Alban Abernaty avait un charme élégant et mystérieux qui lui donnait un air froid et inaccessible. Ses yeux aux couleurs changeantes et ses traits fins et délicats lui valaient une certaine popularité auprès de ses camarades, même si son attitude toujours stoïque n’incitait pas à la discussion. Il était avare en mots en règle générale, mais excellent orateur lorsqu’il s’en donnait les moyens. Paradoxalement, bien qu’il ait un air détaché la plupart du temps, il avait un talent certain pour entraîner les foules à sa suite et pour diriger les opérations. Il fallait dire que tout jeune et nouvellement arrivé qu’il fût, Alban forçait un peu l’admiration et le respect. Ses quelques prouesses lors de l’invasion de la base Rouage n’étaient pas passées inaperçues, même s’il n’avait pas été des plus utiles par la suite. Il avait l’impression qu’on chuchotait sur son passage, les uns appréciant son côté réfléchi et calculateur, les autres reprochant ses airs trop hautains et supérieurs. Pourtant, Alban se considérait comme quelqu’un de parfaitement normal. Effacé et discret quotidiennement, il évitait de se mettre en avant lorsqu’il n’en voyait pas l’intérêt. Mais les images collaient rapidement à la peau, et beaucoup avaient déjà une idée bien précise de qui il devait être. Pourtant, actuellement, malgré son visage calme et ses yeux vifs et intelligents, Alban était en proie à une grande détresse. Devant lui ? Une bestiole énorme qui venait de fracasser un rondin de bois, comme ça, tranquille pépère. Sur son épaule ? Zéphyr, son Goélise chromatique, qui tremblait de peur et se réfugiait sous ses cheveux châtains. Mais le pire ? C’était cette jeune fille de petite taille, aux longs cheveux blonds et aux airs angéliques qui le regardait avec un sourire doux et une expression adorable. Attendez... Pour comprendre, remontons les évènements jusqu’à une heure plus tôt, voulez-vous ? Bien. Marche, rembobinage…
Il s’était levé aux aurores, comme à son habitude. Sur Cobaba, le ciel avait ces teintes agréables le matin, allant du rose à l’or, en passant par le violet et le bleu. Assis sur sa balancelle de bois, Alban profitait du spectacle que la nature voulait bien lui offrir, son Goélise sur les genoux, son Noctali perché sur le système de poulies et de cordes. Le Pokémon qu’il avait capturé à Mauville et qu’il avait surnommé Auster était d’un caractère calme et posé, exactement comme le sien. Sa robe noire luisante brillait sous l’éclat du matin, et ses anneaux dorés s’éteignirent progressivement à mesure que la nuit faisait place au jour. Ses oreilles en pointes dressées comme un chat à l’affût, il laissait courir ses yeux carmin sur le village endormi. Flairant une drôle d’odeur dans l’air, il sauta d’un bond gracieux sur l’épaule de son maître, puis fourra le museau dans son sac à dos pour vérifier que l’œuf mystérieux était bien en sécurité. Gardien et sauveur des œufs de la Volière Amargein de Mauville, le Noctali semblait continuer son travail même ici, à Cobaba, en prenant un soin tout particulier de l’œuf qu’Alban avait récupéré grâce aux Policiers. Le jeune homme ouvrit son sac pour bien montrer que tout allait bien pour cet être étrange qu’il transportait avec lui constamment, puis ferma les yeux pour réfléchir. Il avait contacté des Éleveurs de son dortoir, leur avait montré sa mystérieuse trouvaille, mais aucun n’avait été capable de l’informer correctement. Certains pensaient qu’il y avait un Type Fée à l’intérieur, comme un Sucroquin ou un Nanméouïe, tandis que d’autres pariaient sur des Pokémon Aquatiques, dont les écailles aux reflets arc-en-ciel pouvaient rappeler la teinte irisée de la coquille. Alban se demandait comment ce petit avait bien pu se retrouver au milieu d’une volière, mais avec le trafic d’œuf, rien ne l’étonnait plus. Il se contenta donc de refermer soigneusement son sac après qu’Auster fut rassuré, puis descendit de la balancelle pour se diriger vers le village.
Encore endormi à une heure si matinale, Cobaba semblait morne et abandonné. Quelques habitants commençaient à peine à se réveiller, tandis qu’une agréable odeur de pain au sel de mer se diffusait à travers les allées. Sentant son estomac gargouiller, Alban attendit l’ouverture de la première boulangerie qu’il trouva pour acheter de quoi petit-déjeuner. Zéph’ apprécia grandement les beignets en forme de coquillage qu’on lui donna, tandis qu’Auster se contenta d’un peu de baies fraîches qu’il rafla dans un buisson bas. Le trio passa la matinée à se promener en bord de mer, profitant d’un week-end bien reposant pour récupérer des classes d’été. Alban commençait à s’instruire, à faire ses propres recherches à la bibliothèque, et il appréciait l’enseignement qu’on lui dispensait. Il n’avait toujours aucune idée du parcours qu’il voulait faire, mais toute éducation était bonne à recevoir. Pris d’une soudaine inspiration, il eut l’idée de passer près de la Salle Polyvalente pour aller voir dans les parages si de nouvelles affiches d’animations avaient été collées dans la nuit, lorsqu’une silhouette déboula devant lui. Intrigué, il s’arrêta pour observer la jeune fille aux cheveux blonds rentrer dans un pot de fleur, s’excuser comme de rien n’était, et lever ses grands yeux océan vers lui. Aussitôt, il sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine et reconnu Mademoiselle Hortense, la jeune sœur du Générale Jackie, et professeur grandement apprécié pour sa grande beauté. Lui-même n’était pas insensible à son charme, et il resta là à l’admirer tandis qu’elle repassait une mèche couleur or derrière son oreille, dans un geste aussi adorable que raffiné. Son sourire était charmeur. Ses traits ? Aussi fins que les traits de Jackie pouvaient être masculins. Il courba respectueusement la tête en signe de salut devant elle, et fut surpris lorsqu’elle s’approcha de quelques pas.
- Ah… Alban, c’est bien ça ? lui demanda-t-elle avec une expression ravie sur le visage.
Les quelques fleurs qu’elle avait tressée dans ses cheveux sentaient horriblement bon, et Alban acquiesça doucement, les joues d’un rouge pivoine. Elle devait bien faire une tête de moins que lui, mais elle l’intimidait beaucoup. Il était comme ça. Il avait toujours eu un faible pour les demoiselles calmes, aériennes et douces. Hortense n’échappait pas à la règle, de même qu’Alizée, et - il sentit son cœur rater un nouveau battement -, Calliope, la préfète des Givralis.
- Ah, je suis contente de te trouver… poursuivit-elle avec un jet de cheveux élégant et si naturel.
Disons qu’on m’a demandé un petit service hier soir, mais j’avoue que la configuration du cosmos et le positionnement des étoiles par rapport au soleil ne me sont pas favorables. C’est comme ces roses d’été, si le vent souffle dans la mauvaise direction, les pétales sont tous perturbés et la rosée du matin glisse comme sur les plumes d’un Lakmécygne avec la même déchéance qu’Ycar tombant du ciel à force de vouloir trop frôler le soleil. Hmmm ouais. Là, elle l’avait complètement perdu. Qu’est-ce qu’elle racontait avec ses histoires de déchéance et de plumes ? On l’avait prévenu que Mademoiselle Hortense pouvait avoir un langage très fleuri bien qu’incompréhensible - même pour elle -, mais de là à se perdre autant dans ses propres mots ? Il garda une expression neutre en essayant de ne pas montrer qu’il ne pigeait pas du tout le message qu’elle voulait lui faire passer.
- Ce que j’essaye de te dire, c’est que je ne suis pas en mesure de m’acquitter de ma tâche, alors je préfère la léguer à quelqu’un qui saura tirer profit de l’alignement des astres pour briller comme une poussière d’étoile. Que dis-je ! Une comète ! Tu seras une comète, Alban, j’en suis persuadée. Alors va, petite étoile, brille de mille feux et accomplit ton devoir !Elle posa une main sur son épaule et il se retrouva encore plus perdu. Qu’est-ce qu’il devait faire ? Devenir une étoile, et, heu… comment ? Il s’imaginait mal se mettre le feu aux fesses et frôler la Terre sur le dos de Zéphyr en mode
« Eh les gars, je suis une comète ! ». Zéph’ ne pouvait même pas voler, en plus… Attendez… C’était loin d’être sa préoccupation première, et surtout, ce n’était certainement pas la première absurdité à pointer du doigt. Que devait-il faire ???
Avant qu’il n’ait pu répondre, une créature immense et couverte de poil sauta du toit et alla s’écraser lourdement sur le sol, juste à côté d’Hortense. De ses poings puissants, le monstre dégomma deux rondins de bois qui furent fracassés en millions de petits débris. La prise du professeur se raffermit sur son épaule, et le sourire d’Hortense se fit beaucoup plus joyeux, comme si derrière son air angélique elle voulait lui faire passer le message suivant :
« Tu vois jeune homme ? Si tu refuses, tu vas te retrouver comme, ces, petits, rondins, de, bois *insérer un cœur ici* ». Aussitôt, la petite blonde lui parut beaucoup moins charmante. C’était le diable. Le malin en personne. Que pouvait-il lui refuser après cette menace si mal camouflée ?
- Heu je heu oui, pas de soucis… bafouilla-t-il en reculant de quelques pas, surveillant d’un air attentif l’énorme primate qui le lorgnait d’un œil torve.
A côté de lui, Zéphyr était mort de trouille, tandis qu’Auster se positionnait devant son dresseur en montrant les crocs pour dissuader toute attaque. Comme si ce pauvre Auster pouvait faire quelque chose contre la masse de muscle en face de lui ! Alban lui caressa le haut du crâne d’un air apaisant.
- Merveilleux ! répondit Hortense en tapant dans ses mains. Puis, sortant un petit bout de papier de sa poche, elle le tendit au jeune homme et le regarda partir.
Soupirant, Alban lu le communiqué et pris immédiatement la direction du sud de l’île, pour une après-midi qui risquait d’être mouvementée.
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Retour au présent. Le châtain déambulait dans les rues, essayant de décrypter l’écriture illisible de son ordre de mission. De ce qu’il avait compris, il devrait s’occuper d’une colonie d’enfants à la place de leurs animateurs, trop occupés à réparer il ne savait quoi. En gros, rien à voir avec une quelconque comète ou autres poussières d’étoiles. Elle l’avait totalement roulé dans la farine ! En quoi s’occuper de mioches serait bon pour son cosmos, ou autre ? Alban Abernaty n’avait pas la fibre paternelle. Il était sans doute incroyablement nul pour prendre soin de gamins ; d’ailleurs, il ne s’était jamais prêté à cet exercice. Que devait-il faire ? Il était patient, certes, mais il n’était pas sûr de parvenir à conserver son calme imperturbable en toute situation. Des enfants ? C’était tellement éloigné de son champ de compétence que c’en était comique. De ce qu’il avait compris, il ne serait pas seul ; autant compter sur son partenaire pour redresser la balance, alors. Soupirant, désespéré, Alban arriva enfin au camp de vacances, ravagé par les travaux et les problèmes sanitaires. A l’orée des bois, un grand champ où gambadaient plus d’une dizaine d’enfants surexcités. Sûrement ceux qu’il allait devoir essayer de canaliser. Pendant combien d’heures ? Quatre, cinq ? Ça lui semblait déjà une éternité, alors qu’il n’avait même pas commencé.
Il s’avança vers le groupe, et reconnut une touffe de cheveux rousse familière. Aussitôt, il se sentit apaisé. Aaron ? Il l’avait rencontré lors de l’infiltration dans la base, et même s’il ne lui avait que brièvement parlé, il avait déjà décelé que ce garçon lui plaisait. Il avait l’air intelligent, vif d’esprit, humble et sympathique. Le coéquipier idéal pour ce genre de choses, donc. Sûr qu’Aaron devait vivre dans une grande fratrie et savoir comment gérer des gamins. Ou peut-être pas ? De loin, Alban vit les enfants s’agiter dans tous les sens, bien peu sensibles à l’autorité de leur aîné. Pourtant, le Phyllali parvint à force de cris à faire venir tous les gamins à ses pieds, et à les asseoir. Bien, plutôt pas mal ! Il se débrouillait bien mieux qu’Alban, en tout cas. Le Voltali parvint enfin à côté d’Aaron. Tous les regards des enfants étaient tournés vers lui, et il se contenta de les toiser d’un œil froid, comme d’ordinaire. Son visage impassible et son expression mystérieuse devaient sans doute donner l’impression qu’il gérait la situation, mais intérieurement, il était clairement en train de se demander ce qu’il foutait là. Hm. Fallait-il dire Bonjour ? Ou alors comme sa petite sœur le faisait
« Yo les mioches ? ». Pas son genre. Il n’était même pas sûr de savoir ce que voulait dire Yo. C’était un mot branché, ça ? C’était dans le dictionnaire ? Le châtain sentait déjà la sueur perler dans le creux de son cou. Boooon allons Alban, motive toi et dit au moins quelque chose, ce n’est pas si difficile de bouger ta mâchoire, non ? Synapses ? Oui, bien, merci.
- Hm, bonjour, glissa-t-il simplement aux enfants, tout comme à Aaron. Puis, se tournant vers ce dernier, il essaya de chercher un peu d’aide dans ses yeux vert émeraude.
Aaron. Comment vas-tu ? Cela faisait longtemps. Je suppose que tu es aussi venu pour faire animateur… Hm… Je ne sais pas exactement ce qui est prévu pour aujourd’hui, tu as une idée ?Ses yeux vides et vagues lançaient des signaux « help », mais il était parfaitement compréhensible que son camarade ne les perçoive pas. Après tout, Alban n’était pas le gars le plus expressif du monde. Les enfants, enfin accommodés à son apparition soudaine, se remirent soudainement à brailler, en agitant les bras et les jambes, intenables.
- Eh c’est une fille ! Ahahaha ! Il a des cheveux longs et des yeux comme des billes ! C’est une fille ! Buhahaha !Alban sentit son corps se raidir. Une fille, lui ? Bon certes, il avait quelques mèches un peu longues qu’il devait couper, mais tout de même… Il fut tenté d’attraper par l’oreille celui qui venait de lui dire ça, mais il se ravisa. Sur son épaule, Zéph’ piailla, et Auster, à ses pieds, reniflait déjà les gamins pour essayer de les sonder. Une fille l’empoigna par la queue violemment et le fit sursauter ; dégainant ses crocs, le Noctali se tourna vers elle et la fit pleurer. Puis, les oreilles rabattues, il regarda son dresseur pour savoir ce qu’il convenait de faire. Ah. Une vraie catastrophe… Il y avait une gamine toute nue. Un autre, qui avait un ver de terre qui dépassait de sa bouche. Une qui pleurait en jetant des pétales de marguerites sur son Noctali. Stop, stop, stop. Il fallait qu’ils arrivent à canaliser tout ce bordel. Premièrement, l’atteinte à sa virilité.
- Bon on se calme. Déjà, je ne suis pas une fille. Je m’appelle Alban et je suis chargé de m’occuper de vous aujourd’hui. Et lui, c’est Aaron. Les enfants s’arrêtèrent et l’écoutèrent attentivement. Une gamine aux cheveux blonds et bouclés lança un regard vers Aaron, rougit, et commença à se trémousser sur place en agitant sa robe à froufrous. Puis, tous en même temps, ils levèrent les doigts pour se présenter également. Wow wow wow, une vraie cacophonie. Et pourtant, Alban avait vécu dans une volière, hein. Avec un demi-sourire qu’il essaya d’adresser à ces mioches, il se baissa à leur hauteur. Il enleva sa veste, et la posa sur les épaules de la fille qui n’avait pas ses vêtements. Voilà un deuxième problème de résolu. Pour l’instant, ils avaient l’air de bien « gérer » la situation, même si ça semblait toujours compliqué. Il crut qu’il maîtrisait la situation lorsque quatre gosses lui sautèrent dessus et lui montèrent sur les épaules en criant et en riant aux éclats. En moins d’une minute, il en avait deux sur les épaules, un sur les genoux, et un qui s’agrippait à son bras. On lui avait déjà noué les cheveux en deux couettes avec des chouchous à cerises rouges. Mon dieu. Il était en train de mourir de honte.
Se tournant vers Aaron, il lui lança un regard qui signifiait clairement
« Pitié, aide-moi. On fait quoi maintenant ? ». Gamins : 1. Virilité : 0.