tour. Il se sait plus rapide, et cette fois, il n’est pas blessé. Il peut se concentrer sur sa course et faire attention à là où il met les pattes.

Malgré ça, il entend que derrière lui, le Machopeur se déchaine. Il doit vouloir lui faire passer l’envie de revenir une troisième fois, et donc, ne compte pas le lâcher aussi facilement que lors de la première. Mais le Pokémon acteur fait de son mieux pour ne pas céder à la panique : certes, son ennemi est sur ses traces, mais la distance qui les sépare ne fait que croître. Il arrivera à le semer. Il en est certain.

Sa vitesse est bien la seule chose qui ne l’a pas trahie, jusqu’à présent.

Après un instant à dévaler la montagne, Soan entreprend de ralentir le pas. Il est pratiquement de retour au niveau de son minuscule abri. Doit-il y retourner ? Il avise derrière lui, et ne remarque aucune trace du Pokémon sauvage. Il a mis une sacrée distance entre eux deux ; s’il s’y réfugie sans laisser de marque dans la neige, il n’y aucune raison qu’il puisse le retrouver.

Il se positionne sur un rocher, et bondit de l’un à l’autre pour réduire au maximum les traces d’empreintes ; quitte à parfois se servir des branches d’arbres pour franchir de plus longues distances. En procédant ainsi, il espère éviter de le mener jusqu’à son terrier. Au pire, et en vue du boucan que ce Machopeur produit en marchant, il devrait pouvoir le détecter avant qu’il n’approche…

Lorsqu’il parvient à se faufiler entre ses deux pierres de prédilection, le Laporeille expire longuement. Ok. Il est à l’abri…

Il voulait cueillir trois baies au détriment du Machopeur. Mais celui-ci l’a remarqué, et… Il n’a pu en cueillir qu’une.

Mais au moins…

Il en a une.

Lors de sa première tentative, Soan a fini blessé et a dû se contenter d’un fragment de baie Oran. Cette fois, il a pu s’enfuir à temps, et… Il a une baie entière pour lui tout seul. Certes, ça ne suffira pas à le rassasier. Certes, son plan a été un échec. Probablement même qu’il aurait pu en récolter plus s’il n’avait pas été paralysé par la peur. Mais… C’est déjà ça.

Goulument, il dévore le fruit de cette dure récolte. Cette fois-ci, il peut réellement déguster sa saveur sucrée, même si elle ne s’avère pas aussi satisfaisante que la première fois. Une fois encore, cette baie là ne va servir qu’à repousser l’échéance. Après un cycle de soleil… Il sera de retour à la case départ.

Sa baie avalée, Soan se laisse choir contre le sol. Sa satisfaction ne sera que de courte durée, il le sait.

Il ne fait que s’enfermer dans un cycle. Si à chaque fois, sa récolte du jour ne sert qu’à tenir jusqu’au lendemain matin, il n’avancera pas.

Il lui faut assez de ressource pour pouvoir tenter l’ascension des falaises une journée entière. Et encore. Cela implique deux choses : qu’il y parvienne dans un délai si court, et surtout…

Qu’il retrouve son dresseur au bout de compte.

Pour peu qu’il mette plus de temps, ou que sa tentative de le retrouver soit un échec, ça n’aura servi à rien. Et les trois pauvres baies qu’il sera parvenu à récolter ne l’aideront guère à tenir plus longtemps.

Jusqu’à présent, son besoin de nourriture n’était dicté que par une faim pressante et immédiate. Mais maintenant qu’il y réfléchit…

Depuis la catastrophe, il n’a connu qu’une succession d’échecs. Sa situation ne cesse d’empirer, et s’il se contente de survivre au jour le jour, en mangeant à chaque fois sur le fil… Il y a un moment où cela finira mal, pour lui.

Il doit réfléchir à plus long terme. Que faire s’il ne parvient pas à escalader les falaises ? S’il ne retrouve pas son dresseur ? Ou s’il se blesse gravement et qu’il perd en mobilité ?

Ce n’est pas que de deux ou trois baies, dont il a besoin…

Ce dont il a besoin, c’est de pouvoir manger à sa faim jusqu’à tant qu’il puisse quitter cette montagne.

Boire n’est pas un souci, de même que trouver un abri. Entre la neige et la rivière, il peut se désaltérer sans crainte, et la montagne semble offrir des tas de cachettes adaptées à sa petite taille.

Mais la nourriture finit irrémédiablement par redevenir un problème, quoi qu’il fasse.

S’il doit s’éloigner de sa destination à chaque fois qu’il veut chercher à manger, ou qu’il tombe sur d’autres prédateurs comme Machopeur, ça ne l’avancera à rien.

En fait, ce Machopeur constitue à l’heure actuelle son plus grand problème. Tant qu’il est là, Soan ne pourra jamais se rassasier. Il mettrait sa patte à couper que l’absence d’autres Pokémon sauvages est entièrement de son dû : s’il a en sa possession la seule réserve de nourriture de la zone, alors la zone lui appartient. Impossible de vivre sur ce flanc de la montagne en ces conditions… De même qu’y survivre, même temporairement.

Il pourrait faire un pari, démarrer l’ascension vers les falaises en priant pour retrouver soit son dresseur, soit d’autres réserves de nourriture. Mais il n’est pas dupe. Il a la forte conviction que les baies vont se raréfier à mesure qu’il va prendre de la hauteur, et que le froid se fera plus rude. D’ailleurs, il a de la chance qu’en dehors de la tempête qui a précipité sa chute, aucune autre ne se soit levée depuis son arrivée.

La prochaine qui va lui tomber dessus sera fatale, à ce rythme.

C’est si frustrant.

Soan est une star. Depuis toujours, la nourriture, son confort et plus globalement, sa survie, lui ont toujours été assurés. Pourtant, tout ne lui tombait pas tout cuit dans la bouche : il devait se soumettre à un dur labeur, travailler sur lui-même, soigner sa posture, s’entraîner, répéter, faire montre d’une intransigeance à toute épreuve, être irréprochable, pour se montrer digne de cette vie-là. Il n’a jamais considéré son succès ou ses biens comme acquis. Alors…

Pourquoi galère-t-il autant ? Pourquoi, alors qu’il fait tous les efforts du monde, ne parvient-il pas à s’extirper de ce guêpier ? A entrapercevoir ne serait-ce qu’un semblant d’échappatoire ?

Est-ce que… Le destin en a assez de lui ? Considère-t-il qu’il a eu sa chance, pour faire ses preuves, pour se forger une place dans ce monde ? Aurait-il dû profiter plus oisivement de son existence privilégiée et confortable, plutôt que de perdre son temps en de vains efforts ?

Les Dieux… Sont-ils en train de le délaisser ?

A-t-il…  

Perdu sa bénédiction ?



Non.

Il refuse d’y croire.

Il a survécu à cet accident. Il a survécu à la chute de la falaise. Il a survécu à la tempête. Et il a survécu au Machopeur également. Deux fois.  

Peut-être a-t-il épuisé son capital chance du moment, mais…

Ce n’est pas Soan que de s’en remettre pleinement au hasard. Il le sait : son succès est autant dû à ses talents innés qu’à l’effort qu’il a fourni pour arriver à la position qui est sienne.

Il est très certainement dans une mauvaise passe. Mais ce n’est pas ça qui va l’arrêter.

Oh non.

Et ce n’est clairement pas ce pauvre Machopeur qui va l’en dissuader non plus.

Ce fut d’abord une baie, puis une deuxième. Bientôt, c’est son jardin tout entier que Soan va s’approprier.

Il le faudra bien, s’il veut survivre dans cette montagne. Il triomphera de cette brute sans cervelle. Son intelligence, son agilité, sa grâce. Soan a tout pour lui… A l’exception de la force pure. Le type Combat est naturellement avantagé face au type Normal, mais…

Le naturel n’est pas quelque chose auquel Soan se borne.

Ce que lui donne Mère Nature…

Ses talents, comme ses faiblesses….

Il les prend, et les exploite.

Et ce…

Jusqu’à atteindre la perfection.





***


Le soleil se lève à nouveau sur le flanc de la montagne.

Il y a trois jours de cela, un véhicule humain s’est écrasé dans ses sommets.

Mais ça, le Machopeur qui vit en ces lieux n’en a que cure. La seule chose qui l’intéresse, c’est de vivre insouciamment sur son territoire.

Des lunes qu’il a fait de cet endroit le sien. Les Pokémon sauvages du coin ne rivalisent ni avec sa force, ni avec sa fureur. Si au début, il se contentait de mettre ses adversaires au tapis, il a très vite compris que cela n’arrêtait pas les vendettas, ou les tentatives de revanches. Alors, qu’en laissant libre court à sa violence… Il a pu mettre en place une dissuasion efficace, dira-t-on.

Enfin. Il y a bien ce Laporeille, sorti de nulle part, qui n’a pas encore assimilé la leçon, mais…

Machopeur compte bien la lui inculquer. Il va attraper ce lapin de trois semaines par le col… Et lui mettre la plus grande raclée de sa vie. La montagne tout entière entendra la résonnance de ses frappes. Il va faire passer l’envie, à lui, et à quiconque, de venir se servir dans SA réserve….

Ah… Sa réserve. Probablement la plus grande fierté du Pokémon sauvage. S’approprier une telle source de nourriture sur une montagne couverte par la neige, ce n’est pas rien. Il est si déterminé à la conserver qu’il a pour habitude de ne pas s’en éloigner à plus de cent mètres, sauf en de rares occasions. Il a même fait exprès de récolter toutes les baies se trouvant aux extrémités pour être sûr et certain que personne d’autre que lui n’en bénéficie, à moins de se rapprocher dangereusement du centre, et donc, de lui-même. Du reste, la rivière constitue une barrière naturelle, mais surtout…

Il est capable de détecter le moindre vol sur son territoire. S’il n’est pas très doué pour repérer, localiser ou pister des intrus, son ouïe est en activation dès qu’un individu a le malheur de cueillir l’une de ses baies. A l’aide de ce seul sens, il peut déterminer sa position, et l’anéantir.

Dans l’absolu, si vous ne faîtes que passer, Machopeur peut bien détourner le regard. Par contre, si vous osez poser la patte sur SA nourriture…

Eh bien, il s’agira probablement de la dernière erreur de votre vie.

Pourtant, le Laporeille y est parvenu, et ce à deux reprises. Si la première fois, Machopeur lui a passé un sacré savon, cela ne l’a visiblement pas découragé à revenir. Et lors de sa seconde tentative, il a réussi à s’en tirer sans la moindre égratignure…

Quelque chose lui dit qu’il reviendra. Alors, il se tient là, debout au milieu de sa clairière, dans son champ de baies.

Et il l’attend. Il est prêt.

Les fois précédentes, Machopeur y était allé tranquillement. Soit le Laporeille avait été trop insouciant, soit sonné, soit tétanisé. Dans chaque cas, il s’est approché de lui en marchant sereinement, sans la moindre pression, dans l’optique de lui porter une attaque. Et les deux dernières fois, le lapin s’en est tiré grâce à une pauvre seconde de latence.

Sa stratégie est donc on ne peut plus simple. Dès qu’il entend une baie être cueillie, il fonce sur son emplacement et enfonce son poing là où il peut.

Cette fois-ci… Il ne lui laissera pas le temps d’esquiver, tout simplement.

Alors…

Viens, petit lapin.

N’aie aucune crainte.

Cette fois-ci… Ton supplice sera de courte durée.

Ploc.

Les muscles du Pokémon se tendent, et ses yeux virent au rouge. Son pied s’enfonce dans le sol, et le propulse en direction d’un buisson.

Une baie a été cueillie. Juste là.

Il le savait !

BOUM. Un bruit sourd, proche de l’explosion, retentit lorsque son poing chargé s’abat sur sa cible. Il sent le craquement sous ses doigts de la terre qui s’ameublit… Une légère fumée émane même de la zone d’impact lorsqu’il se redresse, satisfait.

Voila qui devrait lui permettre d’être tranquille pour les prochaines lunes, se dit-il. Pourtant, son expression complaisante disparait rapidement en réalisant…

Qu’il n’y a personne. Aucun corps de lapin broyé sous son poing.

Pourtant, la baie a bel et bien été cueillie. A-t-il… Anticipé qu’il viendrait le frapper, cette fois-ci ? Hmm. C’est vrai qu’après trois attaques, le voleur doit commencer à se douter qu’il se ferait agresser, aussitôt le fruit récolté…

Ploc. Machopeur se retourne, en alerte. Une autre baie ? Et elle vient de l’autre côté, qui plus est !

Sans attendre, il se précipite en sa direction, et abat à nouveau son poing. Malheureusement, il comprend immédiatement qu’il a, une fois encore, raté son coup : il a cru apercevoir la silhouette du Pokémon se dérober à lui juste avant qu’il n’approche du buisson.

Ploc. Et le voila qui cueille une nouvelle baie, encore un peu plus loin. Mais le Machopeur ne se laisse en rien démonter : à force de jouer aux petits malins, il va commettre un impair… Et là, il lui tombera dessus !

De façon analogue, le voila donc qui se projette d’un bout à l’autre de la clairière, dans l’espoir d’attraper le Laporeille lors d’une de ses cueillettes.

Ploc. Ploc. Ploc. Mais la créature enchaine trop vite. Grâce à ses bonds et à sa dextérité hors norme, elle passe d’un buisson à l’autre, décroche une baie, et décolle, appâtant le Machopeur sur une nouvelle position. Ce dernier ne fait que s’épuiser vainement, à toujours attaquer des endroits que Soan a déjà quitté quelques secondes auparavant.

C’est une stratégie dangereuse, qui repose sur la seule base que le Laporeille est plus rapide. Mais à force de se tourner autour, à jouer au Miaouss et au Pikachu, il pense cerner un peu mieux le spécimen auquel il se confronte. Alors, il a cogité, toute la nuit, suite à leur dernière rencontre, et…

Il pense avoir trouvé un plan.

Un vrai.

Et finalement…

Un son de martèlement bien audible retentira dans la clairière.

Soan a émergé des buissons, des baies plein les pattes. Courant à vive allure, il s’éloigne au plus vite du Machopeur…

Mais, cette fois-ci, il ne prend pas la fuite en longeant la rivière. Au contraire… Il s’en éloigne même. Fonçant en ligne droite, il laisse dans la neige des empreintes auprès desquels Machopeur s’élance rapidement. Hors de question de le laisser filer à nouveau !

Le Laporeille s’est montré particulièrement arrogant et gourmand, après tout. Avec une telle quantité de baies dans les bras, il est forcément ralenti…. Le propriétaire des lieux est sûr et certain de pouvoir le rattraper… Surtout s’il s’y met à fond !

Et même s’il l’a perdu de vue au moment de sa fuite, il n’a guère de mal à suivre sa trace. Non seulement, les empreintes dans la neige sont là… Mais en plus de ça, le pauvre hère a tendance à laisser tomber des baies ci et là. Quel gâchis ! Si c’est pour les abandonner derrière lui, à quoi bon venir les lui voler ? Peut-être croit-il qu’en délaissant une partie de son butin, Machopeur cessera de le poursuivre, mais… Si c’est le cas, il se trompe lourdement. Il ne s’arrêtera… Qu’une fois ce lapin mort !

A force de lui courir après néanmoins, le Machopeur sent qu’il s’éloigne grandement de sa réserve. De plus en plus d’arbres à épines s’élèvent autour de lui, gigantesques, jusqu’à former une véritable forêt dans laquelle il s’enfonce. Il a fini par atteindre la futaie environnante… Au bout d’un moment, il ralentit le pas, et avise la suite de la piste. Celle-ci le mène jusqu’à…

Ses baies. Toutes ses baies sont là, rassemblées en un petit tas minuscule. Alors… Ca y est ? Le Laporeille a pris peur… Et a tout délaissé ? En effet, il semblerait qu’il a choisi de tout abandonner, plutôt que d’être ralenti et de finir par se faire choper…

En tout cas, c’est que son cerveau simpliste et bouffi d’orgueil lui laisse croire. Mais si Machopeur avait pris ne serait-ce que la peine de s’interroger sur l’absence de continuité dans les empreintes, ou s’il avait, juste, levé les yeux, il aurait constaté que Soan n’a en rien délaissé son butin.

Perché sur la plus haute branche d’un cèdre, le Pokémon chromatique observe sa proie, en contre-bas, suivre docilement la piste qu’il a sciemment tracée. Maintenant qu’elle va pour récupérer ses baies, elle s’apprête à mordre à l’hameçon…

Tout est en place.

« -Le Pokéwood. Les tournois. La scène, les entraînements, les préparations… Tout ce à quoi je me suis toujours dédié… Je comprends désormais… Que c’était du vent. »

C’était quand, la dernière fois que Soan a pris la parole ? Dans l’avion ? Lors de sa dernière répétition ? Bien avant encore ? Il ne s’en souvient plus vraiment. Et…  A qui s’adresse-t-il, au juste ? Au Machopeur ? Il est bien trop loin pour l’entendre. A lui-même, alors ? A son dresseur ? Ou peut-être, aux Dieux qui l’ont béni ?

Lui-même n’en est pas trop sûr.

« -Sur cette montagne, rien de ce que j’ai construit n’a d’importance. Face au monde sauvage… Seul compte mon corps. Mon intellect. Et ce que je peux en faire. »

Il saute. Si les Laporeille possèdent déjà une certaine prédisposition au bond, la hauteur depuis laquelle il s’élance ne fait qu’accroitre l’importance de la chute à venir.

« -Alors… Je vais sublimer tout ça… »

Une fois au maximum de sa hauteur, il effectue une pirouette.

Et tend une patte.

« -…. ET T’ABATTRE ! »

Puis redescend à une vitesse fulgurante.

C’est un projectile, un missile, une fusée, voire même, un météore, qui s’abat sur le Machopeur.  Ce dernier, en entendant le vent siffler en sa direction, n’a qu’à peine le temps de lever la tête. La patte d’un Laporeille, pelucheuse, scintillante, et soyeuse, vient de rentrer en contact avec son crâne, et le fracasse avec toute sa puissance.

Oui, Soan est de type Normal, et Machopeur de type Combat. Sur l’infinité des possibilités de ce globe, et en dépit de ses nombreuses perfections, c’est probablement LA configuration dans laquelle le Laporeille est en désavantage.

Mais les types Combats ne sont pas sans faiblesse, eux non plus. Notamment, ils ont quelques difficultés avec certaines capacités. Celles du type Vol, par exemple…

Comme, au hasard…  L’attaque Rebond.

Qui, une fois lancée d’une hauteur vertigineuse…

… Peut terrasser d’un seul coup n’importe quelle brute épaisse.

Aussi pingre soit-elle.

CRAC.

La force cinétique du choc vient pénétrer l’intérieur de son crâne, fait vibrer toute sa colonne vertébrale, et répercute dans chacun de ses membres un désagréable fourmillement nerveux. Les yeux blancs, les muscles tétanisés, et la gueule béante, il n’y a guère qu’un peu de buée émanant de cette dernière qui indique que le Machopeur est encore en mesure de respirer.

Reprenant appui sur sa tête en un joli salto, Soan rebondit, et atterrit sobrement dans le dos du Pokémon. Ce dernier perd totalement conscience, et vient s’effondrer purement et simplement dans la neige.

SBAM.

Le petit tas de baie formé par Soan tremble au moment où il percute le sol, et l’une d’elle en tombe. Lentement, elle vient rouler jusqu’au niveau du visage du Machopeur… Mais complètement K.O., ce dernier est bien incapable de la détecter, ou même la saisir.

Dommage. Elle lui aurait bien servi, pourtant.

Soan s’avance, et sereinement, la ramasse. Tout en regardant son némésis choir à terre, il croque à pleines dents à l’intérieur.

Désormais, toutes ses baies sont siennes. Et par « toutes ses baies », il n’est pas seulement question de ce petit tas, ou de celles qu’il a sciemment semé derrière lui, mais bien de l’entièreté de la réserve que ce Machopeur a échoué à protéger. Elles sont désormais siennes. Soan, qui n’est livré à la vie sauvage que depuis trois jours… Est maintenant le propriétaire autoproclamé de ce territoire.

C’est ce que veut la loi de la jungle, non ?

La chair de la baie se détache sous la pression de sa mâchoire, et son jus pénètre sa gorge.

Une profonde réjouissance l’envahit.

Cette réjouissance, elle n’est pas provoquée par le fait qu’il peut enfin manger à sa faim. Ce n’est pas non plus la garantie que ça lui donne pour les prochains jours également, ou même la vision de son misérable némésis à terre, abattu ; celui-là même qui a tenté de l’annihiler. Non, ce qui le réjouit, c’est que…

Les Pokémon sont des créatures simples, à la base. Elles vivent pour se nourrir. S’abriter. Combattre. Et tout ça, pour survivre.

C’est en tout cas ainsi qu’Arceus les a conçus, initialement.

Des besoins basiques, élémentaires. Et qui demandent un réel dépassement de soi pour les accomplir… Pas de superflu, pas d’artificiel, pas de superficiel. Soan, pour la première fois… Goûte à cette joie. Au plaisir immense d’être une créature faillible, fragile, mais néanmoins capable de miracles, d’une prouesse que seul un potentiel infini, révélé à l’instant clé, peut provoquer.

Pour la première fois Soan….

Se sent accompli.

Non…

Plus que ça… Il se sent…  

Heureux.

Heureux d’avoir réussi. Heureux d’avoir surmonté sa condition de Pokémon domestique. Ou de Pokémon Normal devant faire face à un type Combat. Heureux de ses capacités d’adaptation, d’analyses, de réflexions. Heureux de ses efforts… Et que ceux-ci soient récompensés de façon concrète.

Pas de ruban, pas de trophée, pas d’éloge. Juste…

La satisfaction de savoir qu’il pourra vivre un jour de plus.

Et plus encore.

Et c’est ce bonheur qui illuminera son corps d’une vive lueur blanche. Ses doigts gagnent en épaisseur, ses bras, en longueur, de même que ses jambes, qui s’élancent, s’affinent. Ses oreilles s’étendent également, son buste s’affermit, sa fourrure croit à une vitesse folle, ainsi que ses sourcils. En l’espace d’une seconde, il devient plus grand, plus beau, plus fort. Tout ce pourquoi il vient de se battre prend là une forme physique, et le gratifie d’une puissance… Nouvelle.

L’éclat s’estompe, et Soan abaisse les yeux pour regarder ce nouveau corps.

Il vient… D’évoluer.

Tout ce que sa vie de Pokémon domestique n’a pas su lui apporter, il vient de l’obtenir après deux nuits passées à la belle étoile, uniquement livré à lui-même.

« -… Hm. »

Désinvolte, l’élégant Lockpin rose croque une nouvelle fois dans sa baie Oran.

« -Je vais rester ici un petit moment, tout compte fait. »

S’il a réussi à s’approprier une réserve de nourriture en si peu de temps, et en des conditions si défavorables…

Il est curieux de savoir jusqu’où il est capable d’étendre son territoire…

HRP :




«  Je suis une Labelvi ! Fille de la campagne ! Je n’ai pas peur de traîner dans la boue, ni de me salir ! Alors, ce n’est pas un parquet tout propre tout ciré qui va me faire peur… »
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