Le sable couleur or s’était gorgé des rayons miels du soleil tout le jour. Ses minuscules grains avaient conservé la chaleur à la manière d’une couverture de plumes, et, à présent que les températures avaient chuté, il était plus que bienvenu de s’y frotter. Pieds nus, Alban profitait d’une dernière promenade sur la plage avant de devoir regagner son dortoir. Zéphyr, son Goélise chromatique, trottinait à ses côtés d’une démarche sautillante, se roulant parfois dans les grains chauds pour salir encore plus son plumage. Le bougre avait trainé en bord de mer toute la journée, et, même s’ils venaient tout juste de se rencontrer, Alban avait compris qu’il essayait simplement de gommer ces bandes dorées qui couraient le long de ces ailes. Ah, qu’il n’aimait pas sa différence, le pauvre Zéphyr. Il était rejeté du ciel et de ses vastes étendues car il ne pouvait pas voler. Et voilà maintenant qu’il était également rejeté de la mer car il ne pouvait s’y fondre. Alban le regarda avec un air triste. A Hoenn, les habitants disaient que Tylton avait été créé pour ressembler au ciel : blanc et cotonneux comme un nuage, bleu pâle comme le ciel. Son antagoniste, Goélise, était plutôt fait pour être une réplique de la mer : ses plumes bleues rappelaient l’océan, tandis que son corps blanc nacre évoquait l’écume. Mais Zéphyr, qui n’avait ni le turquoise de l’onde, ni le bleu du ciel. A quoi pouvait-il se raccrocher ?
Alban se baissa à la hauteur de son Pokémon pour caresser son plumage brillant d’une main compatissante. Parfois, les rayons du soleil jouaient dans le duvet, et l’or virait à l’orange vif, comme celui d’un
Dracolosse. D’autres fois, il se reflétait à la manière d’un arc-en-ciel, et c’était un véritable nuancier allant de l’orange au jaune qui ébouriffait les plumes de son compagnon. Le Voltali ne pouvait s’empêcher de trouver Zéphyr impressionnant. Mais le petit oisillon se complaisait dans son malheur. Avec un rugissement piteux, il se roula de nouveau dans le sable et courut s’éclabousser dans l’écume pour tenter de virer de couleur. Alban le rattrapa avant qu’il ne fasse un saut dans la mer, et le posa sur son épaule. Même dégoulinant d’eau salée et sale de sable, le garçon ne le rejetait pas. Il avait, comme lui, cette petite différence avec laquelle ils se devaient d’arriver à vivre. Hélas ! Le dresseur eut un petit rire incrédule. C’était certainement bien plus facile à dire qu’à faire.
La chemise mouillée sur toute une épaule, Alban éloigna Zéphyr du bord de mer et alla s’installer plus loin dans le sable. Il s’assit à même le sol et enfonça ses pieds jusqu’aux chevilles dans les grains chauds. Les embruns, l’air marin et la température du sable l’apaisaient. Il se sentait bien, comme ces grands-mères qu’il avait vu maintes fois se prélasser à Vermilava. Avec son genou qui aurait pu s’apparenter à leurs rhumatismes, et le poids qui pesait sur ses épaules et lui donnait l’impression de courber l’échine en permanence, Alban pouvait s’apparenter à ces dames du troisième âge. Le
rouge à lèvre en moins.
Reposé comme il ne l’avait jamais plus été depuis son opération, Alban se permis de s’allonger. La plage était déserte à cette heure-ci, et le coin qu’il avait trouvé, reculé et isolé, lui permettait de ne pas être gêné par les touristes intrépides. De là, il pourrait observer son premier coucher de soleil sur l’île Cobaba avec une vue imprenable. Il n’était certes pas autant en hauteur qu’il aurait pu l’être dans son chalet, mais ici, au moins, il ne serait pas gêné par les arbres. La pensée de pouvoir observer un aussi beau paysage lui réchauffa le cœur. Il avait envie de voir le ciel se parer de ses plus belles couleurs ; passer du doré au rosé, avant de venir mourir sur l’horizon dans un dernier souffle bleu lumineux. L’heure dorée. L’heure bleue. C’était comme ça que les appelaient les gens de la station Météo de Cimetronelle.
Avec attention, il fixa le soleil qui s’écrasait petit à petit dans la mer. Il en eu les yeux larmoyants, mais il ne souhaitait pas détacher son regard de ce spectacle époustouflant. Bientôt, l’astre rencontra l’horizon, et le ciel d’un bleu pur vira progressivement au rose vif. Les quelques nuages qui virevoltaient autour prirent aussitôt une couleur barbe à papa, et Zéphyr releva la tête du ver de terre qu’il était en train de chasser. Penchant la tête de côté, il vint se loger sur les jambes de son dresseur pour regarder la scène qui semblait tant le captiver. C’était le tout premier coucher de soleil qu’il voyait, et les deux billes d’obsidiennes qui lui servaient d’yeux ne purent s’en détacher.
- Tu verras Zéph’, il n’y a rien de plus magnifique que de voler à la tombée de la nuit, en direction de cette destination utopique. Essayer de capturer le soleil qui se meurt et explose en un panel de couleurs vives, en vain. C’est la fascination de tout cavalier du ciel, expliqua-t-il à son Goélise, avant de ressentir une vive douleur au cœur.
Sa main se crispa dans le sable et il revit dans un éclair la silhouette de Cirrus, son Roucarnage. Le souvenir encore douloureux de son ancien compagnon le hantait toujours autant. Alban ferma les yeux et se força à se secouer. Ces pensées relevaient de l’
indécence. Il ne fallait pas qu’il songe à Cirrus. A présent qu’il avait Zéphyr, il devait se consacrer à son éducation pour ne pas qu’il termine comme son ancienne monture. Et pourtant, pourtant, il n’arrivait pas à se détacher de Cirrus. Avait-il réellement bien fait de venir ici ? S’il ne parvenait pas à aller de l’avant et qu’il entravait Zéphyr à cause des réminiscences de son passé, il ne se le pardonnerait jamais. Zéph’ avait assez vécu en cage, cloisonné dans la Pokéball de ce Collectionneur. A présent, il fallait qu’il goûte aux joies de découvrir le monde. Et Alban ferait tout pour que ce soit le cas.
- Ce n’est rien, tout va bien, chuchota-t-il au Goélise chromatique lorsque celui-ci lui picora le bout du ventre d’un air soucieux.
Ce n’était pas un Pokémon Psy, mais il avait un don d’empathie assez poussé. Ou peut-être était-ce parce qu’un lien s’était déjà créé entre eux ? Alban n’en savait rien, mais il avait rarement rencontré un Pokémon Vol qui soit aussi attentif à ses émotions. D’une pichenette, il enleva les quelques grains de sable logés sur le crâne de son Pokémon, et le fixa d’un air attendri. Le soleil avait à présent presque disparu à l’horizon, et Alban avait raté son étreinte avec la mer, mais ce n’était plus important. Il ne pouvait détacher ses yeux émeraude de Zéphyr. Comme gêné par l’expression de son dresseur, Zéph’ sauta sur le sable et picora un morceau de sac en plastique couvert de restes de bagel qu’une personne avait jeté et qu’il venait de déterrer à la force de son bec.
- Ne mange pas ça, tu risques d’avoir une intoxication alimentaire, plaisanta Alban en récupérant le sac.
Se levant doucement, il se dirigea vers la poubelle la plus proche et fit disparaître cette odieuse preuve de la pollution humaine. Le ciel virait doucement au bleu sombre, et Alban regarda sa montre. Il lui restait à peu près une trentaine de minutes avant le couvre-feu. Compte tenu de sa vitesse de marche et du temps qu’il lui prendrait à regrimper dans son chalet, le garçon calcula qu’il devait quitter la plage dans une vingtaine de minutes au maximum. Une folle pensée germa dans son esprit, et il attrapa sa veste dans laquelle il se drapa. D’un pas vif quoique claudiquant, il se dirigea vers une crique reculée qu’il avait déjà localisée sur une carte.
Il avait passé l’après-midi à étudier le guide touristique de l’île. Il savait que le soir, à cette période, un événement magique se déroulait près de cette crique. Il souhaitait pouvoir le voir tant qu’il le pouvait encore, car qui savait ce qu’il lui arriverait, le lendemain ? Avec ces histoires d’élèves kidnappés, Alban ne savait plus où donner de la tête. Profitant du fait d’être déjà dans la zone, il entraîna Zéphyr jusqu’à une magnifique crique isolée.
------------------◊------------------
La roche, épaisse et solide, scintillait d’un éclat argenté sous les rayons de la lune. Celle-ci, nouvellement éclose, avait la forme d’un croissant. Artémis était pudique ce soir, car des nuages sombres recouvraient ses courbes, baissant d’un cran la luminosité du lieu. Bientôt, Alban ne fut plus capable de voir devant lui. Malgré tout, cela ne le dérangeait pas plus que ça, car il était persuadé qu’il pourrait mieux observer le phénomène qu’il attendait. Consultant sa montre dont les aiguilles étaient lumineuses sous le manteau nocturne, il attendit un signal, lorsqu’une lumière s’alluma droit devant lui.
Il crut tout d’abord avoir trouvé ce qu’il cherchait, mais il se rendit vite compte que quelque chose clochait. Une touffe de cheveux d’un blanc éclatant émergea dans le rond de lumière, et il sentit une brusque bourrasque de vent, suivie d’un petit cri. Une petite créature semblait courir vers lui, et lorsqu’un rai vint éclairer ses écailles sèches, Alban remarqua qu’il s’agissait d’un Galvaran. Mais était-ce une impression, ou ce dernier avait de drôles de motifs peints sur le corps ? Sans pouvoir réagir, il vit le Pokémon se précipiter vers ses jambes et en mordiller un bout. A travers le jean épais qu’il portait, il sentit à peine qu’on le mâchouillait, comme si le reptile l’attaquait à coup de gencives nues. Nouveau cri de la même voix que précédemment. Une ombre passa près de lui dans un souffle léger, et Alban tendit la main pour se saisir d’une photo. Une photo ?
Observant le Galvaran qui venait de le lâcher et la photo sans trop comprendre le rapport, Alban leva les yeux et tomba nez à nez avec une jeune fille au profil plus qu’atypique. Sous la lumière tamisée de la lune et de la lampe torche, elle avait une allure presque spectrale. Ses longs cheveux d’un blanc vif s’éparpillaient autour de son visage, et ses yeux étaient fascinants. Brusquement, le lien se fit dans son cerveau, et Alban jeta un nouveau coup d’œil à la photo. Etaient représentés un magnifique Tropius et cette même fille qui semblait beaucoup plus jeune, juchée sur son dos. Avec une expression neutre quoique polie, le Voltali tendit la photo vers sa propriétaire.
- Tiens, je crois que c’est ça que tu cherches, non ? lui dit-il en essayant de ne pas paraître trop froid.
A présent qu’elle était plus près, Alban remarqua son teint caramel et chaleureux. Zéphyr, qui n’avait pas bougé d’un pouce lorsqu’il s’était fait attaquer par le Galvaran, observa la jeune fille et alla se cacher derrière une mèche de cheveux de son dresseur, camouflant son bec derrière son aile. Que lui arrivait-il ? Un gargouillis étrange s’éleva des tréfonds de son gosier, et Alban espéra que la demoiselle n’allait pas croire que c’était lui qui s’amusait à communiquer de la façon la plus étrange possible. Qu’est-ce qui se passait avec Zéph’ ? Attendant que la fille récupère sa photo, Alban coula un regard vers son iPok - comment faisait-elle pour le transformer en lampe torche ? Un prodige qui échappait à Alban -.
- Je pense que tu devrais éteindre ta lampe torche. Ça ne devrait plus tarder, lui signala-t-il, comme s’il prévoyait la météo du lendemain.
Alors, d’un coup, toute la crique s’illumina de minuscules lanternes scintillantes. S’allumant unes à unes, les lumières se mirent doucement en mouvement, dans une sorte de ballet mystique et fascinant. Elles clignotaient et se déplaçaient avec élégance, se reflétant dans l’eau de mer, se rejoignant parfois et se séparant avec tout autant d’empressement. C’était magnifique et si poétique.
- Le ballet d’été des Mucioles et Lumivoles, expliqua-t-il devant l’air incrédule de la fille.
C’était en page 8 du guide de l’île Cobaba. Normalement, ce n’est pas vraiment le lieu naturel de vie de ces Pokémon, ce qui le rend si exceptionnel. Je voulais le voir au moins une fois avant le couvre-feu. Ah, et au fait, je m’appelle Alban. Et toi ?Sa demande par pure politesse ne pouvait pas cacher la fascination qui se lisait dans ses yeux face à ce ballet nocturne. Décidemment, il avait bien fait de rester là.