« - On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le Renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
- Que faut-il faire ? dit le Petit Prince.
- Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près... »
Ses yeux d’un bleu turquoise s’ouvrirent sur le monde autour de lui. Droit devant, la douce Opale l’observait de ses yeux aux teintes irisées. Ils étaient à distance respectueuse l’un de l’autre ; trois mètres, tout juste ce qu’il fallait pour qu’ils puissent se sourire, s’observer et se flairer, sans pour autant se faire fuir. Car leur côté sauvage était encore trop vif pour qu’une approche plus entreprenante soit possible. Ils se toisaient tels deux animaux craintifs et méfiants. Pourtant, petit à petit, le lien invisible qui les reliait devenait plus fort. L’écart qui les séparait ? Plus mince. Une sorte de confiance et de respect mutuel était née, même si Alban ne voulait pas gâcher tout ce qu’ils avaient commencé à bâtir d’un pas trop optimiste. En silence, il lui offrit un sourire. Leurs yeux se croisèrent, semblant livrer un dialogue muet. Puis, de sa voix aux accents suaves de l’Archipel Orange, Opale lui répondit. Le commentaire le fit presque rire. Aha, était-il si facilement déchiffrable que cela ? Il lui en était arrivé des choses, en effet. Des aventures colorées, des rencontres qui l’avaient chamboulé à jamais, et d’autres amitiés tissées qu’il s’évertuait à entretenir. Chaque lien devait être chéri et poli, auquel cas il n’en résulterait que des ruines. Malheureusement pour le moment, le « lien » d’Opale et Alban était encore trop jeune, trop fragile, pour qu’il puisse passer à l’étape suivante. Il devait d’abord s’assurer que le filin soit bien assez fort pour les supporter tous les deux, car sinon, les conséquences pourraient en être dramatique. Il reprit bien rapidement un visage énigmatique.
- Je pense que je ne suis pas le seul à avoir beaucoup vécu durant ces deux derniers mots, lui murmura-t-il avec un sourire taquin.
Ce serait mentir que de dire qu’elle n’avait pas un petit peu changé. Dans son attitude, même si elle restait l’Opale qu’il avait rencontrée sur la plage sous le ballet des lucioles, elle avait l’air… différente. Peut-être était-ce seulement dû à la lumière du jour. Après tout, les choses pouvaient bien paraître différentes sous la lueur de la lune. Mais il osait croire que ce n’était pas uniquement ça. Il décida de ne pas s’y attarder plus pour le moment ; après tout, ils auraient bien l’occasion de se raconter leurs vacances à un moment ou à un autre. Opale avait-elle rajouté d’autres photos à son album ? Il avait l’air d’être le premier souvenir de son été qu’elle avait apposé sur papier glacé. Enfin, c’était ce qu’il espérait… Mais à présent, son portrait devait avoir été rejoint par d’autres paysages, d’autres Pokémon, et d’autres personnes… Ne serai-ce que le cliché de cette nouvelle acquisition dont elle venait de parler. Il regarda autour de lui pour essayer d’apercevoir ce dernier, mais ne vit qu’Eryn et ses Pokémon. La fille aux cheveux rose avait d’ailleurs l’air de se sentir un peu mise à l’écart dans cette ambiance si particulière, mais elle ne s’était pas encore éclipsée discrètement. Eryn, McNellis… Elle devait être de la famille de Loan elle, non ? A moins que ce nom soit particulièrement commun, il ne savait pas trop… Il décida de ne pas lui demander pour le moment. De toute façon, Opale venait de se pencher pour observer Auster, qui la regarda d’un air neutre. Les yeux de l’ancienne Pyroli virèrent aussitôt au rouge translucide, ce qui était un phénomène vraiment beau à voir. Dans le même temps, Pépite se réveilla et Alban lui accorda un sourire.
- Bonjour Pépite, le salua-t-il, tandis que Zéphyr levait une aile pour faire remarquer sa présence au lézard électrique.
Pépite n’avait pas l’air d’avoir beaucoup changé durant l’été. Comme la mouette chromatique, me diriez-vous. Sauf que Zéph’ avait enfin appris à voler… Ce qui en soi, n’était pas non plus négligeable. Curieux d’entendre tous les récits d’Opale sur tout ce qu’il avait manqué de sa vie, le châtain farfouilla dans son sac à dos pour en sortir un calepin lorsqu’elle plaisanta sur le fait qu’il devait déjà tout connaître.
- Aha, allons bon, je ne suis pas encore arrivé depuis assez longtemps pour avoir pu tout visiter… Mais j’ai passé tout mon temps libre à me renseigner, oui, et j’ai pu dresser une liste des endroits à aller voir et des animations à ne pas manquer, répondit Alban avec un petit clin d’œil lorsqu’il parla de son temps libre.
Car quiconque avait déjà été en cours avec Alban savait qu’il passait le plus clair du temps des enseignements qui ne l’intéressaient pas à feuilleter ses brochures et à faire semblant de prendre des notes, alors qu’il noircissait juste les pages de son cahier de bonnes adresses. Mauvais élève Alban ? Pas tant que ça, non. Juste qu’il ne voyait pas en quoi s’intéresser à la stratégie ou aux combats Pokémon était fascinant alors qu’il ne souhaitait pas faire combattre les siens. Il y avait bien des moyens de montrer la supériorité de son équipe aux autres. Par les compétitions sportives par exemple, où normalement, personne n’attaquait un autre. Ou dans le domaine Scientifique, où les Pokémon pouvaient servir à dénicher les meilleurs fossiles. Mais se donner en spectacle en blessant l’autre ? Très peu pour lui. Il n’était pas fan de ce genre de pratiques, même s’il avouait qu’il pouvait livrer des combats en cas de dernier recours. Mais jamais sans une bonne raison.
La conversation se déporta cependant vers Eryn, qui fut sollicitée pour son ancienneté à l’académie. En plus d’être dans un dortoir à proximité des lieux. La jeune Mentali ne gagna pas vraiment de points lorsqu’elle avoua ne jamais être entrée dans la forêt. Depuis combien de temps était-elle là ? N’avait-elle aucune curiosité quant aux paysages qui l’entouraient ? Alban avait du mal à comprendre que les gens ne puissent pas être comme lui ; avides de connaissances et de découvertes, de voyages et de culture. Il tiqua cependant lorsqu’elle parla de Pokémon Légendaire. Un Pokémon Légendaire ? Il n’était pas particulièrement naïf, ni un crédule de la première heure, mais il aimait croire aux mythes et aux folklores locaux. Si les gens aimaient à dire qu’il y avait un Pokémon Légendaire à l’intérieur de cette forêt, c’était qu’il devait y avoir quelque chose d’assez incroyable. Pas forcément un Pokémon. Mais sa curiosité était piquée à vif, et une étincelle brilla dans son regard.
Il voulut poser plus de questions mais Opale l’interrompit en lui tendant timidement un morceau d’étoffe. Alban fut aussi étonné de voir le présent que les joues de la jeune fille se teinter de rouge. Il était surpris et incroyablement flatté. Le foulard était d’une belle couleur, qui s’accordait parfaitement avec celles qu’Alban portait d’ordinaire. Avec un sourire ému de gratitude, il n’osa pas parler sur le moment. Ses doigts fins glissèrent vers Opale et se saisirent du présent, sans toucher les mains de la jeune fille. Après tout, ils n’étaient pas encore assez proche l’un de l’autre. La texture du foulard était vraiment agréable. Elle était douce, mais il sentait dans l’épaisseur du tissu qu’elle pourrait le protéger du vent sans problème. Il la prit et la noua autour de son cou pour faire honneur au travail du Renard.
- Merci, elle est magnifique… Je suis vraiment touché d’avoir cet honneur… lui dit-il d’une voix grave et profonde.
Puis, avisant le regard fier du petit Galvaran, il lui sourit tandis que Mistral agitait ses ailes cotonneuses.
- Et merci aussi, Pépite. Enfin… Cela veut donc dire que tu as pu choisir ta voie, Opale ? Les étoiles t’ont-elles soufflé un chemin qui te plaît ? demanda-t-il, en référence à leur première rencontre.
En tout cas, c’est du très bel ouvrage, tu es talentueuse.Il passa ses doigts sur le foulard. Il ne faisait pas particulièrement chaud aujourd’hui, ni particulièrement froid, mais ce morceau de tissu était bienvenu. Il lui réchauffait autant la gorge que le cœur. Il fut gêné un moment de ne pas avoir de cadeau pour elle, mais il se promit de se rattraper plus tard. Il ouvrit la bouche de nouveau pour continuer la discussion, lorsqu’un Pokémon d’Eryn qu’il ne connaissait pas les bouscula à moitié. Il attrapa sa dresseuse et, après qu’elle eut fait tomber toutes ses affaires par terre, elle s’engouffra en courant dans le dortoir des Mentali. Alban regarda Opale, sans savoir trop quoi faire. Par réflexe, il se pencha pour rassembler les affaires de la jeune fille et les glisser dans son sac à dos.
- Il faudrait peut-être lui rendre, dit-il à Opale.
Ses sens lui hurlèrent de les poser à l’entrée du dortoir des Mentali et ne pas y entrer. Après tout, un garçon dans un dortoir de filles, c’était forcément étrange. Cependant, pour une raison qui lui était inconnue, il s’engouffra dans le couloir sans faire attention aux murmures sur son passage, et tenta de se repérer dans le dédale des chambres. Où pouvait bien être Eryn ? Il entendit finalement sa voix un peu plus loin, et, après avoir fait signe à Opale, il se retrouva devant la chambre ouverte de la demoiselle. Il était gêné d’être ici, c’était clair. Il pouvait entrapercevoir l’intérieur de la couchette de la Mentali. Pas longtemps cependant, car un éternuement se fit entendre tandis qu’une Poudreuse venait s’abattre sur Opale et lui. Aoutch. C’était froid. Pour le coup, il était content d’avoir le foulard du Renard. Eryn s’excusa aussitôt, tout en disant qu’elle avait froid. Gentleman, Alban enleva sa veste et la tendit à la fille aux cheveux roses, en même temps que son sac qu’il avait récupéré.
- Pas de soucis. Tiens, je te la prête si tu veux, ça devrait te réchauffer. Et voilà tes affaires, tu les avais faites tomber dehors… Normalement il y a tout, mais tu devrais vérifier au cas où.A présent, il était seulement dans une chemise bleu pâle, mais c’était largement suffisant pour une balade en forêt. Restait à espérer qu’Opale n’ait pas froid non plus, car sinon, il n’aurait pas vraiment su quoi faire. Quelle idée avaient-ils eu de rentrer en terrain hostile comme cela ? Il voyait déjà les autres Mentali les toiser d’un air curieux. Ah, ça, il était sûr que ça finirait dans les potins du lendemain.