Levée, rincée, fraîche.
J’étais debout au centre de ma chambre, occupée à détendre mes muscles en m’étirant. J’observais d’un œil distrait le monticule de livres, de carnets et de stylos entassés sur mon bureau. Un nombre conséquent de photos polaroïd dépassaient des piles de documents. J’avais échangé mon appareil contre sa version au développement immédiat. Il me fallait de l’instantané quand j’entreprenais une étude quel qu’elle soit. Mes trop nombreux clichés ratés et explorations devenus inexploitables me l’avaient trop bien fait comprendre.
Icare, la jeune Scalpion, était accoudée près de la fenêtre où elle était tombée lorsqu’elle était encore dans l’œuf, de sa lame gauche elle tapait le carreau avec une étrange régularité. Un pincement amer dans ma poitrine me fit détourner le regard, déjà plus d’une semaine que la fille de fer ne semblait pas prendre pied dans la réalité, elle était perdue dans les abysses d’un autre monde d’où la sortir de façon volontaire semblait presque impossible. Les autres avaient profité de l’heure matinale pour continuer à se reposer à l’exception de Callie qui était partie terroriser quelque Chenipan et peut-être – qui sait – déjeuner en compagnie de Potiron.
Sur mon lit, il y avait deux chaussettes dépareillées. Ce n’étaient pas les miennes. J’avais eu le malheur de croiser la route de l’enfant la plus infernale et malicieuse de l’univers. Elle dormait au dortoir, autant dire que j’avais à présent l’infortune de la voir si régulièrement que ça m’en donnait des boutons. Cette gamine répondait au nom d’Avril – à condition qu’on considère que cela soit un nom – et avait une crinière rose si imposante que c’était un miracle qu’elle arriva à tenir sa tête droite. Elle réunissait dans son corps menue et bien proportionnée de fille richissime tout ce qui m’horripilait. Coquette, abusive, extravagante, mordante, ignorante… des défauts qui m’avaient conduit à commettre un acte répréhensible : le vol. J’avais déjà eu l’occasion de m’apercevoir que je n’étais pas très à l’aise dans la peau d’une roublarde et que j’avais rapidement tendance à me liquéfier sur place. J’avais donc opté pour un larcin de petite envergure : des chaussettes. Je crois que le plus déconcertant était que j’éprouvais un plaisir sincère à imaginer ma Némésis en train de chercher en vain sa chaussette manquante.
Bip sonore. Je bondissais sur l’Ipok. Un Pichu informatisé y exécuta une danse avant de me remettre une lettre qui s’ouvrit dans un « flop » feutré. Interpellée mes yeux en déchiffrèrent avidement le contenu :« OBJET : Mission
Bonjour, bonjour !
Je serai bien venue vous l’annoncer en personne mais je suis sur le point de faire une formidable découverte culinaire (au cours de laquelle j’ai malheureusement entaillé la main d’un élève). Je vous ai choisie pour aider un jeune couple à déménager, une expérience passionnante qui vous servira toute votre vie (croyez moi j’ai perdu mon petit ami en lui faisant tomber la gazinière sur le pied ça avait vraiment l’air douloureux !). Si ils ont micro-onde, faites donc un emprunt longue durée, celui de l’académie vient juste de rendre l’âme j’avais oublié d’enlever l’aluminium du plat, une chance que je n’ai pas fait exploser l’établissement, hein ? J’ai demandé qu’un élève masculin ou une Pyroli vous accompagne, vous aurez sans doute besoin d’un peu de virilité pour venir à bout de votre mission ! Je crois que c’est tout, bonne chance les filles, faites honneur au dortoir !
Votre référente préférée, Melty.
PS : Ah Needles, me conseille de vous donner l’adresse des tourtereaux. Ils habitent le 15 avenue du Galifeu borgne au septième étage. »
Voilà qui modifiait toutes mes prévisions. J’oscillais entre la fierté ridicule d’être choisie par ma référente pour une mission et le côté corvée de second rang en quoi consistait cette dernière. Mademoiselle Potts n’avait apparemment rien perdu de sa faculté à provoquer des cataclysmes par son seul toucher ce qui en un sens était rassurant. Il me fallait dès à présent un sac puisque nous n’avions pas d’horaire, seulement la consigne d’avoir terminé dans la journée. J’avais déjà déménagé une fois, seulement ma génitrice et moi étions alors les clientes, autant dire qu’à part m’accrocher aux meubles et dévisager les déménageurs en montrant les dents je n’avais strictement rien fait lors de cette première expérience. C’est en pensant à cela que j’attrapais mon sac et y rangeais une bouteille d’eau, l’ipok, le polaroid, mes carnets, mes crayons… Stop ! Je ne partais sur l’île d’Enigma cette fois – et c’était bien dommage. Je ressortais mon précieux matériel avec une moue de dépit comme un enfant qu’on prive de sa sucette. Tout en fouillant ma chambre en quête d’objets qui puissent être véritablement utiles à ma « quête » je pensais au courriel de Melty. Elle semblait s’adresser à plusieurs personnes, peut-être Catherine était de la partie, revoir la demoiselle m’aurait bien plu. Quelques mois où chacune avait été plongée dans sa spécialisation nous avaient éloignées.Il pouvait aussi s’agir de Lynn, la vedette de début d’année. Quoique, avec son fauteuil elle ne risquait pas de servir à grand-chose. Il n’y avait aucune chance qu’il puisse s’agir d’Avril à mon grand bonheur. J’étais persuadée qu’une personne si arrogante dissuader même les professeurs de lui demander de mettre la main à la pâte.
J’avais finalement complété mon bagage dont je glissais la bandoulière sur mon épaule. Je regardais mes compagnons. Bel qui était sensible à l’agitation s’était levé et me scrutais son expression plissée par un questionnement muet. Thor et Verseau ronflaient allégrement, l’un prenait un malin plaisir à feindre le sommeil et l’autre était totalement insensible à ce qui se tramait. Edward me surveillait de ses grands yeux écarlates, ce regard avait été crispant les premières semaines de notre cohabitation et m’indifférait désormais. Quant à Prince, il était perché sur une poutre, malade d’être enfermé. Je fronçais les sourcils. La créature indigo dépérissait à mesure que sa captivité se prolonger. L’idée de le relâcher était un poison douloureux qui s’insinuait lentement en moi.
Je décidais pourtant de l’emmener, lui et Bel, pour cette mission. Je sautais le petit-déjeuner du réfectoire et planquais plutôt une dizaine de muffins au goût Pécha et Sitrus dans mon sac. Nous nous rendions à l’arrêt de bus de l’académie et en attendant le car, j’expliquais à l’Héricendre et au Baudrive la tâche que l’on nous avait confiée. Le rongeur de feu parut ravi d’apprendre que cela ne comportait aucun véritable danger et qu’il allait probablement se rouler dans la pelouse des clients toute la journée. L’académie devait tout de même être dans le besoin pour accepter ce genre de demande, enfin. Le petit Prince m’écouta à peine, il jouait à imiter l’ascenseur en montant et descendant sur place. Son comportement m’inspirait et je rangeais cette idée d’ascenseur dans un coin de ma tête. Le trajet fut horrible. Il y avait un soleil d’enfer et chaque être vivant transpiré tout son saoul faisant planait l’effluve de l’effort partout dans l’habitacle. Je sortais en titubant aux prises avec de violentes nausées. Je n’avais pas fait attention à si l’un de mes co-équipier faisait partie du voyage. Je les verrais bien une fois sur place. J’arrivais au quinze de l'avenue du Galifeu borgne et ravalais ma salive en voyant que le bâtiment était si étroit que ma très légère claustrophobie allait être mise à rude épreuve. Pas si hardie que ça, je décidais d’attendre les deux autres avant de sonner.
C’était un brun. Il fut d’abord un simple point grossissant que le soleil rendait éblouissant, puis il devint étrangement familier jusqu’à être tout à fait identifiable : Noctis Flavelle. Un garçon à la dégaine tranquille et aux yeux ambre absorbés dont j’avais fait la connaissance au cours d’un traumatisant cours de plongée. Sa vue me hérissa ravivant des souvenirs indésirables de cage de glace et de Shaperdo aux crocs étincelants dans les fonds marins. Ca remuait mes peurs précaires et j’oubliais l’approche imminente de ce partenaire. Aussi-sursautais-je au son de sa voix grave. La dernière fois que je l’avais vu il était en caleçon, et, soyons sincères, il en imposait moins dans sa tenue de tous les jours. Faire équipe ? Oui, bien sûr la mission. J’haussais un sourcil, je ne m’attendais pas vraiment à ce que les renforts musclés prédits par Potts se résume à un scientifique un peu maigrichon. Ne confondons pas tout hein. J’admirais l’esprit discipliné et riche du Phyllali seulement je ne le trouvais pas tailler pour un déménagement. Dans un geste machinal je repassais une mèche de cheveux derrières mon oreille. Bel me manquait, il s’était caché dans sa ball en découvrant que le bus était l’enfer sur Terre et n’en était pas ressorti depuis. La chaleur tiède qu'il irradiait n'était pas là pour me mettre en confiance. Je me forçais cependant à prendre un ton décontracté pour répondre à mon équipier.« De même. On entre ? »
Mes phrases avaient la fâcheuse tendance d’être raccourcies quand je n’étais pas en pleine possession de mes moyens. Il n’avait pas l’air très dangereux ce chercheur en herbe pourtant, il devait même avoir des choses passionnantes à raconter, seulement ma gorge restait obstruée. Peut-être était-ce l’odeur des pots d’échappement qui polluaient mes idées ? Je gardais l'espoir que cette réserve farouche disparaîtrait dans les prochaines minutes. Crinière rose, voix outrageusement féminine, une approche si directe et décomplexée, j’aurais pu nier mais j'aurais perdu mon temps. Avril Asplin la dernière miss que je m’attendais à trouver ici, et bien, si trouvait bel et bien. C’était comme imaginer Jackie au milieu d’un salon de maquillage. L'Asplin était tout simplement trop coquette et frivole pour ce genre de travaux dans mon esprit. Elle aurait pu être la cliente qu’elle n’aurait pas agi différemment. Elle suintait une assurance chaleureuse que je lui enviais, sa démarche de vrai citadine me laissais pantoise moi qui n'avait cette aisance que perché dans un arbre ou suspendue au-dessus d'une Fermitière. Je ne pus m’empêcher de regarder ces pieds au cas où ses chaussettes auraient pu ne pas être assorties. Les bottes de la jeune femme gardaient le suspens entier. La déception que suscita se constat me fit honte. Allons, je valais mieux que ces ridicules crêpages de chignons que lesquels je ne passais pas un jour sans mépriser. D’autant qu’Avril ne m’avait même pas calculée. De son index impérial, elle avait simplement fait ouvrir le passage un sourire colgate plaqué sur ses lippes.
N’empêche, pas un seul regard. Elle ne me voyait même pas comme une menace, peut-être ne savait-elle même pas que nous étions du même dortoir. Mes bras s’étaient naturellement croisés et j’avais adopté une expression pincée : j’étais vexée. C’était un sentiment si vilain, si enfantin d'être vexée, que ça m’aurait fait mal de l’admettre. Quand semblant s’apercevoir que l’immeuble ne possédait pas d’ascenseur la rose gémit avec inquiétude, je roulais des yeux. J’adressais à Noctis un regard catégorique c’est elle ou moi.. Sa situation n'avait rien de plaisant mais j'étais encore pleine d'amertume à l'égard de ce petit de fille parfaite logée et nourrie au grain depuis sa plus tendre enfance. Depuis le pas de la porte je faisais un petit signe à la trop ravissante jeune femme. Il faut dire que dans la salopette noire qu’une Mentali m’avait abandonnée après avoir trop abusé des amuse-gueules de notre référente, je ne devais pas être au top.« Les escaliers sinueux ce n’est pas franchement ma tasse de thé… Avril c’est ça ? Je prends la voie des airs. »
Je faisais sortir Prince de sa ball, le Baudrive en jaillit dans un fredonnement joyeux. Je lui pointais le septième balcon du doigt et docilement le ballon indigo entoura ma taille et commença à s’élever. Je découvrais pour la toute première fois le délice du vol. Le corps de Noctis que j’avais vu grossir à l’horizon, diminuait maintenant à vitesse grand V. Les petites pattes jaunes du Baudrive me soulevaient avec une facilité déconcertante. J’avais eu peur d’être trop lourde… L’attaque Stockage ? Mes pieds se posèrent sur les dalles du balcon. Prince desserra son étreint et mon cœur dansa, happé par la peur de tomber. Nous étions drôlement hauts, la vue vertigineuse offerte fit monter d’exquis frissons dans mon échine. Une femme ouvrit alors en grand la porte vitrée du balcon. Elle était vêtue de vert, avait d’immenses lunettes jaunes, ses chaussettes étaient blanches rayé de bleu et un chignon sauvage de mèches orange carotte encadrait son visage épanoui. L’inconnue avait les bras chargés de sac sur lesquels des marques coûteuses étaient inscrites et ne semblait pas le moins du monde offusquée par mon arrivée imhabituelle. La babysitter ? pensais-je. Mais en vérité, j’étais tétanisée de peur, incapable de savoir si cette extravagance était le symptôme de problèmes plus graves ou une façon de se faire remarquer. Inconsciente de la frousse qu’elle me flanquait, la rousse se pencha par-dessus le balcon –je cru d’ailleurs qu’elle allait sans jeter.« Coucou mes petits Choux ! C’est Marion ! Mais appelez-moi Mama et rions-en ! C’est moi la future ex-locataire ! Génial votre montgolfière portative, Cédric n’en peut plus de démonter les meubles Ikémon, il est en train de perdre toutes les pièces hihihihihi. C’est pour ça que je suis allée faire un peu de shopping d’ailleurs et… Oh mince ! Mais montez, montez ! Je vous attends ! »
Et la tornade repartie. Je restais quelques secondes éberluée, incapable de la suivre avant de me m’appuyer à mon tour à la balustrade. Je criais d’une voix un peu faiblarde :« Oui, faites comme elle a dit, montaient. Je… je vais essayer d’évaluer l’ampleur de… du déménagement. »
Cela ne me ressemblait guère de buter sur tous mes mots comme une collégienne introvertie. Prince le remarqua et il tapota mon épaule, geste pour lequel je le foudroyais automatiquement de mes yeux gris. Je ne voulais de la pitié de personne, surtout pas de ems sujets. J’entrais timidement dans l’appartement exigu de « Mama ». Je n’avais pas fait trois pas dans le désordre sans nom qui régnait de cartons encore ouverts et de meubles à moitié démontés, que la joyeuse rouquine surgit d’un tas de cartons qui portaient tous l’inscription « pour mon futur petit sucre d’orge ». Son sourire éblouissant brandit telle une arme de charme à laquelle je devais être réfractaire.« C’est minuscule, n’est-ce pas mon choux ? Heureusement grâce à la promotion de Cédric nous allons enfin pouvoir vivre tous les trois dans une vraie maison.
_Tous les trois ? Vous avez…
_Oui ! Il est adorable ! Et puis très propre pour son âge ! Attends je vais te le montrer, il est un peu timide tu comprends… Mon petit Sucre d’Orge ? Viens voir maman, allez ! »
J'étais en train de me liquéfier sur place. Cette femme avait donc une enfant ? J'avais longtemps cru que j'avais l'enfance la plus étrange qui soit. Ce titre risquait d'être remis en question si mes doutes se confirmaient. Un miaulement interrogatif résonna du tas de cartons d'où était sorti notre cliente.
Un corps grassouillet de félin s’étira de l’ombre des cartons. La courte fourrure grise de ce dernier et ses yeux ambre que je devinais bouffis par le sentiment de possession de puissance d'être ici chez lui, comme un monarque absolu. Le pauvre matou. S’il avait su que d’ici quelques heures il serait trimballé à bord d’une voiture plein à craquer et puante au milieu de la forêt sauvage loin de son cocon urbain. Il n’aurait pas abordé une mine si supérieure. Je m’interrogeais un peu sur ses conditions de vie. Il devait s'anesthésié dans la morne opulence des Chaglam d’appartement au vue du l’amoncellement de cube portant son nom. Le pas sûr et ferme de Noctis résonna sur le parquet, suivi de près par le claquement désuet des talons de la troisième missionée. Elle ne s’était donc pas coltinée les escaliers ? Quel dommage… Un pincement de jalousie pour la moue frivole de son visage à la peau de Lippouti et son timbre féminin. Je me sentais bien sotte à côté de cette adorable poupée qui slalomait entre le désordre avec l’expression d’outrage courtoise des filles de bonne famille. Le contact avec la gérante… atypique ce fit d’ailleurs rapidement, les deux semblaient parlaient la même langue et là où je me retrouvais aspergée de « mon petit choux », Avril suscitait l’intérêt et capté sans difficulté l’attention de notre cliente.
La voix logique et rassurante de notre scientifique était un peu passé à la trappe avec la comédie de la rose. Le brun était pourtant loin d'être absurde. Au contraire, sa façon carrée d’imaginer la suite du déménagement me plaisait, je trouvais cela plus simple, bien que je ne possédai pas vraiment les Pokémons adéquats. En proie à un dangereux sentiment d’inutilité, je me raclais la gorge. La meilleure défense c'est l'attaque avait dit un bel imbécile.« Si tu ne voulais pas te salir les mains, il ne fallait pas venir. L'intitulé du message c'est "mission" pas "visite immobilière". »
Je ponctuais ma remarque d’un coup d’œil sombre à l’égard de la concernée. Je n’avais pas envie d’être de son côté. Elle réunissait trop de travers que je trouvais déplorables et une éducation que je rechignais à admettre supérieure à la mienne. Imaginer la taille de sa bibliothèque ou les diplômes de ses professeurs particuliers étaient un supplice trop important pour que je veuille simplement faire semblant d’aller dans son sens. Il n'était même pas question de justesse ou de raison, simplement d'ego froissé. Au lieu de cela je tentais de prendre la partie de Noctis en évitant soigneusement le regard troublant de la rousse hyperactive.« Je n’ai que Prince en soutien aérien, mais vu l’avancement du déménagement, l’idéal serait peut-être de commencer par fermer tous les cartons. Marion, appelleriez-vous votre mari ?
_ Bien sûr mes bichons ! Ensuite j’appellerais le service Tarsal ! Bande de petits malins, vous avez réussi à diviser votre charge de travail par deux avec ça ! »
Elle appuya son commentaire d’un clin d’œil et appela littéralement son âme sœur. J’entends par là que c’est bien un smartphone jaune poussin qu’elle avait plaqué sur son oreille pour exprimer de sa voix un tantinet nasillarde à la fois l’amour débordant que lui inspirait son « Cédricounet » et la nécessité qu’il délaisse le meuble de salle de bain pour « les petits jeunes venus en renfort ». Sans m’en apercevoir je finissais par taper du pied distraitement, je crois qu’attendre avec mes camarades m’intimidait. Je n’avais rien à leur dire et pourtant l’horrible sentiment qu’il fallait leur dire des choses m’aiguillonnait avec sadisme. Exaspérer par moi-même je finissais par couler un regard d’excuse au Phyllali, quelques mots d’Avril avaient un peu remis en cause son initiative de départ. Un petit cri joyeux de la part de la rouquine me fit sursauter et après… Après je déglutissais. Tout droit sorti d’un défilé de lingerie masculin RococoChacripan, un homme en pantacourt saillant - et Arceus, c'était bien la première fois que je trouvais un pantacourt saillant - et le torse découvert par l'effort, une canette de soda à la main apparut dans l’angle d’une porte. Il rapassa un t-shirt avec pudeur, ce qui était à la fois décevant et lui ajoutais un plus de charme. En voyant sa tendre son visage parut s’éclairait bien que son regard resta un instant rivé sur les multiples sacs de marque de cette dernière. Je continuais ma dégustation visuelle de perverse inassumée. Il était brun, d’un brun très sombre et épais qui soulignait ses yeux tous aussi sombre et sa peau mate. Il embrassa Marion et nous sourit.« Tu es tenue de consulter les prix avant de t’offrir les services d’une telle agence, mon cœur, d’accord ? Enchanté mesdemoiselles, jeune homme, et merci d’être arrivé si vite. »
Il ne nous claqua pas la bise à mon plus grand désarroi –je n’étais pas friande des contacts humains mais je crois bien que j’aurais fait une exception pour lui - et nous expliqua simplement où en était le déménagement. Il avait loué une charrue sur la recommandation de l’académie. Cette remarque me dit hausser un sourcil, était-ce une bonne pensée de nos professeurs qui voulaient sans doute que nous utilisions nos partenaires pour accomplir notre tâche ou bien une façon peu distingué de se moquer du travail « de bêtes » qui nous était confié ? Plongée dans ma réflexion, je perdais le fil des paroles du mannequin. De toute façon, j’aurais eu du mal à me concentrer avec les tablettes que j’avais en face de moi. Je n’étais qu’une pauvre adolescente assassinée par ses propres hormones au final. Ce statut de victime avait quelque chose de déculpabilisant, aussi je m’autorisais un sourire docile quand il nous demanda si tout était clair.
A peine Cédric fut sorti de la pièce pour rejoindre la rousse en pleine conversation téléphonique que je sortais Bel de sa Pokéball. Le Héricendre s’ébroua joyeusement et quelques flammèches léchèrent les cartons manquant de transformer l’ex-logement en brasier. J’attrapais le rongeur dans mes bras et sollicitais mes compagnons du regard :« Il a dit que nous devions faire quoi exactement ? »
Je me sentais stupide de ne pas avoir écoutée, un sentiment nouveau est tout à fait exécrable bien que j’en fus entièrement responsable. Aussi, j’espérais que mes compatriotes n’insisteraient pas trop sur ce moment d’égarement.
J’aurais voulu entrevoir autre chose qu’un mépris blasé et une indifférence. C’était un sentiment bien particulier que le rejet de vos semblables. C’était tellement plus facile d’être auteure de ce dédain hautain plein de suffisance que d’en être victime. Je revalais un peu de ma salive, peu habituée à ce genre d’humiliation publique. Il me revenait les raisons de mon écartement social, ma haine sauvage pour tout ce qui touché à leurs formules dégoulinantes et leur amour libidineux. Moi qui ne croyait qu’en l’odeur boisé de mes jardins et au parfum de mystère que recelait chacune de mes découvertes. Je laissais Prince se faire entraîner comme un vulgaire larbin sous la dictature de Noctis. Ce ballon à qui j’avais offert un titre de plus royal se laissait subjuguer par la vue de l’immense baleine violette qui lui servait d’aînée. Il regardait avec l’admiration béate des jeunes cette ombre indigo et mouvante qui riait dans le ciel.
Notre cliente reparut dans le tourbillon joyeux qui semblait caractérisé ses entrés, elle semblait ravi et nous annonça sans préambule que les Tarsals pourraient bels et bien nous soulager d’une partie de notre charge de travail. Je la remercier du regard, ce qu’elle ne dut pas trop remarquer mais ça n’avait pas grande importance. Le Flavelle nous avait abandonné à un tas de cartons ouverts plus volumineux que l’appartement lui-même et la demoiselle aux allures chics n’était pas disposée à ouvrir le dialogue. Je me repliais dans ce que je faisais de mieux : l’analyse. C’était comme un jeu de tetris version déménagement. Je tirais à moi un bac cartonné à moitié remplis et essayer de visualiser la surface qu’on pouvait encore encombrée de quelques objets. Il fallait alors fouiller les coins de la pièce où traîner souvent un jouet de « Susucre » ou un vase ancestrale – ma délicatesse laissait par contre à désirer et je pense qu’une activité puzzle s’imposerait une fois le déballage entamer, heureusement nous ne serions alors plus là. Je n’avais ensuite plus qu’à encastrer le mobilier dans le carton empaqueté le tout avec une bonne dose de scotch et le tour était joué.
Belzébuth m’aidait. Trottinant d’un bout à l’autre de la demeure pour récupérer les objets dont j’avais besoin. Le pauvre rongeur était malmené par le chat rondouillard de la proprio. Sa nature pacifique l’empêchait de carboniser le matou de suite mais pas de doute que l’agacement monté. Une nuée de petites silhouettes blanchâtres casquées de vert vinrent à la rescousse embarquant avec elle une quantité suffisante pour que l’on puisse de nouveau respirer. Etrangement je me sentais bien mieux une fois la pièce principale à moitié vidée, l’étroitesse des lieux étaient peut-être finalement la seule origine de mon malaise. J’essayais – juste pour voir – d’adresser un sourire à la rose. Elle était tout à son labeur, le visage plus fermé que Roseverte à la perspective de faire cours, épaulé par une créature bleu aux longues pattes raffinées. Je faillis m’arrêter, fascinée par les enjambements agiles de la fragile créature aqueuse, Noctis intervint à peu près à ce moment-là. Lui non plus n’avait pas l’air franchement heureux, je me demandais où était passé son esprit passionné de scientifique. N’était-il qu’un froid calculateur ? Gouverné par la néant de ces calculs, insensible à la beauté de tout ce qu’il étudiait ?
Mes questionnements prirent fins quand Avril fit claquer des portes et qu’on entendit des éclats de voix de la part du petit couple parfait. Leur histoire n’était pas si idyllique que ça finalement. Cela ne nous regardait pas, après tout nous n’étions qu’une équipe de service. Un rouage dans l’engrenage. Notre rôle était moindre, ça touchait une corde sensible chez moi. J’aimais être actrice de ma vie pas spectatrice de celle des autres. Descendre les escaliers fut une torture que mes compatriotes ignorèrent – fort heureusement. Tout y était poisseux et une odeur d’urine vous y prenez à la gorge, les marches se succédaient en colimaçon sans que l’on en vit simplement la fin. Je me concentrais sur la respiration du Héricendre tassé au creux de mes bras pour faire abstraction et parvenais au rez-de-chaussée un peu pâle. Ils n’avaient pas perdus de temps les deux autres. A croire que le soleil qui tapait leur insufflait l’énergie nécessaire, à moins que ça ne soit le désir d’en finir au plus vite. La charrue était bien attelée mais je ne me voyais pas y prendre place. Le mastodonte était déjà chargée comme un Frison de traie, une reine se doit d’exiger de ses sujets seulement ce qu’ils sont capables de lui donner. Nous débutions notre trajet dans un silence inconvenant, l’Asplin était postée de l’autre côté de Rin. J’aurais pu me contentais d’observais le relief de l’armure de granit de l’imposant animal mais je faisais le choix de m’ouvrir un peu.« Et donc… Tu es coordinatrice ? »
Je n’en savais trop rien. Ce n’était qu’une supposition, une question pour tromper le temps et désamorcer l’hostilité que j’avais instaurée moi-même. La présence du hérisson de flammes près de moi y était pour beaucoup. Il agissait comme un baume sur mon agressivité, bridait mes manières farouches et faisait ressortir ce qu’il y avait de plus accueillant chez moi – et pourtant il n’y avait pas grand-chose. On traversa la ville sans encombre, il y avait tout un tas de bambins qui se collaient aux fenêtres ou s’approcher captiver par l’étrange attelage que nous formions. C’est vrai que vu sous cet angle notre déménagement devait paraître un peu préhistorique. A mesure que nous avancions, le chemin devenait plus sableux, les panneaux disparaissaient et c’est à peine si nous croisions un promeneur de temps à autre. Je suis à grosses gouttes de façon tout à fait répugnante. Le sentiment d’être un vulgaire ouvrier qu’on faisait transpirer me remplissait d’indignation malgré ce que j’avais pu dire face à April. Un bruit de clochettes me fit tendre l’oreille. Mes sourcils se froncèrent presque aussitôt, une famille de cycliste s’arrêta net face à nous. La collision fut évitée à un poil de Caninos et ma peau se hérissa. Le patriarche, un vieil homme au faciès rougi par l’effort, commença à brailler que nous n’avions rien à faire ici et l’accablante chaleur aidant je rétorquais avec acidité.« Nous avons été contacté pour déménagement, nous sommes donc parfaitement en droit d’être ici. Veuillez-vous écartez. »
Ma voix était grondante, mais mon misérable gabarie ne fit pas sourcillé cet animal qu’un puissant sentiment de supériorité virile devait probablement gonfler d’orgueil. Je n’avais pas bien conscience des conventions dans ce genre de situation, je ne voyais qu’un défectueux produit de notre société qui s’entêtait à se croire supérieur. A ces vociférations négatives, je renchérissais avec froideur.« Vous êtes ridicule monsieur. Ecartez-vous. »
La famille s’était scindée en deux. La partie pensante qui s’était gentiment écartée après avoir compris que l’événement ne méritait pas qu’on se prenne la tête plus longtemps, et l’autre – mineure heureusement – où le ton monté. Chacun émulant l’autre avec des arguments ridicules autour de notre jeune âge et de leur grande expérience.
L’imbécile. Mon nez se fronça et j’approuvais en silence le bruit du talon pointu s’enfonçant dans les baskets légères du vieillard. Je murmurais un ordre à Bel et ce dernier bondit de mes bras pour faire naître un immense nuage sombre et opaque. J’entendais des cris d’enfants dans la fumée et profitais de la confusion pour attraper l’avant-bras de ma partenaire. Les cendres entraient dans ma gorge jusqu’à me faire tousser et j’avais les yeux qui me piquer mais j’e devinais que c’était encore la solution la plus efficace pour se débarrasser des gêneurs. Il n’aurait pas fallu ternir la réputation de l’académie. Avril était légère, peut-être maigre comme moi. Toujours est-il que je parvenais à la soulever jusque sur la charrette – en transpirant un peu je l’avoue.
J’attrapais l’une des grandes écailles rocheuses de la bête de traie et faisait claquer ma langue pour l’encourager à se hâter. L’animal ne semblait pas forcément ravi de se voir dicter sa conduite par un autre que son dresseur mais il accepta quand même d’accélérer la cadence et au bout de plusieurs minutes nous fumes hors du brouillard. Je félicitais Bel du regard, le hérisson en parut ravi et pépia joyeusement. J’adressais à la rose que j’avais – presque – involontairement fait chahuter par la course trébuchante du Rhinocorne, un sourire contrit.« L’avantage c’est que nous sommes loin de ces enquiquineurs maintenant, n’est-ce pas ? »
J’attendais qu’elle descende de son perchoir et j’ajoutais sur un ton plus rieur.
« Jolies bottes. »
Je ne m’y connaissais pas du tout en bottes, tant qu’elles ne m’empêchaient d’escalader les arbres ou de marcher dans la boue je leur trouver un rôle purement pratique. Seulement il fallait reconnaître que l’adroite façon dont l’Asplin en user était très intéressante. Nous étions un peu éloignés du sentier principal et le petit chemin de terre qu’encadraient des arbres imposants et surement centenaires avait quelque chose de plus sauvage. Mon sens de l’orientation n’était pas exceptionnel, aussi je prenais le temps de me repérer avant de chercher à reprendre la route. Je glissais entre mon pouce et ma main une brindille avant de la main vers le ciel. Pas chance ce dernier n’était pas couvert et j’arriver à situer le nord. Je sortais rapidement l’Ipok et commençais à marmonner tout en traçant des traits au stylet sur la carte.
« D’après le plan nous devons être à peu près là. Le Nord étant dans cette direction, nous devrions… aller par ici. »
Je concluais cette phrase en relevant mon minois de l’écran pixellisé du gadget. J’avais en face de moi un arbuste si épais et touffu que je renonçais de suite à le traverser. Le défonçais dans ce cas ? J’appelais Avril d’une voix hésitante. Je n’étais pas expert en orientation et cette espèce de gros parasite branchu et bien… il m’indisposait dans mes calculs. J’hésitais un peu, ma fierté en prenait un coup à la simple idée de demander à la jolie bimbo du dortoir un peu d’aide. Ridicule, cette vanité n’avait rien à faire au milieu d’une mission. Je ravalais donc ce qu’il y avait d’orgueil au fond de moi – et ce n’était pas forcément tâche aisé.
« Je suggère qu’on cisaille. Seulement Belzébuth n’y parviendra pas seul et comme je ne veux pas déclencher un feu de forêt, tu pourrais peut-être…. »
Impossible. Les mots restaient bloqués dans ma gorge alors que de mes yeux gris je tentais de la pousser à compléter ma phrase. Que c’était frustrant d’être si faible face à ces propres vices. Le ricanement un peu trop fort de l’Héricendre colora mes joues de rouges et je terminais précipitamment ma phrase.
« M’aider à couper avec Shrrrr…rurire ? »
Le nom était parfaitement imprononçable mais comme je me faisais un devoir de ne pas trop écorché les patronymes des compagnons de mes camarades je guettais la validation dans les prunelles azur vif de la demoiselle.
Il y avait dans les yeux limpides de la richissime étudiante un mélange incertain de je-m’en-foutisme et de surprise. Penchée sur un ridicule miroir de proche, elle s’appliquait de ses mains graciles à réordonner sa chevelure. Je roulais des yeux. La rose me semblait si superficielle à cet instant précis. J’aurais craché par terre de dégoût si nous n’avions pas été en pleine mission. Si. Avec des si on pourrait mettre Illumis en bouteille je suppose. Fortement contrariée je laissais le soin à Bel de commencer à désintégrer les arbustes en coup de patte réguliers. Il était volontaire mais comme je m’y attendais mais sa petite taille le rendait profondément inefficace. Je maudissais un peu de ne pas avoir songé à prendre Thor qui du haut de ses soixante-cinq centimètre aurait fait bien plus de dégâts. Quelle imbécile. J’eus le plaisir de découvrir que malgré ses activités ô combien passionnantes et prioritaires Avril avait fini par faire le lien entre ma grimace et la broussaille qui dévorait l’accès à la nouvelle de demeure. Dire que nous ne connaissions pas le nom des gens pour qui nous exécutions ce travail…
L’ennui m’arracha un soupir et je me focalisais bientôt sur le bruit de lames régulières de l’Insécateur. La souplesse de ses mouvements lorsqu’ils tracés des arcs aériens et mortels me fascinait. La Coordinatrice prenait le temps d’aiguiser les lames de son gardien ? Je jaugeais rapidement son visage pétri de lassitude et inscrivait un « non » définitif. Les premiers végétaux terrassés, cette idée de soin des lames tourna dans mon esprit. Plus notre progression avancée plus je lançais de fréquent coup d’œil à la dresseuse, j’étais démangée par l’idée de la prévenir. Lorsqu’un arbre un peu plus large que les autres tomba en bourdonnant, je n’y tenais plus.
« Tu savais que les lames d’un Insécateur sont réputées pour s’émousser rapidement ? De nombreux soins sont proposés pour ça. En tant que Coordinatrice, tu devrais te renseigner. »
Juste après avoir dit ça, un sentiment me noua l’estomac. J’étais en train d’oublier quelque chose. Le sentiment d’être passé juste à côté d’un élément important pesait sur mon crâne comme le soleil à son zénith. Je mordillais ma lèvre inférieure en dressant une liste mentale de ce qui nous était arrivé quand la voix grave et familière du troisième me fit sortir brutalement de mes pensées. Il est déjà arrivé ? Je regardais le brun et tous ses pansements. Prince ? Le scientifique avait-il éborgné mon comparse dans ses manœuvres. Une colère maternelle fit étinceler mon regard avant que je ne vois la tête d’hélium surgit gaiement aux côtés du Phyllali. L’angoisse tomba bien que je ne puisse retenir un grognement.
« J’espère que tu as été raisonnable. »
Nous faisions chemin commun vers la maison. Elle me rappela étrangement celle de mon enfance, faisant ressurgir quelques souvenirs inquiétants. Je déglutissais. Les tuiles rouges harmonieusement disposé et les quelques Nirondelles qui pépiaient joyeusement semblaient tout droit sortis d’un souvenir. La chaire de mes bras s’étaient hérissés et je m’engouffrais nerveusement dans le logis. J’en ressortais presque aussitôt. Je n’aimais pas. Cela me serrait définitivement le cœur de faire le rapprochement entre cet endroit et celui qui avait donné naissance à tant de drames par le passé. Bel m’observait curieusement en trottinant silencieusement près de moi. Je lui enjoignais d’aller jouer plus loin. J’avais besoin d’être un peu seule. Je mettais un point d’honneur à remplir la maison de cartons, soulevant sans grimacer les blocs de « Sucre d’Orge » qui pour certains pesaient presque aussi lourd que mon Obalie. Cette énergie partait d’un désir simple, plus vite j’aurais terminé plus vite cette mission serait achevé. Les Tarsals avaient été redoutables, soignant le part de travail jusqu’à distribuer les cartons dans la pièce correspondante. Les abrutis, maintenant le petit groupe allait être obligé de faire pareil. J’en étais à mon quatrième aller-retour et je commençais déjà à me transformer en flaque de sueur. La chose qui m’avait échappé plus tôt revint me frapper comme la foudre. Un arbre un peu plus large que les autres tomba en bourdonnant. Les arbres ne bourdonnent pas. Glacé d’effroi de je me tournais lentement vers la baie ou une nuée de Dartagnan arrivés épée en avant. Sur le coup de la surprise je lâchais mon chargement qui écrasa mon pied droit. La douleur fulgurante me déstabilisa alors que je sautillais de façon tout à fait disgracieuse réprimant de grosses larmes. Ma stupidité me fit perdre un temps précieux et la part encore rationnel qu’il y avait chez moi s’efforça de palier.
« Bel ! Enflamme ces intrus ! TOUT DE SUITE ! »
Le rongeur hésita. Doux Arceus ! Il n’allait pas se la jouer protecteur de la faune local tout de même ?! Ces grosses guêpes ne se priveraient pas pour nous infliger des dommages conséquents. D’autant qu’elles se rapprochaient a vu d’œil. Du calme. Si l’Héricendre refusait de la carboniser, soit. Il me fallait un autre plan. J’arrachais sans ménagement le scotch du carton que je m’étais faite tombé sur l’arpion et sortait vivement brosse, grattoir, jouets… Quand enfin je mettais la main sur ce que je cherchais : un paquet de Poffins. Je priais pour qu’il s’agisse d’un goût Pêche ou Oran et non pas Remoraid ou Poissirène et le jetais à nos agresseurs. Ceci fait j’attrapais Bel sous mon bras et fonçais me réfugier dans la maison, ce n’était qu’une manœuvre pour gagner du temps. Les courants d’air m’apprirent que toutes les fenêtres avaient été ouvertes surement par notre lady de service. Gé-nial. Je m’empressais de fermer celle du rez-de-chaussée.
« ASPLIN ! Ferme les fenêtres de l’étage vite ! »
Je réalisais que je n’avais aucune idée de là où pouvait être Noctis. Le scientifique avait-il eut le temps de regagner l’abri ? Passablement inquiète j’interpellais à nouveau la rose.
« Tu sais où est Noctis ? »
L’interpellé déboula en sueur, la mine peu réjouie. Mon faciès se tordit dans une grimace d’appréhension. Rien n’était coordonné. S’il revenait de l’extérieur dans cet état, c’est qu’il avait probablement échoué à repousser l’assaut des guêpes. Peut-être même avait-il attisé leur hargne. J’étais piquée de colère à l’idée qu’il est empiré la situation mais je n’osais pas le dire à voix haute. J’étais rouge de honte d’avoir omis ce détail en nous frayant un chemin dans les bois. Plan ? A la blague ! C’est sûr qu’en quelques minutes, acharnées que nous l’étions à empiler les cartons où fermer fenêtres et volets nous risquions d’avoir un plan ! Il faisait bien sombre à présent dans l’habitation, l’odeur de la poussière et le bourdonnement incessant des Dartagnan m’oppressait. Je claquais des doigts et le dos de Bel s’hérissa de flamme. L’Héricendre me coula un regard doux, apaisant. Pendant ce temps Avril – qui semblait enfin se soucier d’autre chose que sa personne – parlait d’attendre. Hypothèse que je trouvais excellente, les animaux s’excitaient rapidement mais dans l’absence de résultat leur agressivité redoublait comme un soufflet. J’avais pu de nombreux Rattata sauver leur fourrure en se cachant ainsi entre les racines d’un arbre.
Bien sûr qu’ils avaient une cheminée, j’étais passée au moins deux fois devant en déplaçant les cartons. Mes sourcils se froncèrent. La rose pensait-elle à une échappatoire propice ? Y faire brûler un feu ? Je me glaçais. Et si… Sortie, entrée, guêpier. Mon cerveau se mis à chauffer. Agir. Je bondissais vers la pièce à vivre où était l’âtre, mon partenaire sur les talons. Révélée par la lumière vacillante des flammes du rongeur, j’eus la joie de découvrir que les Dartagnan n’avaient pas encore eu la même idée que nous. J’attrapais un tisonnier noir et le brandissais prête à en découdre avec nos invités inopinés. Mais le vrombissement colossal qu’ils dégageaient faisant trembler les murs de la baraque parut réduire. Je ne savais pas comment l’interpréter, jusqu’à la voix criarde bien familière désormais retentisse derrière les maisons. Plutôt mourir que d’être désignée responsable. Avril pouvait bien passer pour une égoïste sans moi. L’angoisse que j’avais pour ma propre réputation était parfaitement méprisable aussi je me forçais à cogiter sur une façon d’aider le jeune couple en détresse. Marion était-elle seule ou très bien accompagnée ? Hum… Information inutile. Je faisais le vœu que l’exubérante rousse ne soit pas venue en vélo ou à pieds, sinon il valait peut-être mieux se préparer à ramasser une loque violacée tout de suite.
Nos agresseurs insectes n’étaient pas franchement des créatures tendres et pour avoir observé les dégâts d’une unique piqûre venimeuse sur un imbécile de Joliberges je n’avais pas franchement envie d’expérimenter. Ou bien juste pour approfondir la connaissance scientifique que je pouvais en avoir et… Ce n’était pas le moment. Armée de mon tisonnier je passais le palier de la porte. En voyant la nuée de bête encerclant la petite auto rouge de Marion, je me liquéfiais sur place. Pourquoi ? Quel courage ridicule pouvait bien m’avoir fait quitté mon précieux abri ? Un couinement près de ma cheville fit écho à mes pensées. Bel m’avait suivie. Plus que de l’étonnement, c’était presque de l’abasourdissement de le voir bravé ses démons pour me suivre. Mon cœur oscillait entre une grande gratitude et une terrible colère. Il risquait d’être blessé et ne serait qu’un fardeau avec son abstinence au combat. Un autre glapissement de sa part me prévint de l’arrivé d’une très laide bête jaune rayée de noir. De mon épée de fortune je la repoussais. Un autre surgit et je répétais mon geste. Je m’étais toujours cru dénuée de talent dans les jeux d’escrime aussi j’étais surprise d’atteindre mes cibles et d’esquiver les coups. Etait-ce l’instinct de survie qui décuplait ainsi mon agilité.
Mon cœur tambourinait. J’avais du mal à me concentrer sur autre chose que les dards qui pointaient sur moi. En fait je n’y arrivais pas du tout. J’entendais les braillements de Marion. Du soulagement ? De l’horreur ? Comment faire la différence. Mes alliés avaient-ils agi pendant les interminables minutes où je défendais becs et ongles ma chair d’aiguilles qui suintait un liquide couleur violine. Je vais peut-être pouvoir faire un rapport détaillé sur les effets de ce poison finalement… Je m’épuisais de secondes en secondes, chaque assaut me paraissant plus rapide et brutal que le précédent. J’avais la rage au cœur. Je ne voulais pas être la première à céder, ce qui était inévitable au rythme où allaient les choses. Promis si je m’en sors, je m’inscris à un club d’escrime.
Et puis il y avait Belzébuth à côté. Il s’était d’abord tassé contre mes pieds, mais en avait été éjecté dès les premières secondes. Je crois qu’il souffrait d’être impuissant. Mais je ne le voyais pas. Jusqu’à ce que des flammes lèches mes bras qu’un terrible bruit d’agonie ne détruise l’un de mes agresseurs. Mes bras sentaient le roussi, le corps du malheureux aussi. La bravoure dont il faisait preuve me redonna un peu de vigueur que j’investissais contre le flot de bêtes. Etaient-elles toutes sur moi ? La question m’effleura avant que le bruit de cisaille d’un dard n’étincèle près de ma tempe. Je me laissais de nouveau emporter par le rythme de la parade et des coups. De sa frêle poitrine qu’il gonflait, l’Héricendre parvenait à faire des chaos nets. Mais cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait pas à empêcher mes forces de se détraquer. J’étais épuisée et ruisselante, un coup de dard frappa mon tisonnier qui s’envola bien haut dans le ciel. Au même moment le corps de Bel devint une forme lumineuse qui grandissait. Un nouvel être au corps gracile naquit. J’observais avec fascination la courbe allongée de son corps, les pattes plus musclées ainsi que la longue crête de feu sur son dos. Mais surtout c’était l’étincelle or qui habitait désormais son regard sans peur. L’animal s’ébroua avant de se transformer en roue de feu. Le mouvement de rotation l’empêchait de tomber, il éliminait ses opposants de façon brève et efficace. J’admirais en haletant sa silhouette neuve de combattant infliger des dégâts conséquents.
Nous fûmes de nouveaux deux. En sécurité dans le vaste jardin de la propriété. Une pénible odeur de brulé s’insinuait dans mes poumons chaque fois que j’inspirais mais pour rien au monde je n’aurais souhaité être ailleurs. Une pudeur toute naturelle m’empêcha de féliciter oralement mon starter mais mes yeux chargés de fierté parlaient pour moi. L’image de Noctis et Avril m’assaillit. Allaient-ils biens ? Avions nous vraiment détruit l’intégrité de l’essaim ? Je jetais des regards furtifs autours de moi et tombais sur les fesses. J’étais vide et livide, inutile d’imaginer affronter une seconde vague dans ces conditions.
J’entendais le feu qui crépitait dans l’âtre comme un démon sauvage qu’on aurait mal encageait. Ma peau s’était hérissée au moment où la dextre salutaire de Noctis s’était refermée sur la mienne. Ca ne me rassurait pas. Cela me soutenait au mieux. Mais l’esprit farouche de demoiselle sauvage s’insurgeait si fort que je demeurais de marbre devant cette attention. Je guettais du coin de l’œil Belzébuth, le fier, le preux Belzébuth que l’évolution semblait avoir délesté de l’angoisse qui rongeait sa vie jusque alors. Ma gorge se noua. Et s’il ne m’aimait plus ? Si sous cette forme où le danger n’était plus un obstacle mon titre de maîtresse devenait fioriture et qu’il se moquait impunément de ce que nous avions partagé ? J’étais faible de penser ainsi, avec autant de sentiments mous et gluants dont étaient pétris les sots.
Je secouais ma tête avec douceur de gauche à droite. J’étais fatiguée. La fatigue embuait mon esprit. Il fallait rester lucide, se concentrer sur l’essentiel. Je toisais à la dérobée le grand brun qui sans jamais se départir de son calme avait simplement escorté la rousse pimpante et exprimer maintenant avec calme ma non-culpabilité dans l’affaire. Au lieu d’être reconnaissante, je lui en voulus d’atténuer l’affaire. J’avais échoué, j’avais failli et c’était uniquement de mon ressort. Une poupée comme Avril n’aurait pu calculer ce genre de chose à l’avance. Mettre une couche de « c’était un accident » semblait au contraire accentué mon tort. Sous les accusations de mon esprit, j ployais, trop fragile et épuisée pour opposer une logique solide et raisonnable à ces mauvaises pensées.
Comme des Nirondelles, mes coéquipiers s’enfuirent en tout hâte de la maudite maisons de propriétaires. Je restais là. Bientôt de nouveau assise dans l’herbe à regarder les tuiles rouges du toit en caressant la courte fourrure de Bel qui ne ronronnait plus. Seuls ses yeux fermés prouvés qu’il était sensible au geste. Haut dans le ciel, Prince regardait aussi avec un désarroi non-feint son seul ami partir. Peut-être pour toujours. Marion vint m’apporter de la tisane à deux reprises, elle tremblait et je déclinais son offre, deux fois. Quand le soleil devint crépusculaire j’enfermais le Feurisson dans sa sphère et ordonnais au Baudrive de me portais hors des bois. Le vent soufflait fort et dans le bon sens aussi mes pieds une fois sur le bon sentier regagnèrent vite l’établissement. Le micro-onde ! Et zut.