1. Esprit domestique espiègle et malicieux.
Le lieu est laissé à l'abandon. La végétation y est dense et peu accueillante pour les visiteurs du jour, qui essaient tant bien que mal de se frayer un chemin à travers les épines. Constance ne comprend pas ce qu'ils font là. Sa jumelle l'a bien prévenue que le Collectionneur était étrange, mais de toute évidence personne ne vit ici. Leur guide a dû se tromper. C'est sûr. Pourtant, il faut bien continuer, ne pas ralentir le groupe, ne pas se faire remarquer. Elle sent des yeux qui l'observent, la jaugent. Difficile de dire si ce sont ceux des élèves qui l'accompagne, ceux des Pokémons sauvages qui leur rôdent autour, ou bien son imagination qui lui joue des tours.
Mais peut-être ne sont ils pas si sauvages que ça, ces Pokémons qui les accompagnent. Peut-être appartiennent-ils au Collectionneur. Charlie a refusé de lui en faire une description sous l'excuse de ne pas vouloir gâcher la surprise, et Constance, qui déteste les surprises, a passé beaucoup trop de temps à essayer de lui tirer les Aspicots du nez. Au final sa moitié a juste avoué ne pas trop se souvenir de son apparence, elle était beaucoup trop excitée par l'idée d'avoir son premier Pokémon pour retenir le visage de celui qui lui a donné. Ne pas avoir plus d'informations que ça angoisse un peu plus la nouvelle élève.
Une main tremblante dans sa poche elle hésite à appeler Charlie.
2. Charme mystérieux et ineffable.
Dans un coin, comme oublié, se trouve un préfabriqué. Lui non plus n'a pas été épargné par la végétation, si sa porte n'avait pas été d'un blanc immaculé le groupe serait sûrement passé sans le voir. Leur guide toque à la porte, Constance retire la main de sa poche. Les yeux vissés sur l'embrasure qui vient de se créer, elle profite des quelques secondes de conversation entre les deux adultes pour se concentrer sur l'apparence du Collectionneur. Du peu qu'elle en voit, il n'a pas l'air très impressionnant. Les cheveux décoiffés, des cernes sous les yeux et de toute évidence ayant oublié qu'il allait avoir de la visite ; tout ce que maman déteste. Pourtant, il pique la curiosité de la petite fille. Leur guide lui parle avec respect malgré son apparence, et pour la Passelunes qui a été élevée en apprenant que seules les apparences comptaient pour être prise au sérieux, c'est une observation intrigante. Presque agaçante.
Le premier élève est appelé et, au bout de quelques minutes, Constance se rend compte qu'ils passent par ordre alphabétique. Certains passent plus de temps que d'autres dans le préfabriqué et la plupart des élèves se sont déjà préparés à prendre leur mal en patience, assis en petits groupes disséminés dans le hangar ils commencent à faire connaissance. Dans sa robe bleue claire, Constance les observe mais ne les rejoint pas. Déjà parce qu'elle ne veut pas tacher sa robe en s'asseyant dans l'herbe, mais aussi parce qu'en restant éloignée elle peut moins se faire remarquer tandis qu'elle commence à les dessiner. Ses mains ne tremblent plus une fois qu'elle a un crayon entre ses doigts, toute son angoisse fait place à une concentration intense qui frôle l'obsession. Après que son nom soit appelé pour la quatrième fois, elle sort de sa transe et range son carnet, ne faisant pas attention aux regards de certains élèves qui la regardent passer, curieux.
Une main sur la poignée blanche elle n'hésite pas avant d'entrer.
3. Le pouvoir qu'à l'art d'émouvoir profondément une personne.
Des étagères remplies de Pokéballs, un bureau recouvert de documents dans le chaos le plus total, sur ce même bureau un ordinateur qui l'invite à inscrire son nom. Caché derrière l'ordinateur et ses papiers le Collectionneur est à peine visible, ce sont ses marmonnements qui permettent de savoir qu'il est bien là, vivant. Constance reste bloquée à l'entrée, la porte s'est refermée derrière elle mais elle refuse de faire un seul pas dans cette pagaille. Blanche comme un linge elle pense à toutes les bactéries qui doivent proliférer dans le préfabriqué, elle les sent monter sur ses jambes, des sueurs froides font leur chemin dans son cou. Il faut au Collectionneur quelques minutes pour se rendre compte qu'une élève est entrée et n'a depuis pas fait un pas de plus. Relevant la tête il cligne des yeux en voyant Constance plaquée dos à la porte.
«
Eh bien il ne faut pas avoir aussi peur ! Je ne mords pas ! Même si, tu sais, certains Pokémons mordent leurs dresseurs pour leur montrer leur amour. Étrange n'est-ce pas ? »
Il espère peut-être une réponse, mais Constance n'a aucune réaction autre que le fixer dans les yeux.
«
Je vois... Tu... Tu ne comptes pas avancer plus que ça ? C'est pas si grave ! Je peux cliquer pour toi ! »
La muette ouvre son sac pour en sortir une tablette, elle pensait pouvoir parler aujourd'hui pour le test au moins, mais comme d'habitude sa gorge refuse de sortir le moindre son.
«
Bien ! Nom et Prénom ? Âge ? Parfait, maintenant la partie plus compliquée ! »
Les questions s'enchaînent et se ressemblent. La meilleure défense est la fuite. Ses dernières vacances ont été passées à la campagne. Elle n'a pas de Pokémon légendaire préféré. La qualité qui lui correspond le mieux dans les choix donnés est Patiente. Sa boisson préférée est le thé. Que des questions qui n'ont aucun rapport les unes avec les autres et auxquelles Constance a déjà répondu des centaines de fois à cause de ses petits sœurs qui adorent ce genre de tests. Certaines sont un peu plus compliquées, et l'obligent à réfléchir. Elle choisit de pardonner au lieu d'oublier. Son impact est sur le monde, et pas sur elle-même. Le titre de livre qui l'inspire le plus sans l'avoir lu est « Stranger in a strange land ». Elle prend le chemin le moins fréquenté.
«
La dernière question. Est-ce que tu as menti en répondant à ce test ? Il n'y a pas de mauvaise réponse ne t'inquiètes pas. »
Dans le test trois réponses possibles s'affichent. Oui. Non. Je ne sais pas. Constance se dit que c'est étrange, ce troisième choix. Comment quelqu'un ne peut pas savoir si il a menti ou pas ? Pourtant, elle se met à douter. Repasse les questions dans sa tête, ses réponses. Non, c'est sûr, pas de mensonges. Elle bouge sa tête de gauche à droite. Le Collectionneur frappe dans ses mains l'air ravi.
«
Par-fait ! J'ai le Pokémon idéal pour toi ! »
Sans attendre que l'écran lui affiche son résultat, le Collectionneur attrape une Pokéball et la tend vers Constance. Celle-ci attrape un mouchoir en tissu dans son sac et le remercie d'un simple hochement de tête, d'un fin sourire.
Une main ouverte, couverte d'un tissu immaculé, reçoit la sphère rouge et blanche.