Nous entrions dans la période morte, comme je me plaisais à l’appeler. Un genre d’entre deux où l’on ne pouvait rien vraiment faire. Les festivités étaient derrière nous et il ne restait plus que quelques jours avant le retour à un rythme de vie normal. Certains élèves se remettaient encore des événements et les autres en profitaient comme ils pouvaient, sortant avec des amis avant de replonger dans les travaux. Certes, il y avait bien un ou deux braves pour se lancer directement dans l’écriture d’une thèse et s’alléger un peu la tâche pour la session à venir, mais j’étais encore loin de cette étape de mon cheminement. Quant à sortir avec des camarades, il n’est un secret pour personne que je n’en avais pas le moindre. Cette réalité commençait à me rattraper lentement, comme la marée qui avance un centimètre à la fois. Je ne pouvais rien faire de plus que de lire, sourcils froncés, tentant d’oublier vainement tout le ridicule de la situation. N’étais-je pas le meilleur pour manipuler autrui, pour les emmener exactement là où je le désirais? Mais alors pourquoi était-ce si difficile de trouver quelqu’un qui pourrait me tenir compagnie et me libérer de ce fardeau de solitude? Probablement car c’était une pensée dégoutante, une pensée qui me donnait des haut le cœur, depuis que j’étais rentré de Volucité. N’était-ce pas exactement leur façon d’agir? Madame Jones avait eu besoin de quelqu’un à agiter devant la foule et m’avait fait rentrer, sans se soucier des répercussions sur ma propre vie. Connaissant l’oiseau, sans doute en avait-elle pleinement conscience pourtant, mais là n’est pas la question. Qu’accomplirais-je à reproduire le même schéma, à me conduire comme les êtres sans cœurs qui n’avaient cessé de me faire sentir comme un moins que rien? Ne valais-je pas mieux que cela? La véritable victoire ne serait-elle pas de trouver mon propre chemin et de le parcourir jusqu’au bout, pour leur prouver que leur façon de vivre elle-même était erronée? Devenir un individu honnête et réaliser de grandes choses, ce serait la meilleure façon de leur faire mordre la poussière.
Voilà pourquoi j’étais parti chez le coiffeur, ce jour là. M’asseyant dans la chaise de la demoiselle aux ciseaux brillants et empestant le fixatif, mes mains s’étaient nerveusement refermées sur les accoudoirs. C’est avec un air candide que la jeune femme s’était permis de passer une main dans ma chevelure dorée avant de me demander d’un ton joyeux ce que je désirais aujourd’hui. Drôle de façon de le demander puisqu’il s’agissait de la première fois que je fréquentais cet établissement, mais je ne le relevai pas. Je répondis plutôt que je voulais une coupe plus passe-partout ainsi qu’une teinture châtain clair, en harmonie avec mes repousses naturelles. Pour simplifier, je voulais pouvoir me faire passer pour le premier adolescent ennuyeux venu plutôt que pour le flamboyant et célèbre Heath S. Jones, préfet malgré son arrivée récente, grand méchant loup, vous connaissez la chanson. L’employée avait agrandit les yeux, puis s’était montrée déçue, mentionnant que ma coupe actuelle m’allait pourtant très bien. Faisais-je cela pour une nouvelle petite amie facilement jalouse? Si c’était le cas, il était encore préférable que je sois fidèle à moi-même et que je l’envoie balader, les filles comme ça n’arrivaient jamais à tenir de longues relations stables. Qu’aurais-je fait normalement? Sans doute un mouvement de la main, accompagné d’un haussement d’épaule, avant de dire que c’était bien tout le contraire. Quelque chose comme ça. Les répliques me venaient de façon si naturelle, je ne faisais même plus attention à ce que je disais. Sauf que je ne pouvais plus faire ça, j’avais décidé de changer ma façon d’être. Alors quoi? Simplement lui avouer que mon reflet dans le miroir me rappelait bien trop mon grand frère, Illford? Lui glisser que je ne me sentais plus à l’aise de lui ressembler, car je voulais me créer ma propre identité à part entière? Mais je ne connaissais pas cette fille, je n’avais aucune raison de me confier à elle ou d’être sincère. Ajoutons à tout cela que son indiscrétion me rendait très nerveux et vous comprendrez pourquoi ma réponse avait tourné dans les alentours de : Ça ne vous concerne pas du tout. Contentez-vous de faire votre travail et de le faire bien. Bien sûr, elle s’était renfrognée et le reste du rendez-vous s’était passé dans le plus grand des silences. La coupe achevée, j’avais payé le tarif indiqué et ajouté un petit surplus, afin de la remercier et de m’excuser, d’une façon un peu maladroite.
Suite à cela, j’avais décidé d’errer un peu avant de rentrer, mes pas me menant malgré moi dans les alentours du campus. Les mains dans les poches, j’en avais tiré la droite pour la glisser dans ma nouvelle crinière, constatant le changement de manière tactile. J’avais perdu quelques plumes et ne devait plus ressembler à grand-chose. C’était presque à me demander si l’on me croirait, lorsque j’affirmerais être moi. Eh. N’est-ce pas la chose la plus ironique que j’aie jamais pensé? D’une certaine façon, assurément. Et encore, il y avait autre chose. Un petit détail qui me glissa de l’œil droit, sournoisement. Bien sûr, je le remarquai tout de suite, mais il était bien trop tard. Mon verre de contact aux couleurs de l’ambre et du caramel avait dégringolé jusqu’au sol. Impossible de le remettre maintenant, d’autant plus que cela me faisait un beau regard vairon. De mieux en mieux. Je ne pouvais laisser les choses comme cela, ce serait bien trop ridicule. Résigné, j’avais donc utilisé la fonction caméra de mon iPok comme un miroir, allant retirer la seconde lentille et achevant de dévoiler une paire d’iris carmin. Depuis combien de temps les gardais-je cachés derrière une illusion colorée? Je ne le savais plus trop, ça faisait partie de ma routine avec autant de naturel que de mentir. On ne faisait jamais confiance aux gens dont le regard est aussi rouge que le sang, ce n’était pas idéal, pour endormir la vigilance. Ce dernier artifice tombé, je ne m’étais plus senti aussi ordinaire depuis longtemps. Décoiffant ma frange, j’espérai qu’il en reste assez pour tomber devant mon regard et le cacher ne serait-ce que partiellement. Moi qui avait pourtant une façade si confiante, la voila qui s’effritait dès que je n’étais plus en plein contrôle de la situation.
J’aurais voulu m’effacer, disparaître. Rentrer au chalet et ne plus en sortir avant que l’on ne m’ait oublié. Je pourrais revenir ensuite sous un autre nom, recommencer à zéro. Ce serait tellement plus facile que de devoir vivre avec la réputation qui me collait à la peau depuis la fin de la dernière session. C’était justement le problème, ce serait trop facile. Si je voulais échapper à leur influence, le chemin qui m’apparaissait le plus facile, et donc le moins honnête, était justement celui que je devais éviter. Que faire, alors, pour passer ce temps qui n’en finissait plus? La réponse s’imposa d’elle-même lorsque j’arrivai à la hauteur de la plage. Le vent était frais et l’eau semblait claire, presque accueillante malgré ses baisers glacés. J’avais donc laissé sortir toute ma team, regardant Harley et Léviathan s’engouffrer dans les vagues. Vicious et Medea étaient restés auprès de moi, cette dernière portant la délicatesse jusqu’à insister pour se poser sur mon épaule. La renarde chromatique feignait d’avoir froid, c’était donc à moi de la réchauffer. Le dernier, mais non le moindre, avait prit son envol dans le vaste ciel grisâtre, s’y fondant presque à la perfection et nous surveillant de plus haut tel un vautour. Garuda pouvait enfin se dégourdir les ailes pour la première fois en deux semaines, l’Airmure avait été plus que patient. Au milieu de tout cela, je me contentais de marcher, perdu en mes réflexions. Je n’en ressorti que lorsque je remarquai, plus loin, une autre équipe qui semblait en plein entraînement. Curiosité oblige, je m’approchai un peu plus, bien que demeurant à distance raisonnable, afin d’épier l’échange.
Cizayox contre Chamallot, voilà un intéressant mélange. La victoire aurait du être évidente, mais le Pokémon acier se débrouillait bien, redoublant d’ardeur. Sans doute les encouragements de leur petite foule y étaient pour quelque chose et je me renfrognai. Voilà une façon bien curieuse d’exprimer sa passion, sa fureur de vaincre. Le jeune homme à la chevelure de neige ne semblait même plus faire office de dresseur, il avait l’air d’un simple spectateur, s’emportant comme si l’adrénaline du combat se communiquait jusqu’à lui. N’avait-il donc jamais apprit à garder la tête froide? Comment allait-il pouvoir mener ses Pokémon à la victoire de façon efficace s’il laissait son jugement être ainsi faussé par son emportement? Suffisait de regarder les autres, l’attitude de leur dresseur leur avait été partagée et ils témoignaient de la même folie passagère. Inutile de regarder, je savais que Medea et Vicious venaient d’échanger un regard curieux, bien que celui du second concerné était sans doute un poil plus sadique que celui de sa compagne. Ma présence suffisait toutefois plus qu’amplement à les maintenir à un état de maîtrise de soi, fort heureusement. C’est le signal d’un iPok qui sonna la fin du combat et je ne pû m’empêcher d’en scruter les concurrents d’un œil perçant. Le combat avait été féroce, aucun doute là-dessus. Il était même étonnant que l’insecte soit toujours debout.
L’heure était aux conseils et aux potions, afin de récupérer du rude combat. Je n’avais plus rien à faire ici, l’attraction du moment étant terminée, et me préparai à repartir comme j’étais venu. Néanmoins, c’était sans compter sur le fait que l’adolescent venait de me repérer. Cela m’empêcherait-il de partir? Probablement pas. Le regard surexcité de mon Sneasel? Voilà une autre paire de manche. Faisant déjà grincer ses griffes les unes contre les autres, le type ténèbres me regardait avec un air qui ne permettait pas le doute. Il désirait que nous restions. Retors et adepte des combats en tout genre, celui-là venait de lui mettre l’eau à la bouche. Ajoutons à cela qu’il était prêt à beaucoup pour me forcer à rester sur le chemin que je m’étais fixé, soit changer et devenir quelqu’un d’autre. Si en d’autres temps j’aurais pu me contenter de repartir de façon impolie, sans me soucier de mon prochain, il n’était plus acceptable de me comporter comme telle et il me le rappelait. Quitte à user de sadisme s’il y était contraint, Vicious ne me laisserait pas m’égarer. Qu’à cela ne tienne, j’allais me plier à cette demande silencieuse et reprendre mon chemin, en direction du garçon aux cheveux d’argent. C’est lorsque je fus à proximité que je le reconnu d’ailleurs. N’était-il pas un Noctali? Au moins, j’avais un début de piste pour savoir comment l’aborder, mais un problème demeurait. Comment s’y prenait-on pour amorcer une conversation sans tenter de faire croire à son interlocuteur que l’on est quelqu’un d’autre, sans tenter de manipuler et de poser les bases d’une frontière solide entre soi et autrui? Les voies de la sincérité m’étaient encore cachées et je devais donc improviser du mieux que je le pouvais, quitte à me vautrer lamentablement.
- Hawkins, n’est-ce pas? Il s’agissait d’un bel affrontement, mes respects aux combattants. Il est toujours plaisant de voir des membres du dortoir Noctali s’adonner sans réserve à l’art des duels.
J’avais manifestement encore beaucoup, beaucoup de chemin à faire.