Et voilà. Le moment fatidique est arrivé. Dans une heure je serais en route pour l'île de Lansat et son académie Pokémon. Je me place devant mon miroir et coiffe une dernière fois ma tignasse noire, prenant bien soin de laisser en évidence ma mèche de cheveux blonds qui se hérisse sur le haut de mon front. Je dépose mon peigne et je regarde mon visage avec attention. Des traits fins et élégants, une mâchoire discrète, voir effacée, des yeux d'un brun unique, tirant vers le rouge et le cuivre, voilà ce que je vois. Je me suis toujours trouvé beau. Pas magnifique, simplement beau. Des mes oreilles en pointe à mes joues creusées en passant par mon petit nez très légèrement retroussé, j'ai la sensation que tous les éléments de mon visage s'harmonisent parfaitement. Bien sûr vous me trouverez prétentieux mais je suis simplement à l'aise avec mon physique.

Je tends la main derrière moi pour attraper mon T-Shirt. Du coin de l'oeil, je remarque avec un peu de stupeur que j'ai encore perdu du poids. Depuis tout jeune je suis plutôt mince et petit, ce que certains qualifieraient de frêle. Je n'ai pas de muscles apparents, ni de graisse, ni de tatouages. Aucune marque significative qui ferait de mon corps une exception. Je suis normal, un simple garçon avec son physique classique. Je passe mes bras, puis ma tête et mon cou particulièrement long dans le vêtement, avant de saisir mon pantalon. Juste avant de le mettre, je regarde mes jambes, seule partie de mon corps que je déteste. Elles sont fines, à la manière des pattes d'un flamant rose, du moins c'est la façon dont je les perçois. Mes cuisses sont maigres, mes genoux légèrement cagneux, mes chevilles très apparentes et mes pieds d'une asymétrie navrante. Voilà pourquoi on ne me verra jamais habillé d'un short ou autre habit dévoilant mes jambes et encore moins pieds nus ou avec des chaussures ouvertes.

Je lève une dernière fois le regard sur mon visage, adressant un clin d'oeil à mon reflet, comme je le fais régulièrement. Disons que ce clin d'oeil accompagné de ce sourire discret sont une marque de fabrique. J'ai toujours eu cette mimique et j'en ait d'autres. Par exemple je ponctue régulièrement mes phrases  par un ''Yo !'' retentissant. C'est ma façon à moi de marquer mon ressenti. Un ''Yo !'' joyeux ou un ''yo...'' moins marqué ne signifient pas la même chose. Je sais, c'est très étrange mais j'ai tellement pris cette habitude que je le fais sans même y penser. Je passe la main dans mes cheveux, tirant sur ma mèche blonde, avant de me retourner, d'enfiler mon sac et de marcher vers mes escaliers, de ce pas en canard qui me caractérise. En posant le pied sur la première marche, une question me dévore : ''Qu'est ce qui me rend unique ?''

Je suis Craig Walburton. Un jeune garçon de 14 ans. Voilà deux certitudes... Mais qu'en est-il du reste ?

Je suis curieux. Plus curieux, voire intrusif que moi, vous n'en rencontrerez pas. Dès qu'une information, ou un début de rumeur passe à proximité de mes oreilles, je ne peux pas m'empêcher de sauter dessus. Je m'empare de l'information, je l'amplifie, je la colporte, je la corromps, bref, je fais la commère. Ne me confiez pas de secrets, je serais bien incapable de les garder pour moi et ils finiraient invariablement par être connus de tous. Vous comprendrez donc aisément que la carrière d'espion n'est pas vraiment faite pour moi. Le principal problème est que ce défaut s'applique dans tous les domaines. C'est à dire qu'une porte verrouillée ne représente pour moi qu'une tentation, à laquelle je résiste difficilement. Ma mère me dit souvent que cela me causera plus de problèmes que de bien et j'ai peur qu'elle n'ait raison.

Je suis malpoli et maladroit. Disons plus simplement que je ne connais pas le tact et les bienséances en cours dans la société. S'il y a une bourde à faire, une maladresse à commettre, un malaise à créer, vous pouvez être certains que je serais là et en cause. Un cri, une personne offusquée, un moment de gêne ? Encore moi. N'en ayant rien à faire des us et coutumes en vigueur, je me permets de ne pas les appliquer, considérant que le respect n'est pas dû à chaque personne, mais qu'il se mérite. Considérez donc que le jour où je m'adresse à vous avec délicatesse et politesse, c'est que je vous estime grandement.

Je suis optimiste. Purement optimiste. Malgré tout ce qu'il peut m'arriver dans la vie, je n'ai jamais baissé les bras et je ne compte pas les baisser un jour. La vie est ben trop courte et j'ai beaucoup trop de projets à réaliser pour avoir le temps d'avoir des pensées pessimistes. Penser négativement c'est se voiler la face et s'empêcher d'avancer. Et je ne peux pas me permettre de stagner, voire de reculer. C'est pour cette raison que je vois toujours la vie du bon côté et que je garde un sourire éternel imprimé sur mon visage. J'essaye au maximum de transmettre cette bonne humeur à mon entourage et j'y arrive en général.

Je suis franc. Je sais, encore un défaut mais que voulez-vous, j'en suis truffé ! Mais celui-ci est un faux-défaut, selon les personnes. Certains préfèrent la franchise et l'honnêteté mais la plupart détestent la franchise non contrôlée. Vous savez, quand une personne n'a absolument aucun filtre, aucune limite, aucun tabous ? Et bien cette personne c'est moi. Je n'irais pas jusqu'à dire que je suis désagréable. En tout cas, je ne le suis pas volontairement. Je me rends bien compte que je suis des fois blessants, mais seulement après coup. Et ça peut être extrêmement embêtant quand je tente de construire des relations sociales stables...
Voilà, vous me connaissez un peu mieux. Je garde certaines parties de ma personnalité pour moi pour l'instant. Mais je suis certain que vous en découvrirez bien vite beaucoup plus.

Le bateau approche de l'île. Et plus il se rapproche plus cette question me perturbe. Qui suis-je ? Cette question me hante depuis mon départ car j'ai l'impression de bousculer toute ma vie. Tiens, en parlant de ma vie, laissez moi vous raconter un peu ma vie...

Je suis né sur l'île de Johto, plus précisément dans la grande ville de Doublonville. J'ai grandi dans une famille ni riche, ni pauvre, simplement aisée. Je n'ai manqué de rien durant ma jeunesse et aucun événement réellement marquant n'est venu me choquer jusqu'à mes 8 ans. J'ai passé des Noëls heureux où les Cadoizo chantaient pour nous, des anniversaires nombreux et pleins de cadeaux, enfin bref. J'étais un petit garçon un peu niais et sans histoire. 5 ans après ma naissance, ma petite sœur Susie, Sue comme je l'appelle, est née. Je n'ai jamais été jaloux d'elle et je ne l'ai pas plus embêtée que des frère et sœur ne s'embêtent d'habitude. J'imagine que vous l'aurez deviné au vu de mon insistance, j'avais une vie plutôt monotone et classique. Enfin, jusqu'à l'anniversaire de mes 8 ans.

À cette époque, mon père était un Dresseur de haut niveau et il était en pleine préparation pour passer l'ultime épreuve de la Ligue Pokémon. Il avait constitué sa meilleure équipe et rassemblé ses équipements les plus importants. Malheureusement la suite de cette histoire n'est pas si joyeuse. La Ligue Pokémon est souvent racontée d'une façon idyllique comme la dernière étape de la carrière d'un dresseur. Mais l'on oublie la face cachée de cette épreuve : la Route Victoire. Il s'agit d'une route extrêmement dangereuse et surmontée par certains dresseurs mais échouée par la majorité d'entre eux. Certains traversent, d'autres renoncent et les derniers, dont faisait partie mon père, restent à tout jamais dans cette grotte. Mon père est entré sur la Route Victoire et n'en est jamais ressorti, ni d'un côté, ni de l'autre. Voilà comment sa prétention, sa soif de victoire et son égoïsme ont conduit notre famille à la peine, le deuil et la déchirure. Oui vous me trouverez peut-être dur, voire insensible, mais ça a été pour moi un événement plus que traumatisant et je ne lui ait jamais pardonné de s'être lancé dans quelque chose d'aussi dangereux avec deux enfants en bas âge et une femme aimante.

Suite à cet événement, tout a changé. Nous avons quitté notre belle maison en centre-ville pour aller habiter une barre d'immeuble moins chère, certes, mais bien plus décrépie. Le hall d'entrée était infesté de Mimigales et de Rattata et les murs de l'appartement sentaient le pipi de Chaglam. Enfin bref, c'était un vrai taudis. Mais ma mère ne semblait pas s'en préoccuper plus que ça et même sa partenaire de toujours, sa fidèle Gardevoir, se sentait délaissée et abandonnée. Gardevoir s'est occupé de ma petite sœur pendant presque 3 ans après cela et j'étais obligé de tout faire à la place de ma mère, qui se laissait doucement sombrer. Elle avait commencé à boire, elle passait ses nuits à pleurer sur une photo de mon père et Gardevoir utilisait de plus en lus régulièrement Hypnose afin que les cris de désespoir ne nous perturbent pas et ne dérangent pas les voisins. Malgré cela, j'ai passé de nombreuses nuits seul dans ma chambre à ruminer et à pester contre l'égoïsme de mon père et contre la lâcheté de ma mère.

Durant ces trois fameuses années, je développai une passion toute particulière pour les combats de Pokémon, ou plutôt pour les compétitions de Pokémon. Je regardai toutes les émissions de stratégies possibles, toutes les émissions de biologie et d'études Pokémon existantes ainsi que tous les tournois et championnats Pokémon retransmis à la télé. Durant ces années, j'en ait beaucoup appris sur les Pokémon et notamment sur ceux de type Feu, Ténèbres et Acier, mes favoris. Ma petite sœur, âgée de 6 ans désormais, avait fini par s'amuser de ma passion et regardait avec moi les championnats et surtout les concours. Nous réussissions donc enfin à s'en sortir par nous-même et la situation du côté de ma mère semblait se stabiliser, puisqu'elle ne faisait rien de ses journées mais ne pleurait plus. Mais c'était jusqu'à l'arrivée de Mitch.

Mitch. Grand, beau, 43 ans, riche et souriant. Bref, l'homme que ma mère avait rencontré et qu'elle avait décidé de nous imposer comme beau-père. Cet homme, aux premiers abords, semblait être une vrai perle et j'avais l'espoir qu'il redonne à ma mère son goût de vivre et sa joie d'antan. Ce qu'il fit, puisqu'elle alla beaucoup mieux à partir du moment où elle commença à le fréquenter. Cependant, ce principe ne s'appliquait pas à nous. Cet homme avait une seule chose qu'il détestait plus que tout au monde : Les Pokémon. Quand il était à l'appartement Gardevoir devait se tenir dans sa Pokéball et je ne pouvais pas regarder ce qu'il appelait mes ''émissions pour retardés''. Le pire étant que ma mère commençait à penser comme lui, ce qui rendait Gardevoir très triste, ainsi que moi et ma sœur. C'est à cette époque que j'ai développé mes principaux traits de caractère. Je suis devenu un adolescent insolent, répondant à Mitch, allant presque jusqu'à l'insulter en lui disant ses 4 vérités. Je devenais également très optimiste, contrairement à ce qu'on pouvait penser car, depuis mes 11 ans, je voyais une lueur d'espoir : L'Académie Pokémon de l'île de Lansat.

Aujourd'hui j'ai 14 ans. Mitch est parti, laissant ma mère seule à nouveau, après l'avoir trompée à maintes reprises. Malgré tout, à la différence de la mort de mon père, cette fois elle ne s'est pas écroulée. Elle est même devenue plus forte et s'occupe sérieusement de ma sœur, tout en recommençant ses activités de voyante avec Gardevoir. Alors je les ait laissées, toutes les deux, n'emportant que des vêtements, mon envie et mon courage. Et me voilà, sur la proue d'un bateau approchant des côtes de Lansat. Je sens alors mon visage se fendre d'un sourire. J'y suis. Le début de ma vraie vie, la nouvelle page de mon histoire...