Ma main s'arrête. Je ne sais pas pourquoi, je suis pourtant sûre d'avoir voulu frapper une fois de plus.
J'ai une sensation bizarre sur le poignet, comme si quelqu'un l'avait saisi au vol. L'air farouche, je me prépare à envoyer bouler Robin....pour découvrir une cascade de cheveux roux et un visage au sourire lumineux.
''I...Ilea ?''
EN un sens, j'aurais dû me douter que fracasser le mur de son bureau finirait par attirer son attention. Soudain, une série de picotements, suivi d'une vague de chaleur vient envahir mes phalanges, me poussant à me crisper dans mon fauteuil : la douleur s'est faite bien plus intense dans ma main meurtrie et quelques larmes m'échappent.
Je sens confusément que Aurora pousse un couinement plaintif face à mon état, juste avant qu'un mince filet d'eau glacée ne vienne anesthésier un peu la douleur. Pourtant, le visage d'Ilea qui vient de s'imposer à moi, semble englober tout mon champ de vision.
Mes traits se ferment à son apparition, c'est à cause d'elle que je suis là, c'est sa faute si j'ai été obligé de...Non, c'est la tienne, tu ne crois pas ?
Marmonnant une excuse, j'essaye de reprendre un fil de pensées cohérents.
''Je suis arrivé en avance, je pensais que t'étais avec quelqu'un...On peut régler ça vite et...Eh ? EEEEEEEEEEEH !''
Elle vient de saisir les poignées de mon fauteuil. Sans un mot. Juste avec un sourire. Et là, elle m'entraine en direction de la porte ! Commesi j'étais incapable de pousser mes propres roues. Comme une enfant.
D'habitude, elle me demande toujours la permission...Et je la lui donne. Pas de problème si quelqu'un veut me pousser pour que je garde les mains libres, ce serait idiot de refuser. Mais le faire comme ça, sans même me demander mon avis, c'est exactement comme ''elle'' le faisait. Comme si j'avais pas le droit de choisir où je pouvais aller
4J'ai juste envie de hurler pour qu'elle arrête !
Mais lorsque je pivote ma tête vers Ilea, sa réaction vient tout bonnement me couper dans mon élan.
''Attends, tu fais quoi là...Non...NON, LÂCHE-MOI, JE VEUX PAS ! JE VEUX PAS, JE T'AI DIT ! T'AS PAS LE DROIT !''
Elle me..porte. Là, on a touché le fond : je ne suis même plus une enfant que l'on déplace. Juste un objet que l'on trimballe. En réaction à mon cri, Aurora tente bien de s'interposer mais face au doux sourire d'Ilea, la Dofin s'écarte presque instantanément, en me fixant d'un oeil triste.
Je sens des larmes arriver face à cette humiliation mais c'est en serrant les dents que je retiens la vague qui veut m'embarquer.
''Iléa, s'il te plait...Je veux pas...C'est trop...humiliant...''
Je pourrais la frapper. J'ai les bras libres, après tout. Mais rien qu'à cette idée, le visage d'une Mentali s'impose à moi et me coupe toute envie de gesticuler. Alors, à part répéter constamment la même mélopée, je ne peux que me recroqueviller de plus en plus, tandis qu'elle m'amène vers le hamac proche de son bureau.
Une peur panique commence alors à m'envahir. Elle aussi, elle va...
''Tu vas me punir, c'est ça ? C'est à cause de la chambre ?''
D'une petite voix, je tente de trouver une explication, tandis que le hamac se rapproche...une fois là-dedans, impossible de me mouvoir à cause de mes jambes. Je serais totalement immobilisé...vulnérable même. Alors je me roule en boule, en espérant que ça se passe au plus vite.
...C'est chaud. Et doux. Elle vient de s'installer à son tour. Le hamac nous englobe toutes les deux, tandis que je me retrouve allongée tout contre elle. Une sorte de vibration m'envahit alors, avant que je ne comprenne que ce sont ses battements de coeur. Dans un état second, je sens sa main se redressait et me crispe dans l'attente du coup...juste avant qu'une sensation bizarre n'émane de ma tête.
Ilea est en train de...me caresser les cheveux ? C'est une nouvelle forme de punition ? C'est quand même vachement agréable...
Même Edda s'est transformé en coussin improvisé, emprisonnant chaque portion de mon corps dans cet espèce de cocon chaleureux.
Pour la première fois depuis plusieurs jours, je me sens...bien. Je crois ? Mais lorsque mes yeux se ferment un léger cri de terreur m'échappe, alors que je me retrouve de nouveau dans cette cave sombre...Plongée dans l'obscurité, sans la moindre trace de lumière ou de chaleur. Ces ténèbres, je les vois tous les soirs depuis l'incident. Elles m'attendent à chaque fois que je ferme les yeux, toujours à l'affût et prêtent à me saisir.
Alors pourquoi est-ce que quand Ilea reprend la parole, je sens quelque chose qui se brise au fond de moi ?
''Sniff...mais pleurer c'est...''
...mal. Pleure, c'est mal, c'est un fait. Ça m'arrive bien trop souvent, encore plus depuis que je suis arrivé ici. Parce que quand on pleure, ça veut dire qu'on a pas fait assez d'efforts. OU qu'on ne respecte pas ceux que les autres ont fait pour nous.
Alors, faut que je me retienne, faut que...
''OUAAAAAAAAAAAAH !''
Je peux pas. Je peux vraiment pas. J'arrive juste à serrer les poings, à me plaquer contre Ilea, avant d'inonder son chemisier, tout en tremblant de tout mon long. Des torrents de pleurs qui ne semblent jamais trouver de fin. Et une sensation bizarre qui les accompagne : plaquée tout contre Iléa en ce moment, j'arrive à peine à entrapercevoir ses cheveux écarlates au travers de mes yeux embués.
Avec chaque larme, je sens le poids dans ma poitrine qui s'intensifie...jusqu'à ce que les mots soient la seule chose qui puisse m'en libérer entre deux hoquets.
''Ma...m'an ?''
Un seul mot qui suffit pour que je me crispe à nouveau de tout mon long, juste avant que la fourrure d'Edda ne vienne m'engloutir et que mes tremblements diminuent. J'essaye de garder les yeux ouverts, jusqu'à ce que ça devienne trop dur....Mais aucune trace des ténèbres. Comme si une vanne s'ouvrait, les mots continuent de couler sans que je puisse ou ne veuille les arrêter.
Sa main s'est arrêté. Le va et vient dans mes cheveux s'est interrompu. Sans y penser, je tends des doigts tremblants en direction d'Edda pour les noyer dans son pelage, tandis qu’imperceptiblement, ma tête glisse en avant et en arrière pour relancer la sensation. Parce qu'il faut qu'elel continue pour toujours.
''Ilea, tu...faut pas que tu t'en ailles. Jamais. Si tu t'en vas, elles vont revenir et elles vont me prendre. Je peux pas fermer les yeux, j'veux pas retourner dans le noir. C'est quand on a fait quelque chose de grave qu'on doit rester dans le noir. Toute seule. Et si on y reste trop longtemps, alors on disparait.
Mais là, je les vois pas. Alors s'il te plait...T'en va pas.
Je...je voulais pas crier tout à l'heure. ni dans mon message. C'pas vrai que je te déteste, promis juré. J'voulais pas te le dire mais je crois que je t'aime plus que tout le monde sur l'île.
Je ferais tout ce que tu veux, j'peux même rester dans la chambre pendant deux semaines et t'entendras même pas parler de moi mais..T'en va pas, s'il te plait.
J'aurais dû faire attention quand ils m'ont parlé. Ils font du mal à Prime et aux autres et moi, j'ai rien pu faire. Et puis après, j'ai désobéi deux fois mais c'était eux qui avaient commencés.
Je...j'ai fait une bêtise, mais c'était pas ma faute, ok? C'était pas ma faute !''
Le silence retombe. Mais je sens encore ces yeux qui me fixe derrière l'écran. Un mélange de colère, de mépris et surtout de rage absolu face à cette enfant qui défie son autorité. Me recroquevillant davantage, j'ai la surprise de ne pas me sentir plus vulnérable mais juste...plus confortable, entre les bras de l'éducatrice.
''O-o-on peut...rester comme ça...pour toujours ?''