| Menhirs et confessions Alban Abernaty & Aaron S. Mightley
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Cela faisait presque une semaine qu’il était rentré. Presque une semaine qu’il avait ignoré Maxine et Alex pour aller s’enfermer dans sa chambre et ne plus y bouger. Il ne savait même pas si elles étaient encore sur Touga, à vrai dire. Seul Aaron avait pu le voir vu qu’ils partageaient la même chambre. Seul Aaron avait pu remarquer sa détresse, et l’entendre toutes les nuits se tourner et se retourner dans son lit, trop tourmenté pour trouver le sommeil. Il avait l’impression d’être au fond du gouffre, maintenant. Pire, il avait l’impression de ne même plus savoir comment faire pour en remonter. Il avait pourtant eu des hauts et des bas, tout au long de sa vie. Mais ce qu’il avait vécu à Rhode risquait d’être ce traumatisme qu’il ne pourrait jamais surmonter. Celui qui ne s’était pas contenté de détruire ses rêves, comme lors de son fameux accident avec Cirrus. Mais celui qui déchirait tout ; son avenir professionnel, sa morale, sa foi en l’humanité… Le regard vide, Alban siffla ses Pokémon. Assis à l’ombre d’un arbre, en bordure du désert de Touga, le jeune Coach essayait de tenir tant bien que mal ses entraînements quotidiens. Avant de finir sa Mission, il avait accepté de prendre deux nouveaux pensionnaires dans ses rangs. S’il avait su la façon dont s’achèverait son excursion à Pyrite, il n’aurait jamais tenu à prendre Sphax et Baron en entraînement. Car en était-il réellement capable ? Cette dernière année avait prouvé que oui… avant que quatre jours dans sa vie ne viennent remettre en doute tout ce qu’il avait réussi à bâtir pierres par pierres. Il avait néanmoins accepté de prendre en Coaching Armstrong, le Machopeur d'un élève de son dortoir avec qui il n’avait jamais encore parlé. Pour un premier Coaching, on pouvait dire que Kira ne tomberait pas sur son meilleur… Mais, ayant déjà Baron et Sphax, Alban n’avait pas eu le cœur à refuser la demande de son camarade Voltali, qui avait l’air d’avoir envie de se débarrasser momentanément de son starter. Au fond, il s’était dit que peut-être cela le motiverait-il à reprendre confiance en lui. A tout donner pour livrer des séances d’entraînement de qualité, comme il l’avait toujours fait.
Le châtain soupira. Sur son calepin, des dizaines et des dizaines de programmes d’entraînement s’étalaient sur plusieurs pages. Avant de partir en Mission, Alban avait profité de son regain d’inspiration lors de sa séance de Coaching précédente pour expérimenter l’entraînement à partir de sports d’équipes. C’était sur ça qu’il comptait, pour occuper Sphax, Armstrong et Baron. De toute façon, il n’était actuellement plus capable d’improviser quelque chose. Son inspiration semblait s’être envolée, de même que ses rêves de réussite de la Mission PALLADIUM.
Un échec. Voilà ce que son voyage à Rhode était.
Devant lui néanmoins, ses Pokémon essayaient de faire de leur mieux pour entraîner les trois nouveaux pensionnaires. De son côté, Alban ne voulait plus faire grand-chose. Il dispensait ses ordres avec un ton blasé au possible. Il était lent à réagir lorsqu’on faisait une bêtise. Il donnait ses conseils sans grande conviction. Une chose que Sphax, l’Absol chromatique d’Aileen Sôma, n’avait pas tardé à remarquer. Mais, malgré son caractère de base, Sphax souhaitait sûrement donner à Alban un peu de temps pour se reprendre. Il lui aurait sans doute fait comprendre qu’il fallait qu’il se ressaisisse si Alban y avait vraiment mis de la mauvaise foi. Mais, semblant comprendre qu’il avait une épreuve à surmonter seul, l’Absol se contentait de la situation actuelle. Nul doute qu’il réagirait si son Coach se mettait à traîner trop longtemps sa mélancolie. Mais en attendant, et après deux jours d’entraînement à peine, il pouvait supporter. Surtout que les Pokémon d’Alban appliquaient à la lettre les programmes de leur dresseur pour livrer une performance de Coaching toujours aussi satisfaisante.
Hélios était le seul Pokémon d’Alban capable de lire de longs textes. Assis sur un cahier, il communiquait les ordres à Auster, qui les aboyait aux autres pour les motiver. Le début de l’entraînement avait été légèrement chaotique ; si Sphax et Baron se montraient relativement obéissants, Armstrong aimait n’en faire qu’à sa tête, soulevant tout ce qu’il trouvait au passage pour faire de la gonflette. Un écart qu’Auster n’avait pas accepté très longtemps. Actuellement néanmoins, les Pokémon s’adonnaient à une gigantesque course d’obstacle, préparée avec soins par Aura, Hélios, Auster, Mistral et Zéphyr. Courir dans le sable n’était vraiment pas aisé. Surtout lorsqu’autour de ses pattes ou chevilles, on avait des poids de plusieurs kilos. Mais Auster n’était pas aussi tendre qu’Alban quand il s’agissait de gérer l’entraînement. Spartiate et impitoyable, il avait demandé à tous les autres Pokémon de l’équipe d’Alban d’être ces Pokémon « gêneurs » qui iraient assaillir les pauvres coachés. Il y avait des attaques qui pleuvaient de partout. Des parades qui se montaient à l’instinct. Des coureurs qui esquivaient in extremis les assauts opposants. Le tout sur fond d’aboiements tyranniques d’Auster. « Faites comme vous voulez », avait dit Alban. Alors le Noctali allait faire comme il le souhaitait.
Au bout de deux bonnes heures d’entraînement, d’étirements et de ravitaillement - c’était important, après tout -, Alban siffla la fin de la séance. Caressant d’un air absent Auster pour le remercier, il se dirigea vers sa hutte pour rejoindre Aaron.
Aujourd’hui, Aaron et lui devaient partir pour un petit voyage entre meilleurs amis. Une nouvelle qui l’avait réjoui quand il l’avait appris, avant sa Mission, mais qui à présent parvenait à peine à lui remonter le moral. Dans son état actuel, Alban ne voulait pas plomber l’ambiance. Aaron avait travaillé si fort pour lui faire la surprise du voyage, et lui se sentait coupable de ne pas pouvoir en profiter pleinement. Un moment, il avait songé à proposer à Aaron d’y amener quelqu’un d’autre, mais… il n’avait finalement pas eu le cœur à refuser lorsque son meilleur ami s’était mis à sourire comme un enfant à qui on annonçait que Noël était avancé.
Rentrant dans sa hutte, Alban regarda machinalement du côté de la chambre des filles. Comme d’ordinaire, il ne voyait ni n’entendait Alex ou Maxine. Peut-être n’étaient-elles plus là, après tout. Quoique. Ce n’était pas comme si ça allait changer quelque chose, pour lui. Haussant donc les épaules, Alban pénétra dans sa chambre et attrapa le sac à dos qu’il avait préparé pour le voyage. Il en profita pour rappeler tous ses Pokémon, à l’exception de Zéphyr, Auster et Sphax. Les deux premiers car il avait besoin de sentir leur présence près de lui, et le dernier car il n’aurait pas supporté d’être dans une Pokéball. Soit. Alban se sentait déjà coupable de ne pas pouvoir s’occuper de l’Absol comme il le fallait. Il n’allait pas en plus l’obliger à faire quelque chose qu’il ne souhaitait pas… Fourrant donc son Polaroïd dans son sac à dos, le Voltali cocha le dernier item de sa liste d’objets à prendre. Il était paré pour partir. Ce qui tombait bien, puisqu’Aaron avait également fini, de son côté.
Une tape amicale le fit sursauter. Hein ? Que ? Quoi ? Alban se tourna vers Aaron, qui était en train de lui sourire. Perdu dans ses pensées comme il l’était, il n’avait même pas entendu sa première question. Ni entendu qu’il s’était approché de lui. Un peu décontenancé malgré son visage toujours aussi inexpressif, Alban hocha la tête lentement.
- Oui, ce sera sûrement cool, dit-il, sans grande conviction.
Ce n’était pas faute d’essayer d’être agréable, pourtant. Passant donc son sac à dos sur son épaule, Alban essaya d’éviter le regard du Phyllali. C’était inacceptable de sa part sachant qu’Aaron avait été un des premiers à lui souhaiter son propre anniversaire, mais… compte tenu de la situation à Rhode, Alban n’avait même pas pu trouver un moment pour lui souhaiter son anniversaire le jour J. Il l’avait fait de vive voix à son retour, avec deux jours de retard, mais ce n’était quand même pas suffisant… Il espérait se rattraper ce week-end, avec ce cadeau qui était caché dans le fond de son sac à dos. Cadeau qu’il n’avait pas eu l’occasion de lui offrir, d’ailleurs. Ah… Heureusement qu’il avait préparé ça avant de partir à Rhode. Sinon, son état ne lui aurait pas permis de trouver quelque chose de pareil.
Ils sortirent tous deux de leur hutte pour rejoindre le port de Touga. Ce chemin, Alban l’avait fait en sens inverse il y avait à peine quelques jours. Néanmoins, être avec Aaron lui mettait du baume au cœur. Il avait beau ne pas le montrer, Alban était sensible à tous les efforts que son meilleur ami faisait pour lui. Cette sortie lui ferait du bien. Ou en tout cas, rien ne pourrait être pire que de rester seul dans sa hutte.
La traversée se déroula sans encombre. Entassés dans un petit bateau à moteur, ils passèrent néanmoins un bon moment. Alban avait l’impression que loin des grands ferrys, il se sentait revivre. Ils étaient si proches de l’eau que son âme de touriste passionné vibrait face à toutes ces couleurs et tous ces sons. De leurs côtés, ils bavardèrent modestement. Alban sentait qu’il se devait de faire un effort. Pour Aaron. Pour lui. Alors, il répondit au rouquin avec un peu plus d’entrain. Un tout petit peu plus, tout du moins…
***
Ils arrivèrent quelques heures plus tard à Relifac-le-Haut. Prévoyant, Alban enfila immédiatement un imperméable. Loin de la chaleur caniculaire de Touga, il avait l’impression qu’il était dans le grand Nord, ici. Qu’importe ! C’était la première fois qu’il voyait Relifac-le-Haut, et il regarda avec curiosité ce paysage qui lui était si étranger. La montagne… il ne l’avait pas souvent vue avant d’arriver sur Lansat, malheureusement. Et pourtant, elle paraissait si immense. La vue devait certainement être imprenable de là-haut, mais jamais il n’aurait le courage d’entamer une ascension. Après tout, avec son corps encore faible, mieux valait ne pas tenter le diable. Il hocha néanmoins docilement la tête lorsqu’Aaron lui présenta le programme du jour. Pas de visites ici, ce n’était pas là qu’il avait prévu leurs vacances. Mais où, dans ce cas ? Alban avait bien compris qu’il s’agissait d’une ville de Kalos, mais en dehors…
- D’accord. Une réponse simple et concise, comme à son habitude. Allons Alban, tu pouvais faire mieux, non ? Derrière lui, Auster soupira d’exaspération. Toujours aussi inexpressif, Alban suivit son meilleur ami. Ce dernier parvint néanmoins à piquer sa curiosité quand il s’arrêta devant la devanture de la boutique de sandwiches. Ils étaient à Kalos. Quelles étaient les spécialités, ici ? Il n’allait pas se contenter d’un simple sandwiche qu’il pourrait manger partout. Progressivement, ses vieilles habitudes lui reprenaient. Saisissant son iPok, il fit rapidement une recherche internet et se décida - enfin - à commander un sandwiche aux gésiers de canard. Aaron, de son côté, n’avait pas tant fait le difficile. Ensemble, ils allèrent s’installer et Alban grignota son sandwiche sans trop parler. Ce n’était pas qu’il n’en avait pas envie. C’était juste qu’il… ne savait pas quoi dire ? Face à son meilleur ami, il avait toujours pourtant été plus bavard qu’avec d’autres. Mais d’habitude, Aaron parvenait à instaurer un rythme et à lancer les conversations. Là… Avec sa tête d’enterrement et le froid qu’il dégageait, Alban était certain que même le Phyllali ne parviendrait pas à rattraper le coup seul. Il fallait vraiment qu’il fasse un effort… Mais à peine eut il le temps d’y penser que son meilleur ami s’était déjà levé pour aller jeter l’emballage de son sandwiche. Tant pis. Une prochaine fois.
Engloutissant ce qu’il lui restait de pain, Alban se leva lorsqu’Aaron vint le tirer par la manche. Ensemble, ils se rendirent à la boutique de location de vélo, et le Coach sentit ses yeux se remettre doucement à pétiller. Du vélo ! Cela faisait presque trois ans qu’il n’en avait plus du tout fait. C’était un peu comme un vieux rêve de gosse qui ressurgissait. Mais y arriverait-il avec sa jambe ? Un peu anxieux, Alban sentit Zéphyr lui caresser doucement la joue avec son aile. Rien ne l’empêchait d’essayer, non ? Au pire, il pourrait très bien continuer à pieds au besoin. Esquissant donc un sourire tandis qu’il posait sa main sur la selle, Alban se tourna vers Aaron.
- C’est parti, oui.Le premier sourire sincère depuis qu’ils avaient quitté Touga.
Montant sur son vélo, Alban donna un premier coup de pédale. Il sentit aussitôt le vent venir lui fouetter le visage, et il se sentit incroyablement libre. C’était tellement agréable ! Intérieurement joyeux, le châtain en profita pour faire sortir Armstrong et Baron pour un entraînement improvisé. Ce serait uniquement du footing, mais lui étant à vélo, ils devraient forcément calquer leurs rythmes sur le sien. Sphax, déjà hors de sa Pokéball, se joignit donc à l’exercice et tous coururent derrière Alban.
Le paysage était vraiment magnifique. Loin du désert de Touga, les couleurs semblaient tellement plus vives. Trop concentré sur le panorama pour ressentir la douleur dans son genou, Alban finit par arriver aux abords de Cromlac’h. Curieusement, il regarda derrière lui. Wow. Ils avaient réellement monté tout ça ? Sans qu’il ne suffoque de douleur ? Revigoré par cette nouvelle, le châtain fut surpris lorsqu’il vit les immenses menhirs devant eux. Ces énormes pierres brutes et grises avaient vraiment un charme exceptionnel. C’était si sauvage, si naturel, qu’Alban ne put s’empêcher d’en être ému. Loin de Rhode, de l’industrialisation et de l’horreur de sa Mission avec Orren, le châtain sentait qu’il pouvait revivre petit à petit.
Des étoiles plein les yeux, il eut un large sourire lorsqu’Aaron lui annonça qu’ils étaient arrivés. C’était donc là qu’Aaron voulait l’amener, n’est-ce pas ? Complètement satisfait de la surprise, Alban hocha la tête avec ferveur et pédala encore un peu pour rejoindre le village. Ils contournèrent rapidement des maisons puis parvinrent dans un camping. Toujours aussi dynamique, Aaron descendit de son vélo et alla s’enregistrer à l’accueil. Un peu plus en retrait, Alban observa les alentours. Cromlac’h était vraiment une très belle ville. Les habitants, très différents de ceux de Cimetronelle, semblaient néanmoins vivre tout aussi simplement. Une bonne odeur de viande grillée vint chatouiller ses narines, et Alban se promit d’aller faire un tour dans les échoppes du coin, pour le dîner.
Ses oreilles captèrent cependant un peu tard ce que la dame expliquait à Aaron. Hein ? Que ? Quoi ? Une nuit de partage avec les Pokémon ? Merde, il avait loupé de quoi ça parlait. Il faudrait qu’il demande à Aaron, plus tard. Mais si c’était bel et bien un événement touristique, il fallait absolument qu’il y assiste. Pressé de s’isoler avec Aaron pour enfin pouvoir lui demander ce qu’il avait manqué, Alban nota toutefois qu’ils devaient se rendre au cercle de menhirs pour plus tard. Une magnifique cérémonie ? Bordel, ça donnait vraiment trop envie !
Entrant dans le chalet qu’on leur avait attribué avec Aaron, Alban posa ses affaires et regarda l’intérieur avec un certain enthousiasme. C’était vraiment sympathique, comme endroit pour séjourner. Vraiment… Se tournant vers ses Pokémon, Alban leur autorisa à aller jouer ou s’entraîner dans les environs. Il appela Mistral, Auster et Zéphyr et leur recommanda de surveiller tous les autres. Puis, tiré par l’épaule par Aaron, il quitta le chalet pour un tour du village.
Avant tout ça, il fallait néanmoins qu’il règle quelque chose.
Attrapant Aaron par la main, le forçant à s’arrêter, le châtain le regarda droit dans les yeux.
- Un tour du village serait parfait mais… je voulais te dire quelque chose, avant tout ça.Il déglutit avec difficulté.
- Merci… merci pour tout ce que tu as fait. Merci pour ce voyage. Merci d’avoir supporté mes silences et ma mauvaise humeur. Je ne sais pas trop ce que je ferai, sans mon meilleur ami. Merci d’être là, tout simplement. Je vais faire des efforts pour aller mieux, je te le promets. Il souffla. Ce n’était pas si compliqué que ça, au final. Non ?
- Et ce soir… On fêtera ton anniversaire comme il se doit. Qu’en penses-tu ?Un sourire se dessina sur ses lèvres. Encore une fois.
Encore une fois, ils allaient remonter la pente. Tous les deux. Ensemble.