Rosalia était plutôt calme pour cette fin d'année, après tout la grande fête d'Automne était finie depuis un bout de temps maintenant. Après un mois de novembre habituel pour son froid et son calme, le mois de décembre était déjà bien entamé et la neige avait finalement chassé les feuilles d'or et de bronze qui jonchaient le sol depuis la fin du mois d'août. Il en était ainsi à Rosalia, l'automne durait longtemps et couvrait toute la ville de couleurs. Sa position centrale dans la région de Johto, tant proche de la mer que des montagnes formant le Plateau Indigo et le Mont Argent lui donnait un climat doux et tempéré qui prolongeait la durée des saisons à équinoxes. Au printemps, la ville serait recouverte de fleurs multicolores pour un autre festival. Ce rôle de carrefour n'était pas qu'une affaire de géographie : la culture même de la région transpirait à chaque coin de rue. Kimonos, lanternes, statues, architecture, tout était quasiment resté comme dans les légendes qui berçaient la bourgade, si l'on exceptait une des deux tours qui en faisait maintenant encore plus partie. Entre les deux, le quartier le plus anciens et le plus réputés de la ville, comportant d'immenses propriétés. Intéressons nous un peu plus à l'une d'entre elles.
La grande maison traditionnelle du centre-ville ne dérogeait pas à la règle : portes coulissantes, tatamis, cour intérieure, bambous et bassin remplis de Poissirène. Tout droit tirée d'un film ou d'un livre des 100 plus grands clichés sur les autres cultures, la bâtisse, ou plutôt l'important complexe de bâtiments qui pouvait quasiment fonctionner comme une ville tout seul, abritait une des familles les plus conservatrices de Rosalia, les Neria. Pour vous donner une idée, des enfants aux grands-parents, chacun vivant au moins la moitié de sa vie dedans si il ne voulait pas être répudié. Les jeunes étaient élevés intra muros (mais n'étaient pas non plus coupés du monde) et la plupart des adultes travaillaient dans des pièces transformées au fil du temps en bureaux ou alors à Rosalia même. Les traditions y sont sacrées : on s'incline en entrant et en sortant d'une pièce, tous jouent aux jeux de plateaux anciens, tous savent manier l'épée. Enfin bon, les traditions vieillissaient, cette description était peut-être restée correcte ces trente dernières années, mais depuis, elles avaient un peu évolué. Si les jeunes restaient encore étudier, étaient entraînés aux vieilles pratiques et prenaient part aux festivités comme avant, on leur laissait beaucoup plus de libertés.
Veste en jean, sweat à longues manches, jean, bottes montantes, gants et un bonnet sur la tête, Etna sautillait sur place et achevait de balancer le heurtoir sur la double porte ancienne. Il faisait bien plus froid qu'elle ne l'avait prévu et la nuit l'avait surprise. Bien qu'il n'était pas encore tout à fait l'heure pour elle de rentrer, sa ponctualité et la température extérieure l'avaient poussée à se hâter. Alors qu'elle s'apprêtait à escalader (une fois de plus) le mur extérieur, elle entendit le bruit caractéristique la barre en fer glisser dans ses encoches. Reposant son pied au sol, elle retourna au portail qui s'ouvrit bien vite. Elle échangea quelques mots avec le portier puis s'en alla vers ses quartiers. Sur le chemin, elle croisa quelques tantes, discuta un peu avec elle puis arriva enfin dans sa chambre. Mis à part le sol et les murs qui faisaient honneur à l'endroit, le reste de la pièce était l'archétype même du repaire de l'adolescente de base : grande penderie, posters aux murs, magazines soigneusement empilés, table de go dans un coin, livres de poèmes tradi... oui non en fait ce n'était pas tout à fait comme l'archétype. L'adolescente brune prit ses affaires de sport et s'en fut aussi vite qu'elle était rentrée. Direction la salle d'arts martiaux.
Etna n'était que la fille d'une branche collatérale, mais en même temps c'était une des seules jeunes encore présente dans la demeure. Les conditions particulières de la famille faisaient que de moins en moins de descendants étaient nés, et même elle savait que viendrait un jour où elle devrait choisir un mari, de préférence d'une bonne famille d'une autre région et qu'elle devrait partir avec lui. Mis à part ses cousins encore à la maternelle, c'était la seule mineure. Elle n'avait heureusement pas le poids de la succession sur les épaules et pourrait si elle le voulait quitter la tradition si l'occasion se présentait. Cela voulait aussi dire abandonner cette maison et même Rosalia voire Johto afin de ne pas déshonorer les siens. Pour le moment, elle devait juste aller pratiquer un peu d'escrime. Planning d'études, tout ça. Elle soupira, sachant très bien qu'elle finirait plutôt par donner une bonne leçon à son oncle trentenaire. De même à la séance de go qui suivrait, un des anciens se ferait sûrement ratatiner. Après tout, son monde se résumait à cela : cours et études avec les anciens. Bien entendu, elle n'était pas une princesse en cage et sortait régulièrement dans Rosalia, mais ne savait pas quoi faire le plus souvent et allait voir un film, écoutait un peu de musique ou alors décidait de passer son temps libre à surfer un peu sur le net.
Etna s'inclina devant la porte du dojo, caressa le Noctali qui le gardait entre les deux oreilles et rentra dans la pièce. La maison était remplie de Pokémon, pour la plupart dressés, d'autres sauvages mais habitués à rester là. Le plus emblématique était certainement le Feunard qui était là d'aussi loin que le plus vieux membre de la famille pouvait se souvenir. La tradition voulait que chacun obtienne son premier compagnon à sa majorité, ce qui ferait encore plusieurs années à attendre pour la combattante en herbe. Après l'entraînement (qui se déroula pile comme elle l'avait prédit) et une bonne douche, vint l'heure du repas.
Usuellement, chaque partie de la famille mangeait séparément, mais quand elle retrouva ses parents, Etna fut surprise d'apprendre qu'ils étaient tout les trois conviés au repas de la branche principale et voire pire, des actuels chefs de la famille. Plus ou moins intriguée, elle passa les trente minutes suivantes à se faire préparer par les domestiques. Maintenant vêtue d'une tenue qu'ils appelaient correcte, mais qui pour le reste du monde, et même de la ville s'apparentait à un costume traditionnel réservé aux festivals, Etna accompagna ses parents dans la grande salle à manger. Le dîner se déroula normalement, bien que même elle pouvait sentir la tension qui régnait dans la salle. Suivant le protocole, du moins tout ce dont elle pouvait se rappeler à la lettre, elle ne prononça pas un mot, sauf si demandé. Elle ne prit aucune bouchée avant le chef de famille. Elle leva la main vers la Tour Carillon à chaque présentation de plat. Elle baissa la tête à chaque fois qu'un plat cuit était amené, en hommage à la Tour Cendrée.
Vint enfin la fin de l'épreuve. Le salut au chef de famille. La famille collatérale se rapprocha et s'agenouilla devant le quinquagénaire grisonnant, qui était dans la même position, et lui présenta le renouveau de son soutien et de sa loyauté, comme le voulait encore une fois le protocole.
- Etna que veux-tu faire plus tard ?
La question, posée par le supérieur, sans aucune détour ni aucune fioriture surprirent sincèrement la jeune fille qui releva la tête, oubliant qu'elle devait normalement la garder baissée pendant toute la durée de l'échange. Ses parents, visiblement aussi choqués qu'elle échangèrent un regard inquisiteur. Quant à l'adolescente, elle s'entendit répondre qu'elle voulait travailler dur pour l'honneur de la famille tant qu'elle le pourrait. Le patriarche esquissa un sourire et hocha la tête, signalant de ce fait que l'entretien était terminé. Puisqu'elle n'était plus nécessaire, Etna retourna dans sa chambre, se demandant ce qu'il en était. Elle serait certainement restée étourdie toute la soirée, si ses parents ne l'avaient pas convoquée. Elle allait de surprise en surprise aujourd'hui. Plus décontractée par cette entrevue que par un repas protocolaire, elle se figea néanmoins, bloquée par l'air grave de son père et le regard triste de sa mère quand elle rentra dans leur suite.
- Nous n'irons pas par quatre chemins. Le noyau central veut que tu partes étudier à l'étranger. Pour te faire découvrir le monde.
Bouche bée, Etna bâtit plusieurs fois des paupières avant de demander avec une voix étranglée le pourquoi de cette décision. La seule réponse fut qu'elle devrait choisir un cursus et si possible une école « respectable » d'ici deux semaines, faute de quoi ils décideraient pour elle. Sa mère agita la main rapidement pour lui faire comprendre qu'il valait mieux quitter le périmètre rapidement avant que son père n'explose. La jeune fille, bien secouée maintenant s'inclina, ferma la porte mais resta appuyée contre cette dernière et put entendre l'accès de fureur de son paternel. « Elle est trop douée », « elle fait de l'ombre à la branche principale », « ce sera une bonne expérience pour elle », « elle pourra devenir l'ambassadrice de la famille quand son tour viendra » suffirent à lui faire comprendre la situation. Elle s'éclipsa et retourna dans son nid. Assise sur son lit, l'hésitation entre la fureur, la tristesse et l'incompréhension batailla un peu dans sa tête pendant quelques minutes. Elle finit néanmoins par fondre en larmes sur son oreiller.
Réveillée au beau milieu de la nuit, toujours habillée et avec la lumière allumée, Etna prit quelques secondes pour se remémorer ce qu'il s'était passé. Maintenant plus sereine, son esprit stratégique reprit le dessus. La vie n'est qu'une grande partie de go après tout, il lui suffisait de trouver le bon mouvement à opposer à celui que le cruel destin avait placé sur son chemin. Tout d'abord, pas la peine de se faire d'illusion, si les maîtres de la famille l'avait décidé, elle devrait s'y plier. Maintenant, restait à trouver quelque chose qui lui plairait. Et pour quelqu'un qui avait toujours vécu en suivant les directives d'autres personnes, ça n'allait pas être évident. Il avait beau être trois heures du matin, la jeune Neria alluma son ordinateur. Sa session de … l'avant-veille s'afficha automatiquement. Ah oui, elle avait regardé des documentaires sur les Pokémon guerriers lors de l'époque médiévale. Ferait-elle une bonne stratège militaire ? Plus important, restait t-il des guerres dans le monde actuel ? Rah, ça allait être encore plus dur que prévu !
Pourquoi pas une école d'arts martiaux ? Non, ce n'était pas la peine, son style atypique ne serait pas reconnu et elle ne voulait pas à en apprendre d'autre. Avec une moue elle laissa tomber ce qui concernait le sport. Elle pouvait toujours tenter une carrière plus classique : pourquoi pas comptable ? Elle pourrait aider la fa... et si ils ne voulaient juste plus la voir ? Elle n'y avait jamais vraiment pensé, mais la soirée l'avait déjà bien fait réfléchir : si elle donnait son maximum, et elle le donnait toujours quelque soit sa tâche, elle ferait sans nul doute de l'ombre à des membres plus haut placés. Jamais elle ne pourrait baisser les yeux ou être une gentille fille à marier, et cette réalisation ne la frappait que maintenant. Bon, oublions l'aide à la famille, puisqu'elle ne finirait jamais guerrière, elle sera donc un samouraï errant, une paria. Ho-Oh soit loué, contrairement aux siècle dernier, son nom ne sera pas vraiment effacé des registres familiaux et elle pourra toujours voir ses parents... Elle n'aura juste aucun soutien sauf le leur.... et l'obtiendrait-elle ? La vie de paria était hasardeuse. Et du haut de ses quatorze ans, elle n'était pas sûre de pouvoir la supporter. Avec un soupir, elle chassa ses idées sombres, sentant bien que ses larmes n'étaient pas loin.
Il existait bien une autre solution : prendre une voie que personne d'autre n'emprunterai et dans laquelle elle ne pourra faire d'ombre à personne tout en aidant sa dynastie. Enfin bon, si une telle chose existait cela ferait longtemps que... et si depuis le temps quelque chose de nouveau était apparu avec l'époque moderne ? Bien sûr, elle se voyait mal faire de l'informatique, son ordinateur lui servait juste de plate-forme informative et pour jouer, mais il y avait de l'idée... Ambassadrice comme son père le voulait ? Non, elle finirait par perdre patience et provoquer des incidents... Bon sang, n'y avait t-il rien qu'elle puisse faire ? Quelques grattements à sa fenêtre lui firent relever la tête. Elle entrebâilla l'ouverture et laissa un petit Goupix rentrer. Le renardeau sauta d'un bon sur le lit et s'allongea sans plus de façons sur le clavier. Avec un soupir, Etna éteignit l'ordinateur et commença à caresser le Pokémon Feu. Alors que le mouvement monotone lui faisait piquer du nez à nouveau, la petite bête sauta de ses genoux et se posa au centre de la pièce. Il étendit ses queues et laissa partir des Feux Follets qui virevoltèrent dans la pièce, créant des traînées ignées dans l'air et traçant des symboles complexes. Une ou deux flammes dévièrent de leur trajectoire et atterrirent sur le lit mais Etna, visiblement habituée les étouffa directement avec un édredon qui portait de nombreuses traces de brûlures.
- Tu t'en sors de mieux en mieux, dis donc !
Le Goupix eut un petit glapissement joyeux et sauta par la fenêtre sans plus de façons. Etna sourit à moitié : ça faisait longtemps qu'elle entraînait le petit Pokémon régulièrement à maîtriser son feu, et ça prenait vraiment forme. Son sourire disparu. Elle devrait l'abandonner bientôt... L'adolescente s'allongea pour réfléchir, mais son esprit revenait toujours aux jolies formes que les flammes avaient tracé. Dire qu'au début le renardeau n'arrivait à peine qu'à éternuer des cendres... Ils avaient vraiment fait du chemin, un jour il pourrait peut-être participer à des compétitions de beauté, enfin si ça exi... Une seconde... Elle se redressa vivement (merci les séances d'abdos) et ralluma la machine. Une recherche. Deux... Dix. Alors comme ça c'était une vraie vocation et s'appelait coordinateur performer... Et on pouvait aller dans des écoles pour apprendre ça ?! Mais c'était génial !
Il ne lui en fallut pas plus. Maintenant trop excitée pour dormir, Etna passa la nuit à chercher une école qui, premièrement acceptait des élèves courant janvier et deuxièmement fournissait un Pokémon car sa famille ne l'aiderait pas de ce côté là. A sa surprise, il y en avait beaucoup, certaines même à Johto, à Doublonville pour ne citer qu'elle. Mais tout bien réfléchi, quitte à partir autant quitter Johto... et même Kanto. Que restait-il ? Alors Féli-Cité, Mérouville, Volucité, Illumis... Que des grandes villes ? Elle fit la moue, il n'y avait rien du genre campus ou internat coupé du monde ? Où elle ne risquait pas d'entendre parler de sa famille ? Bon encore une recherche... Hm ? Pokémon Comumnity ? Sur une île ? Avec plein de parcours différents ? Avec une rentrée en Février ?! Un coup d'oeil à son réveil... Six heures du matin ? Son père n'allait pas tarder à se lever, pourquoi ne pas aller lui en parler au plus vite ?
L'adulte fut surpris de voir débarquer sa fille si tôt. Encore plus pour les raisons qui la poussaient à faire ça. Il se dit qu'elle s'était plutôt vite résignée, ce n'était pas plus mal, et en plus elle semblait avoir tout trouvé toute seule, c'était … incroyable en un sens. Même si le but du projet lui faisait un peu peur, c'était bien mieux que ce qu'il avait craint au début. L'homme donna son feu vert, et sa femme fit de même, plus tard dans la matinée. Le reste de la famille, soulagé d'après le couple, accepta la proposition d'Etna qui partit donc juste après les festivités du nouvel an (Rosalien, donc fin Janvier) pour l'île Lansat.
Son katana fut confisqué et entreposé lors de son entrée sur le campus (pourquoi tout le monde avait fait les yeux ronds quand elle l'avait sorti lors des fouilles d'ailleurs?) mais on lui laissa son jeu de go portable. (Mais sérieusement quoi, elle y tenait à cette épée, surtout qu'il fallait l'entretenir !) Prise dans la folie de la rentrée, elle n'eut pas trop le temps d'y penser car elle devait maintenant aller recevoir son premier Pokémon. Avec un haussement de sourcil, elle apprit que l'homme qui devait le lui remettre, le Collectionneur, habitait dans les souterrains de l'île. Ok, très bien, qu'est ce que c'était que cet endroit ? Après quelques déambulations, elle atteignit le repère de cet énergumène tout en pestant contre la terre et l'odeur.
Quand vint (enfin) son tour, elle fut mise devant un ordinateur et dut répondre à quelques questions. Et quelles questions... Exemples : « Est ce que tu sait danser ? » (Les danses traditionnelles de Rosalia, oui) « Quelle est la réponse ? » (Quoi ? …. « Quelle est la question ? ») ou encore « Baie Fraive ou Pêcha » (La Fraive, la Pêcha était vraiment trop sucrée pour elle) Une fois le quizz terminé (et la condition cérébrale du Collectionneur remise en cause), ce dernier lui remis un Pokéball et lui indiqua qu'elle pouvait maintenant aller s'installer. Une fois à l'air libre, Etna regarda la sphère. Elle savait comment elle fonctionnait mais avait un peu peur : c'était avec ce Pokémon qu'elle devrait devenir Performer. En serait-elle capable ? Bien sûr, c'était d'elle dont on parlait... Mais la victoire ne reposerait pas sur elle cette fois, aurait-elle l'âme d'un chef, elle qui n'avait fait que suivre jusque maintenant ? Avec un peu d'appréhension, elle libéra son nouveau Pokémon.
L'odeur la frappa en premier et lui fit se pincer le nez et froncer les sourcils. Puis le Pokémon ensuite. Un Moufouette.
- Ah.