Vivement, le garçon tend le bras pour intercepter le fruit sec lancé par son amie avant de le déguster tout en marchant nonchalamment en ville. Leur cours de ce samedi matin a été annulé, et ce n’est clairement pas pour déplaire à Itzan. Moins de cours signifie fatalement moins de devoirs, mais surtout ne pas avoir à rester en place pendant deux heures dans une salle de classe. Tout benef pour le gitan qui, même s’il s’y est habitué, ne peut que se réjouir d’être libéré de ses obligations scolaires plus tôt que prévu.

Du coup, il a décidé d’accompagner Lyria en ville. Elle y avait des choses à faire et a insisté pour que le bleu l’accompagne. Difficile de refuser quand une amie le demande ainsi, et puis ce n’est pas comme s’il avait particulièrement quelque chose à faire là tout de suite. Emmitouflé dans son gros sweat fourré, Itzan vérifie que Doudou est bien calé puis lui glisse un petit bout de fruit avant de reglisser les mains dans ses poches. Les températures ont recommencé à descendre, l’obligeant à ressortir ses vêtements plus chauds pour de simples petites sorties en ville.

— Tu sais je ne la connais pas aussi bien que toi. Mais c’est l’intention qui compte le plus dans un cadeau. Après je ne connais que la base. Le bricolage chez les gitans, c’est à prendre au sens littéral. On bricole, on répare, mais c’est pas du grand art.

Lyria est sur excitée à l’idée de faire des cadeaux. En même temps, Noël approche à grands pas, alors cette excitation est partagée par pas mal d’élèves, heureux d’offrir à leurs proches un petit quelque chose. Pour Itzan, c’est un peu différent. Il n’a jamais fêté Noël avant. Ce n’est pas une fête qui leur est propre. Et puis, ils ne sont pas très matérialistes. Donc forcément, cela n’aide pas. Mais il y a bien quelques bijoux qu’ils conservent précieusement, et des babioles aussi. Des petites choses qui lui rappellent de bons souvenirs.

— Ça marche. Après t’inquiètes pas, on n’est pas pressé.

Les deux jeunes se promènent dans les rues sans encombre lorsque le bleu capte un drôle de mouvements sur le fauteuil de Lyria. Mais surtout, à même le sol, allongée de tout son long, l’une des policières de l’île. Pris de court, le garçon répond au cri de sa camarade et aide la jeune femme à se relever, tout en l’emmenant sur un banc non loin pour qu’elle puisse se poser. Même si elle n’a pas l’air particulièrement blessée, c’est la fatigue qui se lit sur son visage qui inquiète davantage. Mais bon, difficile de vraiment prendre au sérieux tout ça quand l’agent Jenny et son amie se crient dessus telle une comédie dramatique clichée.

Une sucrerie plus tard, la policière semble reprendre ses esprits et être de nouveau en capacité d’expliquer aux deux jeunes ce qui l’a mis dans cet état. Apparemment, une série de vol a eu lieu ces derniers temps dans le quartier, et rien ne semble l’arrêter, et ce malgré tous les efforts de l’Agent Jenny. En revanche, le garçon ne s’attendait pas du tout à la suite. Alors comme ça le clan Bailadora est ici ? Ça pour une surprise. Et malheureusement, la suite n’étonne guère le Voltali. Les gitans sont trop souvent associés aux vols en tout genre. Cela fait parti des clichés qui circulent sur eux, et aucun clan n’y échappe vraiment. Alors forcément, des vols coïncidant avec leur arrivée, ils deviennent des cibles parfaites. Le bleu n’est pas ravi de l’apprendre, mais cela fait partie du quotidien des gens du voyage.

Sauf quand une petite rouquine s’en mêle.

— Attends jeune homme, tu appartiens à cette communauté ?

Raaah Lyria tu ne pouvais pas le consulter avant de parler ? Pris de court, le garçon ne sait trop comment faire pour répondre face aux deux bouilles extrêmement déterminées qui lui font face.

— Oui je suis un gitan, mais je ne les connais que de réputations. Nos clans ne se sont jamais croisés.

— Peut-être mais vous avez des points communs ! C’est parfait pour mener une enquête !

— Vous vous emballez trop Madame l’Agent. Ce n’est pas aussi simple. Les gitans ne forment pas à eux seuls une seule entité. Je ne peux pas m’incruster comme ça.

— Mais tu serais toujours plus légitime à leurs yeux que moi. Allez s’il te plait jeune homme. Tu viendrais en aide à toute l’île en le faisant. Moi je ne demande que ça de prouver qu’ils sont innocents. Mais s’ils ne coopèrent pas, je ne peux rien faire et le rejet des habitants de l’île va s’accentuer.

Le bleu laisse ses yeux courir aussi bien sur l’agent Jenny que sur Lyria, les deux n’attendant qu’une chose : qu’il donne son accord. Et, il faut bien dire ce qui est, Itzan n’est pas quelqu’un ayant énormément de volonté.

— Bon d’accord, je peux essayer de leur parler. Mais ne vous attendez pas à un miracle. Il y a une chance sur deux pour qu’il me rejette purement et simplement.

Voilà que Lyria saute de joie, au sens figuré bien sûr, tandis que l’agent Jenny lui confie un bloc note qui résume tout ce qu’elle a appris au cours de son enquête. Pour l’instant, le Voltali n’en a pas vraiment besoin. Il verra tous ces détails plus tard, qu’ils arrivent à approcher les Bailadora sans créer un incident diplomatique.

Quelques minutes auront suffi au duo pour atteindre le port et constater l’installation des Bailadora. Le bleu en avait déjà entendu parler de la bouche de certains membres de son clan, mais en vrai c’est encore plus impressionnant. Tous ces bateaux alignés les uns aux autres et reliés par des sortes de pontons mobiles permettent d’en quelques minutes traverser l’intégralité des navires. Ils ne sont pas des plus modernes, c’est le moins que l’on puisse dire, mais ils ont le charme typique des communautés gitanes. Un petit quelque chose qui lui rappelle son chez lui.

Seulement, malgré ce qu’aime dire Lyria, il n’a pas de supers pouvoirs de gitans, et n’a absolument aucune idée de comment les aborder. Surtout qu’il n’y a pas foule sur les ponts. Un point commun que leurs deux clans doivent partager, ils ne sont pas très du matin.

Alors qu’il s’apprêtait à marmonner quelque chose à Lyria, le garçon aperçoit, perchée sur l’un des ponts, une adolescente. Elle doit être un peu plus âgée que lui, quoi que de pas grand-chose. Le teint magnifiquement halée et les cheveux épais et bouclés, elle fixe l’horizon, le sourire aux lèvres. Ce n’est que quelques instants plus tard qu’elle se tourne vers le duo, tout en conservant le sourire. Avec souplesse, elle grimpe sur le bateau, permettant au passage au bleu de s’apercevoir qu’elle est pieds nues, puis s’approche des deux étudiants jusqu’à descendre complètement sur le port en un bond.

— C’est rare de voir d’autres jeunes trainer sur le port, surtout à cette heure-là ! Vous êtes bien matinaux !

Du tac au tac, Itzan répond sans hésiter, se laissant guider par ses habitudes au sein de son propre clan.

— Toi aussi tu es bien matinale pour une tsigane.

— Oh je vois qu’on a à faire à un connaisseur

— Je viens du clan Ekalt, je suis un gitan moi aussi

— Ah ! Ça pour une surprise ! Je ne pensais pas qu’on croiserait d’autres gitans sur cette île !

— En fait, je suis le seul ici. Enfin c’est un peu compliqué.

Profitant de l’amabilité de la jeune fille, le Voltali n’attend pas plus pour entrer dans le vif du sujet, espérant que son honnêteté saura lui rendre service.

— On est là par rapport à l’histoire des vols

— Ah ça… ça n’a rien à voir avec nous

— On s’en doute ça. Nous on veut juste le prouver. On a besoin de vous pour ça

— Avec qui tu parles Kalia ?!

L’adolescente se retourne en direction d’un autre jeune. Le teint tout aussi basané, les cheveux longs et gris, mais surtout l’air pas du tout ravi de leur présence.

Dans quoi s’est-il embarqué encore ?

Eh allez les problèmes commencent. Sans même connaitre l’origine de cette voix, Itzan en reconnait parfaitement le ton. Il l’a entendu à maintes reprises lui-même par le passé.

C’est celui du mec qui ne veut clairement pas que les « non-gitans » les approchent.

Il y a pas à dire, il est canon. Son teint tout aussi hâlé que celui de sa camarade et ses cheveux argentés font des atouts charmes non négligeables. Probablement qu’il serait encore plus beau si son visage n’hurlait pas sans mot un grand « dégagez de là où je vous bouffe ». Ou en tout cas, c’est comme ça que le bleu le comprend. Pareil, il doit sensiblement avoir le même âge que Kalia, mais clairement pas son calme. Surplombant le duo depuis l’un des bateaux proches du quai, le dénommé Manolo cherche des explications, et même si l’adolescente tente de le temporiser, il n’y a pas grand-chose à faire.

Le cœur du garçon loupe un battement quand il entend le fameux mot. Probablement l’insulte ultime chez les gitans. Gadjo. Ouais rien que ça. Manolo doit surement être du genre à le balancer à tort et à travers, profitant du fait que les non tsiganes ne sachent pas ce que cela signifie. Mais pour Itzan, qui lui justement en est un, ça fait mal. Probablement trop pour que ça fasse vraiment sens. Mais faut croire que ça fait partie de l’ADN des gitans justement, d’être associé au fait qu’ils appartiennent à une communauté qui ne doit surtout pas être reniée.

Sauf qu’évidemment, Lyria n’a rien compris du tout, et le Voltali ne se voit pas la laisser dans l’ignorance. Profitant que les deux membres du clan Bailladora se disputent entre eux, le bleu se penche un peu pour glisser à son amie.

— Ça veut dire quelqu’un qui n’appartient pas à la communauté gitane. En gros pour nous, c’est une grosse insulte.

C’était à prévoir, la Mentali part au quart de tours à l’entente du mot insulte, et défie frontalement Manolo. Malgré la situation tendue, Itzan étouffe maladroitement un rire en entendant Lyria prononcé le mot gadjo. Son accent est terriblement mauvais, rendant la prononciation du mot trop drôle pour ne pas en rire. Le gitan est presque sûr d’avoir vu du coin de l’œil Kalia laisser échapper un rire aussi. Dommage que l’adolescent soit trop en colère pour en rigoler.

Et comme en plus Lyria n’en démord pas malgré les signes envoyés par le bleu, le ton monte encore et encore entre les deux, surtout que Manolo ne doit pas être habituée à ce qu’une petite tête comme la Mentali résiste autant à son jeu d’intimidation.

Mais faire appel à un pokemon, ça va vraiment trop loin. Sans réfléchir, Itzan décale légèrement le fauteuil de Lyria pour se positionner juste à côté d’elle, au soutien de Prime, prêt à intervenir si une agression venait réellement à avoir lieu. Le gitan ne pensait pas qu’il pourrait aller jusque-là, mais il faut croire que si.

Fort heureusement, le hurlement de Kalia fait redescendre tout le monde en pression. Invoquer le nom de cette Solaris suffit à calmer brusquement Manolo, qui recule de quelques pas puis disparait avec beaucoup d’agilité direction les bateaux situés derrière eux. Surement la leader, ou quelqu’un qui a de l’autorité sur le clan. C’était limite, mais pas de dégâts c’est déjà ça.

La pauvre Kalia se confond en excuse face aux deux jeunes auxquelles Lyria répond premier degré, tandis que le bleu essaie de faire un peu de tri dans sa tête. La réaction de ce jeune était violente, presque trop pour un simple gitan rejetant les gadjos. Et voilà que la métisse mentionne un événement sur lequel elle ne s’étend pas. Quelque chose d’un peu plus marquant a dû arriver au sein du clan pour qu’il y ait une tension pareille.

Toujours est-il que la Mentali a raison, et qu’Itzan s’empresse de compléter ses propos, d’un point de vue un peu différent.

— Oui c’est comme ça qu’on dit Lyria. Kalia, je suis un gitan moi aussi. Je ne connais que trop bien ce sentiment. Je n’ai aucune envie que mes frères et sœurs se retrouvent accusés d’une chose qu’ils n’ont pas commis. Et même admettons que cela soit vraiment quelqu’un de votre clan, c’est lui qui devrait être blâmé. Pas la communauté. Vous méritez qu’on prenne votre défense. C’est pour ça qu’on est là.

Le garçon adresse un sourire sincère à l’adolescente. Il a surement un peu extrapolé en parlant de frères et sœurs, d’autant plus qu’il sait parfaitement qu’il y a parfois des rivalités entre clans gitans. Mais l’intention y est. Il se dressera à côté d’eux dans cette histoire, et certainement pas contre eux. Et c’est exactement la même chose pour sa camarade. Dans cette situation, il est tout de même bien content d’être avec Lyria plutôt qu’avec quelqu’un de plus réfléchi, ou en tout cas à cheval sur les règles. Charlie par exemple lui aurait surement cassé les pieds pendant 20 ans pour quelque chose de futile. Au moins là, ils peuvent aller à l’essentiel.

Malgré le bon contact avec Kalia, Itzan reste surpris de son invitation à monter, tout comme Lyria d’ailleurs. Même si ses paroles se veulent encourageantes, le Xoaelteno ne peut s’empêcher d’insister.

— On ne veut pas que tu ais des problèmes à cause de nous. Je sais bien que faire entrer des étrangers dans des situations de crise comme celle que vous connaissez n’est pas forcément recommandé…

— Ne t’inquiète pas, laisse-moi gérer ça. Et puis, vous n’êtes pas des étrangers. Vous êtes Itzan et Lyria, deux personnes qui essaient de nous aider. Je ne peux pas les rejeter. Tu m’aides à porter son fauteuil pour qu’elle puisse en profiter elle aussi ?

Le gitan adresse un signe de tête à la métisse et se positionne à côté de son amie pour permettre aux roues de son fauteuil de correctement passer le petit pont et arriver en un seul morceau sur le bateau. Si lui n’est pas aussi expressif que son amie, les yeux remplis d’étoile à l’idée d’être sur un bateau, Itzan est obligé de reconnaitre que les embarcadères sont très beaux. Loin des caravanes dont il a l’habitude depuis toujours, les bateaux leur donnent une liberté de mouvement toute autre. Et même si on y reconnait sans mal la « pâte » gitane, il y a aussi la personnalité propre de ce clan qui ressort dans la décoration. Un milieu qui apaise sans mal le bleu, et ce malgré la situation un peu tendue dans laquelle il se trouve.

A l’intérieur, Itzan se croirait complètement de retour chez lui. Ses décorations très chargées où se reflètent absolument toutes les escapades que ce bateau a traversé l’envoutent. Sans vraiment de cohérence, ça c’est vrai, mais avec un charme fou qui manque cruellement au Voltali. Peut-être devrait-il lui aussi décorer sa chambre ainsi ? Pour se rappeler un peu la sérénité que lui a toujours provoqué l’ambiance des caravanes gitanes.

Des fruits tendus, le bleu se permet d’en prendre un, tout en restant attentif à son amie, déjà lancée dans de nouvelles questions, dont celle qui lui pendait aux lèvres depuis quelques trop longues minutes déjà. Et, malheureusement, l’apprenti agent ne peut retenir un profond soupire en regardant par la fenêtre. « VOLEUR » écrit en gros et rouge sur la coque de l’un des bateaux. Les gars vont avoir un mal de chien à nettoyer ça.

— Ça explique pourquoi Manolo était en pétard tout à l’heure en nous voyant approcher. Il a dû se dire que c’était nous qui avions fait ça, ou en tout cas qu’on soutenait ceux qui l’avaient fait.

— Surement… et puis le bateau qui a été tagué est celui de Jail. Un homme qui s’est beaucoup occupé de lui depuis qu’il est petit. Ce n’est pas le plus subtile des membres de mon clan, mais Manolo le respecte énormément. Ça a dû le toucher plus que ce qu’il ne veut admettre.

Et ça, Itzan le comprend très bien. Lui aussi aurait probablement très mal pris que la caravane de l’une des femmes qui s’est occupé de lui toute sa vie soit vandalisée comme ça, ou pire celle de sa propre mère. Un instinct de protection très prononcé entre les membres d’un même clan doit probablement l’expliquer. Il ne sait pas si les Bailladora ont exactement le même fonctionnement qu’eux, mais le fond doit tout de même se ressembler.

A partir de là, le garçon sait déjà exactement ce qu’il veut faire, et entame déjà de se relever, tendant à son amie un petit carnet.

— Il y a toutes les notes de l’agent jenny dessus. Je vous laisse essayer de voir si de là vous arrivez à dégager une piste pour commencer notre enquête. En attendant, je vais chercher Manolo.

— Tu es sûr Itzan ? Je ne sais pas s’il va être très agréable avec toi…

— T’inquiètes je vais lui parler, et ça va marcher. Et puis, je pense qu’on soit 4 pour cette enquête serait plutôt pas mal.

Sans attendre davantage, le garçon sort de la pièce et s’atèle à retroyver le garçon. Il a bien vu le métis se diriger de ce côté-là, il devrait bien finir par le trouver ce n’est pas immense non plus. Le Voltali traverse les ponts un à un, essayant de ne pas se faire remarquer de trop (il n’a déjà clairement pas le droit de faire ce qu’il est en train de faire) tout en observant bien partout pour ne pas le louper.

Heureusement, il finit par le trouver, assis au bord d’un des derniers bateaux de la rangée. Sans s’annoncer particulièrement, Itzan s’installe juste à côté de Manolo, un peu brusquement, le faisant sursauter au passage.

— Hey on peut savoir ce que tu fous ?! Laisse-moi tranquille. Descend de mon bateau ou je te jette à la flotte

— Ça tombe mal je suis plutôt du genre insistant quand j’ai décidé quelque chose. Surtout qu’on est parti sur de mauvaises bases toi et moi. Pour commencer, je ne suis pas un gadjo.

Le bleu sent bien que le gitan s’empresse de répliquer agressivement, alors lui-même le double pour compléter.

— Eklat, ou Xoaelteño, ça te parle ?

Manolo semble réfléchir un instant avant de répliquer, le ton dur.

— Ces deux clans n’ont rien à voir entre eux. Me prends pas pour con.

— Je m’appelle Itzan Xoaelteño, mais je suis né chez les Eklat. J’appartiens à ce clan. Je suis un gitan moi aussi.

Cette affirmation, bien que calmant légèrement le métis, ne parait pas parfaitement le convaincre puisqu’il se met à poser de nouvelles questions.

— Mais qu’est-ce que tu fais là alors ?! Ces clans ne sont pas là quand même ?!

— Non ils ne sont pas là je suis tout seul. Sentant bien que Manolo n’allait pas se contenter de ça, il poursuit. Disons seulement que ma mère ne voulait pas que je connaisse une épreuve similaire à celle qu’elle a vécu par le passé, et absolument tenu à ce que j’aille dans une école à peu près normale. Bref on n’est pas là pour parler de moi, mais de vous.

A nouveau, le garçon grogne, ne sachant plus trop quoi dire. Il réalise certainement qu’Itzan n’est clairement pas son ennemi. Et le bleu ne compte pas s’arrêter là pour lui faire comprendre.

— Vous ne pouvez pas vous opposer comme ça à la population, ça ne vous mènera à rien. Surtout que je ne sais pas pour combien de temps vous allez rester ici, à quai. Lyria n’est peut-être pas très subtile et n’aime pas qu’on la prenne de haut mais elle a le même objectif que moi. Trouver qui vole les habitants, et montrer que vous n’y êtes pour rien dans tout ça. Mais on a besoin de toi pour ça.

Manolo parvient à enfin décrisper ses mains de la rambarde pour se retourner complètement vers Itzan. Il n’a pas l’air si sur de lui finalement quand on le met au pied du mur.

— T’es marrant mais tu veux que je fasse quoi moi ?! Je suis pas détective.

— Et bah tu vas le devenir, le temps qu’on les trouve. A moins que tu ais trop peur pour ça ?

— Certainement pas !

Les deux garçons se redressent, le bleu quant à lui très amusé. Il a complètement réussi son coup, et n’a maintenant aucun mal à emmener le métis sur le bateau de Kalia, en espérant que les filles aient trouvé une première approche.

Itzan n’a pas douté un seul instant de ses capacités pour ramener Manolo avec lui. C’est un garçon, et un gitan de surcroit. Il sait très bien quoi dire et ou frapper pour que le jeune homme revienne avec lui sans faire d’histoire. Le bleu s’est bien douté qu’en levant le doute sur sa nature de gitan, le basané serait plus enclin à l’écouter. La défiance vis-à-vis des gadjo est très présente, le Voltali le premier l’a connu et l’a exprimenté. Lui aussi sur ses premières semaine ssur l’île, il ne pouvait s’empêcher de se répéter les mots de son clan, accusant les gadjos de tous les malheurs du monde. Tout comme eux ne peuvent se défaire de tous les clichés qu’ils ont à leur égard. Ca aussi le garçon a eu l’occasion de l’expérimenté. Mais, après quelques semaines sur Adala, Itzan a bien vite compris que si certes ils sont bien différents de lui, ils ne sont pas si méchants.

Mais ça, c’est surement en demander beaucoup d’un seul coup à Manolo.

Les deux garçons finissent par rejoindre les filles sur le bateau de la famille de Kalia. Le bleu prend vite le pli de se déplacer de cette façon, un peu instable sur les pontons, et s’en amuse presque. Il a déjà hâte de raconter tout ça à sa maman quand il aura un moment pour se poser et l’appeler. Surement après la fin de cette mission vu tout ce qui les attend.

Assis autour d’une petite table, les garçons écoutent avec attention le rapport des deux jeunes filles, ayant épluchées en leur absence les notes prises par l’Agent Jenny. Leur synthèse sur la situation est plutôt claire, et même si les grognements poussés par Manolo sont un peu démoralisants, il ne peut nier l’état de la situation, et la nécessité de s’impliquer davantage pour espérer la résoudre. Le plan, c’est qu’Itzan et Kalia s’occupent d’interroger les membres du clan pendant que Lyria et Manolo descendent du quai pour questionner la population. Cette stratégie apparait évidente en réalité. Quoi qu’on en dise, les Bailadora seront sans doute plus difficiles à faire parler que la population. Les gitans ont leur propre sensibilité, il en vaut mieux deux pour affronter tous les autres, relativement diplomates en plus, qu’une gadjo et un bourru de service.

Un verre de boisson artisanale plus tard, le petit groupe est près à se lancer, mais est rapidement interrompu par l’arrivée fracassante d’une présence, d’abord sur le bateau puis directement à l’intérieur, restée sur le pas de la porte pour venir chercher Kalia.

Le bleu déglutit. Cette présence, ou en tout cas ce type de présence, il les reconnaitrait entre mille. Une chef de clan, sans aucun doute. Nommée Solaris d’après la réponse de Kalia, il va très vite falloir trouver une solution pour apaiser les tensions, car la matriarche n’a pas l’air ravie de voir ce qu’elle croit être de purs gadjo sur ses bateaux. Accompagnée par un pokemon fantomatique qui a foudroyé sur place Manolo et Kalia, le bleu ne peut que comprendre que si lui-même avait été un membre de leur clan, il n’en aurait pas mené large non plus. Cette femme n’est pas Babushka, mais en a la même aura calme mais parfaitement terrifiante.

Le Voltali ne laisse pas aller sa camarade plus loin avant de tendre le bras, lui intimant de ne rien dire de plus et de le laisser faire. Pas qu’il n’a pas confiance en son amie, mais la situation est trop particulière pour qu’il puisse se permettre le moindre faux pas. D’eux tous ici, il est sans doute le plus à même de démêler cette situation de tension. Le garçon se relève alors pour lui faire face. Sans être trop près, il la fixe un instant avant de baisser la tête en signe de respect.

— Solaris, je vous prie tout d’abord de nous excuser mon amie et moi pour notre présence. Nous ne nous sommes pas présentés. La situation n’a pas été parfaitement sous contrôle et il nous a fallu quelques discussions avec Kalia et Manolo ici présent pour mettre un peu d’ordre et créer cette réunion surprenante à vos yeux. Mais en vérité, elle fait tout à fait sens.

Le gitan relève un instant les yeux, jaugeant la réaction de la matriarche, et lui laissant place à la parole.

— Je t’écoute. En quoi cela fait sens que deux étrangers se trouvent à l’intérieur du bateau de l’une des nôtres ?

— Je m’appelle Itzan Xoaelteño et voici Lyria Sidhe. Comme vous avez du l’entendre à mon nom, je suis originaire du clan Xoaelteño, mais je suis né au sein du clan Ekalt dans lequel j’ai vécu jusqu’à mes 14 ans. Je suis bien sûr toujours un de leur membre, mais pour l’heure je suis scolarisée sur cette île par choix de ma maman, souhaitant m’offrir cette opportunité avant de revenir vers nous. Lyria est également inscrite dans cette école. Elle est effectivement une étrangère au clan gitan, mais son respect pour notre culture et nos valeurs est tout entier.

— Cela ne m’explique toujours pas l’origine de votre présence ici, surtout en ce moment. La situation n’est pas idéale pour des échanges culturels. Si c’est cela…

— Non ! le garçon réalise qu’il a surement parlé un peu trop fort. Alors il penche la tête de nouveau, en signe d’excuse, puis se reprend. Nous sommes venus ici pour trouver les voleurs à l’origine du désordre dans le quartier du port. Nous avons su que votre clan était accusé, mais Lyria et moi sommes persuadés que c’est faux. Avec l’aide de Kalia et Manolo, nous cherchons à le prouver. Nous avons déjà un plan d’action, et nous aimerions le mener à bien pour que vous soyez enfin tranquille. S’il vous plait acceptez notre présence et notre aide, en signe de respect pour vous.

Le bleu se penche de nouveau, cette fois-ci bien plus bas, attendant le verdict. C’est la première fois qu’il se retrouve à faire de la diplomatie entre clan de gitans. Normalement, c’est le travail des adultes ça. Mais aujourd’hui, il n’y a personne à part lui pour faire ça. Il n’a pas le choix.

— Est-ce que ce qu’il dit est vrai Kalia ? Manolo ?

Itzan ne le voit pas, se contentant d’écouter les réponses des deux autres jeunes.

— Oui

— Il dit vrai Solaris ! Nous n’aurions pas fait monter des étrangers pour rien ! Ils vont nous aider c’est certain !

Après des secondes qui lui ont paru être une éternité, Solaris soupire profondément avant de se retourner, son Corayon à ses côtés.

— Bien. Alors ce soir, quand vous aurez fini vos recherches, vous viendrez me faire un compte-rendu dans mon bureau. On verra ce que votre association peut donner.

La basanée disparait rapidement vers d’autres lieux, permettant à Itzan d’enfin se redresser, soulager qu’il n’y ait pas eu un incident diplomatique plus grave. Un sourire aux lèvres, le Voltali s’adresse aux trois autres.

— Alors c’est parti ? On a du boulot et pas énormément de temps avant ce soir !

— Bon du coup comment on se débrouille Kalia ?

Le coup d’éclat avec Solaris passé, il était temps de se remettre au travail et rapidement. La journée est déjà bien entamée et ils n’ont que quelques petites heures devant eux avant que le soleil ne se couche et interrompe toute forme d’enquête. Les 4 jeunes se sont décidés d’une division évidente afin de couvrir plus de terrain. Le gitan reste donc avec sa camarade sur les embarcations, désigné pour interroger les membres du clan Baliardo. Seulement, par précaution, le Voltali préfère laisser la native prendre les initiatives.

— Je pense qu’on devrait commencer par discuter avec ceux qui sont encore en train de nettoyer le bateau. Ça devrait nous donner des pistes pour la suite.

Sans attendre, le bleu se lance à la suite de l’adolescente, impressionné par sa manière de se déplacer. Probablement née sur ces bateaux, Kalia saute de planche en planche, de pont en pont, avec une légèreté irréelle. Comme si le sol était parfaitement stable, elle enchaine les sauts et déplacements avec beaucoup d’assurance. Itzan, bien que suffisamment agile, prend davantage de précaution pour éviter de finir à l’eau. Ça serait le coup de grâce pour le décrédibiliser définitivement.

Une fois arrivé aux abords du bateau abimé, les deux jeunes s’assoient sur le bord de l’une des coques, ayant une vue parfaite sur les deux hommes en train de frotter inlassablement les traces de peinture. Accrochés à ses cordes descendant jusque dans l’eau, ils jouent à un drôle de numéro d’équilibriste pour atteindre les zones les plus proches de l’eau. Le garçon fait signe à sa camarade d’engager la discussion, les connaissant sans doute personnellement.

— Gallo, Ruben, vous vous en sortez avec la peinture ?

— C’est une vraie plaie ce truc, ils nous ont pas loupé. Tu pourrais venir aider au lieu de regarder.

— Et c’est qui celui là assis sur nos bateaux ?! Qu’il descende de suite

— Pas la peine de t’énerver Gallo, il est avec moi.

— Je m’appelle Itzan Xoaelteño, j’appartiens au clan Ekalt. Mais je suis ici en tant qu’élève de l’école de l’île. C’est juste pour vous préciser que je suis pas un gadjo.

— Ça m’avance pas beaucoup gamin sur le pourquoi t’es perché sur nos bateaux.

— Il m’aide. On enquête avec Manolo et une de ses amies sur les vols dont nous accusent les habitants. On veut prouver que ce n’est pas nous.

— Et bah bon courage, pour la police c’est toujours nous.

— C’est une policière de l’île qui nous ont envoyé avec Lyria pour vous aider. Elle pense aussi que vous n’y êtes pour rien. Mais il nous faut des preuves pour ça. Elle n’a pas forcément le soutien de son unité mais elle fait tout ce qu’elle peut. Alors nous on l’aide. Et puis je suis un gitan moi aussi, je sais ce que ça fait d’être accusé à tort juste à cause de ce qu’on est. C’est important pour moi de vous aider.

— T’es mignon mais tu rêves complet. Même il y aurait une policière pas trop bête, ça ne vaut rien fasse à toute la population.

— Ça c’est le boulot de Manolo et de son amie Rubben. Nous on veut juste discuter avec vous de ce que vous savez.

Engager la discussion avec les deux hommes a été plutôt difficile. Par principe, ils se montrent très hostiles envers les gadjos, les accusant de tout un tas de choses, allant parfois jusqu’à froler la victimisation gratuite. Itzan a beaucoup de mal avec ça. Il sait bien que les gitans sont souvent soumis à des aprioris et discriminations. Il suffit de regarder Lissa pour le voir. Mais en même temps, parfois eux aussi agissent mal et doivent se remettre en question. Un effort que ces deux hommes ne semblent pas du tout prêts à faire. Mais qu’importe ce n’est pas le sujet. Et à force de les travailler au corps, les adolescents finissent par dégager quelque chose.

— N'empêche que pour voler sur la zone du port, il faut avoir un objectif particulier.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Ici, il n’y a pas beaucoup d’habitations. Ce sont plus des entrepôts avec du matériel ou des commerces. On n’est pas sur un petit cambriolage domestique si tu veux mon avis. Ces gens doivent voler pour revendre derrière. En plus la police est complètement idiote, nos bateaux n’utilisent même pas le type de matériel qui disparait, on n’en ferait rien. Tout ça parce qu’on est gitan.

— On a compris Gallo. Mais ça veut dire que tu sais ce qui a été volé.

— Ouais, enfin j’en ai entendu parler. De l’argent dans les commerces, et tout un tas de ferrailles et de pièces de mécaniques en tout genre, plus ou moins sophistiqués pour gros bateaux. Après je n’en sais pas plus, j’évite de trop fouiner pour pas qu’on s’attire des ennuis.

— Merci les gars. On repart faire un tour.

Itzan les remercie également et suite sa guide vers d’autres points clés du réseau de bateau. Les petites discussions s’enchainent et les résultats sont identiques. Beaucoup de méfiance, des récits qui se croisent sur le type de matériel volé, et des moqueries sur ceux qui le font comme quoi ils ne seraient pas bien doués. Le gitan n’a pas creusé plus loin, ayant peur de comprendre l’origine de cette remarque. De toute façon, le soleil décline déjà. Les deux autres ne devraient pas tarder à revenir avec leurs propres informations.

Avec le plus de minutie possible, le gitan retranscrit dans son petit carnet l’ensemble des éléments qu’ils ont appris au cours de ces petites discussions. Malheureusement, les Baliardos ne sont pas les plus loquaces. Les interventions de Kaila ont permis de tout de même arracher des éléments qu’il compose désormais sous forme de schéma d’intervention, comme on lui a appris en cours de spécialité Agent. Pour quelqu’un qui n’y connait rien cela ressemble plus à de l’art contemporain qu’autre chose, mais dans son esprit c’est relativement clair. Il n’aura plus qu’à ajouter les informations récoltées par l’autre binôme et espérer en tirer un angle d’attaque pour demain.

Assis sur le rebord de l’un des bateaux à se demander quand est-ce que les deux autres allaient revenir, hypnotisés par le soleil déclinant, les deux jeunes n’ont pas eu le temps d’émettre milles hypothèses que des voix parviennent à leurs oreilles. Le sourire aux lèvres, le garçon se redresse et se met à courir le long des quais.

— Quand on parle des Lougaroc ! Ça a l’air animé !

Itzan est presque sûr d’avoir entendue son amie appeler Prime avant un plouf, suivi d’un plouf plus gros encore. Et à leur arrivée sur les lieux, c’est un spectacle tout autre qui les attend. Prime a visiblement fait un plongeon dans le port, tout comme Manolo qui est trempé de la tête aux pieds. De toute évidence, il a plongé tête la première pour attraper la boule ronde qui s’était laissée glisser. Sauf qu’il n’est pas en colère, mais plié en deux de rire. Une situation qui déclenche leur propre rire. Comme quoi, Manolo n’est pas si sérieux qui le laisse paraitre.

Kaila a rapidement fait un aller-retour pour récupérer une serviette avant de la jeter du haut du bateau sur Manolo. Son regard surpris à la réception de l’objet s’adoucit vite, commençant dès à présent à se sécher les cheveux.

— Allez remontez à bord avant que Manolo attrape la mort !

**

— Je peux te faire des tresses ?

— Mais ça va pas ou quoi ?! C’est mort !

— Mais allez, t’as des supers cheveux en plus ça serait du gachis

— J’ai dit non me saoule pas

— Moi je veux bien Itzan que tu me fasses des tresses

Ravi, le garçon s’installe juste derrière Kalia, commençant à s’atteler à sa masse très épaisses de cheveux bouclés mais qui va lui laisser le temps de s’amuser. De son côté, Manolo a pris rapidement une douche pour se réchauffer avant de revenir dans le bateau des parents de Kalia. Comme ce matin, ils se retrouvent assis tous ensemble au milieu des coussins colorés. Itzan coiffe doucement Kalia tandis que Manolo et Lyria racontent ce qui leur est arrivé. Malheureusement, leurs informations ne sont pas très aidantes. Il y a beaucoup de xénophobie à l’encontre des gitans, et pleins de personnes pensent automatiquement que des vols sont forcément de leur fait. Mais ils ont chopé un postier qui leur aurait avancé cette hypothèse à cause d’histoire qu’il aurait entendu. Des gens auraient vu des gitans avec du matériel sur le port. Mais en même temps, ils ne peuvent pas les décrire, donc comment peuvent-ils être surs que ce sont des gitans ?

— Pffff ça saoule. Ça rime à rien. On a beau les écouter et essayer d’être sympa, rien à faire, c’est toujours nous.

— Il ne faut pas qu’on baisse les bras. Au moins dans l’histoire, on sait que les vols se sont concentrés sur du matériel sur les ports. Ça nous permettra d’expliquer que ce n’est même pas du matériel que vous utilisez sur vos bateaux. Personne ici n’a de mobil.

— De mobil ?

— Une raison de le faire si tu veux.

Le bleu abandonne quelques instants les cheveux de sa camarade pour compléter ses notes. Sa seule hypothèse pour l’heure n’est pas invalidée par leur propos.

— Moi je pense qu’ils volent pour revendre. C’est du matériel un peu cher qu’ils volent. Ce n’est pas un petit vol de rien du tout. Mais si c’est ça, ça pourrait être un trafic avec du monde, et ça va être encore plus galère.

— Tu penses ?

— On n’a pas assez l’élément pour vérifier pour l’instant. Mais on va bien devoir dire quelque chose à Solaris de toute façon.