Stigmates
Entraînement Solo
-A présent ?
-Cinq kilos et tu vas creuser dans le sable un trou assez grand pour que seulement ta tête dépasse.
-Tu te fous de ma gueule ?
-J’ai l’air ?
Tu retiens un jurons mais tu te lèves, chopant ta pelle, car oui Ringabel l’avait vraiment prise et tu commences à creuser, mais pas dans une zone où le sable est humide, non, trop simple, plus haut, au sec, là où c’est vraiment beaucoup trop chiant. Tu es agacé, après ça, vu l’heure, tu mangeras, une pause d’une demie-heure et tu reprendras avec d’autres exercices. Pelle à la main, tu as l’impression de déterrer un trésor, de faire un peu d'archéologie. Forcément comme ça va mal en ce moment, tu aimerais confier tout ce que tu as sur le coeur, tu aimerais pouvoir évacuer tout ça. Non pas que Ringabel et Delta ne savent pas aider, mais ce n’est pas la même chose. Les coups de pelles s’enchaînent et ne se ressemblent pas, pourtant qu’est-ce que tu roules. Tu es déjà fatigué alors que tu ne devrais pas. La charge sur le corps n’est rien comparé à la charme mentale qui s’accumule depuis deux mois. Tu es seul Josh c’est une certitude et cette solitude te brise, tu te morcelles, tu te perds et tu ne sais pas quels fragments tu pourras récupérer en allant mieux. Tu as peur, tu fais physiquement ce que tu t’infliges depuis des mois : tu creuses ta tombe. À force de t’enfoncer, tu finis par perdre de vue la lumière qui te guide. Si seulement tout n’avait pas foiré avec Janet ou Alex. Si seulement tu étais allé au bout des choses, si seulement… Si seulement tu pouvais tout revivre, si seulement tu pouvais devenir une meilleure version de toi. Tu as l’impression de devenir un connard et de perdre ta bonté, d’accumuler toute la noirceur qui t’entoure et la laisse te corrompre. Pourtant, tu ne veux pas de ça, mais il n’y a personne avec qui partager ces ternes couleurs qui lentement ternissent ton regard.
Tu n’en vois pas le bout, ton corps te fait souffrir, on dirait que tu creuses depuis dix heures, mais cela fait dix minutes. Ton souffle est cours, il se cherche lui aussi, il essaie de se rattraper à chaque inspiration. Tu ne tiens pas le cardio depuis le nouvel an. Comment veux-tu entretenir le corps si l’esprit se fissure. Ils t’ont amenés ici, les deux gars qui t’observent creuser. Ringabel est très attentif à ton corps et se permet de fouiller tes pensées pour réagir au mieux. Tu craches une insulte à demi-mot, tu t’énerves aussi progressivement, contre coup de la fatigue et petit à petit, tes gestes s’emplissent de ce sentiment négatif qui ne provoque que des erreurs. Tu trouves un regain de motivation, visualisant ce trou que tu formes comme quelque chose à abattre et détruire, alors tu commences à t’enfoncer plus rapidement en vidant la bouteille d’eau plus vite que prévu, la sueur dégouline le long de ton visage déformé par l’effort, la fatigue et la rage. Progressivement tu t’accuses de tous les maux, c’est de ta faute si tu as tout perdu, depuis toujours tu ne fais que des erreurs Josh, le mépris de ta mère, le jugement de tes sœurs, l’absence de ton frère, l’attaque de la team-rouage, ta main, la soufrance que tu as infligé à Janet et Idalienor, le départ de Léo et cette histoire ratée avec Alex. Tout ça à cause de ton incompétence. Voyant comme tu t’enfonces progressivement, Ringabel juge utile d’intervenir.
-Josh, je pense qu’on va manger, je t’en ai demandé trop…
-Non !
-Sois raisonnable.
-Si je ne réussis pas ça, à quoi bon continuer à être dans l’armée, c’est rien !
Le stade « à quoi boniste » est souvent une marque de dénis, de dégoût et de rage profonde chez les gens, une façon de relativiser quelque chose, de l’ironiser, de l’exacerber en pensant se débarrasser de ces sentiments et au final ils s’y enfoncent encore plus. Alors que le type psy s’apprête à intervenir, la main de Delta se pose sur ton thorax doucement, le retenant. Il est pareil, hargneux au possible le Coatox quand il s’y met. Tu passes une petite heure de plus à creuser pour l’exercice. Au bout de l’opération tu remontes difficilement, tu as les mais à vif, celle victimes de tes brûlures passées te fait souffrir, vraiment, mais tu masques ces grimaces du mieux que tu peux, mais c’est trop tard, Ringabel à déjà compris que tu es épuisé physiquement et la fatigue mentale ressort. C’est le but, mais ça lui fait mal de te voir comme ça. Le seul soutien que tes pokémons jugent bons à ce moment, c’est de te donner ton repas alors que tu as retiré les poids, retrouvant une sensation de légèreté bien paradoxale ici vu comme tu te sens oppressé par tout ce à quoi tu réfléchis.
Tu manges cette collation, de la viande blanche froide, une soupe avec des nouilles chaude, ton bento est une merveille, il garde tout à la température voulue et permet de prendre de bons repas comme si tu étais chez toi. Ça te fais du bien. À cela, ta barre de céréale et pas mal d’eau, pour pouvoir refaire tout le stock. Pendant la digestion, tu restes muet à contempler encore la mère qui se fond dans l’horizon. Au moment de reprendre Ringabel, t’indique la suite.
-Tu vas monter une dune, sans poids, puis descendre, puis monter, descendre. En courant, jamais à marcher.
-Combien de temps ?
-Épuisement.
-Entendu.
Sans tarder, tu commences à courir et monter. Détailler précisément tes allées et venues serait assez chiant, je préfère donc décrire simplement ton évolution. Les premiers allés-retours témoignent d’une bonne énergie, tu t’es bien reposé en mangeant et ça te fais un petit peu de bien au moral, manger, c’est toujours un plaisir, surtout quand on cuisine soit même. Petit à petit, on voit que tu fatigues, les traits du visages se tirent, tu vas moins vite, le souffle devient court et finalement saccadé. C’est certes assez progressif, mais tes muscles te font mal, la gorge brûle et pour ne rien changer, tu sens quelques gouttes tomber sur tes cheveux. Le temps n’y met pas du sien, il pleut, le sol devient désagréable, le sable s’accroche à ta combinaison, le bruit continu de l’eau devient vite insupportable et te fatigue encore plus. Pendant ce temps de course, qui dure plus d’une heure, Ringabel et Delta sont montés en haut de la dune et te regardent courir. Tu évites de trop passer au même endroit, à force, tu déformes et accidentes la pente et la rends encore plus difficile à parcourir. Ton corps finit par te brûler, chaque pas est un calvaire, mais tu continues, persuadé que tu dois y aller jusqu’à en tomber par terre et ne plus avancer, si tu cesses d’avancer, tu n’arriveras plus à recommencer et marcher aujourd’hui, c’est sûr. C’est dur. Tu veux ton lit. Tu veux quelqu’un. Tu rêves d’un contact humain. D’affection. D’amour. De présence… Comme si courir sans t’arrêter t’aidera, deviendras-tu Forest Gump ? Même si ça fais une sacrée trotte pour lui ressembler, en plus face à la mer choper des crevettiers, au lieu de les appeler « Jenny », auront-ils « Janet » comme nom ? Cette question n’aura sûrement jamais de sens. Tes pensées sont de plus en plus difficiles à comprendre, la fatigue te ronges.
-Cesse Josh, réclame Ringabel quand tu le croises en haut.
-N… Non ça va.
Tu t’apprêtes à redescendre et tu sens une force psychique légère, mais suffisante à te faire tomber. Tu t’écroules, frappant durement le sable détrempé alors que l’averse à redoublé depuis, et tu roules jusqu’en bas, tête dans le sable, la gueule sale, tu parviens à te mettre sur le côté en crachant difficilement le sable que tu as dans la bouche, un filet de salive au coin des lèvres. Tu tentes de te redresser, ton ventre te fait mal, ton corps n’assume pas le choc, tu vomis juste à côté, tant pis, la plage absorbera cette offrande. Tu passes ta main avec rage sur la bouche, te foutant à nouveau du sable partout. À genoux, tu finis par frapper le sol et hurler à ton Gallame.
-Mais c’est quoi putain de problème ! Pour qui tu te prends ! Tu sais qui je suis ? Un blanc s’installe, alors que tu te calmes, baissant la tête, tes pokémons descendent pour te rejoindre. Je suis seul…. j’en peu plus… J’en peu plus putain ! J’en ai assez d’avancer seul sur ce putain de sentier ! J’en ai assez de décevoir tout le monde sans rien pouvoir faire de mieux. De donner tout ce que j’ai pour juste me le faire arracher !
Ce n’est pas toi qui pleure, c’est le ciel, tu ne fais que l’imiter. Tu serres les poings, du sable avec. Tu craques, tu lâches tout sans retenue. Au nouvel an c’était par surprise, ici c’est provoqué, c’est amené avec toute la fatigue corporelle. Tu t’es senti basculé progressivement.
-Je veux pas grand-chose Ringabel… Je veux juste quelqu’un. Je veux juste quelqu’un qui sera là et qui me lâchera plus. Qu’on me rende toute l’affection qu’on ne m’a jamais donnée. Ta voix tremble, l’articulation se fait difficile. Je mérite pas tout ça, je mérite pas de subir ouvertement les comportements de connards des autres ! Je veux qu’on me rende Léo… qu’on me rende le temps où tout allait bien.
La pluie ne tombe plus sur toi, ton tendre Gallame chromatique t’épargne ce mal avec ses pouvoirs psychique alors que Delta vient contre toi, te prendre dans ses bras de crapaud. Son petit croassement te détend progressivement, la chaleur de son corps forcément. Tu es exténué, tu veux rentrer, prendre une douche chaude, pleurer un peu sous l’eau et te foutre au lit et oublier cette journée. Oublier cette souffrance et la laisser derrière toi. Se dire qu’enfin le soleil pointera le bout de son nez sur quelqu’un. Cette solitude, qui s’est installée autour de toi, aura disparu avant l’arrivée de l’été, tu l’espères de tout coeur. Tout se paie un jour, c’est ce que tu te dis, persuadé qu’à force d’épuiser toute ta réserve de mauvais karma, on te réserve quelques bonnes surprises. Mais tu garderas à jamais les stigmates de trois ans de solitude.
BBDragon