Le ferry fendait les flots à une vitesse vertigineuse, cassant les vaguelettes océan, troublant la course des Pokémon aquatiques. Les nuages s’écartaient progressivement sur le passage de l’embarcation, et le ciel bleu pâle de Cobaba avait laissé place à des teintes plus marquées, allant du turquoise au bleu foncé. Le climat, chaud et humide sur les îles tropicales que le bateau venait de quitter, devenait progressivement méditerranéen. Ses brises fraîches et son atmosphère marine rappelaient à Alban sa Cimetronelle natale qu’il avait quittée il y a de cela deux mois. Au revoir les moussons tropicales et les chaleurs lourdes et moites. Bonjour les vents rafraîchissants, les odeurs d’embrun et les températures plus abordables. Accoudé sur le pont, Alban regardait de ses yeux verts mouchetés d’or, le contour de la ville qui se dessinait droit devant lui. Cela faisait quelques heures qu’ils avaient quitté le port de Cobaba pour se diriger sur Lansat. Plus proche des climats de Nénucrique et de l’ensemble de Hoenn, la nouvelle île avait déjà des allures familières pour le jeune garçon. Pourtant, en montant dans l’embarcation, et en jetant un dernier regard à Cobaba et à sa ville aux maisons montées sur des rondins de bois, Alban avait eu l’impression de laisser derrière lui un vieil ami. Bien qu’il n’y soit resté que deux mois, le jeune garçon avait réussi à considérer l’île des classes d’été comme son « chez-lui ». Il avait l’impression d’avoir beaucoup plus vécu au cours des 60 derniers jours que durant toute son année précédente. Et puis, l’île avait été riche de rencontres et de souvenirs. Il se rappelait encore de la première fois où il était monté dans le bus qui allait les amener au village ; Calliope venant s’installer à côté de lui, ne lui adressant que quelques mots et ne lui accordant qu’un visage froid et méprisant. Depuis, de l’eau avait coulé sous les ponts. Celle qu’il considérait simplement comme une jolie fille hautaine parmi tant d’autre était devenu « sa » jolie fille ; bien plus appréciable que la première impression qu’il en avait eu, la Préfète des Givrali était devenue une véritable amie. Son infirmière personnelle, d’ailleurs. Il lui avait révélé son secret, et au lieu de le fuir, elle lui avait partagé le sien et avait décidé de s’occuper de sa rééducation.
Un sourire béat s’étala sur ses lèvres. Assis sur un banc en bois près de la rambarde du bateau, Alban plia et déplia sa jambe. Un an plus tôt, il n’aurait jamais pu imaginer ce qui allait lui arriver. Lui, le petit génie des courses aériennes, le champion qui n’avait jamais connu aucune défaite… Une tricherie durant une course, une attaque lancée par un Airmure sur sa monture, Cirrus, un fier Roucarnage. Une chute vertigineuse de plusieurs mètres jusqu’à percuter la mer de Nénucrique. Il avait eu l’impression de s’écraser contre un mur de béton. Lorsque son genou était venu cogner contre le banc de sable, il en avait perdu connaissance. Et son genou, ce jour-là, était tombé en mille morceaux, tout comme son fidèle Cirrus… Durant un an, il avait essayé de remarcher normalement ; sans succès. Il avait l’impression qu’au-delà de sa blessure, il y avait quelque chose de cassé à l’intérieur même de lui. Il n’avait plus eu le goût de vivre ; il avait continué d’exister comme un automate, réalisant les tâches qu’on lui demandait, s’évadant dans ses romans et ses guides touristiques… Mais à partir de ce moment-là, il s’était renfermé sur lui-même. Finalement, à son arrivée sur l’île, il avait laissé beaucoup de personnes pénétrer à l’intérieur de sa bulle. Sa coquille s’était fendillée pour laisser entrer la lumière. Il avait appris à apprécier les gens, à parler avec eux de façon plus naturelle, à sourire et à plaisanter, parfois… Il était reconnaissant envers toutes les personnes rencontrées pour tout ce qu’elles lui avaient apporté. Sous la pression des enseignants et de certains contacts de son entourage, il s’était retrouvé à être bien moins passif que ce qu’il aurait pensé.
Il y avait tout d’abord eu Alizée, la championne de son village, qui lui avait demandé d’aller aider Albert de Mauville à résoudre un curieux problème à sa volière. Là, il avait pu déjouer un trafic d’œuf Pokémon et attraper Auster, son Noctali. Les Policiers lui avaient d’ailleurs remis un œuf inconnu d’une belle couleur irisée qui dormait précieusement dans son sac à dos en toutes circonstances. Puis, quelques semaines plus tard, Mademoiselle Hortense lui avait demandé d’être coach des participants de la plus grande course aérienne mondiale junior de cette année ; celle-là même à laquelle il avait participé l’an dernier avec Cirrus. Il y avait rencontré Azaléa, une jeune fille qui rencontrait des problèmes avec sa monture, un Flambusard fraîchement évolué, et Havel Marshall, le tricheur qui était responsable de son genou brisé. Ce qui avait tout d’abord représenté une véritable torture s’était révélé être finalement salvateur. Il avait renoué avec les courses aériennes à sa manière, et avait pu se rendre compte du fait qu’il ne les détestait pas, malgré ce qui lui était arrivé lors de l’une d’elle.
Enfin, il s’était envolé pour l’île aux Oiseaux, nouvellement découverte sur l’Archipel Orange, où il avait pu écrire un article sur la faune locale et déjouer un curieux complot politique. Toutes ces choses l’avaient fait évoluer ; autant physiquement que mentalement. Depuis son retour de l’île aux Oiseaux, il se sentait plus fort, moins diminué et infirme… C’était probablement une impression, mais toutes ces randonnées motivées par le désir de découvrir des choses magnifiques lui avaient fait oublier ses douleurs et son boitillement. Peut-être que son problème était simplement psychologique. Peut-être s’était-il borné à se complaindre dans son malheur, sans même essayer de sortir la tête hors de l’eau… Quoi qu’il en soit, à l’aube de sa rentrée à l’académie, Alban se sentait renaître.
Sur son épaule, Zéphyr dormait doucement, la tête sous l’aile. Le vent qui s’engouffrait dans ses plumes le faisait tanguer dangereusement, et Alban l’attrapa délicatement pour le glisser dans son coupe-vent, à l’abri des courants violents. Le Goélise chromatique était le tout premier Pokémon d’Alban. Celui que le Collectionneur lui avait remis. A l’époque, Zéph’ était incapable de voler. Mais depuis qu’il avait voulu sauver son dresseur d’un Corboss, sur l’île aux Oiseaux, il pouvait déployer ses ailes et se laisser porter par les courants, comme tous les autres Goélise. Son vol n’était pas encore parfait, mais Alban avait bon espoir d’arriver à le dresser encore mieux dans les jours à venir. Un bruissement au niveau de son mollet lui fit baisser les yeux. Une caresse de velours vint lui chatouiller la peau, et il eut un sourire en apercevant son Noctali, Auster, qui se frottait contre lui affectueusement.
- Nous sommes bientôt arrivés, lui dit-il pour le faire patienter, tout en se penchant vers lui pour lui distribuer quelques caresses.
Le Noctali posa ses deux pattes avant sur les genoux d’Alban, geste qui, même s’il n’était pas étonnant, n’était pas non plus habituel. Haussant un sourcil interrogateur, le châtain suivit le regard carmin et scrutateur de son Pokémon. Son sac à dos ? Intrigué, il fit glisser la bretelle le long de son bras et l’ouvrit. A l’intérieur, l’œuf irisé qu’il transportait toujours avec lui s’agitait férocement, comme il le faisait depuis déjà plusieurs jours. Harley et Sam, ses deux collègues féminines de l’expédition sur l’île aux Oiseaux qui s’étaient occupées de l’œuf durant son absence lui avaient dit que ce dernier était de plus en plus vivace. Alban le sortit et le posa sur ses genoux, tentant de lui transmettre sa propre chaleur. Le pauvre petit à l’intérieur devait être frigorifié, en plein milieu de l’océan comme ça. Auster fixa l’œuf plus longuement, tandis que Zéphyr, réveillé par l’agitation, sortait son bec de sous le coupe-vent d’Alban. Puis, comme si le Noctali avait pu le sentir arriver, le phénomène se produisit.
Une lumière éclatante enveloppa tout l’œuf, et celui-ci trembla de plus en plus fort. Un morceau de coquille se détacha et tomba sur le pont. Retenant un hoquet de surprise, Alban vit un autre morceau tomber, puis encore un autre, jusqu’à ce que des fragments de l’œuf jonchent son pantalon. Un petit bec blanc apparut, tentant de creuser son chemin à travers l’épaisse coquille qui lui avait servi de cocon durant tous ces mois. Derrière le bec, deux petites billes noires en guise d’yeux, et un plumage d’un blanc pur. Qu’est-ce que ça pouvait être ? Ce ne fut que lors deux ailes de coton émergèrent de la coquille qu’Alban reconnu un Tylton. Mais pas un Tylton commun, dont le plumage était bleu ciel. Non… Celui-ci avait des plumes entièrement blanches, et le soleil jouait dessus, faisant scintiller des reflets arc-en-ciel, comme pour les écailles d’un poisson volant. Le Pokémon avait l’air d’être né d’un nuage et d’un arc-en-ciel. Ses reflets irisés étaient magnifiques. Alban comprenait mieux pourquoi son œuf avait une couleur si particulière, et pourquoi aucun éleveur n’était parvenu à déterminer de quel œuf de Pokémon il s’agissait.
Curieux, le bébé Tylton nouvellement né regarda Alban et cligna des yeux plusieurs fois. Auster se pencha un peu plus vers le Pokémon et le renifla longuement, se demandant probablement quel genre d’être cela pouvait être. Quant à Zéph’, il regardait le Tylton stupidement, s’interrogeant certainement sur la façon dont il était arrivé ici, au beau milieu d’un chantier de morceaux de coquilles. Le Voltali eu un sourire et il caressa doucement le Pokémon. Avec un piaillement faible, le Tylton recula, craintif, puis finit par se laisser cajoler par son nouveau parent. Il mordilla affectueusement le petit doigt d’Alban, et caressa de son aile d’ouate la truffe d’Auster. Un nouveau Pokémon dans l’équipe. Et surtout, un beau Tylton chromatique… Alban adorait ce Pokémon, car les Tylton et Altaria faisaient d’excellents postiers, en plus d’être élégants et d’être les favoris d’Alizée. Posant un index affectueux sur le bout du bec nacré du Tylton, il le baptisa.
- Tu seras Mistral. Le vent du nord et du nord-ouest. Un nouveau piaillement enthousiaste indiqua à Alban que le nom était adopté. Esquissant un sourire, il soupira de soulagement. A présent que l’œuf avait éclos, il pouvait se sentir plus rassuré ; moins un danger. Il n'eut cependant pas le temps de profiter plus de l'éclosion qui venait d'avoir lieu sous ses yeux car un ralentissement du ferry indiqua qu’ils étaient arrivés à Lansat. Portant Mistral et Zéphyr dans ses bras, suivi d’Auster, Alban se dirigea avec les autres élèves vers la rampe qui allait le mener au port de Lansat. Devant lui, une toute nouvelle vie s’ouvrait. Il allait enfin pouvoir commencer à devenir un véritable étudiant.
Éclosion de l’œuf irisé. Obtention d'un Tylton chromatique.