Ma
soirée au dortoir était pitoyable. Les bruits incessants de pas répétés de façon insistante, les rumeurs sur mon dos portant sur l'alcoolisme de mon père que je ne souhaitais pas faire savoir au monde, et tant d'autres problèmes qui m'ont conduit à commettre l'inacceptable. La gourde que je trimbalais, accrochée à ma ceinture, était remplie d'eau de source pure, parfaitement potable. Cependant, c'est en buvant dans cette dernière, qui appartenait auparavant à mon père, que je me mettais à imiter ses faits et gestes, reprenant son attitude de lorsqu'il revenait de ses soirées arrosées. Je singeais aussi le dernier de ses mouvements, celui d'orner un masque de démon pour se cacher du regard des autres probablement, ou même pour simplement se donner des airs plus mystérieux. Je devenais un autre homme, passant en quelques gorgées de l'agneau au loup. Le petit garçon timide, bienveillant et agréable se transformait progressivement en une bête violente, vulgaire, exécrable. Détestable. J'étais détestable. J'étais lamentable dans cet état, mais il me faisait sentir mieux.
J'avais volontairement choisi de m'isoler dans les souterrains de l'établissement pour ne pas affronter le regard des gens. C'est malgré tout si loin du monde vivant que je distinguais une silhouette, au loin. Que faisait-elle ? Impossible de savoir s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme, mais une forme fine et élancée s'extirpait de l'ombre. Dans le doute, et probablement sous une supposée ivresse, je saisis une petite pierre ronde et non-tranchante du plat de ma main droite, avant de la lancer d'un geste sec, vif, et précis en direction de son épaule. Un "poc" m'indiqua la réussite de mon lancer, qui n'avait pas pour but de la blesser, mais bien de lui faire comprendre que j'étais le plus fort.
Bien évidemment, je n'étais pas le plus fort. J'étais même le plus faible. Celui qui était le plus à plaindre, tant pour sa stupidité que pour sa nécessité de se mettre dans des états aussi déplorables pour se sentir bien, pour se sentir vivant, pour se sentir plus proche d'un père qui n'a jamais été là si ce n'est avec plusieurs verres de trop dans le nez. C'est dans cette dernière série de mouvements que je m'adressai à la silhouette avec une vulgarité hors-norme, causée par l'eau qui avait un effet semblable à l'alcool, dans le but de l'interpeller avec un air hautain plus que certain.
"Alors, t'es pas foutu de te montrer ? Montre qui tu es ! T'es une fiotte, hein ? Une fiotte ? T'es misérable !"