Audrey était un véritable tourbillon. Il n’y avait pas à tergiverser là-dessus. Elle virevoltait, ses longues tresses fouettant l’air derrière-elle, et elle abreuvait d’une quantité astronomique de mots ce pauvre Alban. Ses oreilles, si sensibles aux sons et aux perturbations qu’elles détectaient même les changements de direction des vents, bourdonnaient désagréablement. Cette fille-là, elle allait bien facilement taper au-dessus de la limite de décibels autorisés dans un chantier en pleine fleur de l’âge. Une vraie vague qui s’abat sur le bord de mer et emporte tout sur son passage. Pourtant, le châtain était extrêmement intéressé par ce qu’elle lui disait, et il écouta avec attention son exposé sur ses cours de mécanique. Donc comme ça, elle créait encore tout un tas d’autres armes aux intitulés plus loufoques les uns que les autres ? Le lance-roquette à confettis, ça devait être un nom un peu original pour désigner ces canons à confettis qui trônent parfois dans les salles de bals ou les foires bon marché. Pas vraiment… un lance-roquette, non ? Quant au pistolet silencieux à chewing-gum ? Qu’elle pouvait bien être l’utilité de cette chose, à part faire hurler une Mentali en lui décochant une volée de ces horreurs dans la chevelure ? Alban était dubitatif, mais l’imagination de la mécanicienne semblait sans bornes ; par ailleurs, elle semblait tellement perdue dans son monde qu’il aurait bien été inutile de lui demander à quoi servaient telles ou telles inventions, concrètement. Alban ne doutait pas qu’elle leur avait déjà trouvé une utilité dans son monde un peu parallèle et haut en couleurs. L’amplificateur d’attaques Pokémon le rendait déjà un peu plus curieux. Il n’y connaissait rien en informatique, en mécanique, ou en technologies modernes, mais il voyait bien le genre de résultat qu’elle voulait obtenir. Par contre, comment y parvenir…
- Ton amplificateur d’attaques Pokémon se présenterait sous quelle forme ? lui demanda-t-il, un air curieux et intéressé sur le visage. Je veux dire…Ce serait sous la forme d’un lance-roquette, comme pour tes confettis ? Du genre ton Funécire peut balancer une attaque Flammèche à l’intérieur, et ça ressort beaucoup plus puissant par l’autre bout ? Comment tu comptes faire ça, ça doit être super dur, non ?
Ah là là. Une fois qu’Alban était parti dans une conversation, on l’arrêtait difficilement. Il avait beau être timide en règle générale - ou plutôt, très avare en mots -, lorsqu’on arrivait à le brancher, c’était une véritable pipelette. Bon… Pas au point d’Audrey, évidemment, mais il n’était pas en reste. Quoi qu’il en soit, Audrey continua par lui vanter le Parcours qu’elle faisait. Les Scientifiques ? Alban hésitait encore sur son cursus au sein de l’école, mais il n’avait pas écarté cette possibilité-là. Par contre, il était plus branché Recherche Pokémon - dans le cas où on le laisserait uniquement travailler sur les Pokémon Vol - que Mécanique, pour laquelle il n’avait aucun talent. Il retint cependant un petit rire lorsqu’Audrey lui déballa les nombreuses possibilités : messes religieuses, enterrements et plombier avec moustache ? Qu’est-ce que c’était encore que ces drôleries ? Décidément, la jeune fille l’amusait beaucoup, et avec les derniers mauvais jours qu’il avait passé, elle agissait comme une véritable bouffée d’air frais. Zéphyr releva piteusement la tête à l’évocation de son nom, mais même lorsque la demoiselle avoua qu’il était trop mignon, il ne fit que soupirer doucement en tournant le dos aux deux étudiants. Ce pauvre Goélise était visiblement trop déprimé pour être sensible à quoi que ce soit. Alban décida de le laisser un peu respirer, mais il hocha cependant la tête de gauche à droite lorsqu’Audrey lui fit la proposition de l’aider avec un appareil moteur.
- Il est tout bébé, oui. Je pense qu’il a quelques difficultés à voler, mais rien qui ne puisse être arrangé. J’ai l’habitude d’élever des Pokémon Vol, donc j’arriverai sûrement à le faire décoller d’ici une ou deux semaines… Désolé, j’aimerais plutôt rester sur la méthode traditionnelle, même si je ne doute pas que ton invention soit géniale. C’est comment d’être Scientifique, sinon ? Vous partez souvent explorer des endroits, observer les autres Pokémon ? C’est quoi la grande différence avec les Rangers ?
Il avait en effet encore du mal à saisir la nuance. S’il avait bien compris, les Rangers étaient plutôt focalisés sur la découverte de nouveaux espaces, et la protection d’écosystèmes. Tandis que les Chercheurs eh bien… Ils faisaient plutôt leurs recherches discrètement dans leurs coins, sans avoir un quelconque impact sur le reste, non ? Ranger n’était-il pas mieux que Chercheur ? En tout cas, Alban évita de préciser tous les parcours entre lesquels il hésitait, car Audrey aurait été capable de repartir encore une bonne heure sur chacun, l’aidant à peser le pour et le contre. Et honnêtement, elle risquait plus de l’embrouiller qu’autre chose.
Malgré tout, elle retrouva un peu le sourire lorsqu’il lui proposa de la chantilly, raflant la mise en allant la récupérer directement sur son doigt. Rougissant, Alban s’écarta vivement et s’apprêta à justifier son moment de gêne par une quelconque réplique, lorsque les Scarhino débarquèrent.
Ce n’était pas un ou deux de ces spécimens. Mais une véritable nuée, qui formait un nuage opaque et noir au loin. Comme ces oiseaux migrateurs en formation de V parfait. Sauf que là, c’était la totale anarchie. Les Pokémon Insectes se cognaient les uns contre les autres, mais ils étaient tous attirés par un même odeur : celle, sucrée, qu’Alban portait sur lui. Autant dire que se faire agresser par des Scarhino qui voulaient lui lécher le corps, ce n’était pas l’idée qu’il se faisait de son jeudi. Alors, il attrapa Audrey et l’entraîna au loin, à travers le village, en espérant qu’ils parviendraient à échapper à leurs assaillants. Visiblement, la scène semblait beaucoup amuser la mécanicienne, qui rigolait comme une enfant. Comme si se faire attaquer par une nuée d’insectes faisait partie de sa To Do List. Fêlée la fillette ? Ouais, carrément. Alban ne lui laissa aucun moment de répit, et lorsqu’il rentra dans cette poubelle de pommes, il lui demanda de s’y cacher. Plan qui ne semblait pas au goût de la Pyroli, car elle ripostait déjà vivement, en lui pinçant la joue pour le réveiller. Entre ça et la baffe de Benjamin, Alban trouvait que sa joue prenait un peu trop cher ces derniers temps.
- Hein ? Quoi ? Aïeuh ça fait mal, t’es malade ! protesta-t-il en reculant de quelques pas.
Mais Audrey avait déjà dégainé ses grenades de chantilly, et les envoyait partout sur les toits des maisons, pour faire diversion. Alban admira l’ingéniosité du stratagème, mais il entendait également les commerçant hurler lorsqu’une tonne de chantilly se déversait sur leurs murs ou leurs stores. Oups. Il courut avec Audrey, pour échapper aux Scarhino, mais également aux habitants de Cobaba furieux, qui commençaient à les courser avec des balais et des torchons. Une seconde plus tard et le Voltali, qui aurait pu paraître plutôt innocent quelques minutes plus tôt, se retrouva avec une batterie de munitions dans les mains. Ah… Que devait-il faire avec ça ? Les jeter sur les toits ? Merde, elles étaient déjà dégoupillées, il n’avait plus le choix… S’excusant silencieusement auprès des habitants, il balança ses grenades dans deux directions opposées, déclenchant une nouvelle vague de chantilly. Les Scarhino, attirés par l’odeur, s’éloignèrent du troupeau. N’en restaient plus qu’une dizaine qui avait visiblement des vues assez malsaines sur Alban, et en auraient bien fait leur quatre heure. Audrey le guida cependant dans un boyau de ruelles, et elle avait visiblement une idée précise en tête. La piscine ? Aurait-il le temps d’aller jusqu’aux douches ?
- Bonne idée, mais t’as encore des grenades ? Il y a cette bande coriace qui n’a pas l’air de vouloir nous lâcher.
Enfin. Le lâcher, aurait-il dû dire, mais il préférait ne pas rappeler à Audrey qu’il était la seule cible de ces créatures. L’aurait-elle abandonné si elle avait compris cela ? Aucune idée, mais Alban n’avait pas vraiment envie de se retrouver seul. Sur son épaule, Zéphyr, couvert de chantilly, faisait les mêmes bruits qu’une goule enfermée dans une conduite d’aération, qui se plaint constamment en gémissant comme un spectre. Pas le temps de s’occuper de ce pauvre petit. Alban vit enfin le portail de la piscine au loin, et il tapa un sprint, faisant abstraction de la douleur dans sa jambe. A droite ? Les douches qui étaient toutes occupées. A gauche ? La piscine, dans laquelle une vingtaine d’enfants se baignaient avec des bouées colorées. Pas le temps de réfléchir plus. Alban passa devant le vigile, ne prêta pas attention à ses cris et ses protestations, puis se dirigea vers la piscine. Lorsqu’il fut arrivé au bout, toujours poursuivi par les Scarhino à qui venaient de s’ajouter les habitants de Cobaba et le vigile de la piscine en furie, Alban plongea brièvement et ressorti presque aussitôt propre comme un sou neuf mais dégoulinant d’eau chlorée, sous les hurlements paniqués des enfants. Attrapant ensuite Audrey, il poussa la porte qui le séparait de la piscine intérieure, fit irruption au milieu d’un cours d’aqua-gym, puis s’engouffra dans les vestiaires pour filles. Des cris et des jets de sous-vêtements suivirent cette intrusion, et le garçon ressorti de l’autre côté, une horde d’adultes mécontents à ses trousses.
- Heu, Audrey ? lui dit-il en tournant sa tête sur laquelle un haut de maillot était accroché. T’as un plan pour la suite ?